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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 00:01
La grande pantalonnade

Et vous, vous êtes plutôt tee-shirt ou costard? Ouf! Voilà enfin une question déterminante à l'heure où l'on s'interroge tous sur l'avenir du tissu social. Rappelons tout de même ce qui est à l'origine de ce pour le moins élégant débat de fond. Cela s'est passé à Lunel vendredi. Un syndicaliste interpelle le ministre de l'Économie en visite dans l'Hérault : "Vous, avec votre pognon, vous achetez des costards". On avait dit "pas les habits" mais bon... L'apostrophe cousue de fil rouge aurait pu rester sans suite. Las! C'était sans compter sur l'esprit de répartie du locataire de Bercy : "Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt [...] La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler".

Palpez-moi ça, c'est du satiné. Du taillé sur mesure pour la toile. Presque aussi fringant, Macron, que ce sans-culotte adepte du nu debout qui a récemment défilé sans tee-shirt, sans costard et sans rien à Caen. Reste que, depuis la chemise déchirée du DRH d'Air France en octobre dernier, la protestation textile semble avoir le vent en poupe. Impossible, désormais, de donner le bon dieu sans confection. Faut-il ajouter que vu ce qui se trame, on pourrait espérer mieux que cette surenchère dans la pantalonnade...

Et nos pompes dans tout ça, me direz-vous? Eh bien, elles sont toujours plus ou moins à sec. Qu'on y fasse la queue en frusques prolo... Ou en tenue super. D.P.

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21 mai 2016 6 21 /05 /mai /2016 22:38
"Pauvre sens et pauvre mémoire..."

Les temps sont durs, il faut faire des économies. Tout le monde doit faire des économies. Moi, nous, vous. Nos, vos, leurs... Laurent Wauquiez aussi, il n'y a pas de raison. Largement élu à la tête de l'assemblée Rhône-Alpes/Auvergne en décembre dernier, le très volontariste tombeur de Jean-Jack Queyranne jure la main sur son cœur rouge anorak qu'il va tirer presto un trait sur la "gabegie" de son prédécesseur socialiste. Alors il rogne.

Normal, direz-vous. Tout le monde doit rogner. Rogni, rognez, rognons... Trois sous par ci, un peu plus par là. Des ponctions qui, à force d'être routinières, émeuvent à peine. Sauf que là, c'est un peu différent. 40 000 euros (*) en moins pour la Maison d'Izieu. Le couperet est tombé pour ce lieu de mémoire pas comme les autres. Bon, il paraît que la décision a été discutée en amont. Et que le président de l'association a dit qu'il s'en accommoderait. On salue sa résignation et on ne doute pas que l'argent récupéré sera utilisé ailleurs à bon escient. Mais comment, cependant, ne pas exprimer le malaise que nous ressentons?

Car enfin quoi, Izieu, ce n'est pas une troupe de saltimbaques, Izieu, ce n'est pas une émanation de l'école du cirque, un truc issu de ces "formations fantaisistes" que dénonçait le même Wauquiez lors de sa campagne. Izieu, c'est le tombeau virtuel de 42 enfants juifs et sept éducateurs raflés sans retour par Barbie le 6 juin 1944. Izieu, ce n'est pas seulement un lieu de mémoire, c'est aussi un espace de documentation et de pédagogie. Faire des économies de bout de chandelle ici, c'est prendre le risque de laisser s'éteindre la flamme de la transmission. "Pauvre sens et pauvre mémoire / M'a Dieu donné, le roi de gloire / Et pauvre rente", comme chantait Rutebeuf.

Et le plus incompréhensible dans tout cela, c'est d'apprendre, dans le même temps, que le budget de "Jazz à Vienne" a, lui, été doublé. Tant mieux pour ceux qui aiment le swing et pour le maire de la cité gallo-romaine iséroise étiqueté Les Républicains (tiens!, comme Wauquiez). N'en doutons pas, Vienne va pouvoir encore mieux faire la fête. Mais à Izieu, sans tambours ni trompettes, c'est l'impro qui pourrait se préparer. D.P.

_____

(*) 20 000 seulement, selon la Région.

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29 avril 2016 5 29 /04 /avril /2016 23:30
La France de mai

Et revoici la France de Mai. Encore quelques heures et on y sera. Patience. La France de mai, on la connaît bien. Avec son grelot aigrelet de muguet, son pollen en ordre dispersé, ses syndicats et ses bannières. La France de mai est bonne fille. Elle prend des airs d'été sans vraiment y croire elle-même. Elle fredonne du Montand et du Nougaro, elle relit Musset et Apollinaire, elle guette son reflet dans une toile de Bonnard. Entre soleil franc et mercure capricieux, elle se croit en terrasse rien qu'à s'approcher des fenêtres. La France de mai est vive et souple. De Jean Jaurès à Jeanne d'Arc, elle fait le grand écart. La France de mai est allergique. Elle mouche son nez dans le drapeau et gare ses larmes dans un mouchoir. La France de mai est coquette. Elle se pomponne de poudre et se fait des mèches de cocktails-Molotov. La France de mai est rebelle et bon enfant. Elle est de 68 et chausse du 36. La France de mai a un parfum d'élections même les années sans. La France de mai passe ses journées couchée dans l'herbe et ses nuits debout sur le bitume. Pour oublier son vague-à-l'âme, la France de mai se fumerait bien un p'tit juin. Allez, encore un moi et ce sera bon! D.P.

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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 23:35
Hashtag "Porsche"

Jadis, les Porsche faisaient rêver. Rêver les enfants des sixties qui jouaient avec leurs modèles réduits Norev sans se douter qu'ils n'en auraient probablement jamais une "en vrai". Rêver les grands ados coiffés comme James Dean au destin fracassé dans son bolide allemand sur la route de Salinas. Roland Barthes, l'œil rivé aux limousines de luxe, s'inventaient des mythologies de verre et de chromes. Le premier choc pétrolier dormait encore sur son baril de poudre. C'est dire si les temps ont changé puisque c'est précisément un véhicule de cette marque, brûlé ce jeudi devant la Préfecture de Nantes par des manifestants opposés à la "loi travail", qui s'est retrouvé, paraît-il, en tête des "images du jour". Avec comme preuve absolue de son impact, le hashtag "Porsche" propulsé au turbo dans le top 5 des tweets.

Impossible, bien sûr, de regarder les flammes s'échapper de l'habitacle du véhicule ciblé sans songer à l'iconographie anar de Mai-68. Mais on se gardera bien d'une comparaison plus avancée. Les révoltés de Nantes hier ne sont pas les enragés de Nanterre. L'histoire, à plus forte raison si elle fatiguée par trop de Nuits Debout, ne repasse pas les plats, fussent-ils réchauffés au brasero des bagnoles qui crament. Et des idéaux partis en fumée. D.P.

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14 avril 2016 4 14 /04 /avril /2016 22:10
Moi téléspectateur...

Moi téléspectateur, j'ai trouvé François Hollande plutôt habile et mesuré.

Moi téléspectateur, j'ai vu un chef de l'État globalement déterminé et pugnace.

À moi téléspectateur, il m'a semblé relativement bon dans ce rôle (ou, disons, pas mauvais).

Moi téléspectateur, j'ai compris à plusieurs reprises qu'il s'adressait d'abord à sa gauche.

Moi téléspectateur, je parierais qu'il est prêt à rempiler en 2017.

Moi téléspectateur, j'ai eu un petit frisson lorsqu'il a dit : "Être président, c'est vivre tout le temps avec la tragédie" (ou alors c'était la fraîcheur du soir).

À moi téléspectateur, les Français du panel m'ont paru trop formatés (chacun à sa manière).

Moi téléspectateur, j'ai tout de même songé par moments qu'il y avait Annie Ernaux à La Grande Librairie.

Moi téléspectateur, j'ai zappé une fois ou deux - mais très rapidement, je le jure - sur la 5.

À moi téléspectateur, il n'a pas échappé que la patronne, c'était Léa Salamé (à France 2, le changement, c'est maintenant mais, je sais, pardon, c'est une autre histoire).

Moi téléspectateur, je ne me pose même pas la question de savoir si la cote de l'invité de ces "Dialogues citoyens" va remonter.

Moi téléspectateur, je sais très bien que pareil exercice est vain quand on est aussi impopulaire que François Hollande.

Moi téléspectateur, je ne regrette pas trop ma soirée (grosso modo).

Moi téléspectateur, je regarde le Président à télé (enfin, des fois).

Moi téléspectateur, je ne dirais tout de même pas : mon ennemi c'est l'abstinence (faut pas exagérer non plus). D.P.

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8 avril 2016 5 08 /04 /avril /2016 21:30
Photo © D.P.

Photo © D.P.

Eux, ils ne sont pas en marche façon Macron, ils sont debout. Dès que le jour tombe, ils se dressent. Droits comme des "i". "Parfaitement érectes" comme l'Adam Pollo du Procès-verbal de Le Clézio. Encore que dans ce phénomème des "Nuit debout" né place de la République à Paris et qui ne cesse de se propager d'une ville à l'autre, on ne sache pas vraiment qui est debout : les manifestants ou la nuit elle-même. Les deux probablement, intimement mêlés. Fondus au noir pour clore une séquence avant que n'en commence une autre. Occupés à apprivoiser la nuit pour recouvrir l'ennui.

Comment ne pas songer aux propos de Pierre Viansson-Ponté préfigurateurs de Mai-68? Sauf que son fameux "La France s'ennuie" est devenu La France "s'annuit". Au feu des cocktails Molotov a succédé un vaste désarroi collectif qui charbonne. Toute une jeunesse sans programme a appuyé sur la touche "veille". Ce vieux monde neuf, de plus en plus privé d'horizon, a généré cela : un peuple de nyctalopes solidement plantés sur leurs jambes pour bien montrer qu'ils ne sont ni assis, ni couchés. On ignore ce qu'il y aura au bout des "Nuit debout", ni même si il y aura un bout. Ce qu'on sait, c'est que le désenchantement semble avoir passé un pacte avec les ténèbres mais que la résignation brûle sa chandelle. Par les "debout", bien sûr. D.P.

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30 mars 2016 3 30 /03 /mars /2016 22:03
Coffe fort

"Son œuvre est un monument pour la France" a estimé le dessinateur Geluck. Élise Lucet a chaussé les lunettes rondes bleues du disparu pour mieux lui rendre hommage en ouverture du "13 heures" de France 2 ce mercredi. Et la radio qui, un peu plus tôt, annonçait sa mort, a dit : "Jean-Pierre Coffe restera pour sa célèbre phrase : C'est de la merde!". Ah bon, vraiment? D.P.

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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 22:39
"On est tout ce qu'il y a de plus exposé..."

Dans l'hébétude qui suit, en ces instants qui n'en sont pas vraiment dans le temps suspendu, parmi les décombres d'un matin de printemps fracassé au "comptoir d'une compagnie" ou dans le métro, nous voici, une fois de plus, accrochés à la bouée de nos écouteurs et de nos écrans. Radios, télés, tablettes, smartphones. "Allô, t'as vu, ça pète à Bruxelles..." Info continue ou réseaux sociaux, stop, de grâce, rembobinez, no replay, vite, la touche pause! Mais non, ces images un peu floues, ces fumées, ces sanglots, ce fragment de monde saisi de tremblement, cette poussière de la vie dépecée, toute cette déraison barbare si souvent vue et revue, c'est hélas du direct. Le terrorisme a inventé les archives au présent.

Des gens qui courent, des gisants livrés aux mains des premiers secours, un policier qui gueule "Reculez!". Un agent de sécurité qui ordonne de laisser les bagages... Cris, sirènes, le sursaut de survie qui fait son bruit de fond. Et déjà sur Facebook ou Twitter, ces autres miroirs d'une époque décidément bien difficile à "liker", Tintin et Milou pleurent, le Manneken Pis frissonne, Brel et Dick Annegarn psalmodient le temps où "Bruxelles - ma belle - bruxellait", Laurent Joffrin ajoute une larme lucide au vieux Chagrin des Belges d'Hugo Claus.

Voilà, c'était hier matin au cœur de l'Europe, notre Europe. Un 22-Mars infinitif inscrit à la suite d'un 7-Janvier ou d'un 13-Novembre. C'était ici, maintenant et demain en chacun de nous, combattants et démunis, ouvrant peut-être tout à coup, vain sursaut salvateur, un livre d'Henri Michaux, le poète de Namur : " ... qui sait? qui sait? brouillard! brouillard! on est si peu exposé, on est tout ce qu'il y a de plus exposé...". D.P.

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19 mars 2016 6 19 /03 /mars /2016 22:56
Le printemps Thelma

C'est quoi le printemps? C'est un bouquet de primevères, c'est un air soudain plus doux, c'est Botticcelli qui débarque au jardin. C'est quoi le printemps? Et si c'était, cette année, une photo... Une photo qui, comme égarée ces jours-ci dans le flux radoteur des réseaux sociaux, reste presque privée. À tel point qu'on ose à peine l'évoquer ici, sinon du bout des lèvres. Mais comment taire l'émotion qui en émane? À vrai dire, on ne voit pourtant pas grand-chose sur cette image. Juste une grenouillère blanche à petits points gris et une menotte repliée de bébé. Il faut tourner un peu la tête pour lire ceci sur le bracelet de nouveau-né en plastique : "Thelma née le 16- 3- 16". Une petite fille venue au monde à quelques jours du printemps, comme tant d'autres évidemment. Sauf que Thelma, toute minus qu'elle est, adresse avec son si fragile poignet, le plus vivifiant des bras d'honneur qu'on puisse imaginer. Un bras d'honneur à Salah Abdelslam dont on voit le visage partout au moment où elle s'éveille. Un bras d'honneur à tous les terroristes de la Terre.

Thelma va maintenant apprendre à connaître sa maman Aurélie qui a ému la France entière par sa force et son courage. Elle va bientôt pouvoir rire avec son grand frère Gary. Et puis, un peu plus tard, elle apprendra ceci. Matthieu, son papa, originaire de Grenoble, aimait, en plus d'Aurélie, la géographie, le foot, le whisky japonais, les BD, la poésie. Et les Eagles of Death Metal.

C'est eux qu'il était allé applaudir le 13 novembre dernier. Quand elle sera plus grande, Thelma s'arrêtera un jour devant un bâtiment redevenu presque banal. Elle dira : "C'était là le Bataclan". Elle murmurera peut-être ce mot extraordinaire : "Papa". Et ce serait vraiment bien si c'était un jour de printemps tout neuf. Comme aujourd'hui. D.P.

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27 février 2016 6 27 /02 /février /2016 23:20
Photo © D.P.

Photo © D.P.

Tout le monde connaît le fameux mot de De Gaulle: "On ne peut pas gouverner un pays qui offre 246 variétés de fromages". C'était en 1962. Quelques années plus tôt, les écoliers rachitiques de l'après-guerre s'étaient régénérés au lait de Mendès France. La France état un éternel pays rural. Les rutilants "Pony" ou "McCormick" du Plan Marshall s'offraient encore par moments des hénissements de chevaux de trait. L'agneau de PAC n'était pas né. Des Péguy en casquette veillaient sur les sillons. De Bruxelles, ils ne connaissaient que le parfum des choux éponymes prêts à mijoter dans l'ancestrale marmite en fonte.

Vieille histoire, décidément, que tout cela. La jacquerie à laquelle a été confronté François Hollande, lors de l'inauguration ce samedi du Salon de la Porte de Versailles, appartient tout à la fois à un autre temps et un autre monde. Les paysans 2.0 d'aujourd'hui ont des tracteurs aussi gros que leur désespoir à vif et leurs comptes à découvert. S'ils pratiquent l'élevage ils s'abaissent, s'ils creusent leurs champs ils s'enfoncent. Pour un peu, ils s'en prendraient au sol nourricier. À défaut de l'apostropher lui-même, le chef de l'État fera l'affaire. "Bon à rien, connard, fumier!" Hollande, ce président au nom de fromage étranger, peut bien récolter l'invective.

Soyons honnêtes, il n'est pourtant pas beaucoup plus responsable que ses prédécesseurs de la situation actuelle mais, à son niveau, il l'est évidemment autant. Au moins aura-t-il, à l'inverse de l'énervé du "Casse-toi pauv' con!" de 2008, écouté ses contempteurs. Mais c'est probablement en rêvant à son aîné corrézien qui savait si bien, d'une matoise attention de maquignon, mesurer le QI des vaches et prendre le pouls de l'époque, qu'il a engrangé l'insulte, bravé la menace des fourches et reniflé de très près la bouse.

Pas très glorieux tout cela, bien sûr. Quoiqu'à ce niveau de résistance à la colère et au déni de la fonction présidentielle, on serait presque tenté de trouver une dimension sacrificielle à la l'homme-cible. François Hollande, jeté en pâture au cœur de cette foire d'empoigne surmédiatisée, faisait un peu figure de martyr de Notre-Dame, non pas seulement, des landes, mais des prés et des jachères. Pour ne pas dire de la Terre entière. D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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