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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 20:45

Jean Ferrat   FERRAT

Tendez l'oreille. Vous l'entendez cette complainte? Ouvrons nos coeurs. Elle niche en nous cette rumeur. Souvenons-nous... C'était il y a un an, à quelques bris de rocaille près. Juste avant la mi-mars, au temps des jonquilles nouvelles. Le chantre de La Montagne tirait sa révérence et, à "cette heure arrêtée au cadran de la montre", tout un peuple orphelin n'en finissait pas de pleurer celui qui, à sa manière, clamait depuis longtemps "Indignez-vous!" 
   Pour l'ultime adieu au moustachu camarade ("C'est un joli nom, Camarade!"), on se précipita à Antraigues, à pied, à cheval, en camping-car, "en groupe, en ligue, en procession", si bien que, sur son éperon basaltique, le village du saltimbanque joueur de pétanque prit des allures de col alpin au passage du Tour de France. Ah! comme elle était belle cette ferveur... C'était une certitude: les couplets de Ferrat nous consolaient de la futilité ambiante et l'authenticité du créateur de Ma môme rassurait notre vieux pays craquelé de valeurs vaines.

   Un an déjà, oui, et aujourd'hui où en sommes-nous? Au même point, sinon encore un peu plus bas dans la névrose nationale. Ne faisons pas parler les disparus, mais c'est peu dire, pourtant, qu'on l'entend râler, comme si de rien n'était, notre rebelle ardéchois. Contre la politique du moment, contre les sondages, contre le populisme, contre la nostalgie colonialiste rampante.
   Tu sais quoi, Jean? Tu devrais remourir... Pour qu'on se retrouve tous derrière toi. Pour qu'on fasse à nouveau un choeur qui, "de plaines en forêts de vallons en collines", porte bien haut la vraie parole des hommes.  Pour qu'on aime à perdre la raison, pour qu'on redécouvre Aragon. Pour que nos passions brûlent comme un feu de sarments. Pour qu'on retrouve la soif de vivre "et ce goût du bonheur qui rend nos lèvres sèches". D.P.

 

A lire:

- Jean Ferrat, le chant d'un révolté ( L'Archipel, 457 p., 22 euros), une très belle et très complète biographie signée Robert Belleret  à qui l'on doit déjà Léo Ferré, une vie d'artiste (Actes Sud, 1996).
- Ferrat, Jean d'Ardèche, attachante évocation intimiste, nourrie de rares photos d'archives, sous la plume de Georges Bourquard (éditions du Dauphiné Libéré, 64 p., 14,90 euros).

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 21:57

   C'est facile en politique de se faire un nom. Il suffit de balancer une imbécillité et le "buzz" est en marche. Prenez Chantal Brunel. Personne, ou presque, ne la connaissait il y a quelques jours et la voici désormais tristement célèbre pour sa petite phrase sur les immigrés clandestins: "Après tout, remettons-les dans les bateaux!"  Ben voyons... Félicitons-nous qu'elle ait probablement été de bonne humeur ce jour-là. Car quelqu'un qui n'est pas à une radicalité près aurait tout aussi bien pu en conclure qu'il n'y avait qu'à les jeter à la flotte!

   Sans doute l'intervenante imaginait-elle qu'on allait saluer ses propos dans son propre camp. Enfin une personne qui a le courage de naviguer - si l'on ose dire - directement dans les eaux troubles du Front National! Mais pas de bol pour elle. Tout le monde la conspue, y compris Fillon et Copé. Pire: la jeune patronne du FN, qui s'y connaît pourtant en trajectoire Marine, réprouve aussi la résolution de l'ex-porte-parole de l'UMP. Pas sur le fond - qu'on nous passe à nouveau l'expression -, mais sur une nuance: "Mon option consisterait à rediriger les bateaux qui arrivent vers les côtes qui les ont vu partir".

   On croit rêver. Ou, plus exactement, cauchemarder. De quelle tempête est donc faite cette époque où celles et ceux qui se prennent pour des capitaines mettent le cap vers les pires destinations? Ne les laissons pas aborder sur nos côtes démocratiques. Après tout, comme dirait l'autre, remettons-les dans leurs pauvres rafiots idéologiques. D.P.    

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 14:50

DSCN8394.JPGCertes, objectera-t-on, il n'y a pas de temps priviligié pour la poésie. On n'a d'ailleurs pas oublié la voix déchirante de Léo Ferré bousculant, jadis, l'ordre des saisons: "J'ai connu des printemps fabuleux en hiver..." Mais bon, on ne va pas faire la fine bouche devant "Le Printemps des poètes" (jusqu'au 21 mars). Après tout, ce n'est pas si souvent qu'on offre ainsi une tribune, fût-ce au prix d'un caractère sans doute un peu trop officiel, à cette parole incandescente inscrite dans l'au-delà du langage. Voici, pour saluer l'initiative, une petite sélection de revues, de recueils ou d'anthologies:
- Au sommaire de la très élégante revue Voix d'encre, illustrée de logogrammes de Christian Dotremont (figure de proue du mouvement CoBrA), on retrouvera Jérôme Ferdinand, l'Isérois Jean-Louis Jacquier-Roux, E.C. Belli, Chantal Bizzini, Evelyne Morin, Laurence Chaudoüet, Jeanne Bastide, l'Argentin Pedro Mairal (traduit par Julia Azaretto), Franck Castagné et votre serviteur blogueur dans une suite de huit textes inédits rassemblés sous le titre: "Les poèmes du matin" (ci-dessus). (Voix d'encre, n° 44, 64 p., 10 euros. Paraît deux fois par an. Rédaction: Alain Blanc, Jean-Pierre Chambon, Alain Contassot et Hervé Planquois. B.P. 83 26202 Montélimar Cédex.
www.voix-dencre.net).
- André Velter est, avec Michel Butor, René Depestre et Kenneth White, l'un des poètes à l'honneur en ce "Printemps" 2011. On le retrouvera ici ou là sur scène, porteur d'altitude et de fraternité, mais aussi dans son nouvel ouvrage qui fait également résonner à sa manière le chant des hommes et des peuples dans l'arène du monde (Paseo Grande d'André Velter, "un livre-récital avec Olivier Deck et sept poèmes-talismans avec Antonio Segui", Gallimard, 141 p., 14,90 euros).
- Un ancien ministre qui s'intéresse à la poésie? Il y a, avouons-le, de quoi redouter, sinon le convenu, du moins un certain académisme. Or, rien de tel avec l'anthologie que signe Xavier Darcos. Son choix, qui va de Guillaume d'Aquitaine à Alain Duault, est particulièrement pertinent. Et on se félicite d'y repérer, parmi les plus contemporains, non seulement Jaccottet, Grosjean, Réda ou Michel Deguy, mais aussi Jean-Pierre Lemaire, Jean-Pierre Verheggen, James Sacré ou Joël Bastard. A noter également la présence du trop rare Georges-Louis Godeau. (Une anthologie historique de la poésie française de Xavier Darcos, PUF, 574 p., 29 euros).
- Les poèmes du Haut-savoyard Jacques Brossard ont la densité des émois soufflés par la nature et la force des pierres qui, souvent, leur sert d'écrin. Citons ces huit vers à l'intemporel murmure d'automne: "Novembre / Floué de brumes / Et de la rescousse / Des platanes / Quand le soir / Commence sa phrase / Vers les paysanneries / Mauves". (La Lente réfutation des crêtes de Jacques Brossard, AREDIC éditeur - Les Solicendristes, 40 p., 7,50 euros).
- S'il est un poète de l'amour, c'est bien Didier Giroud-Piffoz. Dans La Mer en filigrane, il reprend quelques-uns de ses plus beaux textes disséminés, en 1973 et 2010, dans des plaquettes épuisées ou hors commerce. "Et le jour va. Et la vie va. Et les lèvres s'abreuvent, s'enivrent aux rides du chemin, quand la lumière fuit. Et tes yeux qui appellent un soleil facétieux, pour conjurer l'hiver, pour conjurer le temps". Conjurer l'hiver, conjurer le temps? Existe-t-il un plus bel objectif pour la Poésie? (La Mer en filigrane de Didier Giroud-Piffoz, éditions du Losange, préface de Pierre Dhainaut, 66 p., 12 euros). D.P.

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 21:28

Les réactions politiques au renvoi du procès Chirac   Ah, il est fort quand même "l'Ancien". Il a passé toute sa vie publique à faire semblant d'être ignare et à tâter le cul des vaches corréziennes comme d'autres scrutent la pythie alors qu'en réalité, il raffole des Arts premiers, du Printemps des poètes et, qui l'eut cru?, de la magie. Ce mardi, mine de rien, il a réussi, avec sa bande d'avocats prestidigitateurs, un sacré tour de passe-passe. Ce n'était plus du Jacques Chirac, c'était du Gérard Majax. Vous le voyez, là, ce beau procès? Eh bien regardez-le fixement. Un, deux, trois, abracadabra, hop! disparu. Oh! certes, pas complètement. Il paraît qu'il peut resurgir de la manche de quelque magistrat. Quand? Allez savoir! Disons à la Trinité plutôt qu'à Pâques. Plus vraisemblablement après la présidentielle. Bon, c'est vrai, la démocratie a grincé un peu mais grosso modo, on n'y a vu qu'du bleu.
   Le bleu? Il se porte bien par les temps qui courent, vous ne trouvez pas? Un drôle de bleu, tendance Marine, la couleur des hématomes. Un bleu de ciel d'orage comme il en éclate parfois dès le mois d'avril. La dernière fois, on ne l'a pas oublié, c'était un 21. Et qui c'est qu'on était allé chercher pour apaiser un peu les éléments? Mais si, souvenez-vous. Un certain Gérard Maj... Pardon: un certain Jacques Chirac. Vous voyez bien, ils ont eu raison de ne pas le condamner tout de suite. Parce que si les choses continuent comme ça, on va peut-être encore en avoir besoin. D.P.

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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 20:48

   Aujourd'hui 8 mars, vous l'avez bien noté, c'est la Journée de la femme. Oui mais laquelle de femme? Parce qu'enfin quoi, la formule est claire, il n'y en a qu'une qui est à l'honneur à date fixe chaque année. C'est tout de même pas beaucoup quand on y pense...
   Donc, reprenons notre question: laquelle? Pas Marine Le Pen. Pour elle, c'était quelques jours plus tôt et elle s'est vu offrir un beau sondage, ça va aller comme ça, faut pas exagérer. Pas Michèle Alliot-Marie. On lui a suffisamment fait sa fête ces dernières semaines et Nicolas Sarkozy a carrément tenu à célébrer à sa manière, l'autre dimanche, la Journée de la MAM. Pas Bernadette Chirac non plus. Pour elle, ce mardi d'avant-printemps ne sera probablement pas son jour. Son mari est traîné au tribunal comme un voyou non fictif, lui qui n'a pourtant jamais pioché dans les pièces jaunes de son épouse. Pas même Carla Bruni dont son "chouchou"  voit sa cote de confiance baisser de six points. Faut se mettre à la place, ça n'ouvre pas le coeur à la fête en famille.

   Alors quelle femme privilégier, bon sang? Allez, tiens, puisque vous êtes sages, je vous propose une petite liste. "La femme d'à côté" de Truffaut. La femme adultère (attention, Brassens est derrière!). La femme de "L'origine du monde" de Courbet. La femme arabe qui vient de se libérer. La "Femme je vous aime"  de Julien Clerc. La vôtre, la nôtre, celle qui vous fait rêver, celle que vous convoitez, celle qui ne vous voit pas. C'est au choix, bien sûr. N'oubliez pas, il ne doit y avoir qu'une seule élue.  Mais avouez que ce serait tellement mieux si on pouvait en saluer plusieurs - et pourquoi pas toutes? - à chacune des "Journées".
   N'hésitons pas à le dire, comme il y a des pluriels un peu singuliers, il y a aussi des singuliers qui n'ont pas notre accord. D.P.   

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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 22:55

   Cette histoire-là, c'est du Chabrol. Une sombre intrigue dans un décor de frontons tricolores et d'arrière-cours nébuleuses. Ballets d'ombres, liasses de secrets, noria des porteurs de malettes. Un scénario romanesque en diable qui aurait pu faire les délices d'un Michel Bouquet. Sauf que dans ce générique rempli d'acteurs has been à mains sales et lunettes d'écailles, c'est Jacques Chirac qu'on retrouve en tête de la distribution.
   La distribution? Voilà bien le mot. L'ex-chef de l'Etat va devoir s'expliquer, à partir de ce lundi, sur sa présumée "générosité"  lorsqu'il était maire de la capitale. Drôle d'époque que celle où dans les alcôves de la vie politique s'agitaient figurants et fantômes payés sous le grand manteau d'une République sans scrupules. A vot' bon coeur, m'sieurs dames et n'oubliez pas le guide! Pardon: le candidat. C'était un temps où la morale s'offrait de petits arrangements sonnants et trébuchants. Un temps de lambris parisiens et de fiefs provinciaux où les vieilles fidélités se payaient cash. Un temps où dans l'expression "fin fonds de la Corrèze", le mot "fonds" prenait un "s".

   Alors, bien sûr, on devrait se réjouir de voir les projecteurs de la justice des hommes balayer enfin ce qui a tout l'air d'avoir été un vaste nid à magouilles. Alors bien sûr, on devrait guetter les réactions de ce prévenu pas comme les autres... Sauf que ce dernier est un vieil homme fatigué. Sauf que ces affaires-là sont bien anciennes. Avouons-le, il  rôde comme un indéniable malaise autour de ce procès, à la fois historique et "abracadabrantesque",  appelé, n'en doutons pas, à faire pschitt. Surtout lorsqu'on imagine avec quelle avidité une Marine Le Pen attend le grand déballage pour voir sa cote monter encore un peu plus. En rêvant du suprême emploi - non fictif - qu'elle espère occuper un jour. D.P.

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 19:09

 

  Ce qu'on aimait tant chez elle, c'est son côté femme ordinaire. Pas star pour un sou malgré la notoriété. Avec ses cheveux coupés à la diable, on lui donnait le bon dieu sans confession. Elle s'esclaffait et nos visages s'éclairaient. Elles pleuraient et les larmes nous venaient aux yeux. Elle avait tourné avec les plus grands, mais ça n'était toujours que pour nous seuls. Comme si elle nous faisait à chaque fois un petit cinéma intime. Elle avait connu sa traversée du désert et c'est nous qui avions alors soif d'authencité. Elle était l'anti-bling-bling par excellence.

   En apprenant sa mort ce lundi, on s'est souvenu de sa voix éraillée de Gitanes, de son rire magnifique, de ses coups de gueule aussi parfois et de son désarroi lors d'un hommage tardif aux César. Parmi les mille et une images qui nous sont revenues à l'esprit, qu'on nous permette d'en garder une, comme ça, à l'instant, à l'instinct. Son superbe façon d'immortaliser Gabrielle Russier dans Mourir d'aimer d'André Cayatte.

   Face à ce visage de prof amoureuse en lutte contre les tabous, le coeur des années 70 s'arrêta soudain de battre, en cette drôle de société émancipée à la chienlit, mais toujours pétrie de morale bourgeoise. Parfois, on l'appelait LA Girardot. C'était gentil, mais ce n'était pas pour elle. Elle n'était pas Maria Callas, elle était Annie la rigolote, Annie notre grande soeur, Annie notre tendre cousine. Elle était "Notre" Girardot. D.P.

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 21:47

   Il semble bien que Nicolas Sarkozy ait eu un petit problème de concentration au cours de son intervention solennelle ce dimanche soir. Oh! trois fois rien. Ne riez pas, c'est très courant. Un mot qu'on a sur le bout de la langue et qui tout à coup ne revient pas. Vous savez ce que c'est. On a répété dix fois son texte. On est sûr que l'affaire est calée. On s'est entraîné devant la glace. Tout se passe bien. Il est question d' «une ère nouvelle», de «changement historique», de «formidable espérance». Jusque-là, impeccable. Ensuite un couplet sur l'Europe, un petit coup d' «Union de la Méditerranée». On est presque au bout du laïus. Et paf, le vide, l'absence.

   Pour les premiers, ça s'est pourtant bien passé. Juppé, Longuet, Guéant. Que des patronymes qui glissaient bien. Mais c'est l'autre, là. Comment qu'elle s'appelle, bon sang? Au moment de prononcer son nom, impossible de le retrouver. Heureusement, l'orateur a du métier. Il a fait l'impasse en douce.

   Ni vu ni connu je t'embrouille? Les plus attentifs se sont pourtant bien rendu compte de quelque chose. Si ça se trouve, même l'intéressée s'en est aperçue. Qu'elle n'en prenne surtout pas ombrage. Quoi, une inélégance? Qu'est-ce que vous allez chercher? Ça peut arriver à tout le monde ce genre de mésaventure. Ça s'appelle tout simplement un trou de MAMoire. D.P. 

 

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 18:37

Avez-vous lu Séductions du bourreau de Charlotte Lacoste? C'est un livre effrayant tant il décrypte avec précision l'espèce d'attachement qui, par un terrible processus d'identification pervertie, nous lie parfois aux pires monstres que l'histoire produit. L'auteur trouve ses "modèles" dans l'Allemagne nazie, au Cambodge ou au Rwanda. Mais comment, au cours de cette plongée au coeur de la répulsion/fascination, ne pas songer ces jours-ci à Mouammar Kadhafi? Il aurait pleinement sa place dans l'ouvrage de l'universitaire de Nancy.
   Celui qui rencontra sur son chemin de haine tant d'attentions - ah! "les bienveillantes"... - aurait pu être aussi un personnage de Jonathan Littel.  Le sinistre "campeur bédoin" , qui fut reçu à Paris le 10 décembre 2007, Journée internationale des droits de l'homme - ça ne s'invente pas -, avait déjà, lors de sa visite officielle, les mains ensanglantées d'un rouge aussi vif que celui du tapis républicain déroulé sous ses pieds. Il avait notamment livré à la mort les 270 passagers d'un Boeing 747 de la Pan AM. Qu'importe cette bagatelle pour un massacre! Ce n'était qu'un moment d'égarement. On pouvait lui faire confiance, il avait changé, il lisait Montesquieu.

   Et c'est ainsi que la France accueillit comme une rock star l'halluciné aux grands yeux noirs injectés de pétrole. Ne nous attardons pas une nouvelle fois sur cet affligeant épisode. On connaît trop bien la suite. Le délirant chef de la "Jamahiriya" , qui s'est comparé ce jeudi à la reine d'Angleterre en accusant ben Laden de droguer la jeunesse, s'illustre aujourd'hui à travers tout le mépris destructeur qu'il porte à son peuple. Il a sans doute, enfin, perdu la partie comme en témoigne la situation à l'est du pays. Espérons-le. Mais restera toujours une question: comment son règne aura-t-il pu durer aussi longtemps? Peut-être cette citation de Georges Bataille répond-elle à sa façon à cette interrogation: "Les bourreaux n'ont pas de parole, ou alors, s'ils parlent, c'est avec la parole de l'Etat". D.P.
- Séductions du bourreau  de Charlotte Lacoste, PUF, "Intervention philosophique", 488 p., 29 euros.
 

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23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 23:08

   Un symbole, à coup sûr. Peut-être un tournant important. Deux héros, en tout cas, que ces aviateurs de l'armée qui ont osé dire non. Plutôt que d'aller bombarder Benghazi, ils ont préféré crasher leur appareil. C'est un peu comme s'ils avaient réécrit à leur manière Le Déserteur  de Boris Vian: "Nous ne sommes pas en l'air pour tuer des pauvres gens".

   Une attitude d'autant plus emblématique qu'elle intervient au lendemain du discours de haine et de guerre de l'halluciné qui était encore, il y a peu, leur terrifiant chef d'escadrille. Qui "était"? Oui, osons le passé, ne serait-ce qu'à la manière d'une invocation. Car quelle que soit l'issue de la Révolution en cours, un palier - c'est bien le mot - a sans doute été franchi ce mercredi. Dans les débris du Sukhoï 22 abîmé dans une zone désertique gît une part, sinon la totalité, n'allons pas trop vite, de la funeste gloriole de celui qui n'hésita pas, entre autres forfaits, à détruire un Boeing de la Pan Am en décembre 1988.

  Mouammar Kadhafi qui, pas plus tard que mardi, avait encore programmé un sanglant plan de vol pour son pays, semble désormais avoir perdu le contrôle de la côte orientale. Et l'avancée des insurgés ne demande qu'à progresser... Quant à Abdessalam et Ali Omar, les deux rebelles du ciel, pas d'inquiétude. Ejectés, ils vont bien. Mais qu'on nous permette de penser que c'est un peu grâce à eux si, aujourd'hui, une autre question d'ordre aéronautico-politique se pose: y a-t-il encore un pilote suprême dans l'avion fou libyen? D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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