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7 juin 2011 2 07 /06 /juin /2011 21:03

    Mini-scandale ce mardi à l'Assemblée. Henri Emmanuelli a fait - les images en attestent - ce qui ressemble bien à un doigt d'honneur. Et pas à n'importe qui. Au Premier ministre himself. "Shame on her!", comme on clame ailleurs. S'il se défend d'un tel geste et va jusqu'à s'excuser au cas où son mouvement de la main ait pu être interprété comme tel, il n'empêche que le député PS des Landes pourrait bien se voir mis à l'index. On ne badine pas avec la bienséance par les temps pudibonds qui courent où même les grosses légumes ne sont pas épargnées.
      Simultanément, dans l'hémicycle de Strasbourg, le député espagnol non inscrit, Francisco Sosa Wagner, a brandi, lui, une cucurbitacée soupçonnée à tort d'être porteuse de bactéries. Or, nul ne s'est offusqué de cette attitude pourtant un brin inconvenante.

   Moralité: mieux vaut un concombre d'honneur qu'une phalange éponyme. Une leçon de sagesse qu'est appelé à méditer Emmanuelli s'il tient, à l'avenir, à éviter les salades. D.P.

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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 21:12

Des femmes de ménage manifestent contre Dominique Strauss-Kahn devant le tribunal de Manhattan le 6 juin 2011.   Depuis le premier épisode qui remonte déjà à trois semaines, il ne manquait presque rien à ce stupéfiant spectacle diffusé en mondiovision. Ni la violence, ni la dramaturgie, ni le suspense, ni la chorégraphie de la sidération. Théâtre de vraies ombres et de fausses lumières à la dichotomie brechtienne. Empoignade scénique en direct live entre le démon et l'ange, façon version détournée du Servant de Losey. Lutte biblique entre le vice et la vertu.

   L'acteur principal, un certain Dominique SK, en a rajouté dans la symbolique de la détermination en entrant au bras de sa femme, par la grande porte de la cour criminelle de Manhattan, pour une scène aussi médiatisée que courte. Cinq brèves minutes arrachées au corpus de la vérité urgente. La réplique fut sans surprise: "Not guilty" ("Non coupable"). A part ça, non, il ne manquait rien ou presque jusque-là sauf, si l'on peut dire, la dimension musicale de la représentation.

   Or, elle nous a été donnée ce lundi, en un tableau supplémentaire qu'on n'attendait pas. Ce fut lors de la manifestation des collègues de Nafissatou Diallo venues, dans leur habit noir et leurs tabliers blancs, soutenir la plaignante en psalmodiant "Shame on you!" ("Honte à vous!"). Un vibrant lamento, une complainte, une mélopée. Là, sans nul doute, résida la seule surprise de cette journée. Quelque chose qui pourrait bien résonner longtemps dans l'histoire des sociétés et peut-être dans les consciences.

   Tendons l'oreille, écoutons-le. C'est le blues des employées d'hôtel new-yorkaises. Le poignant gospel des femmes d'ici et de partout. D.P.

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 21:40

   Dégage Ali Abdallah Saleh? Eh oui, le très controversé leader yéménite est peut-être bien la nouvelle "victime" du printemps arabe déjà presque en été. Toujours est-il que, blessé au visage et au thorax par l'explosion d'un obus vendredi soir sur le palais présidentiel, il a été transporté dans un hôpital saoudien. Une évacuation sanitaire provisoire selon son camp, mais pas aux yeux de l'opposition. "C'est fini, le régime est tombé!" ont clamé ce dimanche des milliers de manifestants dans les rues de Sanaa et Taëz (photo).

   Comment la situation évoluera-t-elle? Nul ne peut en présager. Mais une chose est sûre. Si les révolutions d'outre-Méditerranée ont mobilisé l'attention au début de l'année, aujourd'hui, terrible loi des "buzz", cette actualité ne semble plus passionner grand monde. Et puis, d'abord, c'est où le Yémen? Il n'y a guère que les Rimbaldiens purs et durs, ou les lecteurs de Nizan, pour avoir entendu parler d'Aden. Pas d'hôtels-clubs là-bas, pas de perspectives de vacances "all inclusive", pas de croisières "de rêve" annoncées sur les dépliants, alors vous pensez, le sort d'Ali machin chose, tout le monde s'en fiche chez nous.

   Sans compter que, depuis quelques semaines, les dictateurs des pays des sables sont soumis à rude concurrence. Un certain DSK, dans un tout autre rôle, leur a ravi la vedette. Et  il n'est pas le seul ce lundi matin. Il y a également Nadal, magnifique vainqueur de Roland-Garros. Et, plus triomphale encore en ce 6 juin, la pluie. Une vraie pluie. Une pluie si longtemps attendue. Une pluie qui mouille. Une pluie qui rompt un peu avec notre sécheresse. Une sécheresse terrestre mais aussi cette sécheresse d'esprit qui nous fait nous désintéresser de ce qui se passe aujourd'hui, pourtant sans doute déterminant, là-bas, dans ce fragment de l'ancienne "Terre sainte" de la Bible. D.P. 

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5 juin 2011 7 05 /06 /juin /2011 18:14

   Chronique publiée dans l'hebdomadaire du 3 juin 2011:

 

  Beny--Vienne--Voreppe-047.jpg C'est un joli mot le mot "livre". L'un des plus beaux sans doute de la langue française. L'oeil s'allume à la seule découverte de la couverture ou au décryptage de l'exergue. Les mains tremblent sur le papier. L'encre afflue au coeur. Ainsi, l'auteur de ces lignes se souvient avec émotion de ses années lycée où, s'échappant des salles grises de Lalande, il courait se placer, comme on traverse une frontière en fraude, sous la protection des imposants rayonnages de la Bibliothèque de Brou. Non pas seulement une bibliothèque, mais bel et bien le quatrième cloître du prestigieux édifice bressan.
   Dommage, toutefois, que le mot "livre" désigne de plus en plus souvent des objets bien éloignés de ce qui devrait, au contraire, participer de leur identité même. Car enfin quoi, existe-t-il une parenté entre un volume des oeuvres de Montaigne, de Stendhal ou d'André Dhôtel et les confessions arrachées, dans le feu de l'actualité, à un chanteur "tendance" ou à un sportif qui fait le "buzz"? On appelle pourtant "livre" l'un et l'autre. Et l'on utilise aussi ce terme pour rendre compte de la floraison de pages pondues par les "communicants" des personnalités politiques dont l'esprit bat ailleurs la campagne. 
   Chacun, direz-vous, a le droit de s'exprimer comme il l'entend - ou comme il croit se faire entendre - et on devrait plutôt se féliciter d'assister, au siècle ravageur d'Internet, à ce qui ressemble bien, à première vue, à un triomphal sursaut de l'écrit. Sauf qu'on ne peut pas être dupes. Cette prolifération de publications n'est au mieux qu'un leurre masquant l'indigence de ce qui s'imprime. Trop de livres tuent le livre. Trop de faux livres tuent les vrais livres. Résultat des courses (au supermarché plutôt qu'à la librairie), le consommateur-lecteur se rabat sur le récent témoignage en vogue ou sur le pseudo-essai forcément pertinent puisqu'il caracole déjà en tête des ventes.
  L'un des derniers produits relevant de ce registre jette en pâture Une vie ordinaire. Un titre qui, entre parenthèses, est "emprunté" sans le moindre scrupule à l'excellent poète Georges Perros (1923-1973). L'ouvrage est signé de quelqu'un dont on oubliera le nom. Disons qu'il s'agit "tout simplement" de l'homme qui, en 2002 à Paris, voulut tuer Jacques Chirac lors du défilé du 14 juillet. Comme trophée, il y a mieux, on en conviendra. Or, sa peine tout juste effectuée, l'adepte du coup d'éclat qui a fait "pschitt" s'est mué instantanément en auteur, fût-ce par le biais d'un "nègre". C'est qu'il en a des choses à dire, le bougre. Sûr que si aucun éditeur n'avait eu la bonne idée de recueillir sa réflexion profonde, ses propos manqueraient cruellement au paysage de la pensée contemporaine. Enfance malheureuse. Mauvaises influences. Goût pour la fanfaronnade. Regrets éternels.
   A quoi bon s'énerver, rétorquera-t-on, puisqu'il y a, semble-t-il, des gens qui raffolent de ce genre de confessions... Soit. Ce qui ne va pas, en revanche, c'est qu'on offre plus d'échos et de tribunes à tel petit "mégalo" repenti qu'aux authentiques écrivains du moment. On guette en vain une égale attention portée à Pierre Bergounioux, Jean-Pierre Otte, Yves Bichet ou Lionel Bourg, pour ne citer que ceux-là. 

   Heureusement, afin de nous réconcilier définitivement avec les livres, il y a Maurice Nadeau. On parle beaucoup de lui en cette veille d'été 2011. Tant mieux: le vétéran des Lettres, qui a eu cent ans le 21 mai, garde presque encore intacte son énergie de lecteur, de découvreur, de passeur. Ce fils d'une femme de ménage analphabète et d'un père mort à Verdun officie depuis un demi-siècle aux Lettres Nouvelles, à La Quinzaine Littéraire, "son" magazine tenu à bout de bras et d'intransigeance, et à la maison qui porte son nom. Il a imposé, toujours à contre-courant des modes et du commerce, Malcom Lowry, Gombrowicz, Leonardo Sciascia, Roland Barthes, Georges Pérec, Michel Houellebecq et, plus près de nous, Pierre Péju, Bugiste par sa mère, ou notre voisine mâconnaise Sylvie Aymard.
   C'est lui aussi qui accueillit le premier, dans sa revue, le texte d'un jeune inconnu de province qui menait, dans une solitude extrême, un combat vital aux sources de la parole. Le débutant se nommait Charles Juliet. C'était en 1959. Il arrivera ensuite que Nadeau s'arrête chez lui, à Jujurieux, avant d'aller rendre visite à un autre de ses "protégés", le romancier et dessinateur Fred Deux, alias Jean Douassot, réfugié alors à l'école de Lacoux, sur le plateau d'Hauteville.
  Aux antipodes du sidérant scandale qui pétrifie ces jours-ci notre monde politique, saisissons l'occasion du centenaire d'une figure déterminée et intègre pour (re)lire les livres parus sous son égide. On les trouve dans toutes les librairies, mais souvent aussi dans ces modestes bibliothèques de nos terroirs qui contiennent des trésors. A Saint-Martin, à Saint-Didier, à Bény, ailleurs... Grâces leur soient rendues (1), s'exclamera-t-on pour conclure, en détournant un instant le titre du volume d'entretiens avec Maurice Nadeau republié à bon escient pour la circonstance. Et tout le reste, bien sûr, n'est pas littérature. D.P. 
______________
(1) Grâces leur soient rendues, "mémoires littéraires" de Maurice Nadeau, Albin Michel, 482 p., 24 €.

Lire également Le Chemin de la vie, entretiens avec Laure Adler, Verdier, 160 p., 16 €.

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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 22:04

   Nous sommes entrés dans la société du coup d'éclat permanent. A chaque jour, sa révélation choc, sa déflagration, son scandale, son "buzz". A la liste des pratiquants de ce nouveau sport national consistant à balancer un truc qui déconcerte, rend perplexe ou sidère, il faut donc désormais ajouter Luc Ferry. Lundi, au Grand Journal de Canal +, le philosophe au prénom d'évangéliste a tout simplement accusé un ancien ministre de pédophilie. Non pas sous forme d'attaque frontale, mais de biais, en creux, insidieusement. A mi-chemin de la devinette provoc et de la parodie de dénonciation.

   Le nom du délinquant présumé? A quoi bon le donner puisque tout le monde le connaît. Ah! bon, vraiment? On croyait que ce procédé abject, qui fait litière de toutes les rumeurs et répand le soupçon comme un poison, appartenait à une autre époque. Celle où la calomnie était brune et la délation un sujet d'Occupation. Mais non, la revoilà d'actualité, au coeur du XXIe siècle, sur fond de crapoteuses affaires DSK et Georges Tron. Car enfin quoi, soit Ferry sait des choses précises et il doit se confier à qui de droit. Soit, il joue les gugusses de tribune et c'est insupportable. Les faits qu'il met sur le dos d'un fantomatique ex-collègue sont beaucoup trop graves pour être abordés sur le mode insinuatoire. Pour jouer les Monsieurs Propre, il faut des arguments, des preuves et sans doute un vrai courage. Au risque, sinon, de se salir soi-même.

   Ou de se coincer les doigts dans le verrou de la morale qu'on prétend faire sauter. D.P.

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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 08:35

Bent--Barcelone--1--175.jpg   Brève escale à Barcelone ces jours-ci. Brûlant soleil de fin mai sur la folle terrasse "gaudienne" de la "Casa Mila" ("La Pedrera"), foule sur les plages bordant la Barceloneta, doux parfums de tilleul par-dessus le damier de l'Eixample. Flâner jusqu'au parc Güell, humer les fruits du "mercat de la Boquèria", saluer les mouettes et les librairies qui, ici, ont une âme de bois ancien et de papier éternel. Petits bonheurs du jour, du soir et des autres moments. Admirer les fleurs bleues - mais qui sont-elles, au juste? - des arbres de Gracia, sourire devant les joueurs de bonneteau sur les Ramblas, partager une "San Miguel" mousseuse à la terrasse d'un café de la plaça Reial avec "Pierrot".

   "Pierrot", c'est Pierre Ducrozet, un Lyonnais devenu - provisoirement - catalan, auteur, l'année dernière, d'un épatant premier opus, Requiem pour Lola rouge, chez Grasset, où paraîtra, à n'en pas douter, son nouveau roman tout juste bouclé. Ou bien grapiller, comme ça, à la volée, quelques pages de Montalban. Souligner une phrase ou deux dans Les Mers du Sud. Celle-ci, par exemple: "Les civilisations se perdent dès qu'elles interrogent  ce qui ne peut pas être interrogé". Ou cette autre: "La fatigue est élégante". Oui, un peu d'errance à Barcelone. Mais sans les oublier, eux.

   Eux? Les "Indignats", bien sûr. Depuis le 15 mai, ils campent plaça Catalunya. Coup de gueule déterminé contre le chômage, la "corruption" des hommes politiques ou la loi électorale favorisant les grands partis. Artisanale cyber-révolte et chaud soleil d'Ibère. Vendredi soir, on les a chassés. Sans ménagement. C'est qu'il y avait urgence à faire place nette avant... les célébrations de la ligue des champions annoncées pour le lendemain. Du coup, des manifs de solidarité ont grossi. A Barcelone, à Madrid, ailleurs. Dans nos têtes aussi, bien sûr. Comment dit-on "Indignons-nous!" dans la langue de Don Quichotte? D.P.
- C'était il y a quelques jours plaça Catalunya. Juste avant qu'on ne les chasse. Cachez-moi ces "Indignés" qu'on ne saurait voir... Photo Didier Pobel

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 22:27

   Le général Ratko Mladic le 15 février 1994. ©AFP/Archives / PASCAL GUYOT    Ce visage-là, oui, il faut le dire, on l'avait un peu oublié. Tout va si vite en ce monde, nos indignations indéfectibles aussi bien que nos récurrentes amnésies. Et pourtant cette tête qui, soudain, sans qu'on y songe, a fait ce jeudi l'actualité, nous a ramenés au coeur de l'effroi. Comme quoi on a beau vivre à l'heure permanente de la guerre des images, nous restent à jamais les images de la guerre. Tant mieux, c'est-à-dire hélas. Cette gueule-là, donc, comme une figure parodique d'un général de BD cauchemardesque, casquette de cosaque imbu de son reflet d'acier, traits taillés à la serpe - osera-ton dire: à la Serbe? -, c'est bien sûr Ratko Mladic. Et ce qui nous happés à l'annonce de son arrestion, c'est un chiffre. L'un des plus terribles de ce que, du coup, il y a indécence à appeler l'après-guerre. Huit mille Bosniaques musulmans fusillés. Des hommes, des maris, des frères, des fantômes, des ombres qui hantent...
   Un chiffre, mais aussi un lieu: Srebrenica. Un de ces noms sinistres venu nous rappeler, en juillet 1995 que, malgré tous les "plus jamais ça" du monde, un nouvel Oradour n'est jamais exclu. Celui-ci ne fut pas sur Glane, mais quelque part sur Drina. Son ordonnateur suprême, chef militaire de son état et "boucher des Balkans" pour la sale histoire, vivait, depuis, tranquillement dans sa bourgade de Lazarevo, à 80 kilomètres au nord de la capitale. Coup de main aux voisins. Petit jardin, peut-être. "Allez, creusez-moi un peu ce lopin!" Gros rire sarcastique, conscience tranquille, pseudonymes de façade et complicités à gogo. C'est qu'on peut être un salaud et un héros, vertigineux dilemme sartrien. Salaud, Mladic l'est à proportion du nombre de camps qu'il a créés, du nombre de snipers qu'il a armés, du nombre de tombes qu'il a fait creuser. Héros, il l'était resté pour les patriotes purs et durs de son pays qu"'il a tant servi" (ils l'ont réitéré les larmes aux yeux).

   Un chiffre, un nom et quoi d'autre? Eh bien ceci encore. Une expression: "Nettoyage ethnique". Abomination lexicale s'il en est. Expression même de la barbarie. Le fugitif rattrapé à qui on la doit s'appelle donc Ratko Mladic. Ou Milorad Komadic. L'ex-Napoléon du "siège de Sarajevo" vient de perdre sa fausse identité et son immunité. Une chute qui n'intervient pas tout à fait par hasard. La Bosnie, soucieuse d'entrer dans l'Europe, se devait de donner des gages. Des gages? Dégage Ratko Mladic! D.P.

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 00:15

   Vous êtes quoi, vous? Vous êtes tache ou vous êtes nuage? Ca n'aura, en tout cas, échappé a personne, telle est bien l'alternative à laquelle nous sommes soumis en ces jours brûlants de printemps ibère et de tournoi de Roland-Garros. L'actualité est faite, d'un côté, d'une tache toute clintonienne, voire "philip rothienne", sur le corsage d'une plaignante new-yorkaise. Et de l'autre, d'un nuage islandais dans le ciel de notre Europe à courte vue. Ici, un souci de transparence poussé jusqu'a l'extrême des "plans com" , en marge d'un futur procès historique. La, une situation qui revient à brouiller les pistes. Ici, sans doute, un manque de panache. La, à coup sûr, l'excès inverse.

   Un seul mot d'ordre prévaut alors: prudence. Prudence avec les infos - ou ce qui en tient lieu - en provenance de l'autre côté de l'Atlantique. Prudence avec ce qui est dit autour des émanations de ce cratère scandinave nommé Grimsvörtn, ce qui est tout de même, soit dit en passant, plus facile à prononcer que Eyjafjöll.

   Attendons. Attendons pour voir comment l'horizon se dégage - ou pas. L'horizon de notre morale républicaine plutôt malmenée ces temps-ci, à tel point qu'elle a fait sortir Christine Angot du bois, c'est tout dire. L'horizon de nos perspectives de voyages soudain soumises, une nouvelle fois, aux caprices d'un écran de cendres maléfiques dont il est bien difficile de mesurer l'impact.

   Patience, un peu de recul, ne nous emballons pas en ce bas monde frénétique et médiatique ou tout fait tache ou nuage. Et réciproquement. D.P.

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 07:48

   Une semaine! D'habitude, une semaine ça dure sept jours, ou quelque chose comme ça. Mais là non. Celle qu'on vient de traverser, comme dans une fulgurance pétrifiée, transcende les lois du temps et de la raison. Des images sidérantes. Des commentaires époustouflants. L'incrédulité d'abord, quitte à oublier lamentablement la victime présumée. Puis le big sursaut. Une sorte de mea culpa collectif qui n'élude pas les questions. L'alliance impossible entre théoriciens du complot et accusateurs purs et durs, entre médusés et exténués.
   Et nous voici donc à l'heure où défile le générique de deuxième semaine d'un feuilleton qui fascine autant qu'il peut indigner, en mêlant gloire et déchéance, argent et malédiction, sexe et pouvoir, vice et vertu. Plus folle la vie... Alors la question qui se pose aujourd'hui, c'est évidemment: combien de temps ça va durer, cette frénésie, cette focalisation, cette addiction française, cette attirance-répulsion communicative qui, en un sale tour de magie blanche et noire, a éclipsé un tsunami, une catastrophe nucléaire, la disparition de Xavier Dupont de Ligonnès et, bien sûr, le plus célèbre festival de cinéma.

   Pauvre Croisette! Aux palaces méditerranéens se sont substitués une chambre d'hôtel avec vue sur stupre et allégations, un caricatural commissariat de série américaine et maintenant une résidence très surveillée où va se jouer, à portes et guichets clos, une sorte de jubilant et piteux "Loft story à Brodway", sur fond de péripéties d'avocats stars et de détectives figurants.
   Non, Cannes 2011, n'a pas eu de chance. Un certain DSK a raflé avant l'heure, et malgré lui, le grand prix d'interprétation machiste. Accordons sans hésiter la palme glauque à sa triste comédie de moeurs doublée d'un film d'espionnage. Avant que le jury, là-bas de l'autre côté de l'Atlantique, ne se prononce. D.P. 

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 17:20

 - "Lettres sur cour", originale et pertinente manifestation initiée par Isabelle Giroud et son équipe,  s'apprête à fêter - sans tapage - ses  vingts ans. Eh oui, déjà! Rappelons le principe. Chaque début juillet, au moment où résonnent bien haut les concerts du festival "Jazz à Vienne" sur la scène du théâtre antique, des lieux plus secrets s'ouvrent. Comme des parenthèses. Comme une apaisante respiration. Une invitation non plus cette fois-ci aux amateurs de musique - même s'ils sont les bienvenus -, mais aux fervents de littérature et de poésie. Les rencontres, sous l'égide d'arbres centenaires et d'ombrages complices, ont lieu à l'écart, quelque part derrière les murs de vénérables établissements scolaires ou religieux, de ce côté-ci du Rhône ou de l'autre. Le thème 2011 fait doublement appel  aux voix mexicaines et aux voix françaises. Au programme: le trio Parl, David Toscana, Jean-Christophe Bailly ou Henri Thomas (1912-1993), poète, romancier et nouvelliste bien trop oublié.
- Du  30 juin au 10 juillet à Vienne (Isère). Renseignements au 04 74 15 90 29. 

- Une exposition "écriture-peinture" à ne pas rater à partir du 26 mai: celle qui réunit, autour du thème des  "Réalités flottantes" et des "objets surnaturels",  le poète Jean-Pierre Chambon et le plasticien Marc NegrI. Un duo que connaissent bien ceux qui ont notamment eu entre les mains Fleuve sans bords, publié à La Petite Fabrique à Varces (14 euros), puisqu'on retrouve précisément dans ce beau petit livre Chambon (pour le texte) et Negri (pour les dessins).

- A la Bibliothèque du centre ville (10, rue de la République)  à Grenoble, jusqu'au 30 juillet. Vernissage-lecture ce jeudi 26 mai à 18h30. D.P.

 

 

 

 

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Présentation

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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