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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 09:38

    anniv-Beny-mars-2011-136.jpg- Jean Bazaine en Ardèche: un rendez-vous à ne pas manquer. Remarquable ensemble de toiles, de dessins et de collages de celui qui fut l'un des grands peintres de la "non figuration" (1904-2001), dans le cadre exceptionnel du château de Vogüé, au sud d'Aubenas. Laissons la parole à Roger Plasse, commissaire de l'exposition: "L'univers de l'artiste est celui de l'émotion première sous-tendue par une intense réflexion, une approche philosophique, humaniste, une ode à la vie qui élève l'esprit et plonge le visiteur dans un moment de pur bonheur..." (Jusqu'au 26 juin, renseignements au 04 75 37 01 95).

- En photo, "Ombre à la branche", en hommage à Jean Tardieu, huile sur toile 150X150, 1991.

   - La 9e édition du Printemps du Livre de Grenoble va s'ouvrir. Sur le thème "En quête des origines", on pourra écouter et rencontrer une multitude d'invités parmi lesquels Annie Ernaux (L'Autre fille, NIL éditeur), Lionel Duroy (Colères, Julliard), Philippe Forest, Didier Eribon, Jeanne Benameur, Robert Bober, Vincent Borel, Maryline Desbiolles, Dominique Fabre,  Daniel Maximin ou Ernest Pépin... (Jusqu'au 17 avril, renseignements sur le site: www.printempsdulivre2011.bm-grenoble.fr.)

   -  Si le nouveau numéro de la revue Poésie/première consacre un beau dossier à Kenneth White, il faut lire aussi le poème liminaire que Jean Joubert dédie, en contrepoint d'une gravure de Pierre Laroche, à Hervé Ghesquière et à Stéphane Taponier, les deux journalistes français otages en Afghanistan depuis une quinzaine de mois: "Et nous voici, vêtus de bleu, dans la liberté de la lumière, / à proférer la parole et le cri, / à espérer que la pensée et la parole / apporteront aux prisonniers, nos semblables, nos frères, / promesse enfin de liberté et de lumière". (Poésie/première, "poésie & littérature, n° 69, mars-juin 2011, 112 p., 12 euros). D.P.

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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 21:31

     Il y a ce moment-là, dans l'histoire des pays qui basculent, à la fois unique et cent fois recommencé. Le moment où celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, régnait et méprisait, n'offre soudain plus qu'un visage défait de pantin pris au piège de ses poursuivants qui n'est, en général, que l'aboutissement de son propre piège. Comme si toute la morgue et la suffisance proclamées jusque-là se dégonflaient à la manière d'une baudruche. A la hargne qu'il inspirait succède alors, parfois, quelque chose qui ressemble, sinon à de la pitié, du moins à une vague compassion. Ceausecu jadis. Saddam Hussein en 2003. Et hier, donc, dans un contexte certes fort différent des précédents, l'ex-homme fort de la Cote d'Ivoire.

   Comment pouvait-on imaginer, en découvrant à la télévision, ce spectre épuisé, en chemise à fleurs défraîchie ouverte sur un marcel blanc de touriste occidental, qu'il s'agissait bien du puissant autoproclamé qui, arc-bouté à son ego pour mieux défier la communauté interrnationale, n'a pas hésité à précipiter son pays dans une sanguinaire guerre civile? Ne nous y trompons pas, cependant. Ce n'est pas à l'épreuve d'un dirigeant déchu que nous avons assisté en découvrant les images des caméras pro-Ouattara, mais, à travers le reflet d'une affliction presque ordinaire, à celle de tout un peuple. Un peuple qui mérite plus que jamais désormais la transition démocratique que les urnes lui ont promise il y a plus de quatre mois déjà. Non, le maillot de corps fripé de Laurent Gbagbo ne doit pas faire oublier la camisole qu'il a si bien su imposer aux autres. D.P.

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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 21:24

   Pour voir la vidéo d'Allain Leprest:

="http://www.youtube.com/embed/OECXXHVhTHs"

   C'était déjà un mardi. Le 12 avril 1961. Saison précoce et grand vent de l'histoire. Un jovial petit gars du bon peuple soviétique se glissait dans un drôle d'habitacle guère plus grand que celui d'un manège de gosse. Il avait le parfait gabarit de l'emploi, le camarade volant. 1,58 mètre et 69 kilos. A 9h07, heure locale, pleins gaz sur la base de Baïkonour. Le bidule s'arracha de la steppe comme dans un album de Tintin. L'engin avait pour nom "Vostok 1" et son passager - le tout premier à s'en aller voir là-haut si le bonheur communiste y était aussi - s'appelait Youry Gagarine. Kazakh rouge, combinaison orange et bride abattue: joli galop pour l'aventurier aux mensurations de jockey des étoiles! Cent huit minutes dans l'espace, 40 868 kms parcourus à une altitude trente fois supérieure à celle des avions supersoniques!
   Et de là-haut, qu'est-ce qu'on voit, au juste? Youri en est revenu gaga. D'accord, il n'a même pas aperçu Dieu, mais qu'importe puisqu'auparavant il avait rencontré Khrouchtchev. Et puis il a vu mieux que ça. De là-haut, parole de "pravda", le plancher des vaches est rond.
L'astronaute avait fait le tour de la Terre. Son exploit fit le tour du monde. La Russie avait connu sa Révolution d'octobre. Elle venait de vivre celle d'Avril. La planète s'espoustoufla. L'Amérique toussota. C'est que si le printemps était chaud, la guerre était toujours froide.
   Un demi-siècle plus tard, on se souvient, on raconte, on célèbre. Le héros, qui ne crachait ni sur la vodka ni sur les femmes, est mort depuis longtemps, au cours d'un banal vol d'entraînement. Comme Saint-Ex, comme dans les faits divers. Il n'avait que 34 ans.
   Depuis, on n'a pas vraiment arrêté le progrès. Huit ans après "Vostok 1", la lune était à portée de Cap Canaveral. Et douze ans plus tard, la France lançait le... TGV. C'était aussi une fusée, mais qui volait à l'horizontal. Et demain? Demain, on parle d'interdire les bagnoles dans les centres villes. Demain, on envisage de rattraper un peu le temps perdu.
   Tiens! Si on s'écoutait un vieux Ferré en ce jour anniversaire. La chanson (Paris spleen) figure sur un disque qui date de 1966: "On dit qu' le ciel est bleu / Gagarine dit pas ça / Il dit qu' la Terre est bleue / allez savoir pourquoi...". Oui, Ferré ou bien encore Allain Leprest. Il était tout môme, lui, ce fameux 12 avril 1961: "Paraîtrait que de ta capsule / On voit la Terre comme une bulle / Un lion te salue dans sa jungle / Et l'étoile polaire t'épingle / Ses cinq branches sur la poitrine / Goodbye Gagarine!". D.P.

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 22:03

 anniv-Beny-mars-2011-146.jpg  C'est drôle l'été au mois d'avril. Ca prend, quelque part, des airs d'illusion lyrique. Ca pose du rouge sur le front et sur le nez. Ca met du baume au coeur. Et le lundi matin, à l'heure de reprendre le collier, on a les épaules qui brûlent un peu.

  Vous étiez où, vous, hier? Peut-être à Fessenheim, le temps d'un pique-nique devant la plus vieille centrale nucléaire de France. Bien assis sur la Terre qui pourrait trembler demain. Juste au bord du Rhin qui débordera un jour. A deux pas du Bade-Wurtemberg allemand, ce Land qui vient de se doter d'un gouvernement Vert.

  Ou alors vous vous teniez en embascade à proximité de l'une des routes pavées du Paris-Roubaix. A manger de la poussière, à dévorer de la légende du côté de la Tranchée d'Arenbert pendant, que Johan Van Summeren  pédalait comme un damné vers la victoire.

   A moins que vous ne vous soyez offert une échappée ardéchoise. Cerisiers blancs et sentiers roses. Randos et sacs à dos. Haltes dans le basalte. Villages perchés, rivières à truites. Sur le coup des treize heures, à Antraigues, ce dimanche, "La Montagne" n'offrait plus une place libre en terrasse. A l'église Saint Baudile, le cahier des intentions de prières était transformé en registe d'ex-voto pour le plus célèbre habitant du pays récemment disparu. Quelqu'un a écrit: "C'est pour toi que nous avons fait le déplacement. Je ne me lasse pas d'écouter tes chansons. Tes chansons ont un sens". Un autre pélerin a ajouté: "Ton village est magnifique. Merci Jean!"
   Oui, c'est drôle un week-end d'avril en été. On se dit que c'est beau comme un poème d'Aragon. "Je voudrais au ciel bleu croire / Je le connais ce sentiment / J'y crois aussi moi par moments...". On jure que ça va durer. On fait semblant de ne plus s'intéresser à rien d'autre. Ni à la Cote d'Ivoire, ni aux querelles partisanes, ni à 2012, ni à la mort de Sidney Lumet, le réalisateur d'Un après-midi de chien, parti à 86 ans.

   De chien? Allons bon! Nous avons plutôt passé un après-midi, de chat, d'oiseau, d'abeilles ivres. Et ce n'était même pas du cinéma. Alors... D.P.   

- En photo, Antraigues-sur-Volane, le "village de Jean Ferrat". (Photo D.P.).

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 21:22

 

Petite fiche d'identité (très) nationale)

 

Nom: voir ci-dessous.
Prénom: Claude.

Date de naissance: 17 janvier 1945.
Lieu de naissance: Vimy (Pas-de-Calais).
Profession: ministre de l'Intérieur et de la chasse à l'immigration légale. Accessoirement, siphonneur des idées du FN.

Formation: diplomé ès-polémique gouvernementale, école Brice Hortefeux.
Extraits d'euvres complètes: "Les Français à force d'immigration incontrôlée ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux" (17 mars 2011).
"Heureusement, le président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité" (21 mars 2011).
"L'accroissement du nombre des musulmans en France et un certain nombre de leurs comportements posent problèmes" (4 avril 2011).
Et, tout récemment: "J'ai demandé que l'on réduise le nombre de personnes admises au titre de l'immigration du travail" (8 avril 2011).
Domicile: Place Bauveau, Paris, France.
Signe particulier: Guéant. P.c.c. D.P.

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 21:26

   Trois cents personnes, comme une grappe de sang noir voguant sur un bateau parti deux jours plus tôt de Libye. Un bateau? Pardon, un rafiot. Un frêle esquif. Un fétu de rage et d'espérance dans une mer déchaînée d'indifférences occidentales. Trois cents voyageurs de l'improbable. Trois cents destinées flottant comme le bouchon d'un pêcheur de mirages.
   Trois cents coeurs qui battent sans retour. Trois cents paires d'yeux qui s'allument comme des torches. Trois cents détresses arrimées aux fascinants lampions de la vieille Europe. Six cents mains qui se tendent vers ce à quoi on n'ose pas donner le nom d'avenir.

   Jusqu'à ce que tout bascule. Jusqu'à ce que le rêve chavire. Vents mauvais, funeste écume, salauds de passeurs. Une cinquantaine seulement ont atteint Lampedusa, l'île du prince qui n'en finissait pas de valser chez Visconti. Lampedusa, le doux pays d'un humaniste nommé Silvio Berlusconi. Les journaux télévisés nous ont juste montré les rescapés, enveloppés dans des couvertures de survie dorées, laissés-pour-compte des révolutions en marche, spectres furtifs derrière les vitres d'un autocar.
   Dites, cela se passait quand, déjà? Dans quel siècle de grande illusion et de barbarie règnante? Cela se passait il y a quelques heures, quelques larmes, quelques indignations. Cela se passait à l'aube du magnifique printemps 2011. En plein coeur du Moyen-Âge contemporain. Si loin, si près, hier à Lampedusa.D.P

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 21:55

 

  De son vivant, Aimé Césaire, doux euphémisme, n'affectionnait pas vraiment Nicolas Sarkozy. En 2005, celui qui fut aussi maire de Fort-de-France avait même refusé de rencontrer le futur président au cours d'un voyage prévu aux Antilles. Vieille histoire...

   Ce mercredi après-midi, un vibrant "hommage de la Nation" sera rendu à l'auteur du Cahier d'un retour au pays natal. Il faut dire qu'entre-temps, il s'est passé un évènement important. Le chantre de la "négritude" s'en est allé. C'était en avril 2008. Il avait 94 ans. C'est bien un poète disparu. Sa parole se fait soudain moins dérangeante qu'au présent. On se prosterne, on glorifie. "Entre ici Aimé Césaire!..." La République aurait bien aimé faire résonner tout à l'heure, sur la montagne Sainte-Geneviève, la solennelle clameur d'accueil adressée jadis à Jean Moulin par la voix chevrotante d'André Malraux. Mais Césaire avait décliné l'offre. Pas question d'échanger le soleil de sa Terre contre l'ombre historique d'une crypte. Son corps restera en Martinique. Une fresque monumentale, installée au coeur de la nef, fera l'affaire. L'honneur, en quelque sorte, sera sauf.

   L'honneur? En un temps où, sous un vague prétexte électoraliste, il paraît de plus en plus opportun d'opposer les communautés entre elles en se déchirant autour de la laïcité et de "l'identité nationale", comment ne pas s'empêcher de déplorer, en cette "simili-panthéonisation", une piteuse tentative d'instrumentalisation d'un irréductible rebelle?

   Les 577 députés recevront également la reproduction d'un recueil inédit de Césaire, Tombeau du soleil. Ce serait tellement bien si un exemplaire supplémentaire était réservé à Claude Guéant. "Pourquoi le printemps me prend-il à la gorge? Que me veut-il? (...) Je te conspue printemps d'afficher ton oeil borgne et ton haleine mauvaise. Ton stupre tes baisers infâmes..."  D.P.     

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 19:54

   Au moment où il n'est question que de la force dévastatrice de la mer, et surtout de son abyssale amnésie, il y a quelque chose d'assez incroyable et - osons le mot - de presque réconfortant à la voir ainsi, comme prise de remords, faire ressurgir le passé englouti. Un peu comme si elle tenait à expier en payant sa dette, fût-ce en menue monnaie d'épave, fût-ce en appoint macabre.

   On ignore encore si les débris de l'Airbus A330, abîmé au large du Brésil le 1er juin 2009, parleront. Mais ce que l'on sait désormais, c'est que, au moins, ils murmurent. Ils murmurent à nos oreilles des secrets de tragédie moderne, des rémanences de "Titanic" des airs, des échos d'utimes instants de destinées enfouies. Certes, il n'y a pas, dans ce repérage inespéré, la fascination qu'exerça la pêche miraculeuse de la gourmette de Saint-Exupéry, mais c'est bien une part d'irrationnel qui vient d'être captée par près de 4000 mètres de fond.

   Avec la remontée à la surface de ces vestiges de 228 trajectoires foudroyées à la veille d'un été entre Rio et Paris, et peut-être, qui sait, des boîtes noires de l'appareil, le deuil des familles pourra sans doute enfin commencer, au-delà de la douleur ravivée. Ce qui vient de se graver avec la localisation des débris du vol AF 447, pardon pour l'emphase mais c'est comme du Hemingway soudain réécrit par un vulgaire sous-marin de poche. D.P.

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 19:49

   Avec un joli lapsus, lors d'une interview dans le cadre de la "Journée du livre politique", l'inénarrable Frédéric Lefèbvre vient d'ajouter à sa manière une hilarante nouvelle page à La Littérature pour les nuls. A la question "Quel est l'ouvrage qui vous a le plus marqué?", le secrétaire d'Etat au Commerce n'a pas hésité un seul instant. C'est Zadig et Voltaire, a-t-il répondu. "C'est une leçon de vie et je m'y replonge assez souvent".

   Souvent? Pas encore assez, semble-t-il. En confondant ainsi le titre d'un très classique conte philosophique et une marque de prêt-à-porter, le gaffeur gouvernemental peut au moins être sûr d'une chose. Le voilà habillé pour les beaux jours. Habillé de toile et de web puisque c'est là où, sur une vidéo usée jusqu'à la trame à force d'être vue et revue, sa réputation file du mauvais coton.

   On se moque, on se moque, mais vous, votre bouquin préféré, c'est quoi? Pour ma part, je l'avoue, j'hésite un peu. Je ne déteste pas Tristes tropiques de Claude Rica Lévi-Strauss, mais j'aime bien aussi Zara et Thoustra. Quant à mon personnage préféré, allez, je vous le donne en mille. C'est Quasimodo. De Victor Hugo Boss, bien entendu! D.P.

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4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 16:19

- Mauvaise nouvelle, la librairie "Bonnes nouvelles" ferme. C'était un lieu rare où l'on trouvait des livres à part. "L'horreur économique", produit assez répandu, a cloué le bec à l'oiseau rare. Enfin, pas tout à fait. Ultime bonne nouvelle (si l'on peut dire), nous sommes conviés à une soirée "de clôture" en compagnie de deux "JP" fort opportunément associés. Ce vendredi 8 avril, à 19 heures, le poète grenoblois Jean-Pierre Chambon lira en effet quelques-uns de ses textes sur la musique de l'excellent saxophoniste et clarinettiste Jean-Pierre Autin. Chambon lira notamment des extraits de son récent recueil Fleuve sans bords (La Petite Fabrique éditeur, avec des dessins de Marc Negri, 14 euros): "Pas la moindre ondée n’avait abreuvé la contrée depuis des jours et aucune lueur d’orage n’avait illuminé les arrière-plans du ciel ; ainsi, sans qu’on n’ait su jamais l’expliquer, le fleuve était sorti de son lit sans fracas ni violence et avait inondé les terres". ("Bonnes Nouvelles", 3, rue Dominique Villars 38000 Grenoble. Tél.: 04 76 42 65 34).
anniv-Beny-mars-2011-056.jpg- A ne pas manquer, l'exposition "A la vie! A la mort!" qui rassemble, pour les dix ans d'un site épatant, à quelques encablures de Grenoble, cinq artistes dont les oeuvres semblent liées par d'évidentes affinités électives: Armand Avril, Jean-Louis Bernard, Maurice Fanciello, Mariette et Marie Morel. (Jusqu'au 29 mai, Centre culturel "Le Belvédère" à Saint-martin-d'Uriage. Tél.: 04 76 59 72 67).

- A retrouver les récentes toiles de Christine Bry, un univers peuplé de peintures pariétales revisitées, de paysages provençaux et d'anges sexués, distribués parfois en diptyques ou triptyques, comme des fenêtres bonnardiennes ouvertes sur un monde d'onirisme et de mystère (Galerie Saint-Firmin 2, rue Saint-Firmin 69008 Lyon, métro Sans Souci). D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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