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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 21:07

   On ne sait pas si le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, mais le cosmos c'est sûr. Il sera, en effet, entre 5h50 et 6h55 lorsqu'en ce mercredi de juin s'offrira aux matinaux un spectacle céleste exceptionnel. Qu'on en juge: la planète Vénus, de la taille de la Terre, va tranquillement passer devant le soleil. Evidemment, résumé comme ça, ça n'est pas très sexy. Mais les spécialistes sont formels: des phénomènes pareils, ça ne court pas la voie lactée. Le prochain est prévu pour 2117. N'oublions pas d'entrer la date sur nos BlackBerry quoiqu'en dépit de l'allongement programmé de la vie, on ne sera sans doute plus très aptes alors à lever la tête vers les galaxies. Ou alors on sera là-haut, au premier rang pour ne pas en perdre une miette, allez savoir.
   Mais que découvrira-t-on, au juste, cette fois-ci? Eh bien on verra "l'étoile du Berger" - c'est ainsi qu'on l'appelle depuis l'Antiquité -, pas plus grosse qu'un grain de beauté, posée à la manière d'une araignée sur l'astre censé nous réchauffer.Je dis "censé"  parce que, par ces temps d'anticyclone en rade, c'est carrément l'inverse. Il est d'ailleurs fort probable que, rapport à la lumière maigrichonne, on n'aperçoive pas grand'chose de la fameuse conjonction sidérale.

   Avouez qu'on aurait pourtant bien aimé sortir un peu de nos trop terre à terre préoccupations sociales et politiques. Las! A quelques jours du premier tour des législatives, il y a peu de chance que Vénus nous détourne de l'institut... de sondages. D.P.
 
 
 

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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 20:44

   Comme pour mieux communier avec nos voisins d'outre-Eurostar, on avait tous arboré, en ce dimanche de juin, la couleur british de circonstance. Brume, crachin, pluie... Je ne sais plus quel écrivain - Paul Morand peut-être - a dit: "Ce qu'il y a de grisant à Londres, c'est le gris". Pas étonnant dans ce cas si la grandiloquente fête dominicale en l'honneur de la Reine fut aussi "jubilatoire"  malgré son ciel d'octobre. Et pas seulement vue des rives de la Tamise. En France aussi, on a applaudi au spectacle. Il faut dire que, météo oblige, on n'avait tout de même pas grand'chose d'autre à faire.

   Ce qui nous a plu dans ce gigantisme en l'honneur d'une vieille dame très digne et d'une monarchie parlementaire pour le moins exotique à nos yeux, c'est, outre son faste, sa puissance à fédérer une union sacrée nationale dont on n'a pas la moindre idée dans notre République "normale". Nous avons assisté aux soixante ans de règne d'Elizabeth II comme on aurait tourné les pages glacées d'un magazine de "fabulous stories". Plein de vues et usages du monde. Chapeau la parade nautique! Wonderful le feu d'artifice diurne tiré depuis London Bridge! A moins de deux mois du coup d'envoi des Jeux olympiques, la plus souveraine des championnes a déjà remporté la médaille d'or. Et une performance comme ça, à la fois inscrite dans l'histoire et dans un instant hors du temps, ça n'a pas de prix.

   Pas de prix? Shoking, of course! Quand on fait le compte de tout ce tralala frappé du sceau de l'Union Jack - y compris les quatre jours fériés prévus -, ça coûte quand même, paraît-il, quelque 300 millions de livres (371 millions d'euros). Où ailleurs qu'au pays de Shakespeare, de David Hockney, des Clashs et du fish and ships oserait-on adresser pareil pied-de-nez à la crise et à la rigueur? Ne cherchez pas, il n'y a qu'eux pour cela. Messieurs les Anglais, dépensez les premiers! Sa Majesté le mérite, elle qui est unique en son genre. S'il n'en reste Queen... D.P.

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31 mai 2012 4 31 /05 /mai /2012 21:59

  

   Elle est née, comme ça, d'une simple idée de prendre un verre un soir de presque été sur un trottoir du 17e arrondissement de Paris. Non pas à la terrasse d'un bistro, mais en bas de chez soi, en bas de chez eux, en bas de chez vous. En bas de chez lui, d'abord.

   Lui? Atanase Périfan, drôle de nom et coeur gros comme ça. C'était en 2000. Le bug nous avait épargnés et nous venions tous de réchapper de la fin du monde. Le président de la Fédération européenne des Solidarités de proximité venait de lancer une initiative qui allait bien vite dépasser toutes ses espérances. Trente pays sont aujourd'hui concernés. Des milliers de partenaires seraient impliqués. Et le chiffre des participants "avoisinerait"  les dix millions de personnes.
   Mais c'est quoi exactement la Fête des voisins? C'est une invitation à la rencontre, à l'échange, au partage. C'est une Fête de la musique qui ne fait pas de bruit. Ou si peu. Ce sont des noms sur des boîtes au lettres qui prennent soudain des visages. C'est Facebook en chair en os dans la cour de l'immeuble. Entre "followers" grandeur nature, on prend un pot, on avale des chips, on fait un peu mieux connaissance, on parle, on se regarde dans le miroir de l'autre.
   Alors bien sûr, dira-t-on, il y a sans doute un brin d'hypocrisie dans cet "Aimons-nous Folleville!"  de circonstance. On ne tord pas le cou à l'indifférence et à la solitude par la magie programmée d'une date "officialisée"  sur le calendrier pré-éstival. Certes, mais que cela ne nous empêche pas - la gauche revenue de surcroît -, de rêver d'un "Mieux vivre ensemble" durable et, au-delà des frontières, d'un vrai "European neighbours' day". Nos voisins, ce sont aussi les Grecs, les Espagnols, les Portugais... Le respect pourrait devenir alors un de ces mots fétiches que l'on se glisse, que l'on se transmet. Bref, que l'on passe à son voisin. D.P.      
 
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29 mai 2012 2 29 /05 /mai /2012 21:34

   On a vu leurs visages abattus aux journaux télévisés. Leurs yeux las, leurs mines défaites. C'est qu'ils avaient vécu une interminable nuit les quelque 10000 passagers des trains en rade de la Pentecôte, débarquant enfin à Paris à l'heure de plus rien. Une femme, un enfant dans les bras, jurait que c'était pour elle la dernière fois: "Je ne prendrai plus jamais le TGV!" Un homme, plus philosophe, tentait de chasser d'un haussement d'épaules sa déconvenue: "On n'y peut rien, c'est comme ça". Il était alors question, comme toujours, de "galère", de "cauchemar", de "lundi noir"...
   Mais il fallait tout de même dire un mot de la cause de tous ces retards pour lesquels la SNCF avait dû déployer son "plan Pégase". Un incident technique d'une part. Et nul n'ignore l'effet papillon qui se propage à partir d'une caténaire défaillante. Mais aussi, surtout, une multiplication d'"accidents de personnes", cynique euphémisme censé se substituer au terme "suicide". Du jamais vu, paraît-il, en "pareille période" (sic). En trois jours, ce sont pas moins de douze personnes qui ont ainsi voulu en finir en affrontant la bête inhumaine des Gabin des temps modernes.

   On tremble en lisant ce chiffre. On a peut-être plus encore les yeux qui se mouillent qu'en écoutant les doléances de la cohorte blafarde des "naufragés du rail". Douze personnes parties à leur manière en week-end prolongé. Douze solitudes broyées à 250km/h. Douze désespoirs précipités du haut des ponts du mois de mai. Oh, certes, douze, ce n'est pas beaucoup par rapport aux 10000 "otages" qui, de surcroît, ont raté le dernier métro. Sans compter qu'ils ne seront probablement pas tous dédommagés... "Les suicides ne sont pas considérés comme des motifs de remboursement". On n'a pas rêvé. Cette considération a bien été formulée par un responsable interrogé par les médias. Vertigineux commentaire express. Terrible petite phrase qui tue. Un peu plus encore. D.P.   

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 23:38

    Après un long week-end de trois jours - voire plus avec les "remises de peines" -, reprenons nos esprits. Que s'est-il donc passé au cours de cet entre-temps "férié-pas trop travaillé"?  Il y a eu du soleil, de la grêle, des encombrements sur la route du retour... Oui, mais pas seulement là. Il paraît également que ça a bouchonné terrible sur la page Facebook de Christine Lagarde. Au moins 10 000 messages à la queue leu leu. En cause, ses propos pour le moins directs sur les Grecs qui, à ses yeux, ont "moins besoin d'aide que les enfants du Niger".  Et d'ailleurs, parole de patronne du FMI en colère s'exprimant dans The Guardian, qu'ils payent d'abord leurs impôts, ces tricheurs ronchons hellènes!
   Payer ses impôts? Mais évidemment, qui pourrait ne pas préconiser une telle résolution... Sauf que l'imprécatrice de Washington n'est, semble-t-il, pas la mieux "chaussée"  pour jouer les redresseuses de tort. Ses fonctions suprêmes lui permettent, en effet - très légalement, reconnaissons-le -, de voir tous ses revenus exonérés de taxe (1), et cela malgré un salaire annuel de... 380 939 euros! On comprendra aisément l'indignation d'un peuple qui aimerait bien qu'on évite en haut lieu d'aussi expéditifs amalgames.
   Bourde ou saillie délibérée, peu importe! La Reine (?) Christine aurait tout intérêt à se souvenir que son nom est aussi, quelque part, synonyme de prévenance. D.P.
 
 
  (1) Une situation définie par les articles 34 et 38 de la convention de Vienne de 1961 affirmant que "l'agent diplomatique est exempt de tous impôts et taxes, personnels ou réels nationaux, régionaux ou communaux".

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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 20:31

   Après avoir conquis la France, il a conquis "l'Oncle Sam". Façon de parler, bien sûr, mais reconnaissons que, du G8 au Sommet de l'Otan, Hollande "l'Américain"  a réussi le sans faute au cours de son premier rendez-vous diplomatique. Comme quoi, Obama n'avait pas tort: "Les cheeseburgers se marient bien avec les frites". Plaisanterie mise à part, ce n'était pas gagné pour le nouvel élu "inexpérimenté"  que quelques-uns attendaient fatalement au tournant de l'alternance. Cela dit, le risque était relatif, quoiqu'une maladresse soit parfois vite arrivée. Après tout, le président français était entre gens bien élevés, ce qui lui a très habilement permis de projeter le thème de la croissance au niveau international. Restait ensuite pour lui à argumenter le retrait anticipé de nos troupes en Afghanistan. Eh bien, même sur ce terrain-là, les choses ne se sont pas trop mal passées.
   Soyons honnêtes, sous ses allures impressionnantes, cette petite échappée outre-Atlantique n'était qu'une manière de prologue. Les véritables pierres d'achoppement se profilent. A Berlin, mercredi, le successeur de Nicolas Sarkozy devra revenir sur sa tentative de renégociation du traité européen. Et, on le sait, Angela est moins vouée à la fantaisie que Barack. Plus que de savoir s'il y aura lieu ou non de porter une cravate, il conviendra alors d'exceller dans l'art de trancher les noeuds gordiens.  Ce qui, on en conviendra, est une autre manière de recréer du lien. D.P.    

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 21:25

      Sacrée soirée!, comme disait l'autre. Il était 19h26, peut-être 27, lorsque en pleine retransmission de l'ouverture du 65e Festival de Cannes, le nouveau gouvernement était dévoilé. De quoi rendre tous les médias schizophrènes! Nous autres téléspectateurs, nous nous sommes alors livrés à un vertigineux chassé-croisé. Tapis rose d'un côté, tapis rouge de l'autre. Christine Taubira aura-t-elle une palme? Non, pardon, c'est déjà fait. Bérénice Béjo, c'est quoi déjà, son poste? Et Nanni Moretti, il est ministre de quoi? Zut à la fin tout se brouille. Le palmarès de Jean-Marc Ayrault a été détaillé dès hier soir. Un peu en avance sur celui de la Croisette. Avec, d'un côté comme de l'autre, la figure de proue érigée en grande absente. Marylin ici, Martine là. Bah! Les dieux de le la politique et du cinéma y retrouveront les leurs. Allez, demain, commenceront les vraies projections. Moteur! D.P.

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15 mai 2012 2 15 /05 /mai /2012 20:32

   Si la rock star, ce fut lui, la vraie vedette, ce fut elle. Elle? Mais la pluie, pardi. Celle qui s'est invitée dès la "remontée"  des Champs-Elysées, frappant de plein fouet le buste du nouveau président jailli du toit ouvrant de la DS 5. Celle qui mouilla la chemise et embua les lunettes du transi qui rêva peut-être un instant, qui sait, de sécher ses vêtements à la flamme ravivée du soldat inconnu. Une pluie de mai, fougueuse, mal domptée. Une pluie favorable à la sève future des cerises. Une pluie qui faisait semblant de se souvenir d'un certain soir de liesse à la Bastille, plus sûrement que d'un concert de légende, jadis à Woodstock. D'ailleurs, personne n'a clamé "No rain, no rain!"  en ce jour d'intronisation arrosée du successseur de Nicolas Sarkozy.

   Entre deux brèves embellies d'une atmosphère à moteur hybride, elle aussi, l'averse rappliquait. Larmes de joie, eau de baptême, flotte nationale, qu'importe. Plutôt que d'inciter à s'abriter, elle poussait au grand bain. De foule, bien entendu. A quatre ou cinq reprises au moins, le thuriféraire de Jules Ferry a serré des mains trempées, claqué des bises humides, distribué des sourires mouillés. Autant de scènes au cours desquelles l'émule de Mitterrand rappelait ce qu'il doit également à Chirac, ex-météorologue en chef des basses pressions corréziennes et roublard sondeur de sources du plateau de Millevaches.
   Un peu plus tard, à la station Curie, l'ondée se mua carrément en grésil jeté au visage de l'illustre visiteur comme un riz de jour d'épousailles. Mais ce n'était rien par rapport à ce qui attendait le passager du soir pour Berlin. Après un décollage sous des trombes, son Falcon, foudroyé, a dû faire demi-tour.  Décidément, le ciel n'aura pas lâché un instant le septième Président de la cinquième République qui, pour rester dans la tonalité hygrométrique, a choisi un Premier ministre venu de Nantes, la belle cité océanique des embruns et des pluies "gracquiennes".
  François Hollande avait annoncé une cérémonie sobre. Il a tenu parole. Elle n'a "tourné"  qu'à l'eau. D.P.
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14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 20:23

   On ne rate pas une cérémonie de passation de pouvoirs. Ou alors il faut une bonne raison. Etre au boulot, avoir une overdose de la politique du moment, être allergique au petit écran... Mais bon, en principe, disons si on est "normal", on est devant le poste. Ces moments un brin cérémonieux sont chargés de solennité, de symboles, d'anecdotes. En général, on en engrange pour tout le quinquennat à venir, voire les suivants. Le "Au revoir!"  de Giscard n'est-il pas devenu une composante du générique des Enfants de la télé?  Il est vrai que là, on était dans un cas limite de théâtralisation. Nicolas Sarkozy a averti: avec lui, pas de pleurnicherie ridicule devant une chaise vide, pas d'hymne national résonnant dans la vacance sidérale d'un trône encore chaud. Et de son côté, avant de désigner son héros de Premier ministre, François Hollande, la main à gauche sur le coeur, a juré que seule la sobriété prévaudrait.
   Raison de plus, tiens!, pour qu'on n'en perde pas une miette. La remontée des Champs-Elysées en DS5 décapotable - Ah! si Barthes revenait, il écrirait une "Mythologie"  de plus sur cette voiture-là - , après tout ça vaut bien la longue marche de 1981, la rose au poing vers le Panthéon. Le changement, c'est hic et nunc. Le salut à Jules Ferry aux Tuileries? Un beau signal à l'adresse de l'éducation et de la jeunesse. L'hommage à Marie Curie, à l'Institut qui porte son nom? Plus qu'une simple illustration de la parité, à l'évidence.

   Et puis, bien sûr, il y aura, en fin d'après-midi, le rendez-vous de Berlin. Ca pourrait presque être le synopsis d'un film de Wim Wenders. Le chancelier et la présidente. Pardon, c'est l'inverse: la chancelière et le président. Une première dame allemande fragilisée par ses derniers déboires électoraux dans les Länder. Un nouveau chef de file tricolore fort de sa récente victoire. Pas question qu'on manque cette entrevue. On tentera d'y évaluer l'avenir de l'Europe, l'avenir de la France, mais peut-être plus encore nos propres petits avenirs individuels. Ca vaut le coup, non, qu'on retienne cette belle fable du 15 mai 2012 qui pourrait s'intituler "Jules, Marie et Angela". D.P. 
   

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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 20:48

   C'était il y a un an pile. Cela se passait à New York, dans la chambre 2806 du Sofitel de Manhattan. Comme dans la page la plus glauque d'un roman de Philip Roth. Avec d'un côté, un homme, symbole du pouvoir et de la puissance internationale, Dominique Strauss-Kahn. Et de l'autre, une femme de ménage noire, Nafissatou Diallo. La suite - c'est le cas de le dire -, on la connaît. Elle éclata dès l'aube du lendemain, le dimanche 15 mai, à la face de millions de téléspectateurs abasourdis. L'arrestation du "fuyard"  à l'aéroport Kennedy. Sa garde à vue dans un commissariat de Harlem. Le spectre hagard, pas rasé, menotté, exhibé sous une nuée de flashes et de caméras. La sinistre prison de Rickers Island...
   On n'a pas oublié ces incroyables scènes. Ni les questions qui se posaient alors. Piège, machination, complot? A tel point qu'on oublia parfois - et même souvent - le sort de la victime. Avant de se ressaisir. Mais le mal était fait. S'il n'y "avait pas mort d'homme", ce n'était pas pour autant un "simple" (!) "troussage de soubrette" - ah! que de paroles imbéciles n'a-t-on pas entendues! Le patron du FMI, accusé d'agression sexuelle, encourait 74 années de prison! Le monde était sidéré. Et le PS français sous le choc à moins de douze mois d'une présidentielle pour laquelle celui qui n'était pas encore officiellement candidat était déjà donné gagnant. La gauche, une fois de plus avait perdu, c'était couru. On sait depuis une semaine ce qu'il en est advenu.

   Malgré l'"affaire DSK"?  Non, grâce à l'"affaire DSK", si l'on ose dire!  Eh oui, imaginons un seul instant qu'il ne se soit rien passé ce 14 mai à Manhattan. Le "favori des sondages"  aurait été carbonisé quelques mois plus tard par les inévitables révélations sur son comportement, sinon plus précisément par le scandale du Carlton de Lille, ouvrant un vaste lit - est-ce bien le mot qui convient? - à la droite. En s'affirmant représentant d'une "normalité"  tant attendue, François Hollande a eu l'habileté et le talent d'effacer - sur le plan politique, ne parlons pas du reste -  cette sale "tache"  rothienne qu'on pensait indélébile. D.P.    

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Présentation

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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