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22 janvier 2021 5 22 /01 /janvier /2021 22:14
Photo © Didier Pobel

Photo © Didier Pobel

Cette loi-là, il faudrait l'appeler la "loi Maurice". Maurice? Mais oui, du nom de ce coq qui, à l'été 2019 sur l'île d'Oléron, vous vous en souvenez peut-être, sema la zizanie entre autochtones et nouveaux résidents. Pensez donc, en bon gallinacé gaulois qui se respecte, Mômo, droit sur ses ergots, chantait dès potron-minet, à l'heure où d'autres, sans doute pas couchés avec les poules, entendaient (!) dormir du sommeil du juste (arrivé). Des magistrats, de basse cour, durent s'en mêler. C'est tout juste si l'on n'appela pas les "poulets".
Et voilà qu'avec le pas franchi, jeudi dernier, par les sénateurs après les députés, on peut dire que cette affaire, qui se solda en faveur du volatile aujourd'hui décédé, n'est pas tombée dans l'oreille de sourds. Le texte, rappelons-le, est destiné à protéger les "sons et odeurs des campagnes françaises" ou, plus généralement, le "patrimoine sensoriel" (sic). Oh!, certes on pourrait s'en réjouir, à l'heure où le tintement des cloches, les meuglements de vaches, le "parfum" de leurs bouses ou les pétarades des tracteurs incommodent les adeptes, de plus en plus nombreux, d'un retour à la Terre attisé de surcroît par les confinements...
Mais, quand on y pense, c'est tout de même à se demander si on n'est pas un peu tombés sur la tête, non? Il y a en effet probablement rôle plus urgent pour le Droit que de protéger le crottin. À ce train-là, mes amis, on n'est pas sortis de l'étable. Et Éric Dupont-Mômoretti va avoir plus de grain à moudre que le Chantecler de l'île d'Oléron.
D.P.
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27 mars 2020 5 27 /03 /mars /2020 23:00
Un grand pas pour l'humilité

Souvenons-nous. Ce n'était pourtant pas les périls qui manquaient, ah! ça non. Nous en avions des gros, des petits, des durs. Des effectifs, des pressentis, des "à coup sûr", des "je vous l'avais bien dit". Il y avait, grosso modo et dans le désordre, la catastrophe climatique, la famine, la guerre, le terrorisme, l'insécurité routière, l'obscurantisme, le déclinisme, les féminicides, le mal-être animal, la pauvreté, le flux migratoire, le nucléaire, les pseudo-démocraties, le silence des intellectuels, le grand chambardement, les prises d'otages, le "grand remplacement". Ou bien encore, le bug de l'an 2000 et le spectre de l'an 40, les sextapes et le dieselgate, le feu à Notre-Dame et l'écriture inclusive. Sans oublier le dieudonnisme, le matznevisme, le polanskisme, le spécisme, le "c'était mieux avant" et la fête à neuneu planétaire.

Mais pour faire face, on avait tout à notre portée, impossible d'en douter. Des réseaux sociaux et des tutos, des applis et des selfies, des hashtags et des think tanks, du vivre ensemble et du coworking. Et des savants, des Nobel, des lanceurs d'alerte, des Greta, des marabouts (de ficelle de cheval...), des Paco Rabanne à la mode du moment, des survivalistes, des ministres d'ouverture, des comiques à la pelle (qui sont parfois les mêmes). Et puis, last but not least, des psychologues, des sociologues, des radiologues, des virologues, des collapsologues, des ligues du lol, des catalogues.

Et avec ça on avait tout lu. Marx et Platon. Sartre et Aron. Orwell et Wells. Gandhi et Rhabi. Lenoir, Schmitt, Angot et Houllebecq. Sans oublier tous les romanciers "visionnaires" des rentrées littéraires successives. Pensez donc, on était capables de tout. De séquencer. D'hologrammer, d'uberiser, de twitter, d'algorythmer, de facebooker, de détricoter sans divulgâcher, de s'appuyer sur les fondamentaux tout en faisant bouger les lignes.

Oui, on était forts, on était beaux, on était modernes, on tchatait, on était ironiques et cyniques, bref on était occidentaux. Et tout ça "en même temps", s'il vous plaît.

Et pourtant, eeet pourrrtant..., comme dit la chanson, et pourtant nul n'a perçu cela. Nul n'a entrevu le bi du bout de la queue du Mickey enrhumé. Nul n'a prédit qu'il allait suffire de presque rien. D'un infime bidule en forme de couronne. D'un virus des millions de fois plus petit qu'un seul des frères Kouachi ou qu'une banquise qui fond pour que le monde tremble, pour que la fièvre gagne, pour que tout s'arrête.

Pas plus qu'on avait vu venir, toute proportion gardée et liste non limitative, le11-Septembre, le 30-avril, les révolutions arabes, la chute du Mur de Berlin, la fin des haricots, nul n'a prédit que cette fois-ci l'ennemi arriverait déguisé en "tubard", toussant et crachant, nul n'a prédit que l'assaillant ferait couler le nez plutôt que le sang, nul n'a prédit que le barbare ne brandirait pas une kalachnikov mais une grippe carabinée.

Alors au moins maintenant le sait-on. Et c'est peu dire que si on en réchappe derrière nos minois masqués, ce qui devrait bien tout de même être le cas pour quelques-un(e)s d'entre nous - croisons nos doigts gantés -, il serait bien qu'on se souvienne de ce temps vénéneux qui nous renvoie en un éternuement à nos infimes conditions d'êtres microscopiques, de créatures peanuts, de fétus biologiques, à la merci d'un courant d'air, du vide d'une éprouvette, d'une illusion lyrique d'immortalité, d'un surcroît d'égo, d'un thermomètre dans le derrière, d'une écaille de pangolin ou d'une aile écorchée de chauve-souris.

Oserons-nous, demain, après-demain, quand le sidérant confinement de cet an 01 à la Gébé ("On arrête tout, on recommence...") sera derrière nous, oserons-nous dire merci au Covid-19? Qu'on le veuille ou non, il le faudra puisque ce sera grâce à cette saloperie qui nous bouffe le printemps sur le dos qu'on aura pris la vraie mesure de notre place sur la Terre. Qu'on aura franchi ce petit pas de gnome, ce grand pas pour l'humilité.

D.P.

 

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12 octobre 2019 6 12 /10 /octobre /2019 21:42
Le conditionnel sous la terrasse
   Et bien sûr nous sommes tristes. Oui tristes d'assister à ça, par-delà les parodies ricaneuses, les gloussements cyniques ou les quolibets acides de la toile. Ça? La grosse boulette, le fourvoiement maousse, le citoyen lambda qui croyait encore un peu à ce drôle de truc qui s'appelle l'information et qui se dit, passez-nous l'expression, qu'on l'a pris pour un con. Xavier Dupont de Ligonnès arrêté, voilà c'est fait, croyez-nous sur parole puisqu'on vous le dit. Jusqu'à ce qu'on vous assène le contraire avec à peu près le même aplomb. Oh! on s'en remettra, soyez-en sûrs, on s'est toujours remis de tout. Mais tout de même, les médias, dans leur ensemble, n'avaient pas besoin de ça.
   Victimes de quoi, au juste, nos journaux, nos radios, nos télés - à quelques exceptions près - avec lesquels nous ne cessons depuis longtemps de jouer à je-t'aime-moi-non-plus? Pas de l'absence de déontologie de celles et ceux qui les font : globalement, ils en sont pétris. Pas non plus d'un manque collectif de talent, de culture et d'énergie. Non, l'ennemi numéro 1, le mal qui galope, c'est la vitesse. Lorsque le propos  rapporté - ou ce qui en tient lieu - s'écrit ou s'énonce avant même que le fait connaisse le moindre début de preuve, il y a quelque chose de pourri au royaume de ce qui s'imprime ou s'énonce. Et dans l'immense accélérateur de particules qui constitue nos agoras modernes, toute bourde en amont, pour un peu qu'elle soit énorme comme celle de la police avec le présent fiasco, n'a plus aucune chance d'être détectée. Et le serait-elle, d'ailleurs, que nul n'ira apporter une voix discordante de peur de briser le bêlant unanimisme ambiant marqué du sceau de l'AFP. 
   Au lendemain du pitoyable "épisode écossais" de cette affaire "hors normes", une nouvelle question se pose. Qui a dépecé ainsi la presse et enterré sa prudence et ses conditionnels sous la terrasse du scoop permanent et de l'info continue? Pas sûr qu'il soit plus facile d'arrêter ces tueurs aux multiples visages que l'assassin présumé de toute une famille. D.P.
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20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 23:24
Photo © D.P.

Photo © D.P.

Il paraît que tout le monde se souvient de ce qu'il faisait le 20 juillet 1969. Alors moi pas du tout. J'ai beau réfléchir, rien ne me revient. Sans doute devais-je être un peu dans la lune ce jour-là...

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29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 00:35
Royale canicule
Gallargues-le-Montueux. Bon, c'est vrai, on vous l'accorde, on aurait pu faire plus simple. Un nom de patelin à deux ou trois syllabes tout au plus. Mais non, il a fallu que ça tombe ici. Une commune à l'identité à rallonges où l'on ne s'arrête jamais, d'où l'on n'envoie pas de carte-postale, où la liste des enfants du pays célèbres est creuse et dont on ne parle même pas au "13 heures" de Pernaut. Bref, un bled où il ne se passe rien. Sauf qu'hier, paf!, c'est là, pile entre Nîmes et Montpellier, que l'événement a eu lieu. Il était 16h21 lorsque le thermomètre a affiché 45,9°. Oui, oui, vous avez bien lu : 45,9°, soit le record absolu des températures jamais enregistrées en France métropolitaine.
   Du coup la bourgade gardoise est entrée fissa dans le Guinness Book. Oh! pas pour longtemps sans doute. Au train où grimpe le mercure, ce record d'un jour risque vite de fondre comme neige au soleil. Mais n'empêche. Respect pour Gallargues - permettez qu'on abrège. Et honneur aux 3989 Gallargoises et Gallargois qui pourtant n'y sont pour rien et qui suent. Jusque-là leur seul spécificité, c'étaient des aliments pour chien inventés par un vétérinaire local. Des croquettes dont la marque aurait pourtant dû nous mettre sur la piste. De Royal Canin à Royale canicule, il n'y a guère que quelques lettres de plus. Chow chow devant! D.P.
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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 23:08
Mauvais tirage

Pour Des chiffres et des lettres, le compte est bon? Si l'information est encore au conditionnel, elle n'en est pas moins, pour certains, prise à la lettre, mêlant ainsi allègrement les consonnes et les voyelles du mot "rumeur". Un sale coup, assurément, et là ce ne serait ni la faute de Castaner, ni celle des Gilets jaunes. Certes, d'aucuns diront que la deuxième émission la plus ancienne du PAF après Le Jour du seigneur a fait son temps. Créée le 19 septembre 1965 par Armand Jammot (1922-1998), d'abord sous le nom du Mot le plus long, et aujourd'hui diffusée sur la 3, elle aura vu défiler presque autant de PDG de chaînes que de candidat(e)s shooté(e)s au dico et au calcul mental. Mais en France, on est comme ça.  On aime les vieilleries pour un peu qu'elles soient incarnées par l'image du gendre idéal façon Laurent Romejko. Si, encore une fois, rien n'est acté, une chose semble toutefois certaine : il y aurait bel et bien un jeu de trop sur le service public. Et, signe précurseur s'il en est, il paraît que dans sa tombe Max Favalelli à arrêté ses grilles de mots posthumes. Et que, soucieux de déjouer le mauvais tirage redouté, ce sont les doigts cette fois-ci qu'il croise. D.P.

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15 avril 2019 1 15 /04 /avril /2019 22:27
Paris brûle-t-il?
   Paris brûle-t-il? Oui, Paris brûle à travers son plus majestueux et éloquent symbole. Ce monument que même Hitler n'a pas réussi à détruire en août 44 s'est effroyablement consumé hier devant les yeux mouillés de larmes de nous tous, Français qui, à proximité du sinistre ou sur nos écrans, avons suivi l'interminable ravage du monument le plus visité d'Europe. Ce n'était à l'évidence pas seulement un fait divers qui se déroulait ainsi devant nous. Il y avait quelque chose comme un châtiment divin dans ce désastre en direct. Et comment, en voyant s'écrouler la flèche de la cathédrale ne pouvions-nous pas nous souvenir aussi de la chute des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 à Manhattan, ce qui, au demeurant, na pas manqué d'alimenter les pires hypothèses complotistes?
Toutes ces images, toutes ces voix émanant des lueurs rougeoyantes de ce moderne bûcher du Moyen-Âge, c'était qui, c'était quoi? C'était, dans l'émouvant silence de la sidération ambiante, la rémanence des cloches sonnant le glas des guerres et des obsèques nationales ou la joie des couronnements et des mariages. C'était le souffle épique du père Hugo supplicié. Le spectre de Quasimodo fuyant les incandescents sarcasmes des flammes. La danse de gitane enfumée d'Esméralda. L'ardente conversion de Claudel à Noël 1886 "près du second pilier à l'entrée du chœur à droite du côté de la sacristie". C'étaient Péguy, Aragon, Pierre-Jean Jouve. C'étaient Henri Thomas, Patrick Grainville, tant d'autres.  C'était Garou et sa gorge rauque de gargouille. "Ô Lucifer! Oh! Laisse-moi rien qu'une fois / Glisser mes doigts dans les cheveux d'Esméralda..."  
   Et c'étaient nous autres, bien sûr, nous autres, chrétiens ou pas, qui étions tous un petit morceau du joyau saccagé. Une pierre gothique, un fragment de vitrail, un bénitier, un éclat à vif de 800 ans d'histoire soudain couronnés d'une croix de feu tracée sur le début de la Semaine sainte. Nous autres qui nous apprêtions à écouter Emmanuel Macron sans nous imaginer un seul instant que l'incroyable incendie de Notre-Dame allait aussi se permettre de brûler la politesse au Président. D.P.
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7 février 2019 4 07 /02 /février /2019 11:05
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7 janvier 2019 1 07 /01 /janvier /2019 14:40
Charlie, trois ans après...
Charlie, trois ans après...
Charlie, trois ans après...

7 janvier 2015 - 7 janvier 2018 : trois ans après, de la rue Nicolas-Appert (Paris, XIe) au cimetière Montparnasse...

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3 janvier 2019 4 03 /01 /janvier /2019 12:28
Bonne année dans le reflet des jours

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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