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25 juillet 2011 1 25 /07 /juillet /2011 22:52

 France Info - "Marche aux fleurs" en hommage aux victimes de la tuerie d'Oslo et d'Utoya      

   D'un côté, tout un peuple; de l'autre, une seule personne. Oui, tout un peuple, coeurs à vif, larmes aux yeux, roses à la main.Tout un peuple blotti dans un port du Nord, sous le cri des mouettes et dans le glaçant silence de l'effroi et du recueillement. Tout un peuple pour faire bloc contre l'indicible.
   Et de l'autre côté? De l'autre côté de la raison, de l'autre côté de la vie, une seule personne. Un seul homme. Sans remords. Arrogant. Monstrueusement "normal", comme le personnage d'un roman de Knut Hamsun (*).

   C'était ce lundi à Oslo. C'était ce lundi dans un tout petit pays très grand, bouleversé et traumatisé par un acte inimaginable.
   C'était ce lundi partout, en chacun de nous, plaie béante, questions sans réponses, vertige communicatif. Une très propagatrice présence, par la pensée, par l'onde universelle de la sidération et de la dignité.
   Oui, en ce lundi de juillet, la formule n'est pas usurpée, nous étions tous un peu Norvégiens.
   Tous, les meurtris et les suppliciés.
   Tous, les vivants et les morts.
   Tous. Sauf un.
   Tous, sauf lui. 
 
   D.P.
 
  (*) Knut Hamsun, écrivain norvégien (1859-1952), qui - tiens, déjà! - offrit à Goebbels la médaille de son prix Nobel de littérature reçu en 1920, avant de qualifier Hitler, au lendemain de sa mort, de "guerrier pour l'humanité".  

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25 juillet 2011 1 25 /07 /juillet /2011 20:54

 Valensole--juillet-2011-061.jpg  Quelques jours, quelques nuits, en Provence. Pas n'importe laquelle. Pas celle, ostentatoire, Valensole--juillet-2011-116.jpgdes bords de mer. Pas celle du Luberon festivalier. Non, celle de Giono, celle de Magnan, celle du plateau de Valensole et des bergeries du Contadour. A portée de main et d'yeux, Ma Provence d'heureuse rencontre de Pierre Magnan. Page 29, en Folio, ces lignes pour planter le décor: "Ma Provence à moi est une grande dame tragique aux voiles mouchetés de drames et de comédies. La lavande bleue elle-même devient élégiaque quand le soir tombe". A portée de battements de coeur, une vieille édition de Que ma joie demeure du prestigieux aîné: "On a l'impression qu'au fond les hommes ne savent pas très exactement ce qu'ils font. Ils bâtissent avec des pierres et ils ne voient pas que chacun de leurs gestes pour poser la pierre dans le mortier est accompagné d'une ombre de geste qui pose une ombre de pierre dans une ombre de mortier. Et c'est la bâtisse d'ombre qui compte".
   Qu'y pouvons-nous, c'est comme ça: le paysage se lira toujours comme un livre, à moins que ce ne soit l'inverse. Oh, ces escargots blancs comme des virgules jonchant l'herbe à Saint-Martin-de-Brômes, ces ruches grésillantes posées dans les champs entre Riez et Puimoisson semblables à de vieux postes de radio où se cache l'introuvable fréquence des abeilles, ces planeurs et leurs signes de croix dans le ciel de Saint-Jurs...

   Bras-d'Asse, Brunet, Forcalquier, Mane, Limans, Ongles, Redortiers. Et puis Banon où chaque ouvrage de l'incroyable librairie s'ouvre tel "Le Bleuet"  de l'enseigne. Et puis Manosque où la maison natale du fils de cordonnier devenu écrivain mythique s'est muée en magasin de chaussures baptisé "Clair de nuit". Manosque  et son "Paraïs" (montée des "Vraies richesses"!), thébaïde où Giono vivait en famille, écrivait, se cachait aussi parfois. Les livres, les plumes, les pipes et, dans le jardin,  sa rose qui ressemble à une pivoine...
   Quelques instants, quelque éternité dans cette Provence-là. Quelques jours, quelques nuits: "Maintenant, les étoiles étaient dans toute leur violence. Il y en avait de si bien écrasées qu'elles égouttaient de longues gouttes d'or. On voyait les immenses distances du ciel" (in Que ma joie demeure). D.P. 

-- "La lavande bleue elle-même devient élégiaque quand le soir tombe".  En bas, la fenêtre de la "tour" de Giono au "Paraïs", à Manosque. Photos D.P.

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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 22:13

      Qui est-ce qui a gagné, déjà? Ah! oui, Cadel Evans. Le voici donc tout naturellement promu rayonnante vedette d'un week-end d'"apothéose" champs-élyséenne. Un premier Australien qui remporte la "Grande Boucle", vite, une place de choix dans les annales du vélo! Mais ça, au fond, c'est pour les aficionados, les mordus de la petite reine, les historiens de la bécane. Pour les autres, le commun des mortels, il en va de manière un peu différente. Car la course qui s'est achevée ce dimanche à Paris n'est pas seulement un évènement sportif. Le Tour, c'est un show, un miroir stendhalien qu'on promène au bord des routes, une inflexion nationale, une "mythologie"  de Barthes. Et, du coup, lorsque l'épreuve se termine, il y a soudain quelque chose qui manque à l'été. Non pas uniquement un palmarès à compléter chaque fin d'après-midi, mais une rumeur, un bruit de fond à la télé ou à la radio, de fervents élans universels et quelques vociférations cocardières.

   Que l'on se passionne ou non pour les performances - ou les déboires - des champions, le Tour de France possède ce drôle de pouvoir, vaguement trouble, qui consiste à nous entraîner dans sa cohorte de paysages en 3D, de camping-caristes "accros", de foules en émois, d'enfants prêts à brader leur insouciance pour une casquette de réclame. Le parfum du Pastis s'invente parfois des vertus nouvelles. Cette année, il a supplanté les vapeurs d'ouzo grec noyé par la plus moderne des tragédies antiques.

   Le Tour est fini, la magie s'achève. Ce rideau qui retombe, c'est toujours - sans mauvais jeu de mot - un tournant. La lumière du solstice s'atténue. Le mois d'août approche dans un froissement de tentes détrempées ou encore sèches, de chassé-croisé de l'esprit. Le soleil cède son maillot jaune sans crier gare. Il arrive même que les températures chutent sur le bitume trop mouillé.

   Oui, Cadel Evans a gagné et nous autres, nous avons perdu. Perdu ces instants hors du temps où nous nous croyons tous un peu capables de gravir des montagnes, de changer le braquet de nos routines, bref de vivre en roue libre. D.P. 

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19 juillet 2011 2 19 /07 /juillet /2011 21:25

   A première vue, ceux qui disent qu'il n'y a qu'une sorte de pluie ne se mouillent pas beaucoup. Nul besoin, pourtant, d'être le cousin de Joël Collado pour savoir qu'il existe à peu près autant de pluies que de nuances noires sur la palette de Soulages.
   Il y a, très insistante ces jours-ci, la pluie qui, dans les campings de juillet, transforme les tentes familiales en voiliers sous la tempête. Il y a, plus romantique, la pluie des films de Sautet lorsque les yeux des amants se brouillent et que leurs coeurs battent au rythme effréné des essuie-glaces. Et puis il y a la pluie qui, dans les romans de Giono, "pend comme les poils sous le ventre d'un bouc".

   La pluie m'égare, pensez-vous... Revenons alors à l'actualité pour scruter cette pluie anglaise, au clopotis de tabloïds, qui noie Scotland Yard et "mouille"  David Camerone. Mais comment ne pas songer aussi, si l'on ose dire, et de façon tellement plus dramatique, à cette pluie qui ne tombe jamais, là-bas dans la Corne de l'Afrique où des yeux d'enfants mourants guettent un signe divin dans le ciel sans nuages?
   Beaucoup de pluies, oui. Beaucoup de pluies et de non-pluies qui ne doivent pas faire oublier celle qui s'est abattue ce mardi. Une pluie bien particulière. Une pluie de tambours funèbres dans la cour des Invalides. Une pluie recueillie sur les cercueils et les épaules. Une pluie venue piquer les yeux au moment où Nicolas Sarkozy, visage ruisselant, prononçait l'éloge des soldats morts sous le plus maléfique des orages.
  Avouons-le: en observant cette scène de liquéfaction, on ne pouvait pas s'empêcher de songer qu'il aurait manqué quelque chose aux larmes de la Nation si la pluie ne s'était pas invitée à la cérémonie. Et qui sait, c'est peut-être elle qui a prononcé le plus désinterressé des messages. Un message à la fois céleste et terrestre. Un message de ferveur et de paix. Quelque chose comme la bénédiction païenne qu'on n'attendait pas. D.P.  

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17 juillet 2011 7 17 /07 /juillet /2011 21:27

   Vous préférez quoi, vous, la France qui se divise ou la France qui se rassemble? Celle qui se divise, on a entendu sa cacophonie, on a vu ses visages et ses masques, de tribunes politiques en festivals de l'été, tout au long d'un week-end long comme une parade soldatesque. A partir d'un petit coup de provoc' d'Eva Joly, qui n'aime pas les défilés militaires de la Fête nationale et qui l'a sans doute un peu abruptement fait savoir, tout ce qui est en campagne a embrayé. Il n'y avait pourtant, à la réflexion, pas de quoi fouetter un char. Après tout, Brassens, que chacun vénère, a dit jadis à peu près la même chose sans être, il est vrai - nuance non négligeable -, candidat à la présidence de la République. Toujours est-il que des dénégations de base, on est très vite passé à une sorte de polémique en abyme après les réactions en cascade d'un François Fillon de plus en plus "en colère"  au fil de ses escales africaines. Ah! dans l'art de broder à l'infini autour de n'importe quoi, on est décidément champion..
 "Champion"? Tiens, voilà pile le mot qui nous ramène à l'autre France. Celle qui se rassemble. Sous la pluie de juillet, de populeux bords de route en campings détrempés, elle vient de se trouver un nouveau héros: Thomas Voeckler. L'actuel maillot jaune du Tour gardera-t-il son habit de lumière jusqu'aux Champs-Elysées? La question un brin chauvine est sur toutes les lèvres? Et, d'une certaine manière, ça fait plaisir à voir cette espèce de jubilante unanimité prospective qui nous sort un peu du marécage où s'enfoncent les rivaux pour 2012.

   On serait presque tenté de s'exclamer: pourvu que ça dure! Il ne faudrait pas grand-chose, en effet, pour que l'élan naïf se rompe. Imaginons qu'Eva Joly se prononce demain pour l'abolition de la "Grande Boucle". Ou que le Premier ministre reproche à Thomas Voeckler - n'est-il pas Alsacien? - une "culture pas très ancienne des traditions françaises". D.P.

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15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 21:19

 France Info - Eva Joly, ici après les résultats des primaires Europe Ecologie Les Verts. Attaquée sur ses origines norvégiennes elle répond "je ne descends pas de mon drakkar". - &copy REUTERS / Charles Platiau  Super fortiche Eva! A sa première déclaration officielle depuis qu'elle est en piste pour l'Elysée, elle a réussi à fiche le feu à la maison républicaine. Tout le monde lui tombe dessus à bras rallongés. Il est vrai qu'elle y a mis du sien, la dame aux lunettes rouges qui a si allègrement franchi la ligne de la même couleur. Supprimer la parade militaire du 14-Juillet pour la remplacer par des "défilés citoyens"? On dirait du Alphonse Allais. Vous savez, le pince-sans-rire qui voulait mettre les villes à la campagne, et réciproquement.
   Bon, donc, de prime abord, on est tous d'accord. cette proposition-là, c'est sottises et compagnie. Indéfendable. Seul un Chirac pourrait à la rigueur se faire complice: hi, hi, c'est de l'humour norvégien. Cela dit, ce qu'elle voulait peut-être signifier, la nouvelle investie, c'est que ce serait bien qu'il y ait un peu moins d'armes et un peu plus d'âme à la Fête nationale. Voire une once de poésie. La fleur aux fusils, quoi! Pas si stupide que ça, après tout...

   Sauf que le temps n'est pas à l'utopie, fût-elle un brin provoc. La tragique réalité afghane vient de nous le rappeler. La mort absurde de nos "p'tits gars"  ne peut que renforcer l'unité nationale ancrée dans notre vaillante histoire défensive et sanglante. La candidate d'"EE-LV"  l'a manifestement oublié.

   Résultat, la droite s'indigne en calculant le bénéfice envisageable. La gauche proteste en priant que la "gaffeuse" se taise. Merci du cadeau! Et côté Verts, les augures du "Eva dans le mur" se gargarisent sur le ton du "On vous l'avait bien dit": ah! ce n'est pas Hulot qui aurait proposé une course en ULM en lieu et place des acrobaties de la patrouille de France.
   Certes, madame l'ex-juge, vous ne descendez pas de votre "drakkar", comme l'a suggéré maladroitement le Premier ministre, mais tout de même: vous avez vu le souk que vous mettez. Eh ben, c'est du Joly! D.P.

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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 21:40

    La guerre, la paix, c'est bizarre ces choses-là. Tantôt on s'engage, patriotisme, arsenal et barda en bandoulière. On y met tout son coeur. On y laisse un peu-beaucoup son corps. On en rapporte des médailles, des amertumes, des odes. On connaît le calligramme d'Apollinaire, La Colombe poignardée et le jet d'eau. On connaît aussi la blessure au front du poète, mythique auréole de l'illustre trépané des Lettres.

   La guerre, la paix, c'est tout ou rien. Parfois, il faut y aller, c'est un devoir, l'avenir d'une nation en dépend. Puis vienne le jour, sonne l'heure de retirer les troupes, de panser les plaies, de compter les morts. "Il faut savoir finir une guerre" a lancé ce lundi Nicolas Sarkozy au cours d'une visite surprise en Afghanistan. Grande phase, petite phrase. Belle formule, parodiquement empruntée à Thorez et proférée avec à peu près le même aplomb que le président de la République avait mis à dire l'inverse un peu plus tôt.

   La guerre, c'est comme le prêt-à-porter, ça se démode. Allez, déposez-moi ça au rebut et qu'on n'en parle plus. Par quoi la remplacer? Mais par une autre guerre, pardi. En Libye, cette fois. Quoi, ce n'est pas tout à fait la guerre là-bas, ce n'est que "la poursuite des opérations militaires"?  Bien sûr, pardon, où avions-nous la tête... Ah! on n'a que la rhétorique qu'on mérite...

   Troublante coïncidence, tout de même, que celle qu'on vient de vivre. Au moment où le chef de l'Etat prônait le désengagement d'un côté, le parlement votait la prolongation des combats ailleurs, sur le ton du "Il faut savoir continuer une guerre". Pourquoi celle-ci? C'est que là-bas, mes bons messieurs, "la cause est juste", parole de Premier ministre. Vertigineuse navette des convictions. Cynique chassé-croisé de juillet.

   Et jusqu'à quand à Tripoli? Jusqu'à ce que la raison d'Etat, le prix des combats ou, qui sait, l'enjeu électoral du moment ait fait, une fois de plus, basculer la situation. Il faut savoir continuer une guerre qui se finit. Il faut savoir finir une guerre qui continue... D.P.    

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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 10:47

  Sonny-Rollins-012.jpg Pur moment de bonheur musical, estival et existentiel hier soir à Vienne. Crinière d'écume, Sonny-Rollins-010.jpg

 

lunettes noires à montures blanches, chemise ample comme une voile de bateau ivre, pas chaloupés de vieux sage en quête d'impossible sérénité, Mister Sonny Rollins himself, comme jailli de quelque arche rescapée de la nuit des temps, a joué près de trois heures durant pour un peuple de fous de jazz, d'amateurs venus entre amis ou en famille, de passants du monde accrochés aux gradins d'un théâtre antique transformé en gigantesque oratoire païen. Alors que là-bas, au-dessus des collines, de l'autre côté du Rhône, les doigts du soleil couchant pressaient le cuivre d'un ciel complice, Sonny "le colosse", rivé à son éternel sax ténor cabossé, dont il se sert parfois comme un gondolier de sa rame, se vouait corps et âme à un magistral concert, revisitant ses grands classiques comme s'il les interprétait pour la première fois.

   Au hasard de quelque phrasé de légende, des poignées d'oiseaux se hissaient haut dans le ciel où les avions filant muets vers Saint-Exupéry semblaient tenir des bougies allumées au bout de leurs ailes. Aucune étoile dans le firmament de juillet ce soir-là. La seule star était en scène, mâchonnant l'anche à la manière d'un bâton de réglisse. Parfaitement accompagnée par Russell Malone à la guitare, Kobie Watkins à la batterie, l'époustouflant Sammy Figueroa aux persussions et le fidèle Bob Cranshaw à la basse. "Mêêêci beaucoup!" a répété le compositeur de Tenor Madness et de Saint Thomas avant de regagner en se dandinant la coulisse. Une formule de gratitude que n'ont pas manqué de lui renvoyer, en une immense clameur fervente, les milliers de spectateurs debout pour le salut final. Thank you very much, Maestro Sonny Rollins! D.P.

(Photos D.P.)

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10 juillet 2011 7 10 /07 /juillet /2011 20:39

   t   C'est un drôle de nom, Petit. Surtout lorsqu'on est grand. Et il l'était grand, le plus célèbre des Petit, parti à 87 ans en un ultime pas aérien arraché à la gravité de l'été. Le mari de Zizi Jeanmaire aimait Cocteau et Léo Ferré, Dutilleux et les Pink Floyd, Fred Astaire et Nicky de Saint-Phalle, l'art populaire et l'académisme, les spectacles intimistes et les fêtes nationales.

   Le 14-Juillet? Tiens, on s'y serait presque cru en ce dimanche de ciel gris et de primaires vertes. Un Français, Thomas Voeckler, a endossé le maillot jaune. Ca s'est passé au coeur de la France, sur les routes tortueuses du Cantal, terre de volcans, de fromages, de gentiane et de présidents de la République. Ce fut aussi, hélas, une journée de chutes. Montée en danseuse, casse-noisette, grimaçante chorégraphie de la douleur, zigzagante voiture-"ballet".

   Au juste, Roland Petit appréciait-il le vélo? Allez savoir... N'empêche que s'il avait pu suivre la neuvième étape du Tour, elle lui aurait sans doute évoqué des souvenirs. Vous savez comment s'appelait le bistro que tenait son père aux Halles? "Au Massif Central", ça ne s'invente pas! C'est fou, tout de même, comme le monde est petit. D.P. 

- Sur les photos, Roland Petit peu de temps avant sa disparition et Thomas Voeckler à son arrivée triomphale à Saint-Flour.

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 09:57
Olivier-Giroud--musee-Hebert-001.jpg- Chez lui, là-bas, du côté de Vienne, au bord du Rhône, Olivier Giroud se voue depuis longtemps à l'argile et au fer. Mais c'est le bois, élément plus nouveau dans son travail, qui constitue l'essence même de la pertinente exposition installée jusqu'à l'automne dans les magnifiques jardins du musée Hébert de la Tronche, près de Grenoble. Comme s'ils s'entretenaient de toute éternité avec les arbres centenaires du lieu, les volumes et les totems, lissés ou à peine dégrossis par la main du sculpteur-bûcheron isérois, confient, à qui prête oeil, oreille, paume ou coeur, des secrets d'ombres et de lumière, de Terre et de ciel, de précarité végétale et d'éternité spirituelle. Laissons la parole à la conservatrice de ce petit coin d'Italie en Dauphiné, Laurence Huault-Nesme: "D'une certaine façon, les sculptures d'Olivier Giroud nous renvoient à des formes archaïques. Inconsciemment ou sciemment il retrouve, en taillant le bois, une pratique ancienne comme l'est celle de la céramique, les gestes des premiers créateurs".
- "Bois Debout" d'Olivier Giroud, dans les jardins du Musée Hébert, Chemin Hébert 38700 La Tronche, jusqu'au 17 octobre. Renseignements au 04 76 42 97 35.  A noter encore qu'un remarquable catalogue est en vente sur place avec, outre la reproduction des sculptures, des textes signés notamment Laurence Huault-Nesme et Jean Planche, 15 euros. 
Olivier Giroud face à Assemblage 1, l'une de ses oeuvres exposées à La Tronche. Photo D.P.  
Cousinade--vernissage-Benrath--Beny-047.jpg- Autre exposition particulièrement en accord avec le lieu qui l'accueille, celle que le Musée de Brou, à Bourg-en-Bresse, consacre cet été à Frédéric Benrath. Au fil des quelque 49 peintures sur toile et sur papier accrochées dans la complice proximité du joyau gothique flamboyant flanqué de ses trois cloîtres, le visiteur se confrontera au monde saisissant de ce janséniste de la couleur, adepte tout autant de l'expressionnisme allemand que de la musique de Boulez. Grands ciels monochromes, nuages posés sur la Terre comme des couvercles baudelairiens, abîmes qui s'ouvrent sous nos yeux..., l'univers de Benrath, né en 1930 à Chatou (Yvelines) et disparu accidentellement en 2007, s'inscrit également dans une incessante connivence avec d'autres créateurs, qu'il s'agisse de peintres aînés (Caspar David Friedrich), de cinéastes (comme le Murnau de L'Aurore), ou d'écrivains et philosophes tels que Nietzsche, Hölderlin ou, plus près de nous, Charles Juliet dont un fragment de poème, reproduit sur un triptyque, commence par ces mots: "Jour vide / interminable / écrasé d'ennui", pour se clore sur une exhortation: "... que jaillisse l'eau / dont j'ai soif".  
- "Couleurs d'infini" de Frédéric Benrath, Monastère Royal de Brou 63, boulevard de Brou 01000 Bourg-en-Bresse, jusqu'au 18 septembre.  Renseignements au 04 74 22 83 83.
Le commissaire de l'exposition bressane et le fils de Frédéric Benrath le soir du vernissage à Brou. Photo D.P.

- Ne surtout pas oublier non plus le rendez-vous estival du château de Vogüé, en Ardèche. D'abord parce qu'il s'agit bien là encore d'un site épatant. Et puis parce que la perspicace et vaillante équipe qui l'anime nous a habitués à une programmations de haute tenue. La récente rétrospective de Jean Bazaine s'offrait au moins une dimension nationale. Et si nous n'avons pas encore pu voir la présente exposition, consacrée à Jean-Yves Pennec, un plasticien breton né en 1958 et dont le travail s'articule notamment autour du "cageot pongien", nous ne doutons pas un instant qu'elle soit des plus remarquables. Allez, cap sur l'Ardèche du sud!
- Exposition Jean-Yves Pennec, au château  07200 Voguë, jusqu'au 1er novembre. Renseignements au 04 75 37 01 95. D.P.
 
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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