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18 janvier 2012 3 18 /01 /janvier /2012 21:59

   Evidemment, à première vue, on devrait se réjouir d'un vaste plan de lutte contre le chômage, fléau numéro 1 de notre société. Sauf que celui-ci, à l'évidence, arrive trop tard. Trop tard ou trop tôt? Les deux, mon capitaine. Trop tard parce que ce quinquennat s'achève et qu'on ne peut pas, comme par magie, faire de miracle en 90 jours. Trop tôt parce que, jusqu'à preuve du contraire, le second n'a pas commencé. Or, c'est précisément cette ambiguïté de calendrier, ce funambulisme politique, cette façon d'ôter du temps au temps, qui ont sapé d'emblée la crédibilité des propositions énoncées par Nicolas Sarkozy, ce mercredi à l'Elysée, lors de son sommet dit "de crise".

   Jonglant avec des projets à court terme flirtant avec la précipitation et des "décisions lourdes" repoussées à un plus tard très proche, le chef de l'Etat, mêlant rattrapage et anticipation, a tenté de noyer le discordant annoncé dans un présent voulu consensuel. Mais nul n'est dupe. L'homme qui s'est dit inscrit dans le temps de l'emploi aura surtout dévoilé son emploi du temps. Prochaine échéance: l'annonce officielle d'une entrée en campagne... effective depuis déjà plusieurs semaines. Enfin, lors de ces quatre heures de grand-messe sociale, le candidat sortant a également promis des "mesures extrêmement puissantes pour doper l'offre de logement". Lui, apparemment, n'est pas concerné. Il n'a pas l'intention, on l'a bien compris, de déménager. D.P.  
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17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 22:04

   Ouf! Il y a tout de même une chose que nous savons faire. Des bébés! L'Insee, qui est un peu à la démographie nationale, ce qu'est l'agence Standard & Poor's côté finances, est formel. Pas de dégradation cette année. Nous conservons largement nos trois "Areu". Forte d'une population en hausse de 349 000 unités par rapport à 2011, la France enregistre le deuxième taux de fécondité en Europe, après l'Irlande. Avec 2,01 enfant par femme, nous sommes à peine au-dessous du "résultat"  de 2010 (2,03), ce qui suffit, en tout cas pour l'instant - l'avenir s'annonce plus sombre -, à atteindre le "seuil de renouvellement des générations". On verra là un beau défi à la crise et la preuve qu'une croissance en panne n'empêche pas les mouflets de pousser.
   Mais dans quelle société, au juste, vivront tous ces mômes qui auront vingt ans en l'an 2032? Ah! ça, nul ne le sait. Peut-être constituent-ils déjà une armée latente d'"indignés". N'empêche, ce "babil des classes dangereuses", selon la belle formule détournée de Valère Novarina, ne peut que réjouir Nicolas Sarkozy. Pour une fois qu'un indicateur positif s'allume à moins de trois mois de la présidentielle... D'autant plus qu'il est directement concerné. La petite Giulia, qu'il ne doit pas beaucoup avoir le temps de câliner, est là pour le lui rappeler en gazouillant. Au moins un domaine dans lequel le bon peuple ne lui reprochera pas de ne pas avoir mouillé sa chemise. Pardon, c'est une façon de parler.

   Bref, un peu de baby-baume au coeur ne se refuse pas. Surtout au moment où s'ouvre à l'Elysée un crucial sommet pour l'emploi au cours duquel les syndicats, qui ne se bercent pas d'illusions, ont bien l'intention d'en remettre une couche. D.P. 

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16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 21:44

   Monsieur le président, je vous fais une lettre... La lettre, en ce début d'année, on l'aura compris, c'est le "A". Mais Nicolas Sarkozy n'aime pas trop qu'on le cherche du côté de cette trop mouvante première voyelle de l'alphabet. Ce lundi, à Madrid, il s'en est pris à un journaliste qui l'interrogeait sur la dégradation de notre pays par Standard & Poor's. "Vous n'avez peut-être pas eu les dernières informations ? Donc pouvez-vous me poser une autre question avec les dernières informations ?"  Et, un peu plus tard, au même intervenant: "Je ne comprends pas cette question. S'il y a quelqu'un qui veut me poser une question que je comprenne, j'y répondrai bien volontiers, je ne comprends pas votre question...".

   Décryptage: le chef de l'Etat reprochait au confrère de Reuters de ne pas mentionner une décision plus récente. Moody's, l'autre grande agence de notation, venait en effet d'annoncer qu'elle maintenait, elle, le triple A tricolore. Sauf que, parallèlement, le Fonds européen de stabilité financière était à son tour sanctionné. Sans doute aurait-il fallu, également, le spécifier pour bien rendre compte du vaste imbroglio évaluatif du moment. Une chose est sûre, cependant: lorsque Nicolas Sarkozy clame que "sur le fond des choses (...) cela ne change rien", on ne peut pas vraiment le croire. La preuve: il ne se montrerait pas, sinon, aussi chatouilleux sur le sujet.
   Il est plus que probable, en revanche, que la valse-hésitation du "A" électrise la campagne de façon inversement proportionnelle à l'intérêt qu'y portent non seulement les marchés, mais aussi les Français. Gageons que, par les temps inflationnistes qui courent, ils sont prêts à faire le vide de polémiques contre un seul plein de leur voiture. D.P.    
 
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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 22:23

Les deux pandas géants prêtés par la Chine pour dix ans au zoo français de Beauval, Yuan Zi ("rondouillard" en chinois) et Huan Huan ("joyeuse"), ont été accueillis comme des vedettes dimanche à l'aéroport parisien de Roissy-Charles-de-Gaulle.   Vous connaissez Rondouillard et Joyeuse? Rassurez-vous, ce ne sont pas les surnoms de deux de nos candidat(e)s à la présidence de la République. D'ailleurs, on ne voit pas très bien qui ces sobriquets de nains pourraient désigner. Non, Rondouillard et Joyeuse - traduction de leurs blases originaux: Yuan Zi et Huan Huan - sont des pandas mâle et femelle et franchement si vous y avez échappé, c'est que vous avez dû passer le week-end dans un champ de pousses de bambous.
   Malgré une actualité très chargée, autant dans le domaine du fait divers - dramatique -, que dans celui du débat politique - dramatisé -, le ménage de mammifères, arrivé par avion spécial de la République populaire, a sacrément fait le buzz. Accueillis à Charles-de-Gaulle comme tout sauf des pékins moyens, ils ont été transférés en cortège, presque officiel, au zoo de Beauval, dans le Loir-et-Cher, où ils doivent rester dix ans avant de regagner leurs pénates asiatiques.

   Bien sûr, on peut ricaner de cette diplomatie du mammifère à l'oeil au beurre noir. Et grogner sur le prix d'un tel transfert. Mais reconnaissons qu'il y a quelque chose d'apaisant dans cette belle image matrimoniale et voyageuse, à même de nous faire oublier un instant les chinoiseries permanentes du couple Sarko-Hollande, ou Bayrou lorgnant vers l'empire du Milieu.

   Merci aux deux ursidés pour leur leçon d'insouciance pas bête du tout. D'autant plus que dans "panda", il n'y a que deux "A"  et que ni l'un ni l'autre n'a eu l'air de trouver ça dégradant. D.P.     

 
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14 janvier 2012 6 14 /01 /janvier /2012 22:15

    On allumant la télé, on a d'abord cru que c'était fait exprès. Ce paquebot, à demi-couché dans l'eau ne pouvait être qu'un symbole. Et ces gens hébétés, aux paupières lourdes de rescapés, une manière de nous représenter. Sauf que non, rien de tel. Il y avait bien deux graves informations disctinctes qui se disputaient la une en ce samedi 14 janvier, mais avouez que si l'actualité avait un faible pour la métaphore, elle ne s'y serait pas prise autrement. Car enfin quoi, qu'est-ce qui illustre mieux la France au lendemain de sa dégradation par l'agence Standard & Poor's que l'image d'un bateau à la dérive comme un "A" renversé? Il n'y a pas si longtemps encore, nous aussi nous nous imaginions en croisière. Mer calme. Fond(s) inatteignable(s). Ambiance de fête à bord. Jusqu'à ce que, tout à coup, les récifs de la dette surgissent, les lumières s'éteignent, le bâtiment tangue, la coque craque, l'écume de la rigueur cogne aux hublots, les passagers s'affrontent. Sans oublier cette question qu'ont dû se poser également les 4300 personnes prisonnières du "Costa Concordia"  échoué au large de la Toscane: y a-t-il un capitaine aux manettes et va-t-il nous sauver? D.P. 

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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 22:44

    Faut-il parler de "drôle de campagne" comme, jadis, on parlait de "drôle de guerre"? Le bruissement quotidien du monde politique ne cesse, en tout cas, d'offrir des similitudes avec une ambiance d'un autre temps. Fiévreuse attente. Brèves escarmouches. Regards en chiens de faïence. La "Blietzkrieg" des débats se prépare, on n'en doute pas, avec leurs coups de gueule et leurs chocs frontaux. Mais en attendant, ce à quoi nous assistons, c'est à une succession d'attaques en catimini, d'affrontements chuchotés, quelque chose qui ressemble à ces apartés théâtraux dont Molière aimait ponctuer ses comédies.
    Chuchotés? A chaque fois les médias doivent, en effet, recourir à des sous-titres pour rendre perceptibles ces interpellations murmurées dans lesquelles il est de bon ton de percevoir des inflexions déterminantes. Ce jeudi, par exemple, cela se passait à Lille. Une télévision a filmé un furtif dialogue entre Martine Aubry, maire de la ville, et Nicolas Sarkozy venu présenter ses voeux aux fonctionnaires. La première lance l'apostrophe à mi-voix: "Si on pouvait remonter le niveau de ce débat, la République et la France y gagneraient". Réplique du second: "Faites le partager à François Hollande quand il parle de moi". Et tic et toc! On mesurera à l'envi la puissance d'un tel tête-à-tête digne des cours de récréations d'école primaire, sur le ton du "C'est celui qui dit qui est".

   Cela dit, soyons honnêtes, parfois on y apprend tout de même quelque chose. En l'occurrence, que le chef de l'Etat se démarque du président de l'Assemblée lorsqu'il assimile les conséquences d'une éventuelle arrivée de François Hollande à l'Elysée à un conflit généralisé. Ouf, c'est déjà ça! Mais avouez qu'il est temps qu'on arrête avec les petits échanges entre ennemie(e)s. Vivement qu'on entre dans le vif du sujet, vivement que la pièce commence, vivement qu'on "monte le son"! Vivement qu'on en finisse, en ces temps de guerre annoncée, n'est-ce pas M. Accoyer?, avec la "drôle de campagne"! D.P.
 

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11 janvier 2012 3 11 /01 /janvier /2012 23:18

  

   Souvenons-nous, c'était il y a deux ans pile. C'est quoi, deux ans? Rien, un souffle, une pirouette cosmogonique, un nuage de poussières sidérales. Mais c'est aussi une éternité, celle dans laquelle furent précipités en un seul instant des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui vaquaient simplement, ce jour-là, à leurs occupations quotidiennes. Deux ans en ce 12 janvier. Il était 16h53 à Port-au-Prince lorsque la vie s'arrêta.
   La terre qui bascule ("Tout bouge autour de moi", selon l'expression de Denis Laferrière). L'abîme qui s'ouvre. Les maisons et les édifices qui s'écroulent comme si un enfant capricieux shootait dans son jeu de construction. Les corps gisant sous les gravats. Des survivants ne sachant même plus si ce mot-là convient à leur sort. Et nous autres ici, abasourdis devant les images à la télévision. Nous autres qui sortions d'un "épisode neigeux" qualifié un peu partout d'"Apocalypse blanche", génératrice d'"enfer sur les routes". Nous autres, la main sur le coeur, jurant qu'on ne nous y reprendrait plus avec ce catastrophisme lexical qui est notre plus fidèle apanage.

   Belle leçon qui dura ce qu'elle devait durer. C'est-à-dire trois fois rien. Après quoi nous replongeâmes sans scrupule aucun dans le délire verbal. Comment ne pas songer à cette démesure qui nous caractérise si bien en écoutant ce mercredi un homme politique éminent - il occupe les fonctions de président de l'Assemblée nationale - comparer les incidences d'une hypothétique victoire de la gauche en mai prochain à une... guerre. Si, si, on a bien entendu: à une guerre. Une guerre comme celle qui a fauché des millions de nos aînés. Une guerre comme celle qui vient de tuer, en Syrie, notre confrère de France 2 Gilles Jacquier.

   Assimiler une éventuelle décision démocratique à une conflit mondial? Pourquoi pas, alors, au séisme en Haïti. La comparaison de Bernard Accoyer aurait au moins, dans ce cas, le mérite (!) d'être (piteusement) d'actualité. D.P.
 
 
 
 
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10 janvier 2012 2 10 /01 /janvier /2012 18:49

 Moyen, moyenne... C'est autour de ces improbables repères que, fatalement, notre curseur existentiel tente de se stabiliser. Ca commence à l'école avec la note 10, seuil au-dessous duquel il n'y a guère de salut et au-delà de quoi on a vite fait de sortir du rang. Jadis, cela se poursuivait sur la route où il fallait "tenir sa moyenne". C'était avant le premier choc pétrolier et l'empire des radars, autant dire sous l'Antiquité.

  Aujourd'hui, la moyenne, on le répète assez, c'est celle des classes, vague catégorie sociale oscillant, l'oeil sur ce "quotient familial" qui fait jaser ces jours-ci, entre le "rien ne va plus vraiment" et le "ça pourrait sans doute être pire". Une entité floue vers laquelle ne lorgnent pas toujours assez, en période préélectorale, les partis du bon sens - forcément du "bon sens" -, qui se disent pourtant attentifs aux indicateurs ponctuels.

  Hier, par exemple, il en est "tombé" un qui n'a pas manqué de susciter le débat. L'association de consommateurs "Familles rurales" appelle cela le "panier moyen". Tiens, nous revoilà au mot-clé! Notons au passage la belle connotation campagnarde du terme "panier". Rien qu'à le prononcer, flottent des senteurs de verger et des atmosphères de lieux-dits ou de hameaux. Et donc, qu'est-ce qu'il fait le "panier moyen"? Eh bien, il s'envole. On entend par là son prix, évidemment. Estimé à 125 euros il y a six ans, cet ensemble de produits types de première nécessité coûte en ce début d'année cruciale 135, 1 euros.

  Que les candidats à la présidentielle ne cherchent pas ailleurs: il est là le secret de leur victoire, ou de leur échec. Pas dans les discours vains sur la crise, l'Europe, la taxe Tobin et tutti quanti. Pas dans la théâtralisation jusqu'à outrance d'un triple A en sursis. Pas dans les atermoiements de circonstances ou les volte-face plus ou moins orchestrées, ni même, à l'occasion, dans l'attention portée aux dribbles médiatiques d'un ancien footballeur. Mais oui, pour gagner, il faut suivre les courbes du panier. Sinon pas moyen. D.P.   

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 22:33

      Il y a cette question-là, en cette fin de semaine, au coeur de l'actualité politique? A qui appartient Jeanne d'Arc? A Nicolas Sarkozy ou à Marine Le Pen qu'il grille d'un jour sur le bûcher de son expéditive guerre de cent jours?Question vaine, bien sûr. La bergère de Domrémy appartient aux livres d'histoire, les vrais, ceux qui n'existent que lorsqu'on les ouvre, au présent de l'éducatif, dans ces sanctuaires générationnels que sont - que doivent être - les salles de classe.

   L'école? Voilà bien l'autre question du moment. Avec son pendant: à qui appartient Jules Ferry? Ah, il a dû se retourner dans sa tombe le Vosgien - comme Jeanne - aux célèbres rouflaquettes en entendant le chef de l'Etat préconiser ce jeudi un aménagement sans concessions de son modèle républicain. Et pendant que le candidat pas déclaré prônait une très libérale "redéfinition du métier d'enseignant" depuis Chasseneuil-du-Poitou, fief raffarinesque du Futuroscope et de René Monory, François Hollande s'exprimait sur le même thème, à Caen, le "pays" de l'université libre de Michel Onfray. Un tout autre ton, évidemment. Des priorités fort différentes. Bref, une vraie dualité. Deux façons de regarder la jeunesse et de concevoir l'avenir.

   Qui l'emportera? Monsieur "Flexibilité" ou Monsieur "60000 postes"? Oui, qui? Nicolas-Jeanne d'Arc ou François-Jules Ferry? D.P.

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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 21:14

   François Hollande durant sa conférence à Pessac, le 4 janvier 2012.   C'est drôle tout de même, quand on y pense. Au moment où Nicolas Sarkozy s'apprête à aller célébrer Jeanne d'Arc à Domrémy, l'UMP entend des voix. Soyons honnêtes: pas des, mais une. Celle de François Hollande qui n'est tout de même pas un puceau en politique. De quoi s'agit-il, exactement? Le candidat de gauche aurait émaillé d'un pas très délicat "Sale mec!"  des propos, rapportés par Le Parisien, dans lesquels il évoquait le président sortant. Le dérapage lexical se serait produit au cours d'une conversation "off"  lors d'un déjeuner de presse à Paris.
   "Sale mec", vraiment? Le problème, c'est que la formule dont, au demeurant, plusieurs journalistes présents ne se souviennent pas, n'aurait pas été employée sur un ton agressif mais, par un biais indirect, dans un contexte parodique. On aura compris qu'il vaut mieux en pareil cas ne pas aller trop vite en (sale) besogne même si on peut comprendre à quel point le faux pas supposé du favori des sondages constituerait un beau - façon de parler - contrepoids à un certain "Cass' toi pauv' con!"  de triste légende.

   Une chose est sûre, en tout cas, en cette sale campagne qui commence, la majorité ne pourra plus dire que François Hollande est inaudible. Voilà peut-être même qu'elle se met à l'entendre lorsqu'il ne dit rien. D.P.

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Présentation

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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