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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 22:12

   Pic d'électricité ces derniers jours dans la vie politique. De l'électricité? Oui, mais pas de celle qui éclaire et qui réchauffe. De celle qui, au contraire, mène à la surcharge et conduit à parfois disjoncter. Avec le ministre de l'Intérieur, d'abord, qui, artificier inspiré du Front national, a rallumé dimanche une très vaine et très pernicieuse compétition inter-civilisations qui ne pouvait que mettre le feu aux poudres.

   L'explosion n'a pas tardé. Elle a eu lieu ce mardi à l'Assemblée. Le député apparenté PS Serge Letchimy s'est levé, l'exaspération aux lèvres: "Mais vous, M. Guéant, vous privilégiez l'ombre, vous nous ramenez jour après jour à ces idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration". Puis il fut encore question, dans la diatribe survoltée de l'intervenant martiniquais, de "régime nazi". Brouhaha, tollé de la majorité et, situation exceptionnelle, les membres du gouvernement, Premier ministre en tête, ont déserté la séance des questions.

  Propos excessifs dans la bouche de l'élu d'outre-Mer? Oui, bien sûr, parce qu'il y a toujours des risques à contribuer à la banalisation de la référence à l'holocauste. Mais reconnaissons qu'en même temps la provocation de Claude Guéant qui, pour être allusive n'en était pas moins éloquente, constituait un appel indirect à ce type de réplique. Celui qui succéda jadis à Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France s'est dressé, sans posture, avec ses mots mal choisis, en continuateur de l'indignation et des idéaux de son illustre prédécesseur ou de cet autre compatriote rebelle que fut Frantz Fanon.
   M. Guéant s'est contenté de sourire. Au fond, il avait gagné. Il venait de susciter la réaction qu'il souhaitait. Celle qui est fatalement à la démesure de la rage même qui la dicte. Quant à la grande perdante dans tout cela, car il en faut bien une, c'est évidemment la République. Cette République de le demande d'excuses réciproques permanente qui tourne, ces jours-ci, comme un générateur au bord du court-circuit. D.P.    
 
 
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6 février 2012 1 06 /02 /février /2012 21:51

  Comme les temps changent sur la scène à la fois internationale et intimisme des relations franco-allemandes! Petit regard dans le rétro. De Gaulle et Adenauer, visages graves, accolade corsetée, scellant la réconciliation à l'aube, encore glaciale, des années 60. Voeux de paix, avec l'avenir, la jeunesse, l'Europe pour viatique commun. Moins d'une décennie plus tard, un autre "couple", Pompidou et Brandt, et leur complicité altérée par un différent sur l'"Ostpolitik". Puis Giscard et Schmidt devisant cote à cote dans une rue de Paris un soir de juin 1974. Jusqu'à cette image mythique d'un François Mitterrand et d'un Helmut Kohl, figés, main dans la main, à Verdun le 22 septembre 1984. Un instantané empreint d'une forte charge émotionnelle à côté duquel les chopes de bière entrechoquées, par la suite, par Chirac et Schröder feront figure de sympathiques anecdotes.

   C'est évidemment à cette galerie de portraits passée que l'on songeait, au cours de ce lundi glacial de février, en découvrant, inséparables tout au long de la journée, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en apparence soudés comme jamais au nom de la lutte contre la crise et du sauvetage de la Grèce. En apparence? Comment oublier, en effet, au-delà de tout procès d'intention, que cette "union sacrée"  prend d'abord place dans le contexte électoral français? Certes, l'hôte de l'Elysée n'est pas encore officiellement candidat à sa propre succession, mais nul ne s'illusionne. Et du coup, il était impossible de ne pas voir Angela Merkel en émissaire venue rendre la monnaie de sa pièce à un homologue en difficultés qui ne cesse de prôner, en retour, les vertus du modèle allemand.
   Voilà qui nous menait bien loin, en tout cas, de l'iconographie De Gaulle-Adenauer à Reims ou Mitterrand-Kohl à Douaumont. On dit parfois: l'histoire jugera. Mais non, il ne s'agissait pas de cela avec les deux "amis" clamant leur fierté d'appartenir à la "même famille". Ce lundi d'hiver à Paris, nous n'avons pas eu affaire à un rendez-vous de cet ordre. Juste à un très médiatique, et très rodé, numéro de duettistes politiques. Comment dit-on "Je te tiens, tu me tiens" - ou plutôt: "tu me soutiens" - dans la langue de Goethe?
 D.P.
 
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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 22:23

   Coup de froid. Coup de froid en Syrie où tout un peuple, claquant des dents et de l'âme, continue de mourir dans la rue. Coup de froid de loup à Damas. Ce loup nommé Bachar el-Assad qu'en d'autres temps moins rigoureux on fit semblant de croire domestique.
   Coup de froid. Grand coup de froid sur l'ONU. Une ONU pétrifiée par un blizzard perfide soufflant de Moscou, via Pékin.

   Oui, coup de froid, coup de froid partout.
   Coup de froid chez nous, en France, après les propos de Claude Guéant.

   De quelle piquante formule s'est-il fendu, au juste? De celle-ci, au cours d'un colloque:"Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas".  Pas de quoi frissonner, soupirera-t-on, dans la mesure où le propos a vite été "recadré" ainsi:"Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique"....
   Mais si, bien sûr. Cette notion de "supériorité" , en pareil contexte, glace les sangs. Brrr! Remontons nos cols, passons notre chemin. Le mot "civilisation" est trop beau pour qu'on l'accommode selon la saison politique du moment. A trop se laisser porter par le vent éperdu d'un Front National en mal de parrainages, le ministre de l'Intérieur ne congestionne pas seulement l'opposition, il fait aussi tousser son propre camp.
   "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que sommes mortelles". On se souvient de la lucide et terrible formule de Paul Valéry au lendemain de la Grande guerre. Vieille histoire, hélas. Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que l'opportunisme peut faire trembler.
   Coup de froid là-bas, coup de froid ici, coup de froid sans frontières, sans limites. Froid pénétrant. Gerçures, crevasses. Drôle de climat. Luttons contre l'engourdissement. D.P.
 

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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 23:42

31-janv.-2012--neige-Grenoble-006.jpg  Tiens, une petite devinette à l'approche de cette fin de semaine? Qu'est-ce qui est plus important que les nouveaux affrontements de la place Tahrir au lendemain du match sanglant de Port-Saïd? Plus accaparant que le débat entre Martine Aubry et François Fillon ce jeudi soir sur France 2? Plus intrigant que la découverte d'une soeur jumelle de la Joconde?  On vous le donne en mille, c'est l'hiver. Ou, plus exactement, l'"épisode hivernal" qui frappe en ce moment notre doux pays.
    Impossible d'y échapper. Pour preuve, les journaux télévisés des chaînes nationales ont consacré, ces dernières heures, plus de deux tiers de leurs sommaires à ce phénomène. Avec, en contrepoint, comme une sorte d'épouvantail météorologique, la carte de France des départements en "alerte orange", on a vu les gosses emmitouflés qui batifolent sous surveillance, leurs parents qui râlent, les avisés qui anticipent les futures factures d'énergie, les automobilistes qui se battent avec leurs chaînes, les médecins de campagne qui jouent les saint-bernard. Sans oublier l'incontournable reportage à Mouthe, petite Sibérie du haut Doubs où la frilosité des sentiments n'est pas de mise.

   Il faut s'y faire, c'est comme ça. Un thermomètre en baisse, quelques flocons qui volent, une pellicule de verglas et c'est toute l'actualité qui patine. Plans "grand froid" et plans "grand show". On pourrait, bien sûr, s'affliger d'un tel traitement. Mais à quoi bon? Il faut tout simplement admettre que la neige et le gel restent bien, par excellence, le phénomène naturel le plus extraordinaire qui soit. Placé au carrefour de l'imagerie naïve de l'enfance et de cette rudesse en fonction de laquelle les générations sont formatées, l'hiver génère surprise et étonnement, y compris dans sa récurrente banalité.
   A mi-chemin d'un poème de Villon et d'une chanson d'Adamo, entre l'éternité d'un tableau flamand et l'éphémère d'un gant oublié sur un banc, l'univers des frimas ne parvient jamais vraiment à s'arrimer au réel. Au-delà du "fait d'hiver" proprement dit, il papillonne comme un conte aux oreilles juvéniles et ressasse des records de "Têtes blanches". Contrairement aux apparences, cette saison-là n'est pas de l'ordre du temps qu'il fait, mais du temps qui passe. Ou mieux encore peut-être: du temps qui, soudain, donne l'illusion de ne plus passer. D.P. 

 

Entre l'éternité d'un tableau flamand et l'éphémère d'un gant oublié sur un banc... Photo D.P.

 
 

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 22:35

   L'hiver était doux, la planète se réchauffait, les consciences étaient intactes. Longtemps on a cru qu'on allait pouvoir y échapper et puis non. Il a suffi d'une tardive chute du mercure aux premiers jours de février pour que tout ressurgisse. La notion de "froid ressenti". La grande difficulté de ceux qui travaillent dehors. Les transports scolaires à l'arrêt.  Les vendeurs de fioul et de bois pris d'assaut. Bonjour les marronniers! Mais il y a bien plus dramatique. Voici que réapparaissent les SDF en péril.
   Les SDF? Mais quelqu'un n'avait-il pas prédit qu'il n'y en aurait plus? Bah! Cela doit sans doute remonter à l'Antiquité gréco-latine... L'automne indien était un cache-misère que les premiers frimas balaient d'un revers de manche de doudoune. Jamais depuis l'hiver 54, il fut autant question des problèmes de logement. Les candidats à la présidentielle s'emparent du sujet, quitte à se faire rouler dans la farine. Mais à l'heure de l'élection, le printemps sera de retour. Il fera doux. Gageons que tout le monde aura oublié.
   En attendant, soulignons tout de même cette incidence positive du coup de blizzard actuel. Le pauvre Chevènement, qui voudrait bien qu'on le prenne pour l'Abbé Jean-Pierre, vient d'annoncer qu'il renonçait à son actuel logement précaire pour rejoindre un centre d'accueil. Ouf! Nous voilà rassurés. Il ne lui reste plus qu'à nous dire lequel. D.P.    

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31 janvier 2012 2 31 /01 /janvier /2012 21:46

   L'actualité ce n'est pas seulement un raclement de chasse-neige, c'est aussi, soudain - tendez l'oreille! - un bruit d'avion. Et pas n'importe lequel. Sa majesté "Le Rafale".  Sa majesté, c'est une façon de parler. Il s'en est fallu de peu pour que le grand oiseau de chasse ne batte définitivement de l'aile. Corée du Sud, Pays-Bas, Pologne... La liste est longue des récents marchés ratés pour notre fleuron à Mach 1,8. On se souvient du constat d'échec formulé en décembre dernier par un Gérard Longuet manifestement pessimiste sur l'avenir de Dassault.
   C'est dire si la nouvelle tombée ce mardi est arrivée au bon moment. De quoi redonner le moral à un gouvernement qui doute et à un président qui, narguant ses détracteurs, n'hésite pas à se qualifier de "suicidaire le plus en forme de France". Car oui, l'Inde a donc décidé - première commande à l'étranger - d'acquérir pas moins de 126 bombardiers tricolores, soit une transaction de quelque douze milliards de dollars. Un chiffre plutôt ronflant, on l'admettra. En tout cas à première vue. Car, à y regarder de plus près, l'affaire est un peu plus compliquée.
   D'abord, il n'y aurait que dix-huit appareils qui seraient fabriqués chez nous, les autres procédant d'un transfert de technologie. Et puis, le contrat n'est pas tout à fait signé."On est dans une phase de négociation exclusive", a précisé le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Pierre Lellouche. Nuance non négligeable. On souhaite évidemment que l'annonce ne soit pas prématurée mais comment ne pas se souvenir d'un pourparler avec Brésil qui, il y a pile deux ans, fut à tort présenté comme une chose acquise? En pareil domaine, La vérité si je mens - pardon: si je vends -, ce n'est pas toujours du cinéma. Surtout lorsqu'on a hâte de sortir d'une escadrille de déconvenues... en rafale. D.P. 

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 22:47

 31-janv.-2012--neige-Grenoble-005.jpg  Elle aussi, elle joue à ça. Se faire attendre. Théâtraliser son arrivée. Faire monter la pression (*). Elle aussi elle peut soudain mobiliser tous les écrans. Elle aussi elle égrène des promesses comme si elle devait ne jamais fondre. Elle aussi elle se laisse volontiers porter par un vent venu d'Allemagne.
   Mais oui, à en juger par la place, toujours événementielle, que lui accordent les médias, la neige est une vraie rivale du président de la République. Lorsqu'elle apparaît, on ne parle plus que d'elle. On commente ses effets. On applaudit ou dénonce sa présence. On souligne sa magie. On déjoue sa frime. Elle suscite des embardées, des dérapages, des adhésions hésitantes. Elle aussi, elle électrise l'air ambiant. On suit sa progression. On scrute sa cote de popularité. On anticipe sa "chute". On se demande si elle va "tenir". Elle en fait un "max"  mais elle ne pèse pas lourd.

   Elle virevolte et papillonne. Elle intrigue comme une poignée d'énigmatiques flocons sur la veste de Jean-Marc Sylvestre un soir de grand débat télévisé. Elle appelle au courage quand le thermomètre révise sa croissance à la baisse. Elle est partout, elle est nulle part. Elle est un peu en ville, elle est pleinement en campagne. Elle a rendez-vous ces jours-ci avec les Français, elle ne se dérobera pas. Ce serait même l'inverse. D.P.
 
(*) Atmosphérique, bien sûr.

 

Photo D.P.

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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 22:56

    Vous connaissez le jeu des sept différences? Vous savez, il s'agit de mettre en perspective des images à même d'exacerber la sagacité de l'observateur. Or, c'est un peu ce à quoi s'est livré Nicolas Sarkozy, ce dimanche soir sous les ors de la salle des fêtes de l'Elysée, au cours de son très insistant parallèle entre deux pays. D'un côté la France, de l'autre l'Allemagne. A croire que l'intervenant, qui s'exprimait sur pas moins de six chaînes de télévision, au terme d'une attente très théâtralisée, avait voulu d'avance remercier Angela Merkel du soutien promis à sa campagne.
   La campagne? Oh! le vilain mot. Le chef de l'Etat l'a balayé d'emblée. Il sera président à part entière le plus longtemps possible. Une affaire, pour lui, de "devoir", d'"honnêteté", de "sincérité", de "courage". Mais nul n'aura été dupe. Il y avait étrangement en lui une sorte de mélange de détermination et de calme, de pugnacité et peut-être déjà de résignation. D'ailleurs, le candidat non déclaré a très subtilement frôlé l'aveu. Sa façon de dire qu'il ne dirait rien en disait plus long que beaucoup de pas franchis. "J'ai rendez-vous avec les Français, je ne m'y déroberai pas" : habile petite phrase dont il n'est pas sorcier de mesurer la résonance.

   Reste une question, au fond. La principale. Le "largué"  des sondages a-t-il repris la main? Certes, il y eut du concret, parfois même en forme de réplique au programme de l'"arrogant" François Hollande, mais aucune véritable surprise. On avait parlé de "gros coup", il n'y eut rien de tel. Sans compter que le caractère d'urgence des annonces en atténuait fatalement la portée. Il y eut bien également des esquisses de confessions à la fin de l'entretien, mais rien qui parlait véritablement au coeur.

   Bref, on voit mal comment l'opinion peut se renverser à l'écoute de ce qui sonnait à la manière d'un "speed recruiting", vous savez ces entretiens d'embauche où les postulants n'ont que quelques minutes pour convaincre. D.P.     

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27 janvier 2012 5 27 /01 /janvier /2012 00:44

   Alors ce choc Hollande-Juppé? Qui a été le meilleur? Qui a gagné? Patience, l'arbitre suprême ne sifflera la fin du match que dans trois mois. N'empêche, c'était bien pour avoir une idée un peu plus précise sur le score final attendu que nous étions aussi nombreux à suivre le match. Drôle de match, au demeurant. Dans le camp de droite, c'était le remplaçant qui jouait. Le titulaire, lui, ne fera un premier pas sur le terrain que dimanche soir. Drôle de match, oui, où l'on a fait preuve de sérieux, de précision mais où l'on s'est aussi renvoyé sans ménagement la balle de l'"arrogance".

   Gardons-nous donc d'être définitif - tout peut encore se passer -, mais reconnaissons que François Hollande, "droit dans ses bottes" - pour une fois les rôles étaient inversés -, s'en est plutôt bien tiré. De quoi, en tout cas, mieux mesurer l'avancée du candidat socialiste. L'homme du "flou" devient de jour en jour celui de la "clarté". Après un lancement de campagne réussi au Bourget devant la famille socialiste, le "favori de janvier"  n'a pas failli lors de cette phase suivante que constituait l'annonce de ses "60 propositions" prolongée par sa prestation à l'émission Des paroles et des actes.

   Le chemin est encore long pour Hollande. Il le sait bien. Mais peut-être déjà trop court pour Sarkozy. Il ne l'ignore pas. D.P.  

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 23:56

   Une bonne nouvelle pour le chef de l'Etat. Au moins une. Par les temps élyséens mélancoliques qui courent, ça ne doit pas être de refus. Hier, alors qu'il rentrait de Varces où il venait de rendre l'hommage de la Nation aux soldats morts en Afghanistan et au moment où tombait le nouveau mauvais chiffre du chômage, une toute petite information, parfaitement futile en apparence, a néanmoins dû lui réchauffer un peu le coeur.

   Un couple d'Arméniens, qui songeait à donner à son rejeton le prénom du grand-père, s'est soudain ravisé. "Notre fils s'appellera... Sarkozy!"  Façon pour ces (doublement) heureux parents de remercier celui qui est à l'origine de la loi, par ailleurs controversée, pénalisant la négation du génocide de 1915."Que notre enfant, Sarkozy Avetissian, devienne un homme aussi courageux et juste!"  Baptiser du nom du président de la République, un bébé tout chaud sorti de sa mère, c'est ce qui s'appelle avoir la reconnaissance du ventre.

   Cette histoire un brin Caucase - pardon: cocasse - a l'air d'être parfaitement anodine, mais elle a des conséquences auxquelles on ne songe pas. Ainsi, l'expression "Le petit Sarkozy" n'a désormais plus rien de péjoratif. C'est, au contraire, une formule affective. PPDA ne pourrait plus être mis à l'écart pour avoir assimilé son interlocuteur à un "petit garçon". Reste juste à attendre pour savoir si le prénom figurera bientôt parmi les saints du calendrier. Le calendrier électoral, bien sûr. D.P.  
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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