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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 23:24

  France Info - Mouammar Kadhafi, lors d'une allocution à la télévision libyenne cet après-midi. - Copie d'écran de la télévision libyenne. On aimerait tellement pouvoir parler d'autre chose. Même, c'est tout dire, de l'actualité grave. Par exemple, de ce séisme au pays des All Blacks. Un drame qui donne raison à Aragon: "Les choses vont comme elles vont / De temps en temps la terre tremble / Le malheur au malheur ressemble / Il est profond profond profond".
   Mais on aimerait mieux encore, c'est une évidence, évoquer les faits plus anodins, à défaut d'être légers. Le prix du gaz qui va augmenter. L'actrice Marion Cotillard, petite Piaf au rabais, actrice la mieux payée du moment. Ou encore, n'ayons pas peur de l'insignifiant, la poupée de Polnareff qui dit non à sa paternité d'un bébé stupidement médiatisé.

   C'est fou ce qu'on aimerait bien... Mais il y a l'Autre, là-bas. Le "guerrier bédoin" qui veut faire du coeur de Tripoli un nouveau Tian'anmen. L'ex-ami de l'Occident, prêt à se "battre jusqu'à la dernière goutte de son sang". Le fantasque colonel parlant de lui à la troisième personne pour affirmer sa volonté de "purger son pays maison par maison".
   On aimerait bien qu'il soit aussi lâche que Ben Ali. Qu'il soit déjà parti. Et qu'on cesse de compter les victimes, de Tobrouk à la frontière tunisienne. Qu'on sorte enfin du cauchemar. Oui, on aimerait bien, à quelques semaines de la nouvelle saison, que le "printemps arabe" en soit pleinement un. Mais tant que Mouammar Kadhafi sera encore là-bas, en scène dans son blockhaus, fanfaronnant dans sa morgue, provoquant, menaçant et réprimant, on ne sera au mieux qu'à la fin de l'hiver. Ce sinistre hiver libyen qui n'en finit pas...  D.P. 

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21 février 2011 1 21 /02 /février /2011 22:34

Février 2011. La Libye est en proie au chaos. L'insurrection se propage. La répression aussi. Après Benghazi, la seconde ville du pays, la révolte gagne Tripoli. Dans la capitale, l'armée tire sur la foule, alors que de véritables massacres se déroulent dans les quartiers périphériques de Fachloum et de Tajoura. De rumeurs en démentis, impossible de savoir où se trouve Mouammar Kadhafi, jusqu'à cette surréaliste apparition nocturne, parapluie en main, à la porte de sa voiture (de son tracteur?), censée prouver qu'il n'est pas en exil (photo ci-contre).
 
 
Décembre 2007. La France vit à l'heure d'une grotesque effervescence. La circulation est paralysée à Paris où l'on ne passe plus sur les ponts. Le tapis rouge, déroulé pour un dictateur, marchand de pétrole et terroriste qu'on dit repenti, grave en nous ce qu'on peut appeler une honte nationale. Nicolas Sarkozy reçoit le "libérateur des infirmières bulgares" et François Fillon, qui justifie alors une "diplomatie réaliste", réprimande Rama Yade dénonçant notre rôle de "paillasson".
  
Février 2011. L'Europe évacue ses ressortissants. Il y a des centaines de mort de Tobrouk à Tripoli. Nicolas Sarkozy condamne "l'usage inacceptable de la force".  
 
Décembre 2007. La République est en fête pour accueillir l'arrogant personnage qui se pavane à l'Assemblée et plante sa tente de bédoin sous notre protection.
 
Février 2011. La Libye, pays de l'absence des droits de l'homme, crie sa colère contre le "Guide de la contre-révolution".
 
Décembre 2007. La France, pays des droits de l'homme, souhaite la bienvenue au "Guide de la révolution libyenne".
 
Février 2011 - Décembre 2007. Vertige rétrospectif. Frisson, malaise... 

 

Février 2011 - Décembre 2007. Cherchez l'erreur. Cherchez l'horreur! D.P.

 

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20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 22:21

DSK peaufine son image de président et envoie des messages subliminaux   Ouais, super, il l'a posée, LA question. Direct, sans tergiverser. "Êtes-vous candidat à la présidence de la République?"  Sauf que ce n'est pas DSK que Laurent Delahousse a ainsi apostrophé ce dimanche soir, mais l'invitée suivante de son journal, l'actrice Diane Kruger. Il en a souri avec elle. Il fallait bien qu'il se libère de ces quelques mots cent fois reformulés dans sa tête au cours du week-end.
   Rarement, en tout cas, on a assisté à pareille expression (maîtrisée) de la frustration. Chacun souhaitait voir comment le présentateur du "Vingt heures" de France 2 allait ne pas poser, tout en la posant, la vraie fausse question qui ne pouvait, au mieux, que déboucher sur une fausse vraie réponse. C'est pour cela que, toutes affaires cessantes, la vaisselle retardée et "Le Masque et la plume" abandonné, nous ne voulions pas rater ce rendez-vous.
   Alors, heureux? Un brin déçus, fatalement. Non pas que l'interviewer n'ait pas bien fait son boulot. Sa façon, souriante et ludique, de tourner autour du pot (aux roses), avait quelque chose de roublard. Et son jeu de piste, passant par les cases "Anne Sinclair", "Jacques Delors", "Etat d'esprit du moment" ou "Programme des mois à venir", ne manquait pas d'habileté.
   Mais c'est son interlocuteur qui nous a passablement laissés sur notre faim, nous qui avions déjà abrégé le dîner. Le patron du FMI, grave et parfois grimaçant, n'a pas vraiment daigné jouer au chat delahoussien et à la souris strauss-kahnienne. Tout juste a-t-il lâché que, ce qui l'intéresse, lors de ses retour au pays, c'est "la rencontre avec les Français". Ou qu'il se sent "plus libre que jamais". Ou encore - "the" petite phrase - qu'il écoute "toujours" sa femme, y compris peut-être lorsqu'elle ne souhaite pas qu'il renouvelle son mandat à Washington.
   Un tout petit pas de plus vers une candidature, à l'évidence. Mais sans panache. Surtout si l'on imaginait ce qu'aurait pu tirer d'une pareille situation un certain François Mitterrand. Bah! pour mettre un peu de douceur dans ce monde de brutes, il n'y a plus qu'à attendre une prochaine bribe de confession mohair. Nous serons prêts à la détricoter. Et à la recevoir. Sept sur sept, bien sûr. D.P.   

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 22:49

   En ouverture du journal de 20 heures, sur France 2, ce vendredi soir, une image, un brin théâtralisée. Nicolas Sarkozy serre la main de Dominique Straus-Kahn. Regards qui se croisent et s'évitent en même temps. Caméra qui s'attarde. Quelques minutes plus tard, sans transition, ou presque, une autre image. Et que voit-on, cette fois-ci? Les animaux de la ferme qu'on bichonne pour l'ouverture du Salon de l'agriculture. Brossage, lustrage et ruminations. Drôle de raccourci de l'actualité. Ici, des bêtes politiques. Là, des bestiaux de foire. A moins que ce ne soit l'inverse... Ici, des "amis"  sans doute prêts à s'échanger les pires vacheries. Là, des bovins en piste pour le G20 rural de la porte de Versailles. Spéculations sondagières à l'époque des vaches maigres, vitrine de l'élevage en temps de crise. Comment mieux répartir le blé, comment ne pas finir sur la paille? Ici de persistants relents de FMI, là d'amères senteurs d'AOC. C'était ce vendredi soir au journal télévisé. Le préambule à un long week-end de février qui sentira l'écurie et la terre d'élection. Deux mondes d'exposants et d'exposés en quête de médailles. Campagne sur Seine et scènes de campagne. D.P.
 
 

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17 février 2011 4 17 /02 /février /2011 21:43

   Imaginons que cette information soit tombée quelques semaines plus tôt, et que ce ne soit pas de l'intox. Un chef d'Etat hospitalisé. Un chef d'Etat dans le coma. Ses jours manifestement en danger. Fermons les yeux un instant comme si rien n'avait eu lieu ces derniers temps. On les entend d'ici les couplets bienveillants. Le choeur vibrant de l'empathie occidentale. Nos meilleures pensées pour le patient et bons voeux de rétablissement.
   Sauf que voilà, le souffrant n'est autre que l'ex-président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali. Et que, avant d'être frappé par un "AVC"  dans son exil d'Arabie Saoudite, l'autocrate de Carthage a été victime d'un "accident révolutionnaire général". L'affection dont on ne se remet pas, y compris aux yeux des très récents anciens "amis" .
   Le gisant de Djedda est en train de "connaître" un sort qui rappelle celui du Chah d'Iran. Passer en un éclair du respect à un banissement prolongé d'une déchéance vitale. Une situation qui n'est pas sans poser des questions d'ordre diplomatico-éthique. L'homme qui lutte contre la mort existe-t-il encore sous la dépouille avérée du tyran déchu? Et est-ce que, au fond, la pathologie qui ronge aujourd'hui Ben Ali n'est pas plutôt ce cancer généralisé qu'on contracte par excès de pouvoir sans partage, ce mal implacable qui répond au nom de "Solitude du dictateur"?  D.P. 

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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 20:15

DSCN8303.JPG   Plus il vieillissait et plus il ressemblait à un personnage de Tourgueniev. Barbe blanche de kroumir, canne à pommeau virevoltante, écume aux lèvres. Toute sa vie, François Nourissier aura été un faux Sage. L'adepte de "L'eau grise"  (1951) chérissait le ressac et les vagues. Le "petit bourgeois" de son premier récit autobiographique (1963) rejetait le conformisme. Le nostalgique de l'Ancien régime n'avait cure des diététiques. Mieux: l'écrivain "de droite"  ne jurait que par Aragon.
   Locataire de L'Empire des nuages (1981), il s'enveloppait de phrases aux reflets bleutés de pilules prohibées. Gardien des ruines (1992) de la famille et du couple, il se brûlait à des métaphores allumées au feu d'alcools dorés.
Ce fils d'exploitant forestier meusien aimait les chiens et les chevaux, les voitures rapides et les "soudaines immobilités", les manoirs et les parcs. De la Normandie au Luberon, des Grisons aux Cévennes, emportant avec lui un cortège d'ombres et de livres, cent fois il déménagea, cent fois il ne se ménagea pas.
   Lorsque "Miss P"  parkinsona  à sa porte, impossible de lui clouer le bec. Univers qui vacille. Mots qui se vrillent sous les doigts. Place à la déchéance et à tout le tremblement. En 2008, le "grand manitou"  des Lettres démissionna de l'Académie Goncourt. Sans avoir jamais eu le prix - "un loupé très visible" -, il y fit, trois décennies durant, la pluie, le beau temps et quelques tempêtes, lui qui se mit d'emblée en tête de sacrer l'iconoclaste Houellebecq.
   Romancier tourmenté du "je" et critique attentif aux autres (*), celui qui, plus que tout, aimait se détester, était tout à la fois le ténébreux archéologue d'"une histoire française", une "éminence grise" et un prêtre païen. Après avoir invoqué jusqu'au bout "la lenteur des crépuscules",  François-la-colère est mort mardi à Paris. Il avait 83 ans. Accordons-lui comme une grâce la belle appellation posthume de père Nourissier. D.P.

 

(*) Un écrivain qui venait de publier un nouveau livre n'attendait pas un article du célèbre critique, il espérait "Un Nourissier". Qui peut prétendre, désormais, à ce pouvoir, sinon, peut-être, Jérôme Garcin, lequel n'a, d'ailleurs, jamais tu l'admiration qu'il porte à son aîné?

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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 15:06

   Petit clin d'oeDSCN8339.JPGil à une bonne exposition à voir actuellement à Chambéry (jusqu'au 12 mars). La galerie "L'Antichambre", dirigée avec passion par Corinne Lempen Bret, accueille onze artistes, français et suisses, dont les travaux sont réunis sur le thème "Leur pays, c'est aussi la neige!". Citons-les: Jean Barthet, Catherine Bolle, Claude Cortinovis, Isabelle d'Assignies, Hugues Decointet, Pierre Leloup, Daniel Schlier, Peter Wüthrich, Stéphane Vigny, Hervé Burret et Isabelle Mourier. Ces deux derniers, notamment, ont pu, ce samedi 19 février, rencontrer leur public et, de façon plus générale, de nombreux amateurs d'art. CDSCN8300.JPGontrepoint bienvenu à cette animation, une lecture de treize poèmes, également sur le thème de la neige, était au programme de la soirée. D'abord par l'auteur, qui est aussi le "conducteur" de ce blog. Puis par la comédienne Jackie Mézin. A noter que l'ensemble de ces textes a été publié, à tirage restreint, il y a un an, par les éditions Ex-Aequo, à Grenoble, sous le titre La Vie blanche (avec des gravures originales d'Yves Gemain). D.P.

- Galerie "L'Antichambre" 15, rue de Boigne 73000 Chambéry (Tél.: 04 79 75 39 27). (Ci-dessus, lors de la soirée du 19 février, devant les oeuvres de Hervé Burret. En vignette, reproduction de la couverture de La Vie blanche de Didier Pobel, Aequo éditeur).

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 21:40

  Michèle Alliot-Marie        Feuilleton MAM, acte 3. Vous avez aimé l'aventure du vol Tunis-Tabarka. Vous avez adoré le rebondissement de l'escapade à Tozeur. Vous ne bouderez pas votre plaisir en découvrant l'épisode intitulé "Pendant la révolution, les affaires continuent". Ce n'est plus, cette fois-ci, la ministre qui est directement concernée par les dernières révélations du Canard enchaîné, mais son père et sa mère.
   L'objet du litige? Ces deux vénérables personnes auraient profité de leur séjour au soleil d'hiver pour acheter toutes les parts d'une société civile immobilière à Aziz Miled. Aziz Miled? Mais si, vous savez, c'est l'homme au jet d'ami, celui qui est, selon les uns, proche de Ben Ali et selon MAM sa "victime". "Les éventuelles transactions de ses parents ne concernent en rien Michèle Alliot-Marie et elle n'a pas à les commenter" a d'emblée fait savoir le conseiller en communication de l'intéressée.
    Ce n'est, à l'évidence, pas faux. N'empêche, il y a fort à parier que celle qui ne cesse de s'emmêler les pinceaux depuis le début de ce mauvais conte de Noël aura encore à se justifier dans l'inattendue ramification familio-financière de ses "vacances". Moins peut-être sur ce dernier volet que sur l'ensemble de ses dénégations ponctuées de non-dits, d'anachronismes et d'approximations. On jurerait par moments que c'est Eric Woerth qui lui a soufflé sa stratégie. Plus elle avance des arguments, plus ils s'effondrent. Le voyage privé très court ne l'était pas tant que ça. Le soi-disant séjour touristique se prête à tous les soupçons de conflit d'intérêts. Et surtout l'aveuglement de notre diplomate en chef, qui n'a pas pressenti un seul instant que son pays d'accueil était au bord de l'explosion, s'avère total.
   Nicolas Sarkozy, déjà passablement irrité par les premiers développements de la polémique, pourrait bien se montrer moins conciliant encore. Pourvu que la patronne fragilisée du "Quai" ne nous explique pas qu'elle n'est plus ministre lorsqu'elle est la fille de ses parents. D.P.

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 23:02

   Les révolutions, dans leurs incontrôlables mouvements de marée humaine ou aquatique, ne nous ouvrent pas seulement les yeux sur les sursauts de l'histoire, elles aiguisent aussi notre acuité géographique. En Tunisie, où l'on ne connaissait que les plages, on peut maintenant situer le village martyr de Sidi Bouzid. En Egypte, où le mot Tahrir ne disait presque rien à personne, voici la place ainsi nommée portée au rang de Tianan men du Nil.

   Et que dire de l'île de Lampedusa? Il y a deux jours encore, nul n'aurait pu, mappemonde sous les yeux, poser son doigt sur ce fragment de terre égaré en mer. Tout juste les cinéphiles savaient-ils que Le Guépard de Visconti avait été adapté d'un roman du prince Guiseppe Tomasi di Lampedusa. Or, désormais tous les regards sont orientés vers ce caillou italien pris d'assaut par des milliers d'énigmatiques fuyards venus de Zarzis.

   L'Europe est sur le qui-vive. Paris ne cache pas sa crainte. En France, bizarrement, c'est Eric Besson, chargé de l'industrie, qui est monté au créneau. On s'attendait à ce que Michèle Alliot-Marie propose notre savoir-faire tricolore en matière d'expulsion. Et puis non, rien, pas un mot, silence radio.

   Mais qui sont-ils, au juste, ces candidats à l'exil? Qu'espèrent-ils? Une chose est sûre: ils sont là pour nous rappeler que toute vague a son ressac, que chaque déferlement rejette des sédiments, que toute euphorie génère une impulsion inverse. Gardons, au cours des jours qui viennent, un oeil - et peut-être un coeur - tournés vers ce flux de la désillusion, de la peur et de l'aspiration à un sort meilleur. La vraie réussite de la "Révolution de jasmin"  est encore suspendue, fût-ce de façon infime, à cette variable d'ajustement migratoire qu'on pourrait appeler "La tentation de Lampedusa". D.P.     

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 21:12

DSCN8299.JPG   Comment dit-on Saint Valentin en arabe dialectal? Au Caire, on ne le dit pas, on le vit. Car oui, ce qui s'est passé place Tahrir, transformée pour l'occasion en vaste temple des célébrations païennes, relève tout à la fois d'un désir géant, d'une débordante effusion et d'un incontrôlable élan d'affection. Ce coup de foudre de la dignité et de la fierté n'a pas fini de résonner en nous comme le coeur universel des nations qui se libèrent. Quelque chose comme les épousailles des gens ordinaires et de leur avenir. Les embrassades d'une jeunesse accolée à son propre destin.
   Alors, évidemment, une fois la fête consumée et les klaxons tus, il faut, comme pour toute nouvelle aventure balbutiante, parier fièvreusement sur le futur. L'alliance avec l'armée qui brille aux doigts du peuple, en vifs éclats de force et de passion, peut, à l'instar de tout ce qui s'use, se ternir au fil du temps. Dans les lendemains de révolution, c'est pareil que dans la vie: il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour.
    Il appartient donc aux Egyptiens, qui ont si bien su imposer leurs émois et leurs aspirations, de faire fructifier leurs serments, de déjouer les éventuelles infidélités à leur nouvel idéal. Cette miraculeuse lune de miel qui luit au-dessus du fleuve fertile et nourricier, comme un grand roman aux accents de "possibilité du Nil", ne doit pas s'éteindre.
    En ce lundi d'hommages à Cupidon sous tous les cieux du monde, tournons-nous vers le couple qui compte, soudain, plus que les autres. Ce couple si beau et si fragile que forment les opprimés d'hier et les affranchis d'aujourd'hui. Ce couple mythique qui, de Berlin au Caire qui bat, en passant par Tunis et peut-être ailleurs bientôt, n'a qu'un seul visage: celui des amoureux fous de la Révolution. D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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