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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 21:46

      "Vivement dimanche!" Jamais le titre du dernier film de François Truffaut n'aura paru autant d'actualité. Truffaut qui, soit dit en passant, est l'un des cinéastes préférés du candidat Hollande. Oui, vivement dimanche et qu'on en finisse avec l'interminable "vote"-movie  que constitue de nos jours une campagne présidentielle. Des mois et des mois de surenchères, d'empoignades, de coups fourrés, de petites phrases et de bonnes intentions. Une éternité d'instantanés médiatiques découpée en temps de paraboles. Un pêle-mêle de programmes disséminés comme des fleurs de pissenlits dans l'air d'avril. Mais enfin bon, cette fois-ci, nous y sommes. Dans la toute dernière ligne droite. Ou plutôt, à en croire les sondages, la toute dernière ligne gauche.
   Les sondages? Les voilà une nouvelle fois scrutés comme l'oracle de Delphes. Avec, d'un côté, le camp qui espère le plantage du siècle et, de l'autre, celui qui est prié de ne pas surfer trop tôt sur la sérénité de circonstance. "Il y aura une surprise!"  s'exclament ceux qui n'y croient sans doute déjà plus beaucoup. "Rien n'est joué",  répondent ceux qui sont pourtant fondamentalement persuadés du contraire. Arrogant tourbillon de la dialectique électorale. En attendant, les marathoniens du suffrage universel jettent, comme on dit, "leurs dernières forces dans la bataille". Ils vont boire à la source, ils avalent des couleuvres, ils mangent leurs convictions par la racine, ils regardent s'enfuir les rats du bateau dans la tempête. La course à l'Elysée, c'est Koh-Lanta  sur l'archipel Marianne.

   Sans oublier cette taraudante question qui plane à la veille du premier tour et qui atteindra son paroxysme le 6 mai. A quelle heure saura-t-on? Qui osera défier "la règle d'or"?  Qu'encourent les contrevenants? Vaste hypocrisie évidemment que ces cris d'orfraie dans un système qui "facebooke"  et qui "twitte"  et où les études d'opinion dévoilent les "résultats"  avant même que les citoyens ne se soient rendus aux urnes.
   Mais tout de même, espérons que l'urgence sache patienter un peu. La "soirée d'élection"  est une sorte de rite républicain qui fonde notre identité. Quelque part entre l'image d'Epinal et les "Mythologies" de Barthes. Vivement dimanche, oui, mais dimanche soir si possible! D.P.

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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 21:10

   Ecoutez-le, ce drôle de bruit que fait la France à quelques encablures du premier tour. Plus fort que la rumeur des meetings et des ultimes invectives, plus prégnant que le silencieux tourment des indécis, il y a, comme un battement d'horloge comtoise, comme la pulsion d'un coeur à vif, le choc régulier des petits séismes intimes.
   Un balancement qui peut ébranler le plus solide sanctuaire d'amis et sans doute plus encore l'univers feutré d'une famille. Ce n'est pas parce qu'on partage une vie qu'on fait opinion commune. L'urne n'est pas un lit conjugal. Loin de la chambre, il y a l'isoloir, cette alcôve républicaine où l'on guette à la sauvette les reflets de ses résolutions dans l'étroit miroir de papier d'un bulletin.

   L'exemple le plus flagrant de ces fêlures au sein d'un monde clos, sinon d'un cénacle, nous vient bien évidemment d'"Eux". Eux? Appelons-les les Ch. Le patriarche, au soir d'une vie de pouvoir, de manigances et d'"humour corrézien", s'apprêterait à voter à gauche, à l'instar d'une bonne partie du clan. L'épouse, mère et grand-mère, collectionneuse d'abnégations et caparaçonnée de pièces jaunes, restera pour sa part fidèle à la majorité.
   Emblématique distorsion idéologique dans laquelle de nombreux anonymes se reconnaîtront. Au moment où les deux principaux candidats à l'élection présidentielle se retrouvent au coude-à-coude, beaucoup de Françaises et de Français sont donnés, eux, dos à dos. Ainsi va la gestuelle de la démocratie. Ainsi s'établit, une fois de plus, l'intime chorégraphie des convictions. D.P.

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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 21:31

   Le cinéma? Ils en font un peu mais ils y vont aussi. Ou alors on les briefe quand ils n'ont pas le temps. Une petite fiche par ci, une antisèche par là. Des fois qu'un esprit fûté s'amuserait à sonder leurs goûts... Pile ce qui vient de se passer. Le site Allociné a en effet demandé aux candidats à la présidentielle de fournir leur Top 5  du septième art. Séquence séduction: dis-moi ce que tu regardes, je te dirai si je vote pour toi...

   François Bayrou aime La Fille du puisatier, Les Tontons flingueurs et Pretty woman. Bon, pourquoi pas, même si on n'aura pas manqué de noter, en passant, une petite infidélité au "produire français". La préférence nationale de Marine Le Pen, qui avoue admirer Ridley Scott et Mel Gibson, a aussi ses limites mais, ouf, elle sauve l'honneur - si l'on ose dire - avec Le Père Noël est une ordure. D'une façon générale, il apparaît de bon ton d'affirmer un certain éclectisme. Le coeur cinéphilique de Jacques Cheminade balance ainsi entre Renoir et Werner Herzog, celui de Nicolas Dupont-Aignan entre Tavernier et Woody Allen, alors que Nathalie Arthaud dit apprécier tout à la fois Thelma et Louise et Chicken run.
   On sourit en découvrant que si Eva Joy plébiscite La Liste de Schindler, Le Parrain et Le Guépard, elle retient également, pas rancunière pour un sou, le récent 38 témoins de Lucas Belvaux, film au terme duquel, on s'en souvient, elle chuta pourtant lourdement. François Hollande fan de Rohmer et Truffaut? Gageons que c'est surtout le terme "Nouvelle vague" qui avive en lui le désir de réinventer "le rêve français". Quant à Philippe Poutou, on pensait depuis son fameux clip parodique, qu'il ne faisait que regarder Questions pour un champion à la télé. Hé bien non, il est, sans surprise, accro aux Temps modernes de Chaplin.
    Le palmarès le plus décoiffant, c'est évidemment celui de Nicolas Sarkozy. En cinq ans de pouvoir, ses aspirations l'ont conduit de Gérard Oury à Dreyer, Rossellini et Kubrick. Des maîtres que l'ami de Christian Clavier visionne sans doute entre deux livres de Roland "Barthès". On connaissait l'inclination du président sortant à l'"ouverture" mais à ce point-là... Sans compter qu'une question nous taraude. A supposé que le mot "fin" ne s'inscrive pas pour lui le 6 mai, qui va-t-il découvrir au cours de son second mandat? Bon, c'est vrai, il y a encore le Coréen Im Kwon Taek, l'iranienne Maryam Keshavarz ou le malgache Solo Ignace Randrasana.
   Et Mélenchon, direz-vous? Il n'a, paraît-il, pas eu le temps de répondre au questionnaire. Dommage. On l'aurait bien vu prôner les vertus rouges d'Einsenstein. A moins que Godard soit son favori. Entre Jean-Luc, on devrait se comprendre... D.P. 
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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 20:39

       Il reste donc une toute petite semaine avant de savoir de quel côté tournera véritablement le vent. Le vent? On oublie un peu trop son rôle dans cette "dernière ligne droite". Il suffisait pour s'en persuader de zapper, ce dimanche, des images de Vincennes à celles de la Concorde. Ici un François Hollande, mèche rebelle, sono sifflante, voix grésillante. Là, un Nicolas Sarkozy pas le moins du monde soumis aux caprices d'Eole. Tous deux pourtant, dans la mouvance des grands meetings d'agoras initiée par Jean-Luc Mélenchon, s'exprimaient en extérieur face à la foule, à seulement quelques kilomètres de distance.

   Alors quoi? C'est bien simple. Le candidat socialiste parlait à découvert alors que le sortant avait surmonté sa tribune d'un petit chapiteau. Un choix probablement pas aussi innocent qu'il y paraît. Alors que le chantre du "peuple de France"  invoquant Péguy et Hugo prônait très terre-à-terre les valeurs de la "civilisation", son rival, "prêt"  pour gouverner, s'amusait à plusieurs reprises à guetter le ciel. "Le soleil brille mais il ne chauffe pas encore", a-t-il d'abord noté. Avant de constater: "Ca se réchauffe. Même en haut on nous écoute...".
   Qu'on se rassure: on n'esquissera pas, à partir de là, les préceptes de quelque météorologie politique bon marché. Mais on n'empêchera pas le symbole. A un président "protecteur"  sous abri s'opposait un "guetteur d'atmosphère" , visage au vent, réitérant sa volonté d'être en phase avec "le souffle de la jeunesse". Façon pour lui, on l'aura compris, de s'inscrire dans l'air du temps. Sinon de clamer tout haut, lorgnant vers le tribun du Front de gauche: une campagne électorale, il faut que ça décoiffe!  D.P.  
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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 21:51

  Ce devait être l'événement de ce jeudi "saint". Un truc pour redonner du peps à la campagne avant que chacun s'en aille battre celle du long week-end pascal. On allait voir ce qu'on allait voir, entendre ce que l'on allait entendre. Il était dit qu'en présentant son programme en détail, Nicolas Sarkozy allait sortir du grand chapeau républicain des lapins censés ne pas être en chocolat. Or, la seule mesure que nous ne connaissions pas encore fut la promesse du versement des pensions de retraite le 1er de chaque mois et non plus le 8. Un peu court tout de même pour la dégustation.

   Quant à la conférence de presse qui suivit, elle ne s'apparentait pas elle non plus, à première vue, à une mauvaise idée. Insuffler un brin de gaullisme dans la méthode n'a jamais fait de mal au candidat de droite. Pourtant là encore, quel flop!  Ce ne fut pas l'analyse d'un projet, ce fut le pilonnage en règle de l'adversaire - et de son "festival de dépenses nouvelles" - à coups de pointes d'ironie plus ou moins efficaces. Non, la vedette du jour ne fut pas Nicolas Pâlichon mais une fois de plus Jean-Luc Mélenchon plus lyrique et plus percutant que jamais lors de son troisième grand meeting de "plein air"  place du Capitole à Toulouse.

   Reste "La lettre aux Français"  que le candidat sortant nous a promise. Là encore, on a connu des précédents efficaces. Souvenons-nous de Mitterrand en 1988... Il y a toutefois peu de chance qu'on s'arrache dans l'immédiat ce document, pour autant qu'on l'ait reçu. Il y a les oeufs à chercher. Et puis cette volée de cloches annoncée n'est guère propice à la concentration. D.P.     

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1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 23:15

  P8311050.JPGCertes cet "événement" ne risquait pas de peser bien lourd en ce week-end printanier. Nos yeux étaient tournés vers la Birmanie. Nos oreilles bruissaient des dernières petites phrases de la campagne électorale française. Il ne fut question que "d'ardoise magique", de "Georges Marchais des temps modernes", de chasse à l'abstention, de "vote utile"...  Sans surprise "l'affaire"  a donc eu lieu en ce 1er avril sans faire plus de bruit qu'un poisson asphyxié qui ouvre la bouche.
   De quoi s'agit-il? Oh! de trois fois rien. Tout simplement de la TVA sur le livre qui est passée de 5,5 à 7%. Une décision que nous sommes pourtant quelques-uns - et même plus que ça - à ne pas comprendre. Le bénéfice sera minime pour l'Etat. La pénalisation sera profonde pour tous les acteurs d'un secteur déjà bien mal en point. Alors quoi? Le livre ne serait-il donc qu'un produit taxable et corvéable à merci comme les autres?

   C'est oublier que ce support vieux comme le monde ne sert à rien d'autre qu'à rendre plus intelligent. A croire que c'est pour ça qu'on lui on veut. Sombre perspective. Les libraires s'arrachent les yeux sur leurs étiquettes, les fervents de mots et de phrases s'inquiètent d'avoir à restreindre leurs achats, la Princesse de Clèves larmoie et Julien Gracq est ténébreux.
   Ah, si seulement cette hausse de la TVA pouvait disparaître de nos ardoises prochaines... Comme par magie! D.P.
 

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 21:35

   C'est quoi cette épidémie d'excuses, ce déferlement de repentance? C'est fou comme, par les temps qui courent, chacun y va de son petit regret, la main sur le coeur et l'oeil sur la courbe des sondages. Nicolas Sarkozy, l'homme "qui a changé"  et qui sera "un président différent", fut le premier à donner le ton. La soirée du Fouquet's le soir de son élection?: "Si c'était à refaire, je ne referais pas".

   Depuis, dans une drôle d'acte de contriction collectif, tout le monde joue, dirait-on, à battre sa coulpe. Noël Mamère qui s'était interrogé tout haut sur la nécessité du maintien de la candidate verte? "C'était un moment de découragement, j'aurais pu m'en dispenser", a-t-il déploré en scellant, mercredi dans le bassin d'Arcachon, sa réconciliation avec Eva Joly. Cette dernière est-elle pour autant satisfaite d'elle-même? Nullement et c'est à un touchant mea culpa auquel elle s'est adonnée de son côté: "Lorsque je vois dans les sondages que le pouvoir d'achat est la première préoccupation et l'écologie la dernière, je me dis que j'ai été très mauvaise et que je n'ai pas réussi à faire me comprendre".
    Cette subite propension au remords a même atteint de façon fulgurante François Fillon hier matin. A peine avait-il déclaré sur France Inter qu'on pouvait "s'étonner sur les raisons qui conduisent"  à placer en détention l'ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, qu'il faisait déjà volte-face: "Je retire ma phrase".
   Jusqu'à Bernadette Chirac. En s'adressant la semaine dernière à la presse avant le début de la séance du conseil général de Corrèze, elle avait estimé que François Hollande était "un homme très courtois, parfaitement courtois", mais qu'il n'avait pas "le gabarit d'un président de la République". Que n'avait-elle pas déclaré là? Demi-tour droite (plus modérée) de l'ex-première dame de France: "Oublions cela. Est-ce qu'il ne vous est pas arrivé une fois dans la vie de dire un mot qui soit un petit peu trop fort par rapport à ce que vous pensiez?".
   Mais si, évidemment, il est arrivé à tout le monde de proférer des bêtises et de tenter de rectifier le tir. Et c'est bien cela que visent nos femmes et nos hommes politiques accusés d'être loin du peuple. Vous voyez, moi aussi je suis vulnérable, je suis comme vous, semblent-ils ainsi nous répéter. Sans compter que - vieille ficelle - contredire ce que l'on a asséné revient à le reformuler, fût-ce d'une autre manière.
   Et si jamais, demain, il s'avérait que ce que ce principe de l'autoflagellation ne portait pas ses fruits, leurs adeptes n'aurait plus qu'à... Plus qu'à quoi, au juste? Plus qu'à s'excuser, pardi! Une fois de plus. Vive la stratégie du "oups!"  D.P.
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27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 21:38

   On se souvient de la mort "en direct"  de Mohamed Merah. Un bouquet de rafales "restitué"  en plan fixe à la télévision. Or, voici qu'au bruit suggestif s'ajoutent désormais les images fantômes. Le tueur de Montauban et de Toulouse, piteux cinéaste de son propre délire, avait, on le sait, tenu à filmer ses gestes fous et leurs abjectes conséquences. Inqualifiable façon pour le forcené, caméra à la ceinture, de se regarder dans le miroir dévasté de son inhumanité. Mais où étaient-ils passés ces témoignages de l'horreur? Ils se terraient tout simplement dans la plus anodine des clés USB. On ignore qui a adressé l'objet lundi aux bureaux parisiens d'Al-Jazira, mais ce qu'on retient c'est que la chaîne qatarie a refusé d'en diffuser le contenu.

   C'est bien le moins. Prêter lumière à la pire des parts d'ombre de l'individu n'aurait fait, loin d'informer, qu'ajouter de l'insoutenable à l'odieux. Et on se félicite d'une identique détermination de l'ensemble des patrons de l'audiovisuel. Avec une crainte, tout de même, en ce siècle de toutes les porosités et de toutes les pirateries. Comment ne pas redouter de voir surgir, ici ou là, sur la toile ou ailleurs, le funeste "produit"  de celui dont le père a aujourd'hui le culot de demander des comptes à la France après sa disparition?
   Le mieux serait, d'ailleurs, qu'on se taise au plus vite, tant il est vrai que le seul fait de savoir qu'un tel film a été réalisé participe déjà, à sa manière, du traumatisme collectif. N'oublions pas, en effet, qu'il y a des images "invisibles" qui n'en sont pas moins dévastatrices, ne serait-ce que pas leur potentiel d'épouvante. D.P.
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26 mars 2012 1 26 /03 /mars /2012 21:07

   Les campagnes électorales, c'est un peu comme l'éternité vue par Woody Allen. C'est long, surtout vers la fin. Tous les "acteurs"  sont à la merci d'une maladresse, d'un lapsus, d'une gaffe. Y compris les plus aguerris. Tiens, prenons, au hasard ou presque, Nicolas Sarkozy. Un pur stakhanoviste des meetings, une vraie bête d'antennes. N'empêche qu'en réécoutant ses propos ce lundi matin au micro de France Info, le président-candidat doit songer qu'il aurait peut-être mieux fait de tourner sa langue. Ce qu'il a bafouillé? Magnéto, Serge, comme disait l'autre. "Les amalgames n'ont aucun sens, je rappelle que deux de nos soldats étaient... comment dire... musulmans, en tout cas d'apparence, puisque l'un était catholique, mais d'apparence".
   On l'aura compris, l'invité s'exprimait au sujet des militaires pris pour cibles par Mohamed Merah. Et si l'on a bien perçu ce que le chef de l'Etat voulait signifier, il n'en reste pas moins que cette notion de "musulmans d'apparence"  sonne sinon de façon carrément raciste, du moins de manière indélicate. Mais le plus extraordinaire, c'est que l'opposition qui, en d'autre temps, n'aurait pas manqué  de "faire monter la sauce", s'est à peine indignée. A croire que sous l'énergie guerrière déployée tous azimuts, la réactivité commence à donner de sérieux signes de lassitude. A moins que chacun soit désormais persuadé qu'il vaut mieux ne pas trop exacerber une polémique susceptible d'atteindre le lendemain, par quelque insidieux effet boomerang, celui-là même qui l'a lancée.
   Cette espèce de soudaine mollesse, doublée d'une vague résignation, porte un nom: fatigue. C'est que les partants pour l'Elysée sont comme nos chers petits. Non seulement ils bossent toute la journée, mais ils ramènent également des devoirs à la maison. Ils méritent eux aussi une trêve. Le burn-out  les guette. En tout cas, en apparence... D.P.

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 23:32

   Ressassant temps fort d'une actualité ô combien dramatique et dramatisée, on aura "vu"  et "revu"  dix fois, vingt fois, ce jeudi, la scène de l'assaut contre Mohamed Merah, le fanatique forcené de Toulouse. Et, très paradoxalement, l'image que l'on retiendra, c'est... une absence d'image. Ce qui nous aura été donné en direct, toute programmation cessante sur nos écrans, ce fut une sorte de tableau minimaliste médiatique. A l'arrière-plan, un immeuble, celui du quartier de la Côte pavée où s'était retranché le tueur. Devant, des policiers en faction, impassibles. Des voitures, des fourgons. Presque rien d'autre, sinon, tout à coup, un enchaînement de tirs.

   Une fusillade. Puis deux, puis trois. Peut-être cinq ou six, à peine ponctuées par un bref silence. Quatre minutes tout au plus. Ensuite quoi? Ensuite, Claude Guéant qui s'avance, visage grave, verbe lent, pour expliquer ce qui vient de se passer. Une sorte de voix off  décalée. Tout comme celle de Nicolas Sarkozy, ferme et solennelle ("Mes chers compatriotes..."), une heure et demie plus tard.
   Etions-nous dans la plus poignante réalité ou dans un film genre Après-midi de chien  de Sidney Lumet? Ce qui est certain, c'est que ce qui a été le mieux "montré", ce fut la déflagration. A un riverain, promu témoin, on demanda tout à trac: "Qu'est-ce que vous avez vu, vous?"  Et le jeune homme de répondre: "On voyait des coups de feu". Oui, de façon assez inhabituelle, la télévision a littéralement filmé le bruit. Roulement de Kalachnikov, alarme suprême, détonation d'un monde qui s'affole, onde de choc qui se propage dans les consciences aussi bien que dans la campagne électorale.
   Les carnages de Montauban et Toulouse auraient-ils pu être évités? Y a-t-il eu une défaillance quelque part dans la surveillance des réseaux islamistes terroristes? Les questions, elles aussi, nous ont atteints, au plus intense de ces épisodes en rafales, comme jaillies de l'arme automatique de la rage et du soulagement, du chagrin et de l'incompréhension. D.P.      
 
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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