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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 21:18

   L'"affaire Strauss-Kahn" en long, en large, en boucle, en travers et en direct. Jusqu'au bout de la nuit américaine. Jusqu'à la nausée. Une folle semaine va s'achever et on saura bientôt tout de cette histoire dont, au fond, on... ne sait presque rien. Une chose est sûre, toutefois: la France entière ne parle plus que de ça. De la victime présumée trop oubliée dans la stupeur des commentaires initiaux. De l'icône mal rasée, passée du FMI à l'infâmie, carbonisée sous nos yeux incrédules en plein vol. Des personnages de la justice américaine aussi caricaturaux que dans une fiction. De l'épouse en mohair à la fois sainte et martyre.
   Non, impossible d'enrayer le cours des discussions. Devant la télé, au bureau, au bistrot, dans la rue, dans la vie, chacun y va de son hypothèse, de son complot, de son pronostic, de son indignation. Plus fort qu'une coupe de monde de foot ou qu'une tragédie grecque! A la fois passionnant et terriblement choquant, surtout lorsqu'à l'immoralité criminelle des faits qui restent à avérer s'ajoutent l'insoutenable insolence de l'argent et l'obscène arrogance des petits redresseurs de conscience.

   Grand déballage, actes de contrition faciles, procès collectif d'une société de dévoiements et d'aveuglements? Ah! comme on aime battre notre coulpe sur l'air du "Si on avait su...". Si on avait su quoi, au juste? Allons, sachons raison garder et, en attendant l'issue de ce si dévastateur "feuilleton" , de grâce, ne rajoutons pas de l'indécence à l'abjection rampante... D.P.  

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 20:28

  Etre intelligent n'empêche pas de basculer de l'autre côté du décor. Une sidérante preuve vient d'en être administrée par Dominique Strauss-Kahn. Dans le même ordre d'idées, si l'on ose dire, être talentueux n'empêche pas de dire des conneries. L'adage a été bassement illustré ce mercredi à Cannes par Lars Von Trier. Au cours d'une conférence de presse, exercice qu'il dit exécrer - comme on le comprend! -, le célèbre réalisateur danois, qui avait déjà par le passé évoqué Hitler en termes douteux, a tristement récidivé: "Je dis seulement que je comprends l'homme. Il n'est pas vraiment un brave type, mais je comprends beaucoup de lui et je sympathise un peu avec lui".

   Alors, évidemment, ceux qui volent à son secours, arguant de surcroît d'une nécessaire dose de scandale au plus célèbre Festival du monde, brandissent l'argument de la provocation. Un peu court comme explication, surtout lorsque l'orateur poursuit dans un registre toujours aussi inquiétant: "Je suis avec les juifs mais pas trop, parce que Israël fait vraiment chier", avant de conclure: "OK, I'm a nazi".

   Rappelons que celui qui a obtenu le Grand prix 1996 pour Breaking the Waves et la distinction suprême en 2000 pour Dancer in the Dark est, cette année, en compétition avec Melancholia, et que c'est, paraît-il, une très belle oeuvre frappée de biais par les rayons des "soleils noirs" de Dürer et de Nerval. Moralité - le mot est à la mode: que les cinéastes filment et surtout qu'ils se taisent. En tout cas lui, Lars Von Trier, à qui l'on est désolé de répéter qu'on peut être, à juste titre, sacré sur la Croisette, et amplement mériter conjointement la palme d'or - ou plutôt brune - de l'imbécillité. D.P.

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17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 22:07

   Après le mauvais roman noir, le réjouissant roman rose. A l'envers de la sidérante série américaine, la belle histoire française. Au moment où nous tentons tous de sortir de l'affligeante "affaire Strauss-Kahn", voici enfin du ravissement savamment distillé, comme une espèce d'onguent compensatoire. Oui, Carla est bien enceinte et c'est déjà, à la fois, la perspective d'un bonheur privé et d'une première pour l'Elysée, lieu peu propice jusque-là à l'accueil des berceaux.

   On n'ira pas jusqu'à penser qu'il y a calcul dans cette concomitance d'actualités pour le moins paradoxales, mais reconnaissons qu'elle tombe à pic, cette info que tout le monde murmurait déjà. Comme un magistral pied-de-nez à l'univers glauque du "sex scandal" new-yorkais, le vol programmé de la cigogne républicaine n'en impose que davantage l'image de l'harmonie du couple parfait et de l'accomplissement familial. On aura également remarqué que ce ne sont pas les futurs parents qui ont confirmé la nouvelle - comme s'il était possible d'éviter que ce "baby dream" d'octobre ne se présente pas comme un babillant argument électoral -, mais le père du président géniteur, Pal Sarkozy.

   Habile manière, à l'évidence, de rassembler ainsi trois générations, comme l'affirmation d'un lien durable, comme le symbole d'une jonction entre passé, présent et avenir. Bernadette Chirac ne s'y est pas trompée dans un commentaire aussi poétique que du Laurence Pernoud: "C'est le bonheur absolu pour ce ménage et c'est l'avenir de la France". Ah! les joies du ménage à l'heure où blanchit la campagne...

   Au cas où l'on pouvait encore en douter, preuve est désormais faite: avant même qu'il naisse, le futur petit hôte du sommet de l'Etat est déjà haut comme trois coms. D.P.

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 20:36

    Au train où vont les choses, les plus imaginatifs des écrivains ou des scénaristes vont finir par porter plainte contre la réalité - ou ce qui nous est présenté comme tel - pour concurrence déloyale. Car enfin quoi, ce qui vient de se passer à Manhattan, ne serait-ce qu'à travers les éclats rapportés par fragments depuis la "sulfureuse" nuit du Sofitel, c'est quelque chose comme du Feydeau revu par Philip Roth. A la fois vaudevillesque, sidérant et dévastateur.

   Ce qu'il y avait, en tout cas, de frappant, ce dimanche, matin chez les commentateurs à chaud, dans cette ahurissante "affaire Strauss-Kahn" aux accents clintoniens, qui fait trembler la morale publique, la finance mondiale et la politique internationale, c'était la façon d'appréhender cette histoire comme s'il s'agissait d'une possible fiction. Avec un devoir de dignité sur fond de réserve et d'incrédulité.

   Serions-nous soudain devenus le jouet d'une machination, d'une manipulation, d'un piège, bref de l'odieux paroxysme de détournement d'une campagne présidentielle française qui n'a pas commencé? Sans omettre, évidemment, la contrepartie toute "marc-lévyenne" d'un tel doute: et si c'était vrai? Quoi qu'il en soit, trouble et vertige, stupeur et tremblements, dégoût et honte.

   Celui qui était jusque-là présenté comme le principal espoir de la gauche pour 2012, fût-ce au prix de quelques préalables dérapages d'images en Porsche, est-il désormais crucifié sur l'autel (l'hôtel?) de ses instincts présumés primaires? Une chose est sûre: on peut d'ores et déjà parler d'immense gâchis, sinon de désastre. Et ceci avant même de pouvoir répondre définitivement à cette taraudante question: y a-t-il vraiment un mister K derrière le docteur DS? D.P.

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 21:14

   Il va forcément se passer un truc super demain. Pourquoi ça? Eh bien parce qu'on est vendredi 13 et qu'en plus il n'y en a qu'un seul dans l'année. Entre parenthèses, il est un chouïa radin, le millésime en cours. Pas de ponts au mois de mai et un seul vendredi 13! Bon, passons, restons calmes et profitons plutôt de l'aubaine offerte en ce jour où l'on fête les Rolande, le prénom préféré de Brassens. Jouons, grattons, rêvons...

   La chance est à coup sûr à notre portée. Il va nous arriver une bonne nouvelle du genre... Je ne sais pas, moi, Kadhafi qui déclare forfait. Ou, plus près de chez nous, DSK, déjà vainqueur de la maousse cagnotte du FMI, qui annonce une ronflante candidature. Ou Carla qui dévoile sa grossesse. Allez, c'est vendredi 13, on double la mise: ce sera deux bébés pour le prix d'un. Ou alors quelque chose de plus terre à terre. Qu'il pleuve, par exemple. Pas des millions, non, mais de la bonne vraie pluie qui comble les agriculteurs. Ce serait bien, ça, la flotte. Mieux qu'un gros lot.

   Tel est donc notre état d'esprit à l'approche de cette date qu'on espère marquée d'un ciel gri-gris. Oui mais, il y a les paraskévidékatriaphobes. Les "para" quoi? Ne cherchez pas, c'est un néologisme un peu savant pour cruciverbistes et adeptes des scrabbles géants. Il désigne tout simplement, si l'on peut dire, ceux qui ont la phobie du vendredi 13. Les excités qui crient lorsqu'ils voient un chat noir. Ceux qui redoutent les échelles, qu'elles soient d'artisans ou de Richter. Oh! ils ne sont pas très nombreux, moins que les autres, mais ils existent. Pourvu que je n'en croise pas un tout à l'heure en allant faire mon Loto. Je ne suis pas superstitieux pour un sou mais d'ici à ce que ça m'apporte la guigne. D.P. 

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11 mai 2011 3 11 /05 /mai /2011 21:22

  Ca n'a pas pu vous échapper, désormais chacun écrit. Les chanteurs, les sportifs, les rescapés, les névrosés, ils y vont tous de leurs souvenirs ou de leurs coups de gueule. Avec, en tête, évidemment, les politiques. Dans quelques jours, c'est Eric Woerth qui fera paraître un volume d'entretiens. "Pour sauver son honneur" dans l'affaire Bettencourt. Vaste programme, comme disait, jadis, le Général. Dans le même temps, l'ancien maire de Senlis, Jean-Christophe Canter, publie, lui, un pamphlet contre le précédent. On ne sait pas trop ce qu'il lui reproche mais un éditeur a dû comprendre. L'ouvrage vient de voir le jour et il s'intitule Eric m'a tuer. Pire: les délinquants repentis s'adonnent, eux aussi, aux "joies" de l'écriture. Maxime Brunerie, par exemple, vous voyez qui c'est? C'est le type qui voulait abattre Chirac lors du défilé du 14 juillet 2002. Eh bien voilà qu'après avoir purgé sa peine, il prend la plume comme un vrai "pro". Ou, plutôt, il la laisse à son nègre. Pour dire quoi, au juste? Qu'il a eu une enfance difficile et qu'il regrette son geste. Merci pour la confidence. A quand un polar clandestin signé Xavier Dupont de Ligonnès?
   Certes, direz-vous, le phénomène n'est pas nouveau, mais il prend un relief particulier au moment où l'on s'apprête à fêter - ce sera le 21 mai - le centième anniversaire de Maurice Nadeau. Nadeau, fils d'une femme de ménage analphabète et d'un père mort au front, c'est l'honneur de l'édition et de la littérature. Des décennies de combat pour découvrir et imposer les voix qui comptent (Chalamov, Gombrowicz, Pérec et, plus près de nous, Houellebecq, Péju, Sylvie Aymard...). Et dire qu'on désigne par le même mot - l'un des plus beaux de la langue française, le mot "livre" - les pseudo-bouquins griffonnés à la hâte et les oeuvres qui s'inscrivent dans le patrimoine universel. Il y a urgence à ne plus nommer "livres" ce qui n'en est pas. Le poète, romancier et critique Claude Michel Cluny a trouvé un terme de substitution pour mépriser ce qu'il appelle "les machins de librairie". L'expression figure dans l'hommage qu'il rend, avec une poignée d'autres écrivains, au vétéran Nadeau dans le dernier numéro de La Quinzaine Littéraire, cette exception culturelle, précisément crée et tenue à bout de bras par celui que l'on célèbre aujourd'hui.

   Précipitons-nous sur ce numéro de La Quinzaine. Merci Maurice Nadeau! Et tout le reste n'est pas littérature. D.P.
- La quinzaine Littéraire, n° 1037, 1er-15 mai 2011, numéro spécial centenaire de Maurice Nadeau.

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10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 22:35

   C'est chouette, la Croisette. Chaque année, aux premières cerises, rien de tel pour oublier les crises. Starlettes, glamour et paillettes. Voilà, en tout cas, pour les apparences. La réalité est pourtant un peu différente. Surtout cette année. Qu'elle soit officielle ou non, la sélection de ce 64e Festival est aussi, à sa manière, le reflet de l'histoire en cours dans le monde arabo-musulman. Roses pourpres du Caire, de Tunis ou d'ailleurs...

   En attendant, et dans un tout autre genre, c'est Woody Allen, justement, qui ouvrira ce mercredi soir les festivités. Woody, le gai mélancolique. Woody, l'heureux neurasthénique. Il sera Minuit à Paris et aucune heure sur l'écran. Ô temps, suspends ton rôle... Carla Bruni-Sarkozy, qui fait une brève apparition dans le film, a décliné, raison d'Etat oblige, les reflets bleu-blanc-rouge du plus fascinant des tapis-miroirs. Pas question pour elle d'être présente dans une manifestation où l'on projettera, le 18 mai, La Conquête du pouvoir par son mari, revue par la caméra de Xavier Durringer. Au diable les rushs de campagne et les rumeurs de grossesse politico-people! C'est dans sa solitude peuplée de névroses et de sarcasmes que le désinvolte flâneur de l'Hudson et de la Seine gravira les marches d'un très attendu conte de fée américano-français.

   Qu'importe la langue, qu'importe le pays! La magie allenienne, comme celle du cinéma tout court, n'a pas besoin de traduction simultanée. "Yes-oui Cannes", Mr Woody!  D.P. 

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9 mai 2011 1 09 /05 /mai /2011 21:01

 
      J'ai tout de suite compris que cette journée n'était pas comme les autres. Depuis la veille au soir, il y avait des ondes bizarres dans l'air. Moi,  qu'on laissait d'habitude nonchalamment posé sur mon support rivé à la tapisserie fin de siècle, juste derrière le comptoir, eh bien voilà qu'on me saisissait, qu'on me raccrochait, qu'on me reprenait, et cela sans le moindre ménagement. Et je ne vous dis pas comment on me criait dans le cornet. Au cours de la matinée de ce dimanche pluvieux, ils m'ont laissé un peu de répit. Bien sûr, ils étaient là, allant et venant fièvreusement, mais ils ne semblaient pas trop se soucier de ma discrète présence de bakélite. Je les lorgnais du coin de mon cadran. Je les connaissais presque tous. Surtout lui. Calme, imperturbable, dans son costume beige clair et sa chemise bleue. Il ressemblait à une sculpture romane.
   C'est après le déjeuner - ah! ce parfum de foie gras et de champignons des bois - que tout s'est accéléré. Ca s'interpellait, ça parlait haut, ça se marrait en douce. Et, comme par hasard, c'est à moi qu'on s'en est pris. Et vas-y que j't'empoigne. Et vas-y que j'te hurle. Vers les 18h30, on sentait bien que les interrogations n'en étaient plus tout à fait: "T'es sûr? T'es vraiment sûr? Je peux lui annoncer?"  Celui à qui on devait transmetttre cette nouvelle si importante, apparemment il s'en fichait. Il se tenait un peu à l'écart, devisant avec force tranquillité de la pluviométrie dans cette région de grands arbres et de clochers trapus. Il paraît qu'on lui avait installé une ligne spéciale dans sa chambre, la 15. Je n'aime pas trop qu'on me fasse ce genre d'infidélités, mais bon, pour une fois, je n'ai rien dit.
   Après? Après c'est devenu de la pire folie. Ca criait, ça chantait, ça s'embrassait. Et l'autre, là, qui, sans ciller, ne savait que répéter: "Quelle histoire!". Moi, j'étais littéralement sonné. Ah oui, il faut tout de même que je vous dise qui j'étais. J'étais l'antique téléphone mural de l'auberge du "Vieux Morvan". On m'a flanqué à la casse depuis belle lurette, mais quelqu'un - sans doute un nostagique des babioles "vintage" comme on dit aujourd'hui - vient de me dénicher. C'était l'autre week-end au grand vide-grenier de "La gauche qui gagne". Il m'a dépoussiéré. Il souhaitait me faire parler, l'animal. Il prétendait que je pouvais prédire l'avenir. En fait, il voulait surtout que je lui résume la journée. La journée? Celle du 10 mai 1981 à Château-Chinon, Nièvre, France. J'ai lâché deux ou trois trucs, rien de plus. Trente ans! Pensez, depuis le temps, j'ai fait comme beaucoup. J'ai perdu le fil... D.P.      

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8 mai 2011 7 08 /05 /mai /2011 20:43

   "10 mai": ah! elles en disent des choses, ces deux syllabes-là. Qu'on n'y voie pas seulement un chiffre et un mot. "10 mai", c'est un rancart, c'est un repère, c'est une invitation. Et puis il y a du code confidentiel dans cette façon d'apostrophe. "10 mai", ça sonne comme "Dis-moi...".
   Dis-moi ce qui se passait ce 10 mai. Un rêve. Une espérance. Une longue attente. Un crâne chauve panthéonisé à 20 heures, sur deux des trois chaînes de la télé d'alors, en un interminable suspense pixelisé. Les noces roses d'un peuple gris d'ennui et d'un rassembleur en costume beige.

   Le 10 mai, ce fut quoi, au juste? Un jour de nuages morvandiaux sur une France prête à découper le perdant au diamant de son mépris, fût-il un brin injuste. Une floraison d'euphorie et de larmes - à chacun son camp -, de lourds chagrins envolés ou de stupeur.
   Dis-moi ce qui nous emporta le 10 mai. Une chanson de printemps qui se fredonne avec le coeur. Les trilles des gais rossignols au temps des cerises. Un couplet canaille de Bernard Dimey. Avoir vingt ans dans les Jaurès.
   Dis-moi ce qu'il y eut encore le 10 mai. Une nuit entêtante comme un éternel congé payé provisoire. Un orage diluvien échappé d'un film de Sautet. La Bastille reprise qui se prend pour Woodstock ("No rain! No rain!"). Aragon en cape noire attablé chez Bofinger. Un pays en marche sur ses petits pieds de géant. Car oui, le 10 mai, toute la France chaussait du 36.
   Mais dis-moi aussi ce qui s'est passé après le 10 mai. Après, il fallut replier les tréteaux, terminer la fête, altérer l'alternance. Après il fallut dévaler Solutré et redescendre sur terre.
   Il s'agissait la veille de changer la vie? Prière désormais, au cas où, de changer d'avis. Le 10 mai ne pouvait pas durer 14 ans. Il dura ce que durent les roses fortes et tranquilles, quitte à ressusciter demain matin.
   Allez, dis-moi encore ce qui s'est passé après le 10 mai.
   Après le 10 mai, ce fut une autre histoire. La nôtre, bien sûr. D.P.

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 13:52


   Tiens, nous voici donc, plus ou moins, à la veille du... Ah! on ne risque pas de l'oublier cette date. Depuis le temps qu'on en parle.  Allez, promis, on y reviendra. Mais en attendant, en guise de célébration un brin décalée, évoquons non pas un président de la République, mais un poète. Certes, ce n'est ni l'anniversaire de sa naissance (Il était né le 16 juillet 1931), ni celui de sa mort. Mais s'il s'est éclipsé un 1er juillet, il eut tout de même l'élégance de choisir l'an de grâce et de force tranquille 1981. C'était bien le moins qu'il nous devait, l'animal. Car il s'appellait, en effet, Dimey. Bernard de son prénom. On ne sait pas si François Mitterrand appréciait les vers de l'auteur de Syracuse, mais il y en a quelques-uns dans son oeuvre qu'il aurait pu connaître par coeur. Ceux-là, par exemple, extraits des Enfants de Louxor:  
 
   "Quand je sens, certains soirs, ma vie qui s'effiloche
   Et qu'un vol de vautours s'agite autour de moi,
   Pour garder mon sang froid, je tâte dans ma poche
   Un caillou ramassé dans la Vallée des Rois.
   Si je mourrais demain, j'aurais dans la mémoire
   L'impeccable dessin d'un sarcophage d'or
   Et pour m'accompagner au long des rives noires
   Le sourire éclatant des enfants de Louxor".

 
     Ou bien encore cette strophe tirée du même texte:


   "À l'intérieur de soi, je sais qu'il faut descendre
   À pas lents, dans le noir et sans lâcher le fil,
   Calme et silencieux, sans chercher à comprendre,
   Au rythme des bateaux qui glissent sur le Nil,
   C'est vrai, la vie n'est rien, le songe est trop rapide,
   On s'aime, on se déchire, on se montre les dents,
   J'aurais aimé pourtant bâtir ma Pyramide
   Et que tous mes amis puissent dormir dedans".

 
     Sans oublier cet épilogue crépusculaire comme en écho au dernier Noël de Mitterrand en Egypte:

   "À l'heure où le soleil se couche sur le Nil.
   Je pense m'en aller sans que nul ne remarque
   Ni le bien ni le mal que l'on dira de moi
   Mais je déposerai tout au fond de ma barque
   Le caillou ramassé dans la Vallée des Rois".

 
     Et puis, allez, terminons en beauté par un hommage posthume à Dimey:
 
   "Bernard Dimey n'est pas mort le dix mai,
   On aurait cru qu'il l'avait fait exprès :
   L'est mort le premier juillet au matin
   Et rud'ment bien.
   Dans son cercueil il avait l'air hautain,
   Volant à sa hauteur, pour la première
   Et la dernière fois de sa carrière :
   Très haut, très loin".

 
     On ne ne pouvait mieux saluer le tourmenté qui mourut à cinquante ans. L'auteur de cette chanson s'appelle, lui, Jacques Debronckart (1934-1983). Et c'était aussi un grand. D.P.

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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