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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 22:11

 

   Ca y est, l'interminable suspense s'achève, j'ouvre l'enveloppe:
 
   - Prix du palmarès le moins surprenant: les César 2012.
   - Prix de la plus affligeante sottise: les saynètes ponctuant chaque annonce.
Attention, n'éteignez pas le poste, la remise de statuettes continue...
   - Prix du meilleur décor pour un candidat en campagne: les vaches, les moutons et la paille du Salon de l'Agriculture.
   - Prix du second rôle dans la surenchère sur le référendum: François Bayrou.
   - Prix du plus surprenant coup de sang en direct à la télé: Henri Guaino (tout à l'heure face au socialiste Jérôme Guedj, sur France 3).
    - Prix de la meilleure (ré)adaptation: Hervé Morin.
   - Prix du plus lassant remake: DSK, de Manahattan à Lille.
Et, enfin, pour clore la soirée, voici l'heure des "récompenses" internationales, alors que défile sur l'écran l'interminable liste des disparus de l'année:
   - Prix du pire réalisateur de carnage et de barbarie: Bachar al-Assad
 
   Voilà, c'était la dernière enveloppe (quoique, en cherchant bien...). J'espère que vous avez passé une bonne soirée. Excellente nuit à tous! D.P.
   
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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 23:43

    

   La campagne électorale n'a pas seulement le visage diurne qu'on lui connaît. Il se passe aussi parfois des choses tard le soir sur le petit écran. Ainsi, hier, sur le coup des onze heures, alors que les téléspectateurs commençaient à s'assoupir, un truc bizarre s'est déroulé sur France 2. Marine Le Pen, l'invitée de David Pujadas, était appelée à en découdre avec Jean-Luc Mélenchon. Sauf que, au prétexte que son interlocuteur était au mieux "un leurre", au pire "un insulteur public", elle a refusé de lui répondre. Du coup, la séquence a revêtu un aspect inédit.

   A quoi avons-nous assisté? Difficile de le dire avec précision. Posant ses questions dans le vide, le tribun du Front de gauche n'avait plus qu'à se livrer à une sorte de meeting express. Comme décontenancée par sa propre attitude - ce qui est plutôt rare -, la candidate FN, déjà mise à mal précédemment lors du chapitre économie, a feint, de son côté, de lire les documents qu'elle avait devant elle. A un moment, on l'a même vu ouvrir le journal. Faut-il ajouter que la tâche du journaliste, transformé en meneur de non-débat, n'avait plus vraiment sa raison d'être?

   Face à un pareil "cirque" - c'est le mot de Mme Le Pen -, on était partagés entre l'étonnement, l'amusement et l'affliction. Car enfin quoi, soyons francs, ni la courtoisie, ni la démocratie ne sont sorties vraiment gagnantes - c'est un euphémisme - de ce pseudo face-à-face à cause duquel l'émission-spectacle aurait pu être rebaptisée "Des paroles et des clashs". D.P.  

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22 février 2012 3 22 /02 /février /2012 23:06

   Certes, Rémi Ochlik n'est qu'une victime parmi d'autres. Parmi des milliers d'autres que le triste dictateur syrien inscrit quotidiennement a son palmarès sanglant d'intolérance et de barbarie. Le célébrer aujourd'hui, avec sa collègue américaine Marie Colvin, pourrait évidemment nous faire soupçonner de corporatisme. Ce serait oublier que la mort de deux journalistes de plus - n'oublions pas Gilles Jacquier disparu dans les mêmes conditions le 11 janvier dernier, et la liste est hélas non exhaustive - illustre de façon particulière l'ultime résolution des pires régimes: supprimer tout ce qui relève du témoignage, briser les porteurs de miroirs de l'insupportable.

   A 28 ans, Rémi, petit gars de Thionville et citoyen d'un monde convulsif, courait de guerre en guerre, bardé de gros appareils et d'ardentes focales. Ce mercredi, il était à Homs (*) pour nous ouvrir les yeux. Les ordonnateurs locaux de l'horreur ont cru qu'en fermant les siens à coup de d'obus et de roquettes, on n'en saurait moins sur leur funeste objectif. C'est peu dire qu'ils ont tout faux. Les photos que ne fera plus jamais le jeune créateur lorrain de l'agence IP3 Press, tout comme les reportages que n'écrira plus Marie Colvin, en disent plus long encore sur ce qui se passe là-bas. Hommage à celles et ceux dont le silence contraint se transforme en cri permanent. D.P.

 

   (*) Comment ne pas être frappé par le nom de cette ville qui, prononcé à l'occidentale, nous entraîne exactement à l'inverse de l'inhumanité suprême régnant là-bas?
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19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 18:51

   Si on pouvait se demander pourquoi Nicolas Sarkozy avait choisi la cité phocéenne pour son premier grand meeting de campagne, maintenant on a la réponse. Ce qu'il a proféré ce dimanche après-midi au parc Chanot, c'était sa Marseillaise. Pas seulement un discours mais un hymne, sinon un chant de guerre. Paroles d'Henri Guaino, musique de Rouget de Lisle. Un hymne à la France, ce "pays de la liberté", un hymne à la "lucidité", au volontarisme, au "courage", au "travail".

   Le mot "France" figurait donc bien évidemment parmi les vocables les plus souvent prononcés, avec "vérité" ou "fermeté", mais aussi, en contraste, ces termes épouvantails que sont la "crise" et la "catastrophe". En ne faisant référence qu'à un seul nom propre, celui de De Gaulle, le président-candidat s'est une nouvelle fois positionné en protecteur, refusant de désigner directement un adversaire évoqué sous de très fantomatiques formules telles que "Des gens", "Ceux là..." ou "Ceux qui font cela...". Mais pour être biaisées, les attaques n'en furent pas moins brutales. Que ce soit contre la "malhonnêteté" , la "dérive communautariste" ou l'absence de cohérence du rival ("On ne peut pas être Thatcher à Londres et Mitterrand à Paris").

   Du déjà vu, déjà entendu, dira-t-on. Certes. En revanche, ce qu'il y avait de neuf par rapport à 2007, c'était, au-delà de la pugnacité, cette once d'humilité – ou du moins l'effet oratoire qui en tenait lieu – projetant l'intervenant dans l'hypothèse d'échec à laquelle l'acculent les sondages. Mais c'était, on l'aura compris, pour mieux rejeter pareille hypothèse: "Quand on risque d'échouer, on risque de réussir". Et sans doute aussi pour mieux fonder une posture de victime justifiant ce très étrange appel final en forme de SOS: un "Aidez-moi!" que pour un peu, on aurait perçu comme un "Aimez-moi!"

   Autre façon d'entonner un "Allons enfants de la patrie!" que le chantre des "valeurs", galvanisé par ses troupes réunies et par la présence de Carla au premier rang, croit encore pouvoir traduire bientôt par "Le jour de gloire est arrivé". Ce qui est tout de même une autre histoire. D.P.

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 22:24

L'Express juge la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy   Heureusement que le faux suspense avait été si savamment théâtralisé. Heureusement qu'on nous avait répété que ce moment-là allait être décisif. Parce que, comment dire?, à écouter Nicolas Sarkozy ce mercredi soir sur TF1, on n'avait pas vraiment le sentiment de vivre un moment inédit. Quelqu'un qui aurait allumé son poste par hasard - si tant est que cela ait été possible - n'aurait sans doute pas immédiatement saisi la différence avec les récentes interventions de celui qui veut "redonner la parole au peuple français".

   Certes, on a appris qu'il entrait en lice pour de bon, mais la surprise avait ses limites. Certes, on connaît son slogan, "La France forte", mais il y a "signal" plus éloquent. Le candidat officiel pour un second quinquennat (a-t-on perçu qu'il a failli, à un moment, prononcer le mot "septennat"?) l'était assurément depuis longtemps. Ses vocables-clés n'ont pas varié: "Travail", "valeur","vérité", "crises" (au pluriel, avec insistance, cette fois-ci).

   Comment, au juste, sera sa campagne? En rien semblable à celle de son adversaire qui passe son temps à le dénigrer parce que, lui,"il n'a rien à proposer". Mais à peine le nouvel adepte de twitter avait-il formulé cette diatribe qu'il stigmatisait à son tour l'irresponsabilité de l'autre ("Le rêve se termine toujours en cauchemar"). Comme quoi...

   Et à qui s'adresse "le protecteur" auto-proclamé, à 69 jours de ce qui sera "la première élection du XXIe siècle"? Pas seulement aux gens de droite, mais aussi à ceux de gauche qui redoutent un avenir à la grecque. Ah! l'ouverture... On l'avait oubliée, celle-là.

   Enfin, pourquoi il y va? Pour ne pas être accusé d'"abandon de poste". Sans compter qu'"à 57 ans, on n'est pas foutu". Nicolas Sarkozy ne parlait évidemment pas de lui en ces termes, mais de ceux qui cherchent un emploi. N'empêche, ça n'aura échappé à personne, c'était pile poil l'âge du "capitaine". D.P.

 

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 22:08

   L'Insee manquerait-il de coeur? L'institut a en tout cas choisi le jour de la Saint-Valentin pour dresser le tableau de la solitude sous nos doux cieux. Et ce qui saute aux yeux, c'est que la situation est aux antipodes des clichés glamour de circonstance. Le nombre de Français en proie à l'isolement s'élève en effet aujourd'hui à 9 millions contre 6 en 1990, soit une hause de 50% en un peu moins d'une décennie. Une tendance qui s'explique en grande partie par le vieillissement de la population, puisque la moitié de ces personnes en mal de compagnie - parmi lesquelles une majorité de femmes - est âgée de 60 ans ou plus.

   Loin de toute volonté d'amalgame, comment ne pas accoler à cette donnée une autre information "tombée" presque au même moment? Voici les faits. Le cadavre d'un octogénaire a été retrouvé dans son logement de Strasbourg près de trois années après son décès. Nul ne s'est, apparemment, soucié de son absence. Sa famille? Sans doute n'en avait-il pas. Les voisins? Bah! tant qu'il n'y a pas de bruit intempestif. Le propriétaire? Pas de problème, le défunt "payait" son loyer par virements automatiques au bailleur social.

   C'est finalement le son de la radio qui a alerté. Des pigeons, qui s'étaient introduits dans l'appartement par une fenêtre restée entr'ouverte, ont joué du bec sur les boutons du poste. L'histoire ne dit pas si c'était Bécaud qui chantait La Solitude, ça n'existe pas.

   Saleté de bestioles! Les hommes, eux, n'ont rien à se reprocher. "Les services sociaux ont fait leur travail, il n'y a pas eu de faute",  s'est empressé de préciser le maire. Sans commentaire, évidemment. D.P.

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 21:39

 C'est, mine de rien, un joli symbole: l'hiver polaire s'estompe le jour de la Saint-Valentin. On aurait dû y penser, la passion relève aussi de la météorologie. Courant chaud, coup de foudre, frisson... Attention, 14 février oblige, tous les départements sont en alerte amour. Et même, logiquement, la planète entière. Tu parles! On peut toujours rêver. En Syrie, on tue, on assassine, on massacre. En Grèce, on désespère, on enrage, on lutte. Difficile quand le coeur saigne à ce point de l'écouter battre.

   Et chez nous, on fait quoi? Eh bien, chez nous on attend. Comme des amoureux transis? Certes, on attend une déclaration, mais pas vraiment brûlante, celle-ci. Une simple déclaration de candidature. Enfin "On", c'est une façon de parler. Il y a en a quelques-uns, sinon davantage, qui s'en fichent. Rassurons-nous, ce n'est pas l'imminence de l'annonce présidentielle qui gâchera les petits-dîners en tête à tête, les envois de mots doux, les cadeaux frappés du sceau du désir. L'amour, cet "infini à la portée des caniches", selon la fameuse formule de Céline, est comme ça: il ne fait pas de politique, il se moque de la TVA sociale et n'a pas besoin de parrainages. Deux signatures lui suffisent. En théorie, parce qu'avec aucune, ça marche aussi.
     L'amour ne fait pas de politique, ai-je dit? C'est peut-être aller un peu vite en besogne. Quelques heures avant le jour J, Christine B. s'est jetée dans les bras de Nicolas S. C'était ce lundi au 20 heures de TF1 et la conquise a prononcé le mot "alliance". C'est beau, tout de même, le redoux de la mi-février...  D.P.         
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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 22:05

   Pendant que nous grelottons dans notre hiver de légende, pendant que l'Amérique se fige de chagrin à l'annonce de la mort de Whitney Houston, la Grèce s'enflamme, la Grèce brûle, la Grèce se consume. Terribles et affligeantes images, ce dimanche, que celles de ces émeutes dans une capitale où, au sein d'un Parlement transformé en forteresse mycénienne, on s'apprêtait à voter un nouveau plan de rigueur. Certes, on nous l'a assez répété, l'Assemblée, face à une dette homérique, n'avait pas le choix. Seule l'adoption d'un tel visa pour la misère était censé permettre le déblocage d'une aide de 130 millions d'euros, l'"obole"  de la dernière chance. Mais tout de même...
   Au-delà de cette horreur économique de la raison, comment ne pas comprendre la révolte d'un peuple à qui l'on fait payer aujourd'hui, jusqu'au dépeçage, des décennies de gabegie initiées par des responsables (!) qui ne pouvaient pas ignorer l'issue de leur gouvernance? Ce qui frappe aujourd'hui, dans cette terre des dieux soumise au chaos des hommes de la finance et des marchés, c'est son renoncement forcé à sa propre histoire, à sa mythologie, à cette démocratie qu'elle a jadis enfantée comme on engendre un messie.

   On nous dit: "C'est ça ou la faillite". OK, mais, bon sang, qui peut prétendre que le sacrifice collectif qui se prépare, s'il n'a pas déjà eu lieu, vaut mieux? La tragédie grecque qui se joue actuellement à guichets (de banques) fermés résonne comme une insulte aux éclairantes représentations antiques fondatrices de civilisations. Mikis Theodorakis, mêlé aux manifestants de la place Syntagma, ne s'y est pas trompé. Les gradins en ruines de l'Europe ont piteusement remplacé ceux d'Epidaure ou de Delphes. Excuse-les, Sophocle, les pauvres choreutes du XXIe siècle sont frappés de "burn out". D.P.
 
 

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 22:32

Nicolas Sarkozy, saluant un ouvrier de la centrale nucléaire de Fessenheim hier.   Bon, ça y est, nous y voici. On entre dans le vif du sujet. Pas dans le vif de l'hiver, non, ça c'est déjà fait. Mais dans le vif de la saison électorale. Quoi, Nicolas Sarkozy aurait-il donc franchi le pas? Eh bien oui. Enfin, non. C'est-à-dire presque. Comprenez: c'est tout comme. On n'a pas encore affaire à une déclaration en bloc, mais c'est ce qu'on pourrait appeler une candidature en kit. Une petite phrase par là. Un truc lâché ailleurs. Une médiatique poignée de main "républicaine"  avec l'adversaire socialiste. Peut-être un bouquin bilan à paraître. Et puis une longue interview au Figaro Magazine. Haro sur l'immigration, pan sur les chômeurs, non au mariage homosexuel, vive les référendums, bonjour les "valeurs"!
   Pas besoin de faire un dessin: le programme du président sortant sera à droite toute et anti-Hollande au pied de la lettre. Reste la question du calendrier. Car il en faut bien un tout de même. Avec une date précise d'entrée en campagne. Là aussi, ça frissonne. Ce serait, dit-on, pour le 16. Le jour où l'on fête les Julienne. C'est moins glamour que pour la Saint Valentin, mais c'est moins carnavalesque que pour le Mardi gras. Donc, va pour le 16. A moins que les choses se précipitent dès ce week-end...

   On parle aussi d'un grand meeting le 26. Le 26? C'est le début du Carême. Pas terrible pour éviter les vaches maigres des sondages. Par moments, l'hôte de l'Elysée ressemble à ces gens isolés qu'on voit ces jours-ci à la télévision. Il tapote le baromètre qui mesure la pression ambiante, il guette le thermomètre de l'opinion, il scrute l'almanach de ses conseillers, il confronte la température affichée et la température "ressentie", il tente de régler le thermostat, de prendre le temps à rebours.
    Les vieilles semences précipitamment descendues du grenier survivront-elles à l'hiver 2012? Au fond, Nicolas Sarkozy est comme nous tous. Il attend le dégel. Pas sûr, toutefois, qu'on parle tous du même. D.P.

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 21:18

    Les sex-toys sont-ils des objets pornographiques? Voilà bien un débat - de fond - apte à nous réchauffer un peu en ces temps de froid de petits canards. Tel est en tout cas le sujet autour duquel les représentants du Tribunal de Paris étaient appelés hier à se masser. En fait, tout est parti de l'indignation de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC)  - oh! my gode... - et d'un organisme qui semble avoir emprunté son nom au titre d'un feuilleton télévisé de l'après-midi, "Amour et Famille". Pour eux, pas question de voir les drôles de bidules aux formes suggestives proposés à la vente à moins de 200 mètres d'une école. Ce qui, du coup, fait tomber sous la loi le "Love shop" d'un spécialiste de la libido ludique qui tient enseigne dans le Marais, rue Saint-Merri. Au 69, exactement, ça ne s'invente pas.
   Sauf que, pour l'avocat de ce commerçant voué au plaisir salutaire, la chose n'est pas si simple. Il y a, érige-t-il en principe, "autant de définitions possibles de la pornographie que d'individus". Sans compter ques les sex-toys ne font, à ses yeux - ailleurs, on ne sait pas -, qu'illustrer une "évolution de la société". Ouf, il n'a pas dit: de civilisation. 
   On ne saura que le 29 février si les plaignants pourront jouir de leur victoire. A condition que le procès aille jusqu'au bout. Il n'est pas à exclure, en effet, que les magistrats se déclarent impuissants. En attendant, on ne peut que recommander aux candidats à la présidentielle de s'emparer à pleines mains de l'objet du litige. Lui, au moins, il sait faire vibrer les foules. D.P.
 
 
 

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Présentation

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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