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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 20:58

  

   C'est une musique qui nous est revenue à l'esprit à l'annonce, ce dimanche, de la mort de Joseph Pasteur. Une musique? Une stridence plutôt. Presque un signal d'alarme. Il était tard. Les enfants devaient aller se coucher. Les Dossiers de l'écran s'ouvraient. Les téléspectateurs se préparaient à appeler SVP. Guy Darbois ajustait son écouteur.
   Nous étions fin des années 60, début de la décennie suivante. Passé le générique aux angoissantes mesures de Spirituals for Orchestra de Morton Gould, partition qui sous-tendra également la bande-son de L'Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, le programme commençait. Un thème, un film, un débat. La formule rassemblait une bonne partie de la France gaulliste, pompidolienne ou giscardienne devant des postes aussi massifs que des coffres-forts.  Le présentateur, au nom d'inventeur de vaccin, annonçait la couleur, même au temps du noir et blanc. Costume de laine grise de prof de lycée de province, visage grave en toute circonstance, il y avait en celui qu'on confondait parfois avec Armand Jammot, quelque chose de Jacques Delors. On sentait qu'il ne bluffait pas. On le croyait sur paroles.

   Avec la disparition de Joseph Pasteur, hier à Marseille, à l'âge de 89 ans, la télévision des années Cinq colonnes à la Une et Sports dimanche a perdu l'un de ses pionniers. Il était tout à la fois un confident, un moraliste et un médecin de famille. Les virus people pouvaient toujours tenter de s'inviter. Pasteur veillait. Grâce à lui, le petit écran paraissait à jamais immunisé contre la rage. La rage du bling-bling, de l'insolence et de la course à l'audimat. "Madame, mademoiselle, monsieur, bonsoir!"  D.P.

- Sur la photo, Joseph Pasteur (à gauche) lors d'un "Dossier de l'écran" consacré à "L'affaire Dominici", le 9 septembre 1980.

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31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 20:48

Berlin-mars-2011-072.jpgDites, ce serait tellement bien si...
Si quoi, au juste? Eh bien si, du côté de Fukushima, un flot dantesque n'avait pas tout ravagé.

Si, là-bas au Japon, la faune et la flore étaient pures et qu'aucune espèce ne soit menacée.
Si une myriade d'écailles radioactives ne "tchernobylisaient"  pas l'humanité.
Oui, ce serait bien si...
Si, en Libye, en Côte d'Ivoire ou ailleurs, on pouvait espérer nager enfin dans la paix et la sérénité.
Si, au Parlement européen, certains députés n'évoluaient pas dans les eaux troubles des pernicieux lobbyings.
Si, chez nous, en France, au lieu de se vouer à une menaçante "aqua(bon)culture", les urnes offraient la douce plénitude des aquariums.
Ce serait vraiment bien si...
Allez! Qu'on nous pardonne ce frétillement juvénile mais que voulez-vous, c'est comme ça, il y a des circonstances propices aux plus naïfs courants d'utopie.
Ce vendredi, plus que jamais jour du menu fretin dans l'assiette et les coutumes, devrait être tout de tradtion, de légèreté et de farce.
Il n'en est rien, évidemment. La récente actualité n'a pas seulement dévoré un morceau de la planète et une part de notre insouciance. Elle a aussi emporté avec elle un fragment de l'alphabet. Oh! trois fois rien. Un minuscule signe graphique. Une drôle de petite lettre en forme d'anguille en colère.
Une lettre? Mais l'un des "s" du mot poisson, pardi. D.P.

- En illustration, un inquiétant poisson sculpté par l'un des artistes qui oeuvrent et exposent au "Tacheles" de Berlin (Photo D.P., mars 2011).

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29 mars 2011 2 29 /03 /mars /2011 21:11

 DSCN8650.JPG  Il y a, en Jean-Vincent Verdonnet, quelque chose comme la perpétuelle trace des journaliers de jadis qui oeuvraient aux champs ou dans les bois. Il cueille, il glane, il noue. Racines nourricières extraites de la terre ou brindilles qui serviront à allumer le feu. Le voici aujourd'hui, proche de la lisière, arc-bouté au crépuscule, assemblant son Dernier fagot. Mais qu'on ne s'y trompe. On ne trouvera aucun renoncement dans ce simple et beau recueil, à la fois inquiet et apaisé. Quand le doute gagne "l'âme pensive du vieil homme", une conviction vient le tutoyer: "L'éclat fugitif qui te fonde / peut éloigner la peur du vide". Verdonnet, modeste et grand poète, solidement ancré à ses arpents haut-savoyards, sait alors qu'il peut continuer à avancer, dans sa nuit fertile peuplée de neigeries, de songes et de fraternités. Ses mots ont des vibrations d'angélus, des silences de brume, des vivacités de bois mort. La voix qui parle en lui depuis des décennies a raison une fois de plus de rappeler à celui qui "espère et tremble": "Chaque mot que tu as laissé / dans le coeur battant d'une page / t'empêche de mourir vraiment". D.P. 
- Dernier fagot de Jean Vincent-Verdonnet, Rougerie, 67 p., 12 euros.

Né en 1923 à Bossey (Haute-Savoie), Jean-Vincent Verdonnet est l'auteur d'une oeuvre poétique très riche rassemblée en quatre tomes, sous le titre général Où s'anime une trace, chez Rougerie (l'éditeur récemment disparu, à qui est dédié le présent volume, et dont l'enseigne limousine est perpétuée par son fils). Verdonnet a également publié chez Voix d'Encre, à Montélimar, et à La Fontaine de Siloé, en Savoie.

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28 mars 2011 1 28 /03 /mars /2011 20:59

   Qu'on nous pardonne cette métaphore un brin catastrophiste mais, au lendemain du second tour des cantonales, l'UMP, c'est un peu Fukushima. Les plus solides façades se craquèlent. De larges brèches s'ouvrent dans le bâtiment. Bref, ça tangue, ça se désintègre, ça fuit. Christian Estrosi, la piscine niçoise de rétention des combustibles, est en surchauffe. La radioactivité gagne Jean-François Copé dont les émanations atteignent de plein fouet François Fillon. Jusqu'au très lisse François Baroin (photo) qu'on croyait édifié selon les plus efficaces normes antisismiques, et qui, tout à coup  se fissure lui aussi. Chacun redoute désormais une explosion de l'enceinte de confinement. Les décontamineurs qui multiplient les prélèvements autour de Nicolas Sarkozy, le réacteur numéro 1 noyé sous la vague Marine, n'ont qu'une hâte: s'échapper de la zone maudite. Seuls quelques kamikazes très optimistes espèrent encore pouvoir refroidir le site. Pour cela, ils se donnent un an. Un an avant que ne s'élève une autre fumée blanche. Celle en laquelle, sous leurs masques, ils osent encore croire. D.P.

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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 21:32

    Ca y est, c'est fait, vos montres sont bien calées? Evidemment, vous avez eu toute la journée d'hier pour ça, mais vérifiez tout de même, on a si vite fait de se prendre les doigts dans le remontoir. Prenez, par exemple, les grandes chaînes de télé. Belle surprise. On a allumé l'écran pour tout savoir des élections cantonales et qu'avons-nous eu en priorité? On vous le donne en mille. Le résultat du premier tour de la présidentielle! Il ne faisait aucun doute: Marine Le Pen éclipsait Nicolas Sarkozy. Oui, ce dimanche soir à 20 heures, il était... 2012!
   Un problème de réglage probablement. Les mécanismes n'avaient pas été avancés d'une heure mais de plus d'une année. Cela dit, il n'est pas inintéressant de se retrouver projetés ainsi treize mois plus tard. A condition de ne pas être saisis de vertige à travers ces repères bousculés. Car ce n'est pas tout: il n'était question que d'un prochain "21 avril à l'envers", alors que, vérification faite sur le calendrier, nous n'en étions encore qu'à un 27 mars "à l'endroit". Un 27 mars pluvieux marqué, dans les urnes, par une nouvelle abstention record, par un rude échec du parti au pouvoir, par une avancée de la gauche, mais aussi, qu'on le veuille ou non, par un échec au triomphe annoncé du Front national.
   Comme quoi il faut toujours être prudent quand on prend des libertés avec le temps qui passe. Qu'on y pense au terme de cette semaine de "ni-ni" et de pronostics déjoués qui viennent, au propre comme au figuré, de remettre les pendules à l'heure. D.P.  

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 20:24

   En ce 23 mars, c'est le jour du"ni-ni". "Ni-ni" comme ni iode, ni masque. Certes, le nuage japonais arrive chez nous mais, pas de panique, il paraît qu'il est bien élevé et qu'il a du panache. C'est quoi, au juste, ce qui nous attend? Oh! trois fois rien, une vulgaire "masse d'air", à peine quelques particules élémentaires houellebecquiennes en suspension haut dans l'espace, flirtant avec les premières alouettes du printemps et les hirondelles pas radioactives pour un yen. Le nuage de Tchernobyl, lui, s'était arrêté à la frontière, bien sage. Celui de Fukushima, un brin plus kamikaze, entre mais sans frapper. Du moins sommes-nous priés de le croire sur parole. C'est beau, quand on y pense, le mariage des grands experts et des petites crédulités occidentales...

   Mais trêve d'ironie, la vraie menace vient d'ailleurs, c'est une évidence. Il y aurait, en effet, plus à redouter de la centrale FN en fusion suite au séisme électoral de dimanche dernier. L'Institut de sûreté démocratique a lancé un cri d'alarme. L'UMP tente d'évacuer ses ressortissants de la zone de contamination. Et, forcément, c'est un peu la panique. Il y a les partisans des antidotes républicains. Ceux qui, d'abord réticents, finissent par avaler la pastille, genre François Fillon qui l'a juré ce mardi: finie la "cacophoninie".

   Voter blanc? Blanc comme un champignon menaçant? Bah! Dans l'isoloir, c'est comme aux abords des sites nucléaires, le risque zéro n'existe pas. D.P.

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 19:59

     Vous avez donné un coup d'oeil au calendrier? Nul doute, on y est, pas question d'échapper à l'échéance en ces 20-21 mars. Hâte de tourner la page d'un interminable hiver. Frénésie de lumière et d'un brin de chaleur. Pour un peu, on s'adonnerait à la glorification béate de la floraison. Sauf que les corolles ne sont pas tout à fait celles qu'on attend en ce fichu printemps. En Libye, ce ne sont pas des jonquilles qui s'allument mais les pétales de feu des bombes toujours avides d'effroyables jardins. De nos belles bombes à nous, cultivées dans les chères plates-bandes de notre Coalition potagère. Et là-bas, plus loin encore, au Japon, pas d'arbres fruitiers en éveil, mais la rémanence d'une maudite corolle blanche sous laquelle il faut faire semblant de croire aux vertus des parapluies anti-irradiations.

   Saletés de becquerels et de millisieverts! Le monde ne semble plus soudain régi par le naturel et fascinant passage des saisons, mais par une sorte d'effarant accélérateur de particules qui atomise nos repères familiers. Nous voici projetés loin de nos égotismes stendhaliens, loin de nos fiefs et de nos cantons pour lesquels il fallait, paraît-il, voter ce dimanche. À qui croire, à qui se vouer en ces temps d'élections de proximité qui ne passionnent personne? "Au printemps de quoi rêvais-tu?" chantait jadis Jean Ferrat. Bah! le verbe n'est même plus de circonstance. En ce mois de mars 2011, on sait tout juste une chose: de quoi on cauchemarde. Putain de printemps! D.P.

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17 mars 2011 4 17 /03 /mars /2011 00:18

 DSCN8527-copie-1.JPG DSCN8548-copie-1.JPG

   "DieTränen von Tokio". Beau titre du Berliner Kurier. Beau titre, fort, bouleversant. Et communicatif. Car oui, "les larmes de Tokyo" ne sont pas seulement à la Une de la presse allemande. Elles se répandent de ville en ville, de pays en pays. Il y a, en effet, comme un chagrin universel qui se propage au lendemain de cet Hiroshima civil aux inflexions de manga désespéré. Mais le mot "lendemain" n'est sans doute pas le bon. Nous ne sommes pas encore dans "l'après" et il n'est pas tout à fait sûr que l'expression prenne un jour un sens en pareil contexte. Le temps, quelque part, s'est vitrifié. Le temps de la confiance. Le temps d'une certaine insouciance. Le temps où nous rêvions volontiers d'être libres comme l'air que l'on respire. C'est tout particulièrement le cas en Allemagne, ce pays voisin où la conscience des catastrophes est plus aiguë qu'ailleurs et ou flottent plus que jamais, ces jours-ci, des calicots clamant: "Atomkraft? Nein Danke!".

  Alors, que faire pour exorciser le mal qui rôde? Peut-être se réfugier dans l'art, comme on le préconise souvent. À Berlin, ce ne sont pas les lieux propices qui manquent. Au Musée d'art moderne de l'Hamburger Bahnhof, nos regards viennent ainsi se cogner contre les immenses toiles du chaos d'Anselm Kiefer.

  Pour comprendre où va le monde - ou pour mieux pressentir où il ne doit pas aller -, il vaut mieux parfois scruter l'oeuvre des plasticiens, ou lire les poètes, qu'écouter les apprentis sorciers qui ont fait de la planète leur jouet infernal. Dans le ravage de la peinture de Kiefer, il y a Fukushima. Et la menace. Et la panique. Il y a les larmes aussi. Celles de Tokyo. Les nôtres. Celles que nous partageons en ce mois de mars 2011 où les crocus des rives de la Spree ne peuvent faire oublier ces blanches corolles qui ne sont hélas, cette fois-ci, pas celles des cerisiers nippons. D.P.

- En photo, ci-dessus, au côté de la Une du Berliner Kurier du 16 mars 2011,  Maikäfer flieg ("Le vol du hanneton") d'Anselm Kiefer (1974, 220x300), au musée d'art contemporain de l'Humburger Bahnhof de Berlin (Invalidenstrasse 50/51).,   

 

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 21:38

   Les mots manquent pour dire ce qui vient de frapper le soudain crépusculaire "Pays du soleil levant". Séisme, tsunami, cataclysme... Il y a pourtant un nom auquel on songe en constatant l'ampleur d'un chaos qui a tout à coup pétrifié ce fragment du monde. Un rapprochement dicté, à l'évidence, par la géographie, tout autant que par l'exceptionnelle puissance dévastatrice. L'inimaginable ampleur du désastre, l'épouvante dans les yeux des rescapés... Oui, ce qui s'est passé là-bas, c'est bien, à sa manière, un Hiroshima tellurique.

   Un Hiroshima sans bombardiers, sans "Littel Boy" mais avec un champignon. Un champignon pas comparable, certes, à celui de l'attaque atomique du mois d'août 45, mais ô combien inquiétant au-dessus de cette centrale nucléaire de la côte Pacifique entrée dans l'histoire, samedi à 15h36, heure locale. Un nuage? Une bouffée de vapeur blanche comme les fleurs des cerisiers nippons, une haleine de mort qui rôde, la pernicieuse écume des jours.
   Ce n'est, sans doute, que dans les semaines qui viennent qu'on en mesurera mieux l'impact, au-delà des euphémismes de circonstance dont l'hypocrisie est parfois censée s'arrêter à la frontière de nos crédulités. Un jour quelqu'un racontera cette histoire-là. Une histoire mêlant déferlante diabolique et apprentis sorciers. Une histoire de faille de planète et de civilisation. Il faudrait pour cela un écrivain dans le genre de Marguerite Duras. Un écrivain qui dira: cela se passait en mars 2011, à quelques jours de l'éclatant printemps japonais, à Diichi, préfecture de Fukushima. Fukushima, mon amour. D.P.
 

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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 01:27

     France Info - Plus d'un millier de morts au Japon, toujours sous le choc       "Les choses vont comme elles vont / De temps en temps la terre tremble / Le malheur au malheur ressemble / Il est profond profond profond". Une fois de plus, ces vers d'Aragon hantent notre mémoire au moment où la nouvelle nous assaille. Non pas simplement un séisme, mais, là-bas dans ce "Pays du soleil levant" qui tout à coup porte bien mal son nom, un enchaînement de scènes d'Apocalypse. Avec cette vague, comme une fureur divine. Avec ce flot comme une malédiction biblique. Avec cette fin du monde provisoire relayée dans l'instant par tous les réseaux sociaux.
   C'est quoi un tsunami? Plus personne ne l'ignore depuis la tragédie de Noël 2004. C'est un monstre en mal d'enfance qui joue avec nos villes, nos maisons, nos voitures et nos émotions comme un sale gosse qui shoote dans ses Legos. C'est un châtiment. C'est une maladie. Vous avez entendu ce témoignage? Un homme, commentant les instants qu'il venait de vivre à Tokyo, s'est confié à une caméra: "Je croyais que j'avais une hémorragie cérébrale". Il aurait tout aussi bien pu parler d'une soudaine crise parkinsonienne sans remèdes.
   Car enfin quoi, s'il y a une chose à retenir de ce type de catastrophes, c'est que, même au siècle où l'homme croit dominer l'univers, c'est elle qui reste la patronne. Elle? Cette figure à la fois familière et fantasque, complice et dévastatrice. Elle? Celle qu'il faut bien continuer à appeler "La Nature", même lorsqu'elle est démoniaquement surnaturelle. Elle aux stupeur et tremblements de romancière ensorcelée. Elle, à qui seul un poète peut souffler le dernier mot: "Vous voudriez au ciel bleu croire / Je le connais ce sentiment / J'y crois aussi moi par moments / Comme l'alouette au miroir...". D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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