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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 23:39

     Comme certains "sont"  des rues, lui, il était, de son vivant, devenu une loi. Un destin à la fois glorieux et réducteur. La dimension institutionnelle pouvait, en effet, faire oublier qu'il y avait un homme au-delà. Et pas des moindres. Le très jeune résistant courageux, qui, pendant la guerre, ne dut son salut qu'à une pièce de monnaie sur laquelle ricocha la balle de l'ennemi, n'allait pas cesser de poursuivre le combat. Et il lui en fallut déployer de l'énergie pour faire adopter, le 28 décembre 1967, contre une grande partie de l'opinion de l'époque, la loi autorisant la contraception. Un an plus tôt, le chanteur Antoine avait certes préconisé la mise en vente de "la pilule dans les monoprix", mais lui-même n'y voyait guère qu'une élucubration. Lucien Neuwirth ne portait pas de chemise à fleurs. Juste le gilet pare-balles de ses convictions visionnaires, adoubées par le général De Gaulle dont il fut l'un des derniers héritiers historiques. Celui qui "changea la vie"  vient de mourir à 89 ans. Saluons bien haut sa trajectoire. Au nom de la Loi. D.P.

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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 21:48
 Sympa, le type, avec sa moustache et son uniforme nazi. Et super ses modèles avec, en tête, l'ancien président Jozef Tiso complice de la déportation de milliers de juifs au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qu'il pense de l'OTAN? Une organisation de"terroristes". Et les Roms? des "parasites". Et c'est qui, cet humaniste? Pas un dérangé, un illuminé, un marginal... Instituteur de son état, il s'appelle Marian Kotleba, il a 36 ans  et il a été élu dimanche, au second tour, par 55,5 % des voix, gouverneur de la région de Banska Bystrica.
   Ce nom ne dit peut-être pas grand-chose sauf que ça se trouve au centre de la Slovaquie - où la ville éponyme est par ailleurs jumelée avec Saint-Etienne -,  et que la Slovaquie, admise dans la zone euro depuis 2009 (mais le nouveau chef ne cache pas sa nostalgie de l'ancienne devise locale), est devenue membre de l'UE cinq ans plus tôt. A six mois des élections européennes, pareille accession au pouvoir,  hélas pas tout à fait isolée, et justifiée notamment par une faible croissance et un fort taux de chômage, ne peut à l'évidence nous laisser indifférents.
   N'oublions pas qu'avant mai 2014, il y aura un long hiver, hiver saison des loups. Et que tous les loups - brrr! - ne sont pas dans les Carpates. D.P.
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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 00:02

   La France est championne en manifs, tout le monde le sait. Mais des comme ça, sans doute n'en avait-elle encore jamais connu. De 5 à 15 000 cavaliers ont battu le sabot ce dimanche dans les rues de Paris. Et entre 300 et 900 petits bourrins ont participé à une cavalcade purement inédite. Après les bonnets, les poneys!  Ce n'est plus de la grogne, c'est du hénissement.
   La raison? La hausse de la TVA dans les centres équestres qui doit passer de 7 à 20% au 1er janvier prochain. On n'est pas tout à fait sûrs qu'il n'y a pas exagération de la part des protestataires qui évaluent à 2000 les établissements menacés de fermeture, à 6000 les emplois sacrifiés dans le secteur et carrément à 80 000 le nombre de bestiaux condamnés à l'abattoir...

   Mais reste que cette hippo-lutte, ne serait-ce que par sa symbolique affective  et son rattachement au domaine des loisirs et de l'enfance, revêt une dimension bien particulière que ne peut ignorer le gouvernement. C'est sur fond de ce "On achève bien les chevaux"  version fin d'automne 2013 que Jean-Marc Ayrault s'apprête à entamer - steeple-chase autant social que politique -, sa vaste remise à plat de nos impôts. On lui souhaite, en pareil contexte,  de miser sur le bon chiffre pour mener à bien sa course à l'"équidée" fiscale. D.P.

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23 novembre 2013 6 23 /11 /novembre /2013 10:00

DSCN4260.JPG  DSCN4271.JPG C'était jeudi soir à La Grande librairie, sur France 5, au côté de Françoise Héritier (présente sur le plateau pour son essai Le Goût des mots, chez Odile Jacob, titre repris comme thème de l'émission), également autour de Jacques Chancel et de Philippe Labro, bonheur de retrouver les amis Juliet et Pirotte. Plaisir d'écouter Charles, venu présenter le septième tome de son Journal intitulé Apaisement (P.O.L). Son attention. Sa discrétion. Son sourire d'enfant. Son premier souvenir de Nerval. Ses confidences prononcées en une sorte de murmure grave: "Les personnes qui écrivent sont toujours en lutte contre le temps et contre la mort". Ou bien encore: "Le temps des moissons est plus lumineux que le temps des semailles".

   Emotion de découvrir, ensuite, Jean-Claude, magnifique poète filmé chez lui en Belgique, le visage hélas déformé par le cancer, confier: "Pour me prouver que je ne suis pas mort, j'écris". Jean-Claude dont vient de paraître le poignant Brouillard, au Cherche-Midi. D.P. Photos D.P.

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21 novembre 2013 4 21 /11 /novembre /2013 23:47

DSCN4285.JPG   Sans cela, personne ne se souviendrait de ce qu'il faisait ce jour-là. Banales tâches quotidiennes soudain pétrifiées par la déflagration de l'information. Gestes et souffles suspendus face à l'incroyable. Ce 22 novembre à Dallas, la mort de Kennedy, c'est un Pompéi moderne. Tout se fige sous la coulée de lave des flashes spéciaux. Tout brasille en noir et blanc sous la cendre incandescente des écrans des premières télévisions. Tout tremble dans l'image floue d'une "Lincoln" décapotable  transformée en linceul. Et le bouche à oreille qui s'ensuit, le coeur à coeur, le larme à larme, précieux renforts à la très succinte sphère médiatique de l'époque,  anticipent à leur manière ce que seront un jour lointain les chaînes continues et les réseaux sociaux.

   A la Tragédie mondialisée, avec un grand "T" comme Traumisme, se mêlent alors de façon vite indissociable les petites mythologies ordinaires de tout un chacun. Il faudra attendre, longtemps plus tard dans le même pays, en une ère en tout point différente, un certain 11-Septembre pour retrouver pareille sidération collective. Et c'est encore cela qui compte aujourd'hui, un demi-siècle après. Plus que la lumière et les ombres du président assassiné, plus que la légende née de ce destin fracassé, plus que l'enquête pourtant riche en énigmes et en rebondissements. Ce jour de l'automne 1963 où, dans les rues, les bureaux, les ateliers, les écoles, les bistrots, les cuisines, nous étions tous "kennedystes", nous étions tous Américains.  D.P.
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20 novembre 2013 3 20 /11 /novembre /2013 22:16
   DSCN3696.JPG  Après le ballon des Bleus, le ballon de rouge. Du ticket pour Rio au beaujolais nouveau, c'est au fond la même fête qui se poursuit. Celle d'une France qui en a ras la coupe de la morosité ambiante et pour qui toutes les occasions d'euphories redonnent du soleil au coeur. Du soleil, c'est une façon de parler. A quelques heures de faire sauter les bouchons, mieux valait croiser les doigts pour que la neige ne vienne pas perturber les réjouissances. Au pays du "beaujolpif", on n'aime pas trop les coups de blanc.
   Et sinon, quel parfum il a, le cru 2013 de ce breuvage cher à Fallet et à Audiard et dont raffolent les Japonais? Ceux qui, dès minuit, l'ont honoré sur les comptoirs le disent "fruité", "croquant", "gouleyant". Va pour ces trois qualificatifs. La seule chose qu'on lui demande, par les temps nauséeux qui courent, c'est d'éviter le goût de banane. D.P.
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19 novembre 2013 2 19 /11 /novembre /2013 17:29

DSCN4126.JPGDSCN4125.JPGDSCN4127.JPG  Avec retard, mes trois derniers billets parus dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain".

 

   (Cliquez sur les images pour les agrandir).

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18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 22:08

   

   Oui, bien sûr, ça fiche la trouille, un type qui erre dans Paris une arme à la main. D'autant plus qu'il n'a pas hésité à faire feu, ce lundi matin, dans le hall du journal Libération, blessant grièvement un photographe, et cela trois jours après une agression quasi similaire au siège de BFMTV. Mais ne tire-t-on pas un peu trop sur le fil de la psychose toujours si prompt à se dérouler en pareille circonstance? Et n'est-ce pas un brin excessif de formuler spontanément des conclusions définitives sur le climat de violence qui aurait envahi notre société? Après tout, les cinglés - car il est fort probable que l'homme aux chaussures vertes relève plus ou moins de cet état - n'ont jamais manqué.
    Que les forces de l'ordre traquent l'inquiétant personnage est bien le moins, mais le remake de Peur sur la ville  joué en direct sur nos écrans a pu paraître un brin surjoué. Etait-ce, par exemple, bien utile, qu'un hélicoptère  survole la capitale comme dans le vieux film de Verneuil? La propagation du sentiment d'insécurité naît probablement moins d'un "simple" fait divers que de cette angoisse beaucoup plus générale qui est la nôtre face à l'avenir. Le fantôme au fusil filmé par les caméras de surveillance n'aura pas été le déclencheur de nos  alarmes, "juste"  l'un des accélérateurs. D.P.

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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 23:34

   Voilà au moins un domaine dans lequel les bonnes nouvelles se succèdent! Guère plus de deux semaines après le retour à la liberté des quatre otages français d'Arlit, au Niger, on a appris ce dimanche la libération de Francisque Collomp, enlevé en décembre 2012 dans le nord du Nigeria. Le ministère des Affaires étrangères a annoncé le retour imminent à Paris de l'ingénieur français de 63 ans qui, s'il est affaibli - il a perdu trente kilos -, semblait en état de voyager. Mais ce qui a le plus étonné - sur fond, bien sûr, d'immense joie communicative - ce sont les conditions de cet épilogue d'une longue détention aux mains du groupe islamiste Ansaru.

   Le prisonnier serait en effet parvenu à s'évader, au bénéfice de l'inattention de ses geôliers lors de la prière.  Ce serait donc, s'il est confirmé, sur une sorte de scénario à la Hergé qu'auraient ainsi pris fin les onze mois de cauchemar endurés par notre ressortissant. Tintin au pays de Boko Haram, qui dit mieux? Un épisode rocambolesque parfaitement inattendu qui devrait en tout cas saper à la base les rituelles polémiques sur les éventuelles contreparties versées. Ce qui ne veut pas dire - ne rêvons pas - que d'autres questions ne se poseront pas. D.P.

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13 novembre 2013 3 13 /11 /novembre /2013 22:35

   François Hollande s'est-il fait huer le 11 novembre lors de son déplacement à Oyonnax, dans l'Ain? Oui et non. En tout cas pas comme TF1 l'a laissé croire aux téléspectateurs de son 20 heures. Il y a bien eu quelques clameurs mais pas en présence du Président. C'était juste un peu avant, ce qui n'est tout de même pas la même chose, on en conviendra. Une manipulation? Si la première chaîne reconnaît un"maladroit décalage de quatre secondes", il ne s'agit selon elle que d'une "maladresse". Mwouais...

   Le pire après cette révélation du Petit Journal de Canal +, c'est que, du coup, on se met à douter de tout. Tiens, ces manifestants qui, ici ou là, ne cessent de déboulonner les panneaux dont ils vont financer le remplacement avec leurs impôts, ce ne peut-être qu'un "fake", un montage... Et le type qui dit avoir payé des hommes politiques de tous bords pour tenter de résoudre ses problèmes fiscaux, c'est Aznavour, le chanteur qu'on aime? Pas possible. A coup sûr, la bande-son ne coïncide pas avec l'image...

   Heureusement, les voix unanimes qui se sont élevées pour dire leur indignation face à la Une raciste de Minute n'ont subi, elles, aucune distorsion. Pas plus que la très digne parole de Christine Taubira dans la soirée sur France 2. Ouf! Enfin un instant "raccord" dans le grand "décalage" qui s'offre à nos yeux. D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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