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4 juillet 2011 1 04 /07 /juillet /2011 20:58

   Elle n'a pas de bol, Tristane Banon, quand on y pense. Elle aurait intenté une action tout de suite après l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, en mai dernier, c'était - pardon pour l'expression -  tout bénef pour elle. Elle aurait eu sans polémique son nom inscrit au redoutable palmarès du grand "prédateur" de Manhattan. Mais la jeune femme a préféré attendre, histoire, dit-elle, de pas "être instrumentalisée par la justice américaine". Une prudence qui peut, certes, se comprendre et qui l'honore.

   Sauf que la plainte pour tentative de viol qu'elle adresse ce mardi au parquet de Paris tombe plutôt mal. L'ex-patron du FMI, en passe d'être blanchi de l'autre côté de l'Atlantique, est redevenu, si l'on ose dire, fréquentable, voire crédible. Du coup, la romancière (mais qu'a-t-elle écrit, au juste?) risque fort de se faire "nafissatouïser". Autrement dit d'hériter des soupçons qui pèsent actuellement contre l'affabulatrice femme de chambre du Sofitel new-yorkais. D'autant plus que ses versions successives de l'"agression" ont souvent varié - y compris sur la date - et que sa mère, qui, rappelons-le, l'avait incitée dans un premier temps à se taire, fut candidate PS aux primaires. Bigre, voilà, en effet, qui complique lourdement l'histoire...
   Le pire, c'est que celle qui apparemment aime beaucoup les médias a peut-être bel et bien été victime de DSK, qui sait? Et que si c'est vrai, c'est à l'évidence très grave. Mais avouons-le, dans l'état actuel des choses, est-ce qu'on y croit vraiment? Ah "Banon"! D.P.

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 21:57

   Jadis, pendant les congés, on attendait des cartes postales. Maintenant ce sont des lettres. Trois lettres, précisément, en cet époustouflant été 2011: D, S, K. Trois lettres que nous recevons tous, où que nous soyons en ce temps de transhumance présente ou à venir, comme des uppercuts, tant les questions qu'elles posent et l'enjeu qu'elles représentent sont tributaires de leur impact initial aussi bien que du soudain revirement qui vient d'atomiser le message.
   Le grand feuilleton des vacances, lancé dès la fin du printemps par une incroyable bande-annonce en mondiovision, est à coup sûr apte à nous détourner du "buzz" nucléaire, d'un mariage princier, du tournoi de Wimbledon ou du Tour de France. Le "pervers" d'hier n'est pas loin de (re)devenir le héros qu'il fut et l'"irréprochable" travailleuse immigrée, incarnant il y a peu encore un immense sursaut moral collectif, reprend le visage de manipulatrice que certains - aussitôt cloués au pilori de la bonne conscience - ont osé lui soupçonner dès le départ. Crissements de pneus à Manhattan, demi-tour sans clignotants, périlleuse volte-face judiciaro-médiatico-politique. Ca débat dans les rédactions, ça jase en ville, ça suppute en campagne... Martine Aubry, bonne joueuse, garde le cap. Jack Lang s'abstient, cette fois-ci, de tout commentaire et Jean-François Kahn peut songer à reprendre le journalisme, si tant est qu'il l'ait vraiment abandonné au lendemain d'une formule trop vite troussée.

   Allez, avons-le, cette histoire-là, c'est un mélange de farce, de tragédie et d'absurde. Quelque chose comme une pièce où Dario Fo s'amuserait à parodier tour à tour Shakespeare et Kafka.
   Dario Fo, Shakespeare et Kafka? Décidément, on n'a pas fini de les relire nos trois lettres de l'été: DSK. D.P.     

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 21:46

    Ah, on ne se lassera jamais de ces extraordinaires images de retrouvailles. Sourires, accolades, embrassades de France. Silhouettes floues dans le cadrage imprécis d'une caméra complice admise sur le tarmac. Puis gros-plans comme si on y était. Ainsi donc, revoilà nos deux gaillards qui nous ont fichu une belle trouille. Bien sûr, on connaissait leurs visages, à mi-chemin du pense-bête et de l'effigie médiatique, mais de les voir redevenus de vraies personnes, ça fait sacrement plaisir. Hervé, c'est lequel  déjà? C'est le volubile avec la houppe a la Tintin. Et Stéphane, c'est le grand sec avec le visage osseux, un peu plus taiseux que son camarade.

   Oserons-nous dire que ces scènes revues en boucle ce jeudi matin offraient quelque chose comme un avant-gout de vacances? Nos "héros" du jour ressemblaient a deux grands garçons tout juste reçus a leurs examens. Ou alors c'était comme si tout le pays assistait au retour de colo de ses gosses. Des gosses qui s'étaient sauvé de l'ennui en écoutant en douce la radio sous les couvertures. "Oui, ça va. Oui, on est heureux de retrouver nos familles", répétait l'un. "J'ai faim, j'ai une faim énorme" s'exclamait l'autre.

   Suivez-nous les gars, il y a a manger, il y a du soleil, il y a de la consolation dans l'air. On parlera plus tard de choses qui fâchent. De rançons, de transactions, de monnaie d'échange. Mais pas tout de suite, please. On est le 1er juillet. Et grâce a vous, Hervé et "Tapo", c'est comme si l'été avait commencé pour de bon. Allez, rentrez bien chez vous les amis, nous on songe à partir. Prenez soin de vous, et surtout continuez a nous informer. D.P.

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24 juin 2011 5 24 /06 /juin /2011 21:45

 Environ 4 000 personnes ont participé vendredi à Tournon-sur-Rhône (Ardèche) à la marche blanche en hommage à Marie-Jeanne Meyer, la lycéenne de 17 ans dont le corps a été retrouvé carbonisé trois jours après sa disparition.   On les dit blanches ces grandes marches de soutien qui se déploient au lendemain des plus inhumains des drames. Blanches comme les écumes de la mer dans les aubes en charpie. Blanches comme les ailes des colombes foudroyées. Blanches comme les larmes originelles. Comme le mouchoir, aussi, qui les essuie et sous lequel se voilent si mal les friables émotions de ceux qui restent là, hébétés sur la Terre.
   L'initiative qui a rassemblé quelque 4000 personnes, ce vendredi à Tournon-sur-Rhône, débordait de détresse, de détermination, de générosité, de dignité. Marie-Jeanne avait dix-sept ans. Elle est morte dans les terribles conditions que l'on sait. Ou plutôt que l'on ne sait pas. Dix-sept ans. L'âge d'aller courir "sous les tilleuls verts de la promenade". Marie-Jeanne aurait dû passer lundi le bac de français. Rimbaud n'était pas au programme. En "ES", la section de la jeune lycéenne ardéchoise, il y avait Hugo, Flaubert et Zola. Tiens, elle aurait peut-être choisi Zola. L'extrait de La Fortune des Rougon à commenter s'achevait ainsi: "La campagne, dans l’ébranlement de l’air et du sol, criait vengeance et liberté".

   Marie-Jeanne n'a pas eu à choisir. Juste avant, on lui a volé sa jeunesse, son bac, son avenir, sa vie. Et tout cela, bien sûr, est insupportable. C'est ce que sont venus dire, en une puissante clameur silencieuse, les participants à la "marche blanche" de ce 24 juin (*). Blanche comme la trop brève trace de Marie-Jeanne ici bas. Blanche comme la copie qu'elle n'a pas rendue. Blanche comme la feuille où les mots de Zola restent à jamais lettre morte: "Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu’aux pierres du chemin". D.P.

_________ 

(*) Une "marche blanche" endeuillée - ô la malédiction - par la mort accidentelle de deux camarades de Marie-Jeanne fauchés sur leur vélo alors qu'ils s'apprêtaient à rejoindre la foule. Marche blanche, marche noire...

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22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 14:24

  Expo papier 023 Il est difficile de parler d'une nouvelle. Soit on en dit trop, soit on n'en fait qu'une anodine Expo papier 022évocation. Celle-ci s'intitule Le Clou et elle est signée Bernard Revel. La particularité, c'est qu'elle a été écrite il y a pas mal d'années. C'était en 1969 et l'auteur avait alors... la juvénile apparence de celui qu'on voit sur la photo de la page 21. Oeuvre de jeunesse? Sans doute, mais dans le meilleur sens du terme. Il y a là de l'énergie, de la nervosité, de la noirceur dévastatrice, de la facétie. Qu'y trouve-t-on? Un chat de gouttière, un vieux chien ("les humains n'ont pas de tels vides dans les yeux"), une fillette, un handicapé, une armoire massive et peut-être aussi avant tout un tableau représentant un paysage accroché au mur. Mais on l'aura bien sûr deviné, le clou de l'histoire est ailleurs.
   Disons simplement que l'écriture procède par tropismes ("C'est bien... ça!", comme on s'exclame chez Sarraute), par glissements narratifs progressifs, par ondes concentriques. Un peu comme une mouche tournoie autour de sa cible. D'ailleurs, justement, il y a  une mouche dans la nouvelle (une mouche qui fait: "Zom-zom-zom-zom..."). Précisons encore que le texte de Bernard Revel, ex-éditorialiste à L'Indépendant et auteur de plusieurs ouvrages (1), paraît dans La Licorne d'Hannibal, une insolite revue roussillonnaise au sommaire de laquelle figurent également les photos de Florence Martin-Loux et Monique Frémont. D.P.

 (1) Citons La Folle jeunesse de Charles Trénet (Mare Nostrum, 2002), Journal de la pluie et du beau temps (Trabucaire, 2006) et Sur quoi on ouvre, chef?, pièce jouée par la compagnie du Gecko depuis octobre 2010. 

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- La Licorne d'Hannibal, "revue du Cercle des Authentiques cabochards de l'IF", n° 27, 60 p., 12 euros. Renseignements: lacavale@wanadoo.fr

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 22:48

   Nicolas Sarkozy est favorable aux primaires. Pas aux élections que le parti socialiste veut organiser en automne, mais aux classes où nos chers petits amorcent pour de bon leur savoir. En visitant hier matin une école de ce type, il a tenu à prouver tout l'attachement qu'il porte à cet enseignement. De son cartable à malice, il a sorti un goûter surprise: il n'y aura pas de fermeture dans ce secteur à la rentrée.

   Un revirement? Allons donc! Ce n'est pas parce que le Président était en Lozère qu'il s'est... amendé. Car enfin quoi, il ne parlait pas de septembre prochain mais de la rentrée suivante. 2012, ça vous dit quelque chose? Pas question de croire un instant en un subit élan de tendresse pour les CP et les CM. D'autant que, plus généralement, le moratoire annoncé ne change rien au principe du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

   Nicolas Sarkozy a simplement voulu signifier que s'il s'était déplacé jusqu'à La Canourgue, c'était pour prouver qu'il était en campagne. L'électorat des instits, des parents d'élèves et des contempteurs de la désertification rurale vaut bien une retouche - fût-elle illusoire - à l'austérité. Pour remercier le "généreux" visiteur, le petit peuple ravi lui a offert des chocolats. Les mômes qui, en français, en étaient, paraît-il,  au Chat botté, auront tout de même un peu approfondi leurs connaissances. Ils savent désormais qu'il n'y a pas que les contes de Perrault, il y a aussi ceux de Sarko. D.P.

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 20:40

   Cousinade--vernissage-Benrath--Beny-060.jpgEvidemment, on peut lui préférer tout ce qu'on veut à la Fête de la musique. Le silence d'or des blés à la patine cuivrée de vieux saxophone. Les échelles dressées dans les vergers semblables à des portées de guitares aux accords de griottes et de merises. L'orage qui répète son jazz tzigane, juché de guingois sur le nuage de Django. Les longs soirs du solstice brûlant comme un amadou familier. Tout ce qu'on veut, oui, mais n'empêche...
   N'empêche qu'elle a bien quelque chose de magique cette célébration de l'arrivée de l'été toutes fanfares dehors. On aime son désir de prolonger at libitum les années 80. On aime son désordre adolescent. On aime son tintamarre qui murmure aux oreilles des amants. On aime ses parfums de tilleul bio et ses parodies artificielles. Tiens, pour un peu, on singerait Godard: ce n'est pas une musique juste, c'est juste une musique.
   Et Dieu sait si on en a besoin dans notre drôle d'époque à contretemps où tout un peuple de dysharmonie et de soupirs a encore un an devant lui avant d'aller élire son chef d'orchestre. Lequel? Bien malin qui peut prétendre avoir la clé. Sarkozy a égaré son tam-tam. DSK s'est mis au violon. François Hollande est accueilli par un air de cornemuse chiraquienne sur le plateau des mille vannes. Martine Aubry joue moderato. Jean-Luc Mélanchon croit mener à la baguette les choeurs de l'armée rouge...

   Et puis nous autres au milieu de tout ce boucan, nous autres qui sommes là, à tenter de rattraper nos partitions illisibles que le vent futile du moment emporte. Ouvrons grand nos oreilles. Laissons les notes aller et venir. Uniquement pour le plaisir, sans chercher à comprendre quoi que ce soit. Ah, il n'est pas né celui qui, en ce 21 juin 2011, dira de quoi la bonne musique est Fête... D.P.
- Les échelles dressées dans les vergers semblables à des portées de guitares aux accords de griottes et de merises. Photo D.P.
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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 23:02

   Voilà une sacrée paie qu'on n'avait pas de nouvelles de Zine El Abidine Ben Ali. Le 14 janvier dernier, il avait filé comme un voleur lâche, laissant le pays sur lequel il avait règné quelque vingt-trois ans dans l'efferverscence d'une "révolution Facebook" pleine d'agitations, de dignité et d'espérance. Et depuis, plus de signe de vie, ou presque. On avait même cru comprendre, à un certain moment, que sa santé s'était brusquement altérée. Le contre-coup, peut-être, de son exil subit en Arabie Saoudite... Mais non, rien de tel, le fuyard va bien. Du moins si l'on en croit ses propos rapportés ce dimanche par son avocat libanais. A la veille du procès, qui commence aujourd'hui, son client a tenu à "contester vigoureusement"  toutes les accusations formulées contre lui et les siens.
   Ce rendez-vous au tribunal? Tout juste de quoi "détourner l'attention des Tunisiens des troubles qui agitent le pays". On le voit, l'ex-dictateur (pourquoi "ex", au juste, c'est un titre qu'on garde toute sa vie, non?) n'a rien perdu de sa pugnacité, quoiqu'il n'ait tout de même pas poussé le vice à affronter les juges. Faut pas exagérer non plus.
  Cela dit, il a encore le temps de changer d'avis. La procédure sera longue. Mais sans doute moins que l'attente du retour à la stabilité économique et politique dans un pays avide de démocratie et en mal de ses touristes. Nulle illusion à l'horizon, en effet: le printemps du jasmin s'apprête à déboucher sur un été de cactus. Qu'on ne s'y méprenne pas, cependant. La phase de transition, inévitable, ne doit empêcher personne de se réjouir de l'élan qui a permis à un peuple trop longtemps soumis de se soulever. Et quiconque accrédite, d'une façon ou d'une autre, l'idée inverse fait le jeu de Ben Ali. D.P.

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10 juin 2011 5 10 /06 /juin /2011 09:49

- Beny--Vienne--Voreppe-027.jpgVous aimez l'Ecosse, que vous la connaissiez ou que vous l'imaginiez? Alors vous devez aller découvrir les photos de Thierry Hubert (ci-contre). Leur réalisme, leur onirisme, leur poésie. Terre et lacs hantés, propices au frisson ou à la méditation. Grands ciels tourmentés. Lignes de fuite, lignes de vie... Suivez le mur d'Hadrien pour vous protéger des invasions de la mélancolie, découpez vos paysages intimistes en suivant le pointillé des moutons disséminés sur la lande. Et gare au leurre: ce sont bien des photos et non des aquarelles. Ici ou là, c'est pourtant à s'y méprendre. Et ce n'est pas la moindre qualité de ce travail sur les paysages, la lumière et l'émotion. Ou, plus exactement, sur les noces secrètes de ces trois éléments. ("Terres abstraites - Photos d'Ecosse" de Thierry Hubert, à l'Hôtel de Ville de Voreppe, près de Grenoble, Espace Louis-Christolhomme, jusqu'au 1er juillet. Renseignements au 04 76 50 47 61. Une initiative qui s'inscrit dans le cadre des Rencontres photographiques internationales du Voironnais).
- Expo-papier-019.jpg"Laissez parler les p'tits papiers..." Joseph Caprio, le président de la Maison des arts plastiques de Grenoble, ne pouvait pas ne pas citer Gainsbourg, jeudi soir lors du vernissage de l'exposition "Le papier dans tous ses états". Les papiers parlent, en effet, dans le vaste et magnifique espace de l'ancien Musée de peinture. Ils parlent, chuchotent, s'amusent, se froissent, inventent un monde sensible, ludique ou naïf. Parmi la cinquantaine d'artistes présents - à la fois richesse et tourbillon -, on retrouve bien sûr Marc Pessin, Mariette, Vincent Gonthier (sur la photo, au côté de Ryu Myoung Heul, une talentueuse artiste coréenne qui célèbre à sa manière le dalaï lama), mais on découvre aussi Joël Bressand, qui détourne subtilement les livres ou Mireille Barrelle qui recrée tout un univers insolite à partir de la matière de base, pour ne citer, hélas, que ceux-là. Sculptures, peintures, dessins, installations...: tous les supports sont propices à la célébration d'un matériau qui conserve, en Dauphiné, une forte empreinte industrielle et historique. ("Le papier dans tous ses états", Ancien musée de peinture, place de Verdun à Grenoble, jusqu'au 26 juin).  
 - A noter encore la prochaine rétrospective du peintre Frédéric Benrath (1930-2007) au Musée de Brou à Bourg-en-Bresse (du 18 juin au 18 septembre) et l'exposition de sculptures monumentales d'Olivier Giroud dans les jardins du Musée Hébert, à La Tronche, près de Grenoble (du 15 juin au 29 septembre). D.P.

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8 juin 2011 3 08 /06 /juin /2011 16:55

   "Dans quelques années, il n'y aura plus personne pour avoir une mémoire directe des camps d'extermination". Funeste prédiction formulée par Jorge Semprun le 8 avril 1995, lors d'un bouleversant retour à Buchenwald. Avec sa disparition, à l'âge de 87 ans, c'est bien, en effet, un pan de plus de cette "mémoire directe" qui s'en va. Et c'est à celà même que je songeais quelques jours plus tôt, en saluant mon père qui vient de s'éteindre à 92 ans.
   Mon père n'a pas connu l'enfer des camps. "Simplement"  la barbarie domestique de la captivité. Prisonnier de guerre en Silésie à 20 ans, il ne fut de retour en France que cinq années plus tard. Mon père n'a jamais écrit de livres mais il a beaucoup raconté. Surtout ces dernières saisons. L'ai-je assez écouté? On n'écoute jamais assez son père. N'empêche, en cet instant, sa voix me parle, alors que je relis, au hasard deux ou trois pages de L'Ecriture ou la vie de Semprun: "Fumée pour un linceul aussi vaste que le ciel, dernière trace du passage, corps et âmes, des copains. Il y faudrait des heures, des saisons entières, l'éternité du récit, pour à peu près en rendre compte".

   Au moment où mes yeux se posent sur ces lignes, me revient en mémoire cette scène vécue par mon père. Il n'avait, en effet, jamais oublié cet instant où, quelques jours après l'évacuation de son stalag, rampant sur la route d'Erfurt, sa colonne en avait croisé une autre. Tout juste quelques vestiges d'individus, une poignée de zombies en guenilles rayées, des gémissements, des râles, les derniers souffles d'un largo de Haendel. Ce n'est que plus tard que, carte en main, il devait comprendre. Il avait rencontré ce jour-là les morts-vivants de Buchenwald et de Dora, compagnons de Semprun, hâve peuple de l'indicible. Il avait approché l'inapprochable. D.P. 

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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