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27 octobre 2016 4 27 /10 /octobre /2016 23:08

Quelques minutes hier. Quelques minutes à la télévision, entre la terre qui tremble en Italie et le revirement surprise des Wallons sur le traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (CETA). Quelques minutes d'images floues, de gravats, de chaos, de "désolation". Et puis la voix qui dit l'horreur. L'horreur, la vraie. Pas celle qui se prépare joyeusement, un peu partout chez nous en ce temps de vacances, à quelques jours d'Hallowen.

   Là-bas, en Syrie, les gosses n'ont pas besoin de déguisement pour avoir peur. Leur quotidien est perpétuellement maquillé en monstre. Hier, 22 enfants et six de leurs enseignants ont été tués lors d'un bombardement dans la province d'Idlib, au nord-ouest du pays. Un raid russe? Peut-être, peut-être pas, qui sait? Et, soyons francs, c'est à peine la question. En tout cas, pas celle qu'on se pose dans un premier temps, abandonnant cela aux chefs des nations et à la diplomatie qui chipoteront à l'envi sur les notions de "tragédie"  ou de "crime de guerre".

   Ce qui nous happe, nous, est plus "simple" - et plus insoutenable. C'est "juste" les petits corps suppliciés qu'on imagine sous les débris de leur école dévastée. Un, deux, trois, quatre... C'est si long parfois de compter jusqu'à 22. Bien plus long que quelques minutes, à la télévision, entre la météo (plutôt bonne, merci!) et la préparation de la Toussaint (J -4).

   Quelques minutes qu'il faut tenter d'arracher, coûte que coûte, à la rampante banalisation de la barbarie. Qu'elle vienne de Syrie ou d'ailleurs. Ou qu'elle ait déjà fait son effroyable nid en nous. D.P.

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24 octobre 2016 1 24 /10 /octobre /2016 22:15
La gaffe et le juste prix

En politique, le ridicule ne tue pas, sinon il n'y aurait plus beaucoup de monde sur la place. Le dernier à s'être illustré en la matière est, en quelque sorte, un récidiviste. Questionné en direct à la radio par un auditeur sur le prix des fameux pains au chocolat que, selon lui - on se souvient -, nos chers enfants blonds se font voler pendant le ramadan, Jean-François Copé a répondu sans hésiter : "Aux alentours de 10 ou 15 centimes". Une plaisanterie? Non, il était sérieux comme un pape, le candidat à la primaire de la droite et du centre. Bah! après tout, son évaluation n'est jamais que huit à dix fois inférieure à la réalité.

On en sourirait volontiers si ce genre de bourdes - citons, entre autres, pour les précédents, le ticket de métro à 4 euros de NKM - n'était pas à ce point révélateur du colossal décalage qui ne cesse de se creuser entre les dirigeants et ce qu'on appellera pour faire court le peuple. Sans compter - c'est le cas de le dire - qu'on peut s'interroger sur cette pratique récurrente consistant à soumettre nos élites à une sorte de quizz permanent. Un peu comme si on n'attendait plus des responsables qu'ils aient un programme mais simplement qu'ils sachent jouer aux devinettes.

Imagine-t-on un instant, dans les années 60, quelqu'un demandant à De Gaulle combien coûte un paquet de gris ou un scoubidou? Il y a urgence, de part et d'autre, à réintroduire du sérieux dans le débat. La démocratie ne doit pas être réduite à un divertissement de Lagaf. La crédibilité de la sphère républicaine, encore un peu plus démonétisée par l'ignorance de Copé pour les choses quotidiennes, est à coup sûr, cette fois-ci, à ce prix. D.P.

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28 septembre 2016 3 28 /09 /septembre /2016 23:24
Souriez, vous êtes jugé!

Drôle de délibéré que celui que doit rendre aujourd'hui la cour administrative d'appel de Paris. Elle est, en effet, sommée de dire si on a le droit de se marrer sur la photo d'un passeport. Jusque-là, c'est non et nous sommes quelques-uns à nous être déjà fait retoquer des faciès pas assez neutres. Mais un haut fonctionnaire de 40 ans, un brin tatillon sur les questions de droit, n'a pas vu d'un bon œil le rejet de son dossier par la préfecture pour cause de portrait trop radieux."Est-il responsable, dans une France dépressive, que les autorités reprochent leur sourire aux Français?", argue-t-il en invoquant rien moins que Roland Barthes et La Joconde. En attendant la décision qui pourrait, mine de rien, bousculer à bon escient le sérieux de notre paperasserie, saluons cette doléance qui possède au moins le mérite de - momentanément - nous dérider. Enfin, pas tous. Aux dernières nouvelles, y'a pas photo, Buster Keaton et Michel Sardou n'ont pas cillé. D.P.

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23 septembre 2016 5 23 /09 /septembre /2016 20:58
"Le terrassier" d'Alfred Boucher (Musée des Beaux-Arts de Rennes).

"Le terrassier" d'Alfred Boucher (Musée des Beaux-Arts de Rennes).

Il aurait peut-être fallu nous prévenir. Nous adresser un signe, je ne sais pas moi, agiter un drapeau... Bref, qu'on puisse se préparer un peu. Parce que nous annoncer comme ça tout à trac - comme Marisol Touraine l'a fait hier - que vous savez pas quoi, eh bien je vous le dis tout net, "le trou de la sécu est derrière nous", avouez que faut pas être trop fragile pour encaisser ça. Le trou de la... Derrière nous? Dites, c'est une blague? Eh bien non, semble-t-il. Même qu'elle est très sérieuse, la ministre des Affaires sociales et de la santé. Avec des tas de chiffres qu'on n'a pas forcément compris, elle nous a expliqué que si c'est pas encore complètement bouché, c'est sûr que demain, il n'y aura plus de risque qu'on s'y fracasse. Badaboum, attention tenez la main des enfants!

Évidemment, dit comme ça, c'est plutôt une bonne nouvelle. Rien qu'à l'idée de bientôt revoir sa dentiste sans scrupule, y'a comme un parfum de fraise qui flotte dans l'automne naissant. Le problème, comment dire?, c'est que sans être très féru sur la question, on n'y croit qu'à moitié. Ou alors Hollande a raison quand il se fait, comme d'hab', fiche de sa figure en répétant : "Ça va mieux!". Vraiment, on ne sait plus à qui se fier. Et puis y'a pire encore. C'est qu'au fond - au fond, c'est le cas de le dire -, on l'aimait bien le trou de la sécu. "Aimer", ce n'est peut-être pas le mot, mais enfin quoi, on a tous plus moins toujours vécu avec. Et il n'y a rien de plus déstabilisant que d'apprendre la prochaine disparition d'un familier. Pour un peu, la déprime nous guetterait. Le trou noir, quoi. Surtout que, malgré les explications, ce ne sont pas les questions qui manquent. À commencer par celles-ci. Qu'est-ce qu'il va devenir le trou de la sécu quand il sera vraiment mort? Est-ce qu'on va l'enterrer? Et qui c'est qui va creuser le trou? D.P.

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9 septembre 2016 5 09 /09 /septembre /2016 21:32
Le passage de Monsieur Chic Corée

Il faudrait un Chaplin pour filmer ça. La tête d'ahuri de Kim Jong-un. Son sourire satisfait de grand méchant ouf qui ricane. Son improbable brushing bien dégagé derrière des oreilles sourdes au reste du monde. Il faudrait un Chaplin pour saisir cette figure. Le Chaplin du Dictateur. Celui qui fait danser dans ses mains une mappemonde de baudruche qui se convulse. Dans un autre plan, on verrait Ri Chun-hee.

Ri Chun-Machine, c'est quelque chose que comme la Catherine Langeais de KCTV, la télévision d'État de la Corée du Nord. Mais attention, une Catherine Langeais beaucoup plus inquiétante que la vraie, bien sûr. Hors du temps, imperturbable, comme conservée dans la naphtaline du dernier régime ubuesque de la planète, elle vante sans faille la gloire de l'apprenti sorcier grand benêt qui joue avec ses pétards au nez de l'Occident.

Des pétards? Oui, mais un peu particuliers. Le dernier, allumé hier matin - il était 9h30 à Pyongyang, 2h30 à Paris - a tout simplement dégagé une puissance de dix kilotonnes, plus fort encore que celui du 6 janvier dernier. Car Monsieur Un n'en est pas à son coup d'essai. Quand il s'ennuie, il tire. À chaque fois, la Terre tremble. Toujours, le G 20 s'agace. "Vilain Kim, Vilain!" Et puis voilà. On passe à autre chose. Normal, il y a tant de problèmes ici-bas.

Tenez, ne serait-ce que par chez nous, on ne sait plus où donner de la tête. Il y a en ce moment les primaires à préparer. Les primaires, c'est du lourd, ça. Et l'autre Charlot, avec la planète dans ses mains et sa gueule de Monsieur Chic Corée, c'est pour de rire, non? D.P.

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31 août 2016 3 31 /08 /août /2016 20:59
Anagrammacroniquement parlant

L'anagramme de Macron? Mon car. Et l'anagramme de liberté? Berliet.

Et dire que certains parlent de fusée...

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16 juillet 2016 6 16 /07 /juillet /2016 23:23

Il y a eu le choc, la sidération, le chagrin. Et voici la honte. La honte que nous ressentons à écouter le chœur indécent de celle et ceux qui n'ont pas attendu que le sang des victimes de la Promenade des Anglais commence à sécher. La honte qui nous saisit lorsque nous parviennent ces voix soi disant républicaines mais qui ne sont ici que bassement partisanes. Où s'est envolé l'esprit du 11-Janvier qui fit honneur à la France traumatisée? Et la si réconfortante union nationale du 13-Novembre? Hier les Charlie, aujourd'hui la chienlit. Passe encore, si l'on ose dire, d'entendre Marine Le Pen entonner son refrain sécuritaire. Au moins est-elle dans son rôle. Et glissons sur Henri Guaino dans son numéro de Trump préconisant d'équiper les militaires de lance-roquettes. On en rirait presque si le contexte n'était pas à la tragédie. Mais enfin, Juppé... Alain Juppé, l'ancien Premier ministre, le chouchou des sondages, que lui arrive-t-il pour se vautrer ainsi dans cette prompte démagogie qui consiste à sous-entendre que s'il avait été au pouvoir, il n'y aurait pas eu d'attentat. Comment adhérer à cette piteuse fanfaronnade qui fait offense à la gravité de la situation? A côté, Sarkozy fait figure de modéré. C'est dire où nous en sommes. On peut reprocher des tonnes de choses à François Hollande et nul ne s'en prive. Mais de grâce qu'on ne l'attaque pas, pour d'avides fins électoralistes, dans le rôle qu'il assume sinon le mieux, du moins le moins mal. Stop à cette danse macabre des petites phrases. Celle et ceux qui les profèrent sur les corps encore chauds des martyrs de Nice font honte à notre pays en deuil. Une fois honte. Deux fois honte. Trois fois honte. Quatre-vingt quatre fois honte. D.P.

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15 juillet 2016 5 15 /07 /juillet /2016 01:40
Honnie soit la terreur

Hier soir, Charlie était à Nice et le Bataclan s'appelait la Promenade des Anglais. On savait que les barbares n'aiment pas les caricaturistes et les amateurs de rock. On sait aussi maintenant qu'ils peuvent s'en prendre, le plus banalement du monde si l'on ose dire, à des hommes, des femmes, des enfants rassemblés un soir de 14-Juillet sous les étoiles d'un ciel en fête. Que le feu soit d'artifice n'est pas tolérable à ceux qui n'admettent que le vrai, celui qui brûle, celui qui tue en masse, à l'aveuglette, que ce soit au bout d'une arme de combat ou d'un camion fou braqué sur la foule comme une Kalachnikov. En frappant à une date symbole un fragment de ce beau peuple de France tentant de retrouver un peu d'insouciance sous les flonflons tricolores de la veille des vacances, les terroristes - le pluriel reste évidemment de rigueur malgré la singularité de cette dernière attaque - voudraient nous édifier une Bastille. Leur Bastille. Qu'ils sachent que, quels que soient les moyens qu'ils emploient, nous la détruirons à nouveau. Nous sommes tous Niçois et honni soit leur règne de terreur. D.P.

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24 juin 2016 5 24 /06 /juin /2016 23:09
Photo © D.P.

Photo © D.P.

C'était bien, tout de même, de la sentir si près, de les savoir pas loin. Elle était île et nous étions fous. Les soirs de vague-à-l'âme, on croyait parfois humer vers le nord l'odeur traînante des fish and ships. Tout à coup des brumes de Guiness arrivaient par Paimpol. Aux étés d'Aquitaine, Alienor et Henry trinquaient sous nos arcades. Au fond d'un verre de pécharmant la Dordogne soignait des exils Union Jack. Lorsqu'on l'oubliait elle se rappelait à nos mémoires d'un frottement de Manche humide. Trois notes de La Marseillaise embarquaient dans un sous-marin jaune. Shakespeare haussait la voix, Dickens ricanait en cockney, Harry Potter raflait la mise, l'Europe, bon sang, ça n'était pas sorcier.

On s'était coiffés comme les Beatles, on s'était embrassés pour la première fois sur un slow de Procol Harum qui commençait par "We skipped the light Fandango...". On avait pleuré Simpson dans le Ventoux, Brian Jones dans sa piscine, Lady Dy au Pont de l'Alma. On avait tous en nous une scène ou deux d'À nous les petites anglaises. Ah! "do you remember those happy days?".

Depuis qu'on la voyait, les jours sans brume, tout au bout du tunnel, elle était encore un peu plus à notre portée. Pourquoi a-t-il fallu qu'elle nous fasse faux bond aux premières heures d'un été d'orage? Nonsense que tout cela, of course. En attendant de comprendre pourquoi il y eut soudain ce coup de Trafalgar, que dire sinon que nous sommes tout simplement tristes? Allez, remettez-nous un peu les lumières tamisées, servez-nous une bass pale ale, sonnons les cloches à cette décision. Et faisons un sort à notre big peine. D.P.

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3 juin 2016 5 03 /06 /juin /2016 22:55

La crue sème évidemment la désolation, on ne cesse de le répéter. Elle a même, hélas, tué ici ou là. Mais, a contrario, il faut bien en convenir, elle fascine aussi. Entendons-nous bien, pas ceux qui en sont les victimes et vers qui vont toutes nos compassions. Mais ceux dont sommes pour la plupart, voyeurs à la petite semaine des dérèglements climatiques prêts à s'extasier à la vue du château de Chambord jouant soudain les sosies du Mont-Saint-Michel ou plus prosaïquement le regard agrippé à ces riverains bottés juchés sur des radeaux qui nous médusent.

Face à ces scènes - ces Seines : Lacan si tu nous entends! -, ravivant par ailleurs des images bibliques, comment ne pas songer également à ce court-métrage de Godard et Truffaut intitulé précisément Une histoire d'eau? C'était au tout début des années 60. La Ford "Taunus" 18 chevaux de Brialy se prenait pour un poisson et la très oubliée Caroline Dim cherchait à se liquéfier de bonheur entre Villeneuve-Saint-Georges et Paris. Pour revoir ces images, il suffit aujourd'hui de cliquer sur YouTube et le constat s'impose : rien n'a vraiment changé. Le flux qui déferle en ce début juin sur la capitale n'est que la rémanence d'une très antique vague qu'on croit toujours nouvelle.

Sans compter que les présentes intempéries ont un pouvoir insoupçonné. Elles submergent nos chers débordements - sociaux bien sûr. Oh! pas pour longtemps, ne rêvons pas. Dès que le Zouave du pont de l'Alma aura à nouveau les pieds au sec, les manifs reprendront elles aussi leur cours et reviendront des nuits qu'il faudra sans doute momentanément écrire "de boue". En attendant, et quoi de plus naturel au fond?, l'eau qui monte recouvre la grève. D.P.

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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