Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 22:09

  Après un Jour de l'An à Metz, ce sera, pour l'un, jeudi à Vienne, sur les terres de Jean-Pierre Raffarin et vendredi à Domrémy pour déposer un baiser sur le front, très national, de Jeanne d'Arc. Mais l'autre n'est pas en reste. On l'annonce ce mercredi à Bordeaux, le lendemain à Caen, samedi en Corrèze et dimanche à Jarnac pour le quinzième anniversaire de la mort de l'un de ses emblématiques aînés. C'est toujours plus ou moins au temps de la galette des rois que les mages tournés vers la lumière suprême - qu'ils soient déclarés ou pas -, prennent leurs baluchons de pélerins pour aller offrir dans nos douces provinces la myrrhe et l'encens de la bonne parole.
   Une course à l'étoile qui dure bien au-delà de l'Epiphanie. Pas question, en effet, de concevoir un marathon électoral sans cette frénésie d'arpentages croisés, de marquages à la roulotte, où chaque aspérité du chemin, chaque girouette de clocher, chaque voix, chaque silence comptent. Avouons-le, il y a quelque chose d'émouvant dans ces instants où nos grands "pros" de la politique de salon, de télés et de réseaux sociaux se transforment en saltimbanques de la petite phrase et du slogan décentralisés.

   Les itinéraires divergent, se croisent, se rejoignent. Chacun rêve d'avoir son Colombey, son Chamalières, son Solutré, sa France dans les yeux. Ce qui s'écrit, dans un réseau parfois un peu confus de ressources locales et de spécialités du cru, sur le grand tableau d'un pays originel en attente, rappelle, toute proportion gardée, les cartes Vidal et Lablache des communales de notre enfance.
   Une campagne électorale, c'est comme ça. Vient un moment où ça sent la craie, le chiffon, la liste des chefs-lieux de cantons, la fable de La Fontaine et la castagne sous le préau. Mitterrand, fervent lecteur de Chardonne et de Gracq, maîtrisait tout cela à la perfection. Nicolas Sarkozy et François Hollande - mais pas seulement eux - n'ignorent pas que pour entrer, ou rester, dans l'histoire, il convient d'abord d'apprendre sans relâche sa leçon de géo. Et par coeur, si possible. D.P.     
 

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 21:53

C'est étonnant comme ça peut avoir des vertus, une campagne électorale. Surtout quand ça s'anime pour de bon. Le moment idéal, c'est, passée la trêve des confiseurs, lorsque l'heure est venue d'en finir avec les mollesses sucrées du moment. Prenez le dossier SeaFrance. Jusque-là, ça patinait, ça tanguait, bref c'était à deux doigts de couler. Avec, pourtant, en jeu, quelque 880 CDI à Calais et au moins autant d'emplois indirects. Il y avait bien eu, via la CFDT, cette proposition de voir le personnel sauver la compagnie de ferries. Mais l'idée avait été jugée pour le moins saugrenue par le gouvernement traitant, non sans une vague inflexion de mépris, les salariés de "jusqu'au-boutistes". Thierry Mariani était même allé jusqu'à parler de "suicide collectif".

   Un avis que l'on pouvait penser irrévocable. Or, quelques instants auront suffi, à l'aube blafarde de l'année nouvelle, pour que le président de la République change de cap. Les ministres concernés, quitte à manger leurs chapeaux de réveillon, se sont mis tout à coup à vanter le projet même qu'ils étaient priés de conspuer la veille. L'utilisation des indemnités de licenciement pour financer une coopérative ouvrière destinée à relancer l'activité de l'entreprise? Eh bien voilà qui semble tout compte (électoral) fait une super bonne idée. Et qu'importe si l'avocat des salariés voit dans cette volte-face un "montage juridique abracadabrantesque qui a peu de chances d'aboutir".
   Allons, ne cherchons pas plus longtemps les raisons d'un tel revirement. A la veille d'une tumultueuse traversée de trois mois, le candidat sortant non déclaré sait qu'il doit, l'oeil sur la météorologie de l'opinion, gouverner au coup par coup. Pour rester capitaine, tous les options sont permises. Y compris celle qui consiste à ne convoiter de "SeaFrance" que la seconde partie du nom. D.P.
 
 
Partager cet article
Repost0
1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 23:07

     Ca y est, c'est fait. Au douzième coup, l'autre nuit, nous avons donc quitté le mauvais pour entrer dans le pire. Quand on se penchera sur la mythologie du XXIe siècle, il faudra se souvenir de ce tournant digne du passage d'une ère de Charybde à un avenir de Scylla. Un signe qui n'a pas trompé: Nicolas Sarkozy, lors de ses voeux avant son déplacement à Metz, avait opté pour le registre le plus alarmiste. Pas la moindre esquisse de sourire. On aurait dit Michel Sardou interprétant La Divine comédie de Dante. Manquait plus, à ses côtés, qu'Angela Merkel.
   Certes, ce n'était probablement pas le souhait du "pas-tout-à-fait-candidat-mais-presque" de paraître ainsi. On l'a plutôt senti, à diverses reprises, puiser dans le grand registre de l'Universel. Ce que nous vivons? Une "crise inouïe, sans doute la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale". Ce à quoi il faut oeuvrer? "L'histoire des décennies à venir s'écrit maintenant". On a même eu droit, par instants, à un orateur empruntant le vieux porte-voix gaulliste: "La France a résisté". Jean Moulin n'était pas loin.

   Comment, après cela, avoir le coeur à partager des cotillons, à faire pétiller champagne et feux d'artifice, sinon à s'envoyer un milliard de SMS pas vraiment annonciateurs, apparemment, de l'Apocalypse? Or, nous avons pourtant été nombreux, un peu partout, à faire la fête. A croire qu'il y a de l'inconscience dans les terriens en crise que nous sommes. Ou de la surdité. A moins que nous ayons oublié, ne serait-ce que momentanément, cette très récurrente prédiction: demain pas d'emploi, pas de bras, pas de chocolat...

   Allons, laissons tranquillement venir le printemps. Il sera bien assez tôt, alors, pour aller voter. Voter pour qui, au juste? Encore une fois, rien ne presse. Pour l'instant, nos suffrages vont à Omar Sy. De quoi rendre jaloux un Nicolas Sarkozy qui ne rêve que d'une chose. S'approprier le mot magique d'"intouchable". D.P.
 
 
 

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 23:15

    Cela n'aura échappé à personne, le temps des rétrospectives bat son plein. Le rituel, on le connaît. Entre Noël et le Jour de l'an, entre la bûche et les cotillons, entre le mal de foie et la gueule de bois, les images de l'année qui s'achève redéfilent. Comme une vie, paraît-il, sous le front de celui qui s'apprête à disparaître. Habituellement, on est plutôt en phase avec cette enfilade de "Je me souviens"  à la mode Pérec appliqués aux multiples champs de l'actualité en voie de disparition. Ces rappels ont pour vertu de remettre un brin d'ordre dans nos esprits guettés par une distorsion chronologique favorisée par les brumes de décembre. Notre goût pour une nostalgie de l'immédiateté y trouve souvent son compte. Et c'est même parfois, toute proportion gardée, comme comme si on feuilletait un album de famille, en souriant ici ou là, sinon en s'étonnant qu'à tel fait corresponde une date que l'on aurait juré plus proche ou plus reculée.
   Mais cette année, comment expliquer cela?, il y a quelque chose de différent dans ces rendez-vous de circonstance. On détourne plus volontiers le regard de ce qu'un sociologue a qualifié un jour d'"horoscopes du passé". On s'agace assez rapidement. On a même parfois envie de crier "Stop, ça suffit, n'en jetez plus!". D'abord, on ne sait pas trop à quoi attribuer ces réactions. Et puis, bien vite, une conviction s'impose. Toutes ces restitutions réitérées, toutes ces images rediffusées en cette trêve des confiseurs, voilà, en fait, des semaines et des semaines qu'on nous les repasse, qu'on nous les impose, qu'elles se substituent, dirait-on, à travers le prisme de la vision choc initiale sans cesse reproduite, à toute autre actualité.
   Les révolutions arabes? Depuis janvier dernier qu'on nous rejoue, à divers niveaux, les épisodes. Fukushima? La encore les scènes en boucle nous hantent, nous assaillent, nous "irradient"  depuis le printemps. Et l'on pourrait hélas en dire à peu près autant de la crise, de la dette, du duo Merkel-Sarkozy, du chômage, de la hausse des carburants, sans oublier le dérèglement climatique qu'on nous ressert - tout chaud - ces jours-ci. Mais le plus emblématique effet d'immobilisme iconographique, de patinage de la perception, émane évidemment de l'"affaire DSK". Avec elle, il y a plus de six mois qu'on est dans la répétition, dans le résumé, dans la tentative de bilan. Plus de six mois qu'on est dans un présent comme inscrit d'emblée - pardon pour le calembour - dans une "suite".   
   Non, ne cherchez pas , c'est pour cela que l'on a tant de mal avec les actuels programmes dits de fin d'année. Un peu comme si le millésime 2011 fut à lui seul une permanente rétrospective. A se demander si toute l'"urgence" de l'information n'aurait pas, en réalité, été constituée d'échos, de saccades, de ressassements, de psittacismes, de redondances, voire - osons le mot pour le "temps fort"  new-yorkais évoqué à l'instant - de "resucées". Pas étonnant si, à quelques encablures de la Saint-Sylveste, on a tous plus ou moins cette terrible impression d'être transformé en derviche tourneur emporté dans le tourbillon sans fin d'une planète folle et d'un monde en abyme. D.P.

Partager cet article
Repost0
21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 22:48

Dec.-2011--Beny--Grenoble--la-neige-062.jpgCa y est, c'est l'hiver. Mais depuis quand, au juste? Les calendriers fixent, en général, le changement au 21. D'autres préfèrent ne lancer le top chrono de la nouvelle saison que ce mercredi 22. Peu importe, on ne va pas chipoter pour quelques heures. D'autant plus que la neige est là et que les vacances ont commencé. Les vacances? Oui, c'est vrai tout le monde n'en prend pas et parmi ceux qui partent, beaucoup n'ont en fait découvert, pour l'instant, qu'une salle d'embarquement d'aéroport.
   N'empêche, l'hiver, c'est bien. Avec la trève des confiseurs qui se profile, l'actualité va se mettre entre parenthèses et il n'apparaît même pas incongru de rêver à une pause dans la campagne électorale. Dommage que seuls bêtisiers et rétrospectives se disputent les grilles télévisées, quand ce n'est pas un Père Noël est une ordure usé jusqu'à la houppelande.

   Mais il y a plus grave. Jadis, au début de l'hiver, une inconnue planait: allait-il être rigoureux? Or, la question est devenue impossible. L'évanescent s'est fait permanent. La rigueur, concept météorologique s'il en fut, s'est muée en critère économique. La rigueur est désormais partout et ne tient plus compte du temps qui passe. Comme les anciens étaient suspendus à leurs almanachs, le gouvernement reste rivé à son "AAA".  Y aura-t-il de la dette à Noël? Pourvu, en tout cas, qu'il n'y ait pas de dégradation dans la hotte. D.P.   

Photo D.P.

Partager cet article
Repost0
19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 22:41

 

   A surréalisme, surréalisme et demi! Il y a des moments où l'actualité semble carrément s'adonner, dans son ensemble, à un concours de loufoquerie.

  A Pyongyang d'abord, un peuple entier - ou présenté comme tel - qui pleure la disparition de son tyran, l'abominable père Ubu de la Corée du Nord mort du coeur - à croire qu'il en avait un - dans son wagon plombé. Surréaliste!  
 
   A Pékin ensuite, Dominique Strauss-Kahn venu, comme si de rien n'était, prononcer une conférence sur l'économie mondiale devant un public particulièrement attentif à son message pessimiste sur l'avenir de la zone euro. Surréaliste! 
 
   En France enfin, Eva Joly, la candidate d'Europe Ecologie/Les Verts, qui se prononce sans rire et sans faire trembler ses emblématiques lunettes rouges pour la semaine de trente-deux heures. Surréaliste! 
 
   Bien sûr, il y a, dans le lot, on l'aura remarqué, des surréalismes plus insupportables que d'autres. Il y en a pour s'indigner, pour s'étonner ou pour rêver. N'empêche, il y a vraiment des jours où l'on se demande si ce que l'on nous dit et nous montre ne relève pas d'un pur effet de l'imagination, qu'elle soit accablante, provocatrice ou simplement facétieuse. D.P.

Partager cet article
Repost0
14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 22:33

   Soyons honnêtes, nous n'achetions plus beaucoup France Soir et lorsqu'il nous arrivait encore de l'ouvrir, on ne savait plus trop si le beau mot de "lecture" avait encore un sens. Et pourtant, loin des larmes de crocodile, ce qui se passe aujourd'hui, non seulement nous meurtrit mais nous afflige. Un journal qui disparaît, c'est toujours un drame à la fois industriel et intimiste. "Silence on coule!". On se souvient du bulletin de décès de Combat le 30 août 1974. Le sort de France Soir est pire. Il crève la gueule fermée, sans même un ultime numéro débordant de souvenirs et d'amertume humaniste.
   "Crève"?  Pardon, n'enterrons pas trop vite le "défunt". Ce n'est, en effet, que l'édition papier qui disparaît "au profit"  d'Internet. Et certains, en se faisant fort de rappeler que l'Amérique a donné l'exemple,  ne manqueront pas d'affirmer qu'un glissement généralisé du "print"  au "web"  est inéluctable. N'empêche: que le premier titre tricolore frappé par cette mutation soit France Soir n'a rien d'anodin. Si le fleuron de l'époque Prouvost-Lazareff avait depuis longtemps perdu de son prestige et de sa respectabilité, il n'en demeure pas moins que son seul nom est un emblème. Même s'il a fini dans des mains douteuses - situation que le personnel paie cher -, France Soir, c'est une histoire contemporaine. Celle des "Trente Glorieuses" où les aubes voilées de drames indochinois ou algériens mêlaient l'odeur de l'encre fraîche à celle du café et des croissants. Celle d'une époque où les faits divers n'étaient pas encore décortiqués par les psys, les experts et la télé. Celle du battement de coeur matutinal des rotos de la rue Réaumur. Celle des Kessel, des Vailland, des Bodard... Celle du million de lecteurs.

   Dans France Soir, il y avait "France". Il y avait aussi "soir", un joli mot qui ne méritait pas d'être annonciateur d'une aussi longue - et sans doute définitive - ère crépusculaire. D.P.         
 

  

Partager cet article
Repost0
13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 22:15

   Dans une actualité pleine de menaces de dégradations et de fous qui tirent sur la foule - le dernier en date, c'est à Liège -, il faut vraiment faire preuve d'imagination pour dénicher les bonnes nouvelles. Il y en a pourtant une qui a bien failli passer inaperçue. On a peut-être enfin trouvé le boson de Higgs. Le boson de quoi? Expliquons-nous. Ca se passe là-bas, sous terre, entre Pays de Gex et Genevois. Les physiciens du CERN l'ont fait savoir ce mardi. Ils pensent avoir cerné l'endroit où se cache le chaînon manquant des particules élémentaires. Ce n'est pas du Houellebecq, c'est de la science tout ce qu'il y a de plus sérieux.
   Et pourquoi il est aussi important ce fameux bidule baptisé du nom du physicien britannique qui a parié sur son existence dès 1964?
 Eh bien tout simplement parce qu'il permettrait d'élaborer la théorie de la structure fondamentale. Bref, si on a bien saisi, et pour faire court, d'expliquer l'univers. On comprend la joie des chercheurs qui jouent à faire s'entrechoquer les protons dans le vaste anneau franco-suisse. Cela dit, il subsiste toujours un hic dans cette histoire de boson, et non des moindres. C'est que, si on le sent à portée de main, on ignore encore s'il existe et, surtout, quelle est sa masse.
  Ca ne vous fait pas penser à quelque chose? Mais si, réfléchissez. Toute proportion gardée, le boson de Higgs, c'est la gauche française. On l'entend tintinnabuler dans le grand collisionneur à particules roses (*) du débat politique, on jurerait qu'elle n'est pas loin et en même temps il faut prouver qu'elle existe. Quant à sa masse... D.P.
 
(*) Certes, l'activité est moins intense rue de Solférino qu'au LHC. Dans le gigantesque labo où l'on tente de recréer les conditions ayant existé une fraction de seconde après le Big Bang, ce ne sont pas moins de 400.000 milliards de collisions qui ont été enregistrées pour la seule année 2011!

Partager cet article
Repost0
12 décembre 2011 1 12 /12 /décembre /2011 22:33

 D'habitude, une "journée de mobilisation", ça fait du ramdam. On entend venir la chose plusieurs jours à l'avance et la veille elle fait déjà carrément les gros titres. Or, rien de tel avec celle de ce mardi. Se serait-on trompé de date? Mais non, vérification faite, c'est bien ça. "L'intersyndicale CFDT, CGT, FSU, Solidaires, UNSA, appelle à un temps fort de mobilisations interprofessionnelles ce 13 décembre" avec, comme objectif, celui de "dénoncer les mesures de rigueur annoncées par le gouvernement face à la crise".
   La crise? Mais oui, bien sûr, c'est elle, une fois de plus, qui brouille tout. Comme si, tout en suscitant la colère, elle l'étouffait en même temps. La chape qu'elle pose au-dessus de nous n'altère pas seulement nos déterminations, elle plombe aussi, dirait-on, l'essence même de la contestation. A tel point qu'aucun débrayage n'est prévu. Seulement des "rassemblements".

   Le programme, avouons-le, est plutôt flou. C'est un peu comme si les indignés du jour ne l'étaient soudain qu'à demi. Que d'un seul poing brandissant qu'une moitié de calicot et proférant qu'un moignon de mot d'ordre. Y aurait-il une forme d'obscénité à manifester par les temps qui courent? Certes, FO était favorable à la grève mais "les salariés n'y sont pas prêts", a-t-on nuancé à l'Unsa, en précisant que "les périodes de difficultés sociales ne sont pas des périodes de mobilisation faciles".

   Drôle de modération, quand on y réfléchit... A-t-on songé qu'une telle assertion revient à prétendre que c'est plus facile de dire que ça va mal quand ça va bien? Gageons qu'il sera bien difficile de tirer un bilan de ce qui, par définition, devrait sans doute davantage ressembler à une journée d'immobilisation que l'inverse. D.P.
 
 
 

Partager cet article
Repost0
11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 21:50

    Ca n'a pas pu vous échapper, l'actualité, ces derniers jours, fait un bruit de trains. Tac-a-tac, tchouk-tchouk, attention à le fermeture automatique des portes! C'est que l'événement est de taille. Autour du lancement de la LGV Rhin-Rhône se propage une sorte de big-bang sur rail qui chamboule les horaires, bouscule la routine et enflamme nos réveille-matin. Troubles passagers, Chaix sans prévisions, coup de chaud de Guillaume Pépy, stress des usagers redoutant d'être privés de dessertes...

   Après un dimanche sans trop de grabuge, le plus dur est, paraît-il, attendu pour ce lundi. En d'autres temps, on angoisserait mais la loco folle de la Crise ramène cet avatar à sa juste mesure. Pour tout dire, il nous soulagerait presque ce tremblement d'essieux. Voici enfin qu'on parle de choses concrètes. De tableaux, de réseaux, de wagons, de quais, de caténaires, de ballasts...
   Je ne sais pas vous mais moi, cette histoire de grand aiguillage, ça me donne envie de... Non, peut-être pas de revoir La Bête humaine, faut pas exagérer non plus, mais de relire Cendrars. La Prose du Transsibérien, c'est pas mal non? "Et l'Europe tout entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur". L'Europe? En réalité, avec cet anachronique jeu de trains électriques avant Noël, elle nous lâche un peu les baskets. Tout comme la dette, la rigueur, l'euro. Pendant qu'on parle de gares et de trafics, au moins on nous fiche la paix avec tout ce qui ne cesse de nous affliger. Merci les cheminots! Pourvu qu'il n'y ait pas une agence de notation qui dégrade la SNCF!
   Reste qu'il y en a vraiment un qui opte pour une voie risquée dans cette affaire, c'est Dominique de Villepin. Annoncer les grandes lignes de sa candidature surprise un jour de "cadencement"  ferroviaire, c'est prendre le risque de voir son message brouillé par les staccatos d'une autre actu plus TER à TER. C'est encore loin, le terminus? Attention au départ et n'oubliez pas de composter, M. Villepin! D.P.   
Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
  • Contact

Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

Recherche