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Top articles

  • L'instant arrêté (5)

    02 novembre 2012 ( #L'instant arrêté )

    Deux images captées en cet après-midi de Toussaint. Deux protubérances. Deux élévations. Deux lampes. L'une qui s'éteint doucement aux lendemains de luminescents jours d'hiver précoce. L'autre qui s'allume à l'heure où le soir de novembre appuie sur le...

  • "Dave Brubeck jouait comme un fou..."

    05 décembre 2012 ( #Destins - ombres - figures )

    Ce qui est fort, c'est que même ceux qui ne le connaissaient pas le connaissent. C'est ça, le vrai miracle, c'est lorsque la musique dépasse en notoriété le nom de l'interprète. Faites un test auprès de ceux - s'il y en a - qui se risquent encore à poser...

  • Ah, hé, oh...

    14 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Ah, hé, oh... L'actualité ne saurait donc être que ça, une suite d'exclamations? Exclamation d'effroi, d'abord, ce mercredi soir, à Ajaccio, après l'assassinat, dans son magasin, de Jacques Blacer, le président de la CCI de Corse du Sud. Un nouvel acte...

  • Landschaft mit Schnee

    10 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Matelassée de neig e, Berlin ressemble ce dimanche à un fragment de Groenland égaré au bord de la Spree. Plus que jamais le temps semble suspendu dans cet ilôt d'Europe où les familles emmitouflées ont sorti les bonnets et les traîneaux. Du côté de Friedrichshain,...

  • Dans "Lyon Capitale"

    20 novembre 2012 ( #En lisant - en écrivant... )

    Mon article consacré à l'actuelle exposition au Musée des Beaux-Arts de Lyon, posté sur ce blog le 3 novembre, est également lisible sur le site du mensuel "Lyon Capitale". Cliquez sur ce lien: Dans le champ de Soulages / Esprit critique ... - Lyon Capitale...

  • Comme un effet d'Accoutumance

    20 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Mais que se passe-t-il donc? Lassitude? Résignation? Je-m'en-foutisme? Toujours est-il que cette nouvelle perte de notre triple A n'a pas l'impact de la précédente. Lors de la première sanction, prononcée au tout début de l'année par Standar & Poor's,...

  • Une UMP à écoper

    19 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    On l'attendait dimanche soir. On l'attendait hier matin à l'heure du premier pain au chocolat. On l'a attendu tout au long de ce lundi de psychodrame à droite. Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir? Non, on ne voyait rien venir. Sinon, la confusion,...

  • Un rendez-vous sur RCF Isère et Savoie

    26 novembre 2012 ( #En lisant - en écrivant... )

    "Entre Paroles & Musique" (Entretiens littéraires radio - RCF Isère - RCF Savoie) Les 28, 29 & 30 novembre, l' invité est l'auteur & poète Didier Pobel A l'occasion de la sortie de son roman Couleur de Rocou aux éditions Le Temps qu'il fait. " Et si je...

  • Le chewing-gUMP

    26 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Un de ces quatre c'est sûr, il va falloir tourner la page. Parce que, mine de rien, il se déroule tout de même des trucs pendant ce temps. Arnaud Montebourg s'énerve contre Mittal. Les tracteurs mènent la manif à Bruxelles. La Sacem donne ses prix à Catherine...

  • La neige, cet éternel événement

    02 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Et pourtant, ce n'est guère que ça. Rien qu'une effilochure pâlichonne ici dans notre coin de Bresse, ou ailleurs. Du résiduel, peut-être. Quelque chose comme une épluchure céleste. Et pourtant, c'est à coup sûr l'événement. Les journaux télévisés avaient...

  • Débranche!

    29 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    "Débranche!", comme chantait France Gall. Au moment où chacun prétend faire la lumière sur tout, Delphine Batho prône l'extinction des feux. Gonflée, la ministre! Certes, ce n'est pas la première fois qu'un membre du gouvernement entend faire ainsi des...

  • L'âge de l'ex-capitaine

    28 novembre 2012 ( #Destins - ombres - figures )

    Pour une fois, le mal qui l'affaiblit, c'est probablement aussi sa chance. La chance d'échapper un peu à ce qui se passe en ce moment dans la famille gaulliste, ou dans ce qu'il en reste. Que dirait-il, Jacques Chirac, s'il lui était donné de commenter...

  • Le béton, l'acier, la neige

    06 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Allez donc savoir ce qui est vraiment en béton dans notre siècle aux allures si bétonnées. Contrairement aux apparences, Oscar Niemeyer, qui avait pourtant magnifié ce matériau, n'était finalement fait que de chair et d'os. Reste que, à près de 105 ans,...

  • La carte de Depardieu et le territoire de Houellebecq

    16 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    "L'affaire Depardieu"! ç a y est, nous y voilà. Il aura fallu une semaine pour que tous les ressorts se mettent en place. Flash back. D'abord, le bras d'honneur de l'acteur. Trop d'impôts, tchao, je me barre à Néchin. Quelques réflexions timides puis,...

  • Une "sortie de crise"?

    27 novembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Vous avez dit "sortie de crise"? Drôle d'expression quand on y pense. Evidemment, c'en est bien une à sa manière puisque pour la première fois depuis dix jours, le psychodrame de l'UMP s'avance vers un possible dénouement. Mais, tout de même, ça fait...

  • Bravo à Pirotte et Choplin

    05 décembre 2012 ( #En lisant - en écrivant... )

    - Bravo à Jean-Claude Pirotte qui, après de nombreuses autres distinctions dont le prix Kowalski de la Ville de Lyon en 2008, vient de recevoir le Goncourt de la poésie, rebaptisé cette année "Robert Sabatier", en hommage à l'académicien poète disparu...

  • Etats-Unis: la fin de l'immonde?

    18 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Jusque-là, on se marrait sous cape. Parce que, n'est-ce pas, c'est plutôt drôle l'idée qu'on va tous mourir quand on sait que tout ça c'est pipeau, business et compagnie. Vive l'eschatologie, Bucharach for ever! Mais voilà que, tout à coup, on rigole...

  • L'instant arrêté (8)

    10 décembre 2012 ( #L'instant arrêté )

    "Berlusconi revient!". C'est l'info du moment. En Italie bien sûr. Mais également en France. Ou ailleurs encore en Europe. Tiens, ici aussi, dans l a capitale allemande où, au gré d'une errance sous la neige, on peut tomber sur l'enseigne du "Cavaliere"....

  • Stress à la douzaine et pattes de lapin

    12 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Alors on fait quoi en ce douz' douz' deux mil douze? Plus que neuf jours, ouf, on va tenir le coup! On attend la fin du mond' chez soi bien cloîtrés ou bien on file en douce du côté de Douz humer le sable chaud et tenter d'oublier ce solstice d'hiver...

  • Paul, le dernier Jacques

    14 décembre 2012 ( #Destins - ombres - figures )

    François Soubeyran, le plus grand des quatre, celui qui était aussi potier à Dieulefit, est parti le premier en 2002. André Bellec, le fondateur du groupe, l'a suivi six ans plus tard. Et voilà que ce jeudi 13 décembre, c'est Georges (en bas sur la photo)...

  • Les larmes et les armes

    15 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    L'A-mé-ri-que! L'A-mé-ri-que! Non pas celle de Joe Dassin, mais hélas celle de Truman Capote ou de Breat Easton Ellis. Avec, à la clé, un scénario destroy, s'il en est, ce vendredi 14 décembre dans le "si calme" Connecticut. Un type de vingt ans qui déboule...

  • Tweetbi et orbi

    12 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    Il devait se passer plein de trucs en ce 12/12/12 et puis non, rien. Enfin, pas grand-chose. Ah! si, pardon, pour un peu on allait oublier l'événement du jour. Benoît XVI a "gazouillé" pour la première fois à 11h28, avant un deuxième message à... 12h12....

  • Un entretien sur RCF Isère

    20 décembre 2012 ( #En lisant - en écrivant... )

    Il y a quelques semaines, Vanessa Curton me recevait au micro de l'excellente émission "Entre paroles et musique" qu'elle anime chaque semaine sur l'antenne de RCF Isère, pour évoquer, notamment, mon roman Couleur de rocou (Le Temps qu'il fait). En cliquant...

  • UMP: après "Les portes claquent", "Embrassons-nous Folleville!"

    17 décembre 2012 ( #Le monde comme il va )

    A la longue, on se persuadait qu'ils jouaient la montre - pour ne pas dire qu'ils jouaient à autre chose -, qu'ils attendaient la fin du monde ou quelque chose comme ça, bref qu'ils procrastinaient, pour reprendre un verbe tendance. Parce qu'enfin, reconnaissons...

  • Copé prône la transparence pour sortir du brouillard... et du FOG

    03 mars 2014 ( #Le monde comme il va )

    Avait-on pleinement mesuré la vraie dimension dramatique de son sort? Au moins, maintenant, on le sait, Jean-François Copé est une sorte de martyr. Au cours d'une "déclaration solennelle" savamment annoncée la veille, il s'est dit, ce lundi, victime d'une...

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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