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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 22:05

     Donc, c'est dans un mois. Un mois pile. Une poignée de semaines, un petit tas de jours, presque rien. C'est en tout cas ce que l'on croyait il y a encore si peu. L'ultime fragment de calendrier de l'interminable compte à rebours du premier tour de la présidentielle allait s'engager et tout ça ne serait plus que l'affaire d'un souffle. Et puis non. Voilà, subitement, que ce qui nous sépare du rendez-vous aux urnes nous paraît, sinon plus long que jamais, du moins régi par un nouvel ordonnancement.

   Le temps n'est plus le même selon qu'il est perçu à travers nos empressements ou nos meurtrissures. Les tragédies de Montaubau et de Toulouse ne nous ont pas seulement horrifiés, elles ont bousculé la nature et les priorités de nos petits échéanciers. Elles sont venues nous rappeler qu'il suffit d'un instant de folie humaine pour que tout se pétrifie. Pour que, soudain, l'unique aspiration collective qui semblait de mise se fracasse contre un autre enchaînement des faits. Celui des actes terroristes. Celui de la traque consécutive. Celui de l'angoissante journée d'assaut que nous avons suivie ces mercredi et jeudi en direct. Celui d'un pays en suspens le temps du recueillement et de l'hommage de la Nation.
   Une simple parenthèse, objectera-t-on. Sans doute. Reste que si nul ne peut prédire les conséquences de ces tueries sur l'ultime phase de la campagne électorale, il serait vain de croire qu'en en modifiant ainsi le rythme, fût-ce de façon fulgurante, elles n'ont pas, d'une manière ou d'une autre, touché à sa substance même.
   22 mars-22 avril: le mois qui commence ne devait être qu'une dernière ligne droite. Le voici plus sûrement voué à épouser les insondables arêtes d'une ligne brisée. D.P.   
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13 mars 2012 2 13 /03 /mars /2012 21:34

   Ah! le "croisement des courbes"... Il y a quelque chose de l'ordre, non seulement de la tectonique des plaques, mais sans doute aussi de la gravitation universelle dans cette expression. A écouter ce mardi matin les commentateurs politiques s'exprimer depuis leur observatoire, on se serait cru dans un planétarium. Tout à coup la campagne n'était donc plus aussi terre-à-terre. Ainsi donc elle décollait comme à Baïkonour. Et nous avons pu suivre, en direct ou presque, l'instant où le sillage de la planète bleue passait au-dessus du vecteur rose. Juste quelques poussières d'étoile d'écart (28,5 contre 27%), mais tout de même...

   De façon sans précédente, la perspective galactique du premier tour de la présidentielle s'inversait. Clignotements sur les tableaux de bord de la sonde spatiale de l'Ifop. Sourire à la station UMP, crispation au pôle PS. Sauf qu'en fin de journée, se profilait un tout autre plan sur la comète, signé cette fois-ci TNS-Sofres, avec des indicateurs pour le moins différents: 30% pour Hollande et 26 pour Sarkozy qui, de surcroît, perdait deux points depuis février.
   Alors qui croire? A laquelle de ces cartes du ciel électoral se fier? Aux deux, assurément. Aux deux qui nous rappellent, chacune à sa manière, que, quel que soit le sérieux avec lequel il est réalisé, un sondage - cette projection téléscopique de l'instant - relève souvent davantage de l'astrologie que de l'astronomie.
   Atmosphère, atmosphère, à moins de quarante jours du rendez-vous aux urnes! D.P.   
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12 mars 2012 1 12 /03 /mars /2012 22:38

   "Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin". C'est à une sorte d'hommage à l'esprit de leur grand voisin de Ferney que les Suisses se sont livrés ce dimanche lors de leur votation sur une éventuelle extension du temps de vacances. Comme un clin d'oeil à l'auteur de Candide, ils ont, en effet, refusé à 67% un voeu syndical favorable au passage de quatre à six semaines de congés payés. Une proposition alléchante, sans doute, mais trop irresponsable aux yeux des citoyens de la Confédération qui, justifiant leur décision, pointent le mauvais exemple français pas si éloigné selon eux de la Grèce.

   Evidemment, vue de ce côté-ci du Jura, une telle (ab)négation fait sourire. Chez nous, c'est vrai, ce qu'on aime en Voltaire, c'est lorsqu'on croit comprendre qu'il nous incite à cultiver notre jardin les jours de RTT. Mais comparaison n'est pas raison. Entre Berne et Paris, les divergences économico-sociales sont plus larges qu'un lac alpin. Loin de notre fantomatique "Travailler plus pour gagner plus", les Hélvètes ont su depuis longtemps imposer un slogan bien à eux qui fait toute la différence: "Travailler plus pour gagner suisse". D.P.
 
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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 22:43

    Et vous, dites, pendant ce temps, vous faisiez quoi, ce dimanche? Vous étiez partis cueillir les premières jonquilles dans le sous-bois près de rivière, en attendant de pouvoir suivre le rugby... C'est super les petites fleurs quand le printemps pointe ses rayons. Ou alors vous vous étiez mis en route, direction la Nationale 7 de Trénet pour dire non au nucléaire en ce triste anniversaire de la tragédie de Fukushima... C'est beau une chaîne contestaire face au plateau ardéchois où repose Jean Ferrat depuis deux ans pile.
   Mais que dites-vous? Que vous n'avez rien fait de cela... Que vous êtes restés tranquilles à la maison, devant la télé allumée sur une chaîne d'infos... Alors vous avez suivi l'intervention du Président. Enfin, du candidat. Ou du "protecteur", appelez-le comme bon vous semble. Impressionnantes cette foule et cette scénographie à Villepinte, n'est-ce pas? Par moments, on se serait cru dans un péplum. Et puis Depardieu au premier rang, un vrai empereur romain! Manquaient que les frères Bogdanov. Energique discours "de relance". Chaudes envolées européennes. Pan sur Schengen! Haro sur les "corps intermédiaires" et sur la gauche!  Et nouvel "Aidez-moi!"  final pour théâtraliser le tout.

    Donc, vous étiez là, devant l'écran, et je crois savoir que, parfois, le sourire vous venait. Oh, pas à cause de ce que vous entendiez, mais en vous remémorant la petite histoire que la radio venait de raconter. Ça s'est passé jeudi après-midi. Une policière en faction devant l'Elysée s'est fait canarder à coups de billes et de tomates. Le coupable n'était pas loin. Et pas bien méchant. C'était Louis Sarkozy qui jouait dans la cour du Palais. Le gamin qui avait fait marrer tout le monde en encourageant son père au Bourget en 2004 a grandi. Mais à 15 ans, il aime encore les facéties, genre "Guerre des boutons". Rien de vraiment grave, en l'occurrence. Le père a fait des excuses et la "victime", qui a gagné le droit d'être mutée où elle veut - étrange transaction, soit dit entre parenthèses! -,  n'a pas porté plainte.

   Pour un peu, on s'attendrirait... Si seulement les adultes gardaient la spontanéité canaille de leur descendance... Ça changerait un peu du énième "tournant"  de la campagne. Imaginons un instant Nicolas Sarkozy pointant sa barbacane sur Hollande, avec son fiston ricanant en embuscade: "Bonne chance mon papa!"  D.P.
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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 10:38

   V de l'A 002 Tiens, une petite devinette en ces jours de presque printemps. Qu'est-ce qui peut paraître soudain plus important que les tragiques événements de Syrie, plus accaparant que l'accélération de la campagne électorale, plus captivant que la dernière péripétie de l'affaire DSK? On vous le donne en mille, c'est la météo. Prenons-en pour preuve l'"épisode hivernal"  dont vient d'être "frappée" notre fichue planète qui, lorsqu'elle ne grelotte pas, se réchauffe.
   Nul n'a pu échapper, en effet, à l'emballement médiatique du "pic" de février. Deux semaines durant, les journaux télévisés des chaînes nationales ont régulièrement consacré plus de deux tiers de leurs sommaires à ce "coup de blizzard sur la France". Sur fond de carte grignotée par l'inéluctable avancée des départements en"alerte orange", on a soudain feint de redécouvrir des SDF sur lesquels on aura honteusement tiré la couverture au premier soleil réapparu. On s'est attardé sur les gosses emmitouflés batifolant sous haute surveillance en l'absence de ramassage scolaire. On s'est reconnu à travers leurs parents râleurs. On s'est apitoyé sur ceux qui travaillent en plein air. On a rallié le camp des avisés anticipant les futures factures d'énergie. On a salué les médecins de campagne qui jouent les saint-bernard. On a tremblé à l'annonce de cette étrange notion nouvelle que sont les "températures ressenties". Tout cela sans manquer une miette de l'incontournable reportage à Mouthe, petite Sibérie du haut Doubs où l'on se moque comme d'une guigne de ce rituel frissonnement... parisien. Comme s'il n'était pas suffisant d'affronter chez soi, col de canadienne relevé et moral dans les chaussettes (de laine), les problèmes de canalisation et le niveau de fioul en chute libre.
   Certes, la récente offensive du froid était exceptionnelle et il y eut hélas quelques conséquences dramatiques, mais l'intensité n'est pas l'argument suprême. Un thermomètre en baisse, quelques flocons qui poudroient, une pellicule de verglas et c'est toute l'actualité qui patine. Plans "grand froid" et plans "grand show". On pourrait, bien sûr, s'affliger d'un tel traitement. Mais à quoi bon? Il faut tout simplement admettre que la neige et le gel restent bien, par excellence, le phénomène naturel le plus extraordinaire qui soit. Placé au carrefour de l'iconographie naïve des origines et d'une rigueur adulte que la crise a depuis belle lurette détournée de sa seule substance climatique, cette fascinante et maléfique "galerie des glaces" génère surprise et étonnement, stupeur et tremblements, y compris, parfois, dans son "interminable"  brièveté, sinon dans sa récurrente banalité saisonnière. Ces manifestations-là dérangent et pétrifient, déstabilisent et rassurent.

    Ecoutons un instant Alain Dulot. L'écrivain originaire de la vallée de l'Ain évoque avec justesse ce sortilège dans Amicales pensées et autres propos, son nouveau livre (*): "La mémoire de nos enfances se nourrit de la magie des images autant que de la vérité des événements. Or, dans toutes les enfances , il y a des images de forêts blanchies, de traîneaux, de ruisseaux gelés... Du coup, à travers cette matière fragile, instable, qui sans doute ne passera pas la journée, on redevient l'enfant que l'on n'a jamais cessé d'être".

   Ce sont bien les artistes qui ont raison. A mi-chemin d'un poème de Villon et d'une chanson d'Adamo, entre l'éternité d'un tableau flamand et l'éphémère d'un message en cristaux liquides, convoquant la Vouivre et le Croquemitaine réunis par Bernard Clavel dans l'un de ses plus émouvants ouvrages (*), l'univers des frimas ne parvient jamais vraiment à faire alliance avec le réel. Au-delà des déconvenues fatalement liées à sa résurgence et à ses caprices, on ne l'empêchera pas de papillonner comme un conte aux oreilles des petits et de se mesurer aux records ancestraux remérorés par les"Têtes blanches" aux banquets de séniors où le millésime 56 resurgit avec des inflexions d'an 40. Dansant film muet en noir et blanc, l'hiver, c'est "The Artist"  et son inespéré cortège d'Oscars.

   Non, contrairement aux apparences, la saison froide n'est pas de l'ordre du temps qu'il fait, elle s'arrime au temps qui passe. Ou mieux encore peut-être: au temps qui, soudain, donne l'illusion de ne plus passer.                                                                                                  

                                                                         Didier POBEL

   (*) Amicales pensées et autres propos  d'Alain Dulot (38 chroniques sentimentales sur les petites choses de la vie), L'Harmattan, 154 p., 16,50 euros. Lire du même auteur, en collaboration avec Philippe Spieser, L'Economie entre savoir et illusion ("Critique de la raison économique"), L'Harmattan 2011, 154 p., 15,50 euros.

   (*) L'Hiver, textes, dessins, aquarelles et photographies de Bernard Clavel, 190 p., Nathan, 2003.

   - Cette chronique a été publiée dans l'hebdomadaire   du 2 mars 2012 (n° 3488).

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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 22:10

   Là, ce n'était plus du "off", comme en janvier dernier lors de son escapade guyannaise en canoë. L'aveu de Nicolas Sarkozy a, cette fois-ci, été formulé publiquement, en direct sur les ondes. C'était ce jeudi matin sur RMC et BFM TV.  Interrogé sur son avenir en cas d'échec au lendemain de l'élection présidentielle, le candidat sortant n'a pas hésité: "Si les Français devaient ne pas me faire confiance, est-ce que je devrais continuer dans la vie politique? La réponse est non."  Et l'invité d'enfoncer le clou sacrificiel dans la plaie: "Ces carrières qui n'en finissent pas, cela aboutit à des jeunes qui ne peuvent pas monter. Si tel n'est pas votre choix, je m'inclinerai et j'aurai fait une très belle vie politique."
   A première vue, cette anticipation tranquille de la déroute ne souffre pas la moindre ambiguïté. La défaite annoncée par les sondages à six semaines du premier tour aurait donc conduit le désormais adepte des mea culpa  à une sage résignation, réfutant d'avance toute posture d'"au-revoir"  théâtralisé à la Giscard. Voilà pour les apparences. Mais comment ne pas discerner dans ce nouvel épisode d'une humilité dictée par les circonstances ("Nous sommes des gens modestes", osait Carla l'autre soir) une sorte de pseudo-signal de détresse appelant à un sursaut pour sauver le "protecteur"?

   Ne nous y trompons pas. A quelques jours du méga-meeting de Villepinte, où le ralliement de Jean-Louis Borloo est attendu, Nicolas Sarkozy ne cesse de décliner, et d'orchestrer, son "Aidez-moi!"  du 19 février à Marseille. Pour tenter de susciter l'ultime adhésion qui lui fait défaut, il a parfaitement compris que sa dernière chance, c'est de feindre de croire qu'il n'en a plus. Une ruse qu'affectionnent aussi bien les boxeurs malmenés que les clowns tristes. On saura bientôt définitivement de qui il est le plus proche. D.P.

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 22:48

    "La femme est l'avenir de l'ho-o-o-m-me..." Célébration internationale oblige, la célèbre formule d'Aragon est sur toutes les lèvres ce matin. Pas sûr, néanmoins que Nathalie Kosciusko-Morizet soit l'avenir de Nicolas Sarkozy - et réciproquement. Ce qui, avouons-le, n'est pas de chance pour la porte-parole du président sortant. C'est, en effet, à quelques heures de la Journée de la femme que le bruit de son éviction a couru. Gageons que si le chef de l'Etat devait se séparer de celle qu'il vient de nommer, il devra attendre que le 8 mars soit passé, sous peine de paraître un brin goujat.
   N'empêche, la perspective évoquée du remplacement de "NKM" par Franck Riester, le secrétaire national de l'UMP chargé de la com', a tout de suite fait désordre. Evidemment, l'ambitieuse bon chic bon genre - qui, précisons-le, dément la rumeur -, est loin de faire l'unanimité dans l'entourage du "candidat du peuple", mais peut-être aurait-il fallu songer à cela plus tôt...

   A la réflexion, cependant, la polytechnicienne qui ne prend pas le métro - trop cher à quatre euros le ticket! - illustre pourtant assez bien quelques-uns des critères propres aux bonnes conductrices mis en avant ce jeudi par la Sécurité routière. Elle roule moins vite que son mentor masculin. Elle respecte l'environnement. Et, surtout, elle freine dans les virages de l'extrémisme. D.P.

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 00:50

   Sarkozy-Fabius hier soir sur France 2: l'affiche était forte, les intervenants très attendus. En une sorte de prologue initial au futur débat direct entre les deux principaux candidats, le sortant affrontait pour la première fois un poids lourd du camp adverse. Nul ne le niera, la campagne vivait alors un moment crucial. C'était un peu comme si on assitait à une répétition de l'affrontement frontal final. Alors, bien sûr, on n'échappait pas à la question rituelle en pareil cas: "Qui a gagné, qui a perdu?".
   Pas forcément simple de trancher à chaud. Ce qui est sûr, c'est que le "largué des sondages"  a manifestement jeté toutes ses forces dans la bataille, non seulement en répondant à l'ancien Premier ministre, mais aussi auparavant face aux journalistes, mêlant mea culpa, confidences, propositions ; dosant savamment combativité et humilité. La vraie surprise, ce fut sans doute la pugnacité dont fit preuve Laurent Fabius, cognant à coups de chiffres et de courtoisie narquoise selon une stratégie déstabilisatrice dans laquelle toutefois, l'interlocuteur, souvent crispé, n'est pas tombé.

   En dépit de quelques apostrophes faciles échangées par les deux hommes ("Tartuffe!" a répété deux fois Nicolas Sarkozy à celui qui lui lança un perfide "Bravo pour votre élégance!"), l'échange fut plutôt de bonne tenue. Mais il est fort peu probable, cependant, que la tendance du moment s'infléchisse. Rien dans l'attitude de l'actuel Président n'est apparu en mesure de créer un électrochoc à droite. Quant à Laurent Fabius, il n'a pas seulement rappelé aux Français qu'il fut jadis chef du gouvernement, il a prouvé aussi qu'il se tenait prêt pour un retour à Matignon. D.P.      

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 21:34

    Les images bougent un peu sur l'écran du journal de vingt heures. Les couleurs se fragmentent. La caméra de fortune tremble. Nous aussi. On aperçoit des chars qui tressautent, un immeuble éventré, de la fumée. Des cadavres jonchent un trottoir défoncé. Neige sur la Terre comme au ciel. Interminable hiver des esprits. Des silhouettes fuient. Ce ne sont pas, à proprement parler, des images. Plutôt des ombres, des taches, des sillages spectraux, un saisissant impressionnisme de la terreur et de la débâcle. Une voix off domine le roulement des frappes: "La situation humanitaire est catastrophique, il n'y a ni vivres, ni médicaments, ni eau, ni électricité". 

    Non, ce n'est pas la rediffusion d'un vieux film historique. Pas la reconstitution de quelque lointain passé sombre. Cela se passe, en direct, à Bab Amr (zoom sur le plan de "Googleearth"), dans les faubourgs sud de Homs. En ce 1er mars 2012, la dernière poche de résistance de la ville syrienne martyre est tombée. Parmi les 7000 soldats qui cernaient le quartier depuis l'aube, il y avait les hommes de la quatrième division armée, commandée par le frère de Bachar al-Assad. Les rebelles n'avaient pas le choix. En l'absence d'un "repli stratégique" de leur part, c'est toute la population civile - ou ce qu'il en reste après les réguliers pilonnages perpétrés par le régime - qui allait être massacrée, sans oublier les journalistes blessés dont nous sommes toujours sans nouvelles (*).

   Un tournant? Un moment-clé du désastre, à coup sûr. Ce qui ne signifie pas pour autant que le pouvoir sanguinaire a gagné. D'autres îlots de lutte s'organisent, mais combien de temps tiendront-ils? La caméra glisse, des lambeaux de pâleur envahissent l'écran. Floconnement communicatif. Fin du reportage. Place aux faits divers et à l'actualité politique.

   Dans le sujet suivant, on découvre les rescapés d'un incident de croisière aux Seychelles qui racontent leur "calvaire" ("C'était l'horreur", témoigne l'un d'entre eux).  Puis on voit le président de la République française, malmené par des "voyous"  au Pays basque, qui accuse la gauche. Selon lui,  son adversaire veut se livrer à une "épuration". Pardon, vous avez dit "épuration"?  D.P.

 

(*) On apprenait au matin du 2 mars qu'Edith Bouvier et William Daniels avaient pu quitter la Syrie pour trouver refuge au Liban. Soulagement général.

 

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 21:55

   C'est un fichu boulot, tout de même, que d'être candidat à la présidence de la République. Il faut se lever tôt, savoir être naturel partout - ou du moins faire semblant -, sourire quand on n'en a pas envie, ne pas répondre aux questions en donnant l'impression du contraire - ou inversement. Il faut poser devant les vaches, prendre son petit-déjeuner au reblochon, adorer Dujardin et Emmanuel Carrère. Il faut aller à la ferme, à l'école, à la mine, à la cantine, à la télé, à la radio, au turf.

  Il faut aimer le peuple à tout bout de champ et d'usine. Il faut avoir le sens de l'initiative, de la fausse  modestie, de la répartie. Il faut répéter sans cesse qu'on ne veut pas répliquer aux invectives par des invectives, tout en recourant, bien sûr, à des invectives. Il faut divulguer sa play-list en mixant savamment les goûts musicaux du plus large électorat. Il faut dénigrer les sondages sans les quitter des yeux. Il faut aussi parfois s'adonner à une langue étrangère. François Hollande, promu candidat de la valeur travailliste, a lâché quelques mots d'anglais, tout juste descendu de l'Eurostar ce mercredi, pour dire à ses hôtes d'outre-Manche que, non, il n'était pas "dangerous", mais qu'il souhaitait "more regulation".
   Mais le plus dur, c'est peut-être encore pour l'entourage des têtes d'affiches. Les proches et autres conseillers doivent coller à la pensée de leurs mentors, y compris dans l'instant même où elle a déjà changé. Et cela en évitant le pire péril: les bourdes. Celle qu'a commise l'autre jour Nathalie Kosciuko-Morizet relève du véritable déraillement. Quel est le tarif d'un ticket de métro, lui a demandé l'auditeur d'une radio. Réponse de la porte-parole de Nicolas Sarkozy, pourtant récent adepte du train: "Quatre euros et quelques". Bigre, on est loin du juste prix d'1,70 euro! NKM et RATP, voilà des lettres qui ne font pas bon ménage. Elle aurait dû s'excuser, la gaffeuse. Dire: pardon, je n'avais pas bien compris, j'avais cru qu'on me demandait le prix d'un billet de Costa Croisières.
   Le peuple, le doux peuple si courtisé ces jours-ci, n'en a pas cru ses oreilles de seconde classe. Au moins sait-il ce qui lui reste à faire le jour où il ira composter son bulletin de vote. D.P.

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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