Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 novembre 2011 2 15 /11 /novembre /2011 22:13

    Il faut croire que la France, depuis qu'elle est inscrite dans sa crèche européenne où sévit une épidémie de fièvre des marchés, est devenue une sorte d'enfant patraque menacé de rachitisme. On surveille sa croissance comme le lait (premier âge) sur le feu. Un taux de 0,5% prévu pour 2012? Pas terrible, certes, mais ça devrait aller. Parole du bon docteur Baroin qui, désormais, ne se sépare plus de son tensiomètre à dettes et de son stéthoscope tourné vers 2012. Ouvrez la bouche et faites "AAA"!  Parfait, il en reste trois, ouf! Alors va pour la croissance...
   Reste la carence, l'autre mamelle du moment. On croyait ce mot-là relégué au temps des disettes guerrières. Le voici pourtant qui revient mais cette fois-ci en tant que remède. C'est le monde à l'envers. Il y aura donc un quatrième jour pour les salariés du privé et, ce qui est sans précédent, une première journée pour les fonctionnaires. On l'aura compris, c'est pour le bien du patient. Mais avouez qu'un malade qu'on soigne avec des carences ne risque pas de se remettre d'aplomb de sitôt. Surtout à la veille d'un hiver qu'on annonce de toute rigueur, avant un printemps prometteur, forcément prometteur.

   Alertez les bébés, comme, jadis, disait l'autre. Mais gaffe au babil des classes dangereuses, la patience du doux peuple gavé de crise, et sur qui pèse chaque jour une nouvelle suspicion, pourrait bien se mettre à tousser grave! D.P.
 
 

Partager cet article
Repost0
10 novembre 2011 4 10 /11 /novembre /2011 22:02

   D'habitude, le 11 novembre, c'est le 11-Novembre. Un jour avec juste une majuscule en plus, comme un habit de cérémonie. Souvenir au présent. Béance du temps. Drapeaux en berne. Evocation du sacrifice des aînés. Voix émouvante des derniers poilus jusqu'à ce que seule l'Histoire prenne le relais. Mais cette année, le 11-Novembre résonne un peu différemment. Bien sûr qu'on est là, recueillis, à songer à nos aïeux déchiquetés à vingt ans par la folle boucherie d'un conflit dantesque. Mais, soyons francs, nous sommes aussi ailleurs.

   La Crise, qui nous a enrôlés de force, est bien également, à sa manière, une guerre. Certes, il y aurait de l'indécence à la comparer à l'autre, la Grande, la tragique. Mais elle accapare les pensées, avec ses échos de bataille et son roulement de tambour, si près de nous, là où le canon du pragmatisme est braqué sur la panique de nos dirigeants, sur notre vieille Europe pourtant si jeune pour mourir dans les tranchées de la dette. Oui, on est là, à attendre que l'arrogance d'un capitalisme fourvoyé range ses armes, que les experts de mauvais augure signent l'armistice.
   Inutile d'ajouter qu'il reste peu de place décente, en ces temps troublés, à accorder aux brandisseurs d'épouvantail du 11-11-11 (11 novembre 2011). A 11 h 11, à peu près à l'heure où fut promulguée la fin des hostilités après le paraphe dans le wagon de Rethondes, ils guetteront la fin de leur monde de fantasmes et de sornettes. Laissons les galéjer sur leur planète ésotérique. Et rêvons du seul numérologue qui vaille: celui qui pourrait nous sauver de la grande armée en marche des chiffres ennemis. D.P.       

Partager cet article
Repost0
9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 23:28


   Pas facile d'être vétérans à l'Assemblée nationale par les temps qui courent. L'autre jour, on les sollicitait pour qu'ils réduisent leurs salaires. Et voilà maintenant qu'on les houspille pour qu'ils... rajeunissent. C'est Arnaud Montebourg, le trublion du PS, qui a lancé ce mercredi son plan anti-gérontocratie pour son propre camp. "Est-il acceptable que des députés socialistes ayant accompli parfois leur septième ou huitième mandat, élus depuis 1978 ou 1981, atteignant l’âge respectable de 68, 69, 70, 71, 72 ou 73 ans, déclarent vouloir se représenter dans une période où le monde ne vit plus sur les mêmes règles qu’il y a ne serait-ce que dix ans?".

   Inutile de préciser que sa proposition de fixer un cap limite à 67 ans pour être investi aux législatives n'a pas fait l'unanimité. On ne s'attaque pas sans risques, sur le paquebot France, à l'âge des capitaines. Le député de Saône-et-Loire devrait se souvenir qu'un certain Lionel Jospin paya cher le fait d'avoir, jadis, taxé Chirac de "vieux et usé". Nos moeurs politiques ont sans doute besoin d'un bon lifting mais, tant pis pour le troisième homme de la primaire, le "Palais barbon" a probablement encore de beaux - et longs - jours devant lui. D.P.
 

Partager cet article
Repost0
8 novembre 2011 2 08 /11 /novembre /2011 22:47

2005 YU55 <em>SIPA</em>      Vous n'avez rien ressenti, vous, cette nuit? Un souffle chaud, un tremblement, une secousse... Peut-être avez-vous été réveillés en sursaut. Si c'est le cas, rassurez vous, ça n'était qu'un fragment du système solaire en goguette qui frôlait la Terre. Un sacré machin, tout de même. Large comme un porte-avions et haut comme l'Empire State Bulding. Son poids? Cinquante millions de tonnes. Le plus maousse du genre depuis des lustres.
   Non, vous n'avez rien perçu? Il n'est pourtant vraiment pas passé loin, le "2005 Yu 55" (c'est son nom). A un cheveu de nous. 324 000 kilomètres, exactement! On en frémit encore rétroactivement en mesurant le miracle d'être restés intacts. Mais tout le monde n'a pas eu cette chance.
Il y en a un qui s'est pris les débris en pleine figure. Un certain Silvio Berlusconi. Ca s'est passé quelques heures plus tôt au Parlement italien. Le "Cavaliere" y a laissé sa majorité et son poste. Saleté de météorite bunga bunga!
   En fait, la France aussi a vécu une déflagration. Dans l'après-midi également. Mais ce n'était pas un effet du "Yu truc chose". C'est, déjouant toute prévision de la Nasa, l'astéroïde François Baroin qui, en accusant le PS d'avoir pris le pouvoir "par effraction"  en 1997, s'écrasait dans les travées de l'Assemblée. Certains ont bien cru que le ciel leur tombait sur la tête. Fait rassissime, le Président, de son observatoire, a dû lever la séance. Moi, je vous dis que si ça continue comme ça, c'est toute notre planète démocratique qui va voler en morceaux. D.P.

Partager cet article
Repost0
7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 21:15

   Evidemment, énoncées comme ça, toutes ces mesures, ça paraît un peu dur. Mais faut pas croire, c'est pour notre bien. La réforme des retraites anticipée, la TVA alourdie, les impôts sur les bénéfices et les revenus augmentés... On aurait presque tendance à se dire qu'une fois de plus on va banquer pour sauver le pays d'une faillite dont on n'est pas vraiment certains d'être la cause. Pauvres ingrats que nous sommes: nous n'avons rien compris. Ce n'est, au contraire, que bénef pour nous.

   François Fillon l'a redit ce lundi. La rigueur du gouvernement, on ne doit pas lui en tenir rigueur. D'ailleurs, "La France n'a plus le choix". Alors évidemment, dans ces conditions... Bon, c'est vrai, les bienfaits, dont on n'ose plus douter un seul instant, ne se manifesteront pas immédiatement, mais, promis juré, ça va être en faveur des "générations à venir". Parfait, c'est donc juste une question de patience. Et puis, franchement, de quoi nous plaindrions-nous? Les ministres et même le chef de l'Etat verront leurs salaires gelés. Certes, ils ont une petite marge d'avance par rapport à ceux des pékins moyens, mais bravo, tout de même, de donner l'exemple.
   Ouf, maintenant on en est sûrs. On nous serre chaque jour un peu plus les boulons mais c'est pour remettre la mécanique en route. Que demande le peuple? Ce n'est plus une politique de crise qu'on lui propose, c'est une sitcom. A quand le prochain épisode de "Plus belle la vis"!  D.P.  
Partager cet article
Repost0
6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 23:19

   C'est tout de même frappant cette manière qu'a notre gouvernement de "recevoir"  la crise. On   dirait qu'il force sur le respect, qu'il la traite comme une visiteuse de marque. Quelqu'un dont on se passerait, évidemment, mais devant lequel il convient néanmoins de se montrer à la hauteur. On sort les grands mots comme une vaisselle finement ciselée. A "rigueur", on préfère "plan d'équilibre des finances publiques". On remonte les grandes dates de la cave de l'histoire. Rien vu de tel "depuis 1945", carrément. On chamboule le calendrier. Vite, un conseil des ministres en ouverture de semaine! On extrapole en cuisine. Et si on mijotait une "journée de solidarité"? Et puis non, optons plutôt pour un plat de résistance épicé à la TVA.

   Attention, il n'est pas question ici de nier l'existence abyssale des déficits, mais on peut néanmoins s'interroger sur la façon dont on ne cesse de théâtraliser les scénarios d'urgence. Un peu comme s'il s'agissait d'intensifier au maximum la situation présente pour que l'avenir paraisse moins pire que ce qu'il aurait pu être. Tout cela sur le ton paternaliste du "Ce sera dur, les p'tits gars mais vous verrez, plus tard vous nous remercierez!". Plupart quand? Eh bien par exemple, pile poil au moment des élections.
   Bref, il y a, sous des airs de panique permanente, comme une espèce d'élan faussement jubilatoire qui rappelle vaguement le détonnant "Vive la crise!" de Montand en 1984. C'est peut-être, après tout, la manière officielle de célébrer le vingtième anniversaire de la mort du chanteur des Feuilles mortes. D.P.   
Partager cet article
Repost0
3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 21:49

   Au terme de huit mois de diète médiatique, Nicolas Sarkozy, ulcéré par le retentissement de la primaire socialiste, a décidé de mettre les bouchées doubles. A peine un peu plus d'une semaine après son grand retour sur le petit écran, acquis clé en main face à Jean-Pierre Pernaud et Yves Calvi, voilà qu'il récidive dès ce vendredi. Et pas n'importe comment. Ou, plutôt, pas avec n'importe qui. C'est auprès de son homologue américain himself  que le président français apparaîtra lors d'une interview croisée diffusée pendant les journaux télévisés du soir.
   Sarkozy et Obama au "G 20 heures" de TF1 et France 2? L'exercice, parfaitement inédit, "en jette". Les deux chefs d'Etat ne parleront probablement pas de leurs filles, comme ils l'ont fait, auparavant, en aparté, à Cannes. Seules la crise et l'économie mondiale seront au programme et il y a peu de risques que les amis bilatéraux, aussi prestigieux soient-ils, règlent le problème en un quart d'heure.

   Qu'importe, ce qui compte pour le futur candidat sortant à l'Elysée, c'est moins le fond que la forme. Un peu comme si celui qui s'est récemment fait taxer de"petit télégraphiste d'Angela Merkel"  entendait bien clouer le bec à ses détracteurs en sortant de son jeu de cartes international, non plus la dame de pique, mais l'atout de coeur.
   Et les téléspectateurs dans tout ça? Sûr qu'ils ne perdront pas une miette de ce numéro de duettistes aux inévitacles accents de plan com' en vue du printemps 2012. Mais on n'empêchera pas certains de penser que si s'afficher avec l'Allemagne et l'Amérique c'est bien, il y a aussi quelques dossiers franco-français à boucler par ici, fût-ce moins spectaculairement. D.P.  

Partager cet article
Repost0
3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 10:12

 ... CONTRE TOUTES LES INTOLERANCES.

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 21:25

   Le cours du temps est ainsi fait qu'il n'est pas à un paradoxe près. Ainsi donc, à la veille de la Toussaint et à deux jours de la Fête des défunts, il nous faut, ce lundi, célébrer la Fête des vivants avec un gros chiffre rond qui vient bousculer nos égotismes stendhaliens. En ce 31 octobre 2011, date choisie par l'ONU, nous serons en effet sept milliards de Terriens. Difficile d'imaginer ce que ça représente vraiment mais enfin bon, on n'aura pas de peine à admettre que, tout de même, ça en fait du monde. Au juste, comment fait-on pour parvenir au total de sept milliards pile? Allez savoir! Est-ce qu'on a bien ajouté la petite Giulia, est-ce qu'on a ôté Jean Amadou et Robert Lamoureux? Et que fait-on de Brassens puisqu'on n'a cessé de dire, ces jours-ci, que, trente ans après sa disparition, il était plus vivant que jamais?
   Bah, ne chipotons pas. A une ou deux unités près, convenons que sept milliards, c'est vertigineux. Surtout lorsqu'on songe que c'est sept milliards de bouches à nourrir dans un univers en crise, sept milliards d'identités à affirmer sur une planète en proie tout à la fois à une pénurie de travail pour les jeunes et au casse-tête de la dépendance des aînés, sept milliards de solitudes rivées à l'illusoire glace sans tain des réseaux sociaux.

   Sept milliards de coeurs qui battent. Sept milliards de bonheurs à réinventer. Sept milliards de "gens de peu" ou de princes, d'indignés ou de taiseux, d'opprimés ou d'"impétrants". Sept milliards de "Legos" en attente de règle du jeu, en quête de ressources énergétiques et environnementales, de rééquilibrage, de justice.
   Sept milliards de femmes, d'hommes et d'enfants qui rient, qui souffrent, qui se désespèrent, qui s'affrontent, qui parfois s'unissent, qui souvent rêvent. Sept milliards de "nous autres" qui, plus que jamais au moment de la grande addition universelle, ne savent plus sur qui et sur quoi compter. D.P.   
Partager cet article
Repost0
27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 21:07

   Sous prétexte de parler de la dette, via un retour en détail sur la longue nuit de Bruxelles de la veille, Nicolas Sarkozy est, en fait, entré jeudi soir, lors de son grand come-back médiatique savamment orchestré, en campagne pour son second mandat. Sous un costume de sérieux prof d'économie, il portait à la vérité un très arrogant habit de représentant d'une politique politicienne n'ayant de cesse de pourfendre, non seulement ses prédécesseurs socialistes (la retraite à soixante ans, la nationalisation des banques ou les 35 heures, interminable antienne de cette soirée sur TF1 et France 2), mais aussi son rival, favorable - oh! l'inconscient - à la création de 60 000 postes d'enseignants.

   Combattant plus que pédagogue, habile plus que convaincant, crispé souvent, crispant parfois, l'"humble" co-sauveur de la planète ("le monde entier, sinon, sombrait dans la catastrophe", rien de moins) a passé l'essentiel de son temps de parole - pas décompté - à pourfendre les autres pour tenter de redorer son blason malmené par l'opinion publique et les sondages, en martelant les concepts de "responsabilité" de "devoir", de "travail"  et de "famille".
   La famille? L'Europe, bien sûr, mais pas seulement. Le nouveau père, sinon de la Nation, du moins d'un bébé pas passé inaperçu, est parvenu à glisser, mine de rien et alors qu'on avait cru comprendre qu'il s'était promis l'inverse, une allusion à sa vie privée ("La naissance de notre enfant"). Il n'en fallait pas plus pour que Jean-Pierre Pernaud saisisse l'occasion: "Comment vont-elles?" Ouf, Giulia et Carla vont bien, nous voilà rassurés. Heureusement, les questions d'Yves Calvi, d'une autre pertinence, n'ont jamais perdu de vue l'objet du débat. Y compris la dernière, malicieusement tricotée à l'endroit et à l'envers: "Serez-vous candidat?"  Faut-il ajouter que la non-réponse de l'"invité"  fut à la mesure de l'ensemble de son intervention: de l'ordre de l'accusation tous azimuts, de l'autosatisfaction et de la prétérition? D.P.      

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
  • Contact

Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

Recherche