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15 novembre 2019 5 15 /11 /novembre /2019 21:44
Dans "Quinzaines"
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Dans "Quinzaines"
Dans "Quinzaines"

Ma lecture du premier recueil de poèmes de Marik Froidefond, Oyats (L'Atelier contemporain, 2019), dans le dernier numéro de la revue "Quinzaines" (n° 1221 - 5 novembre 2019).

 

  La parole en rhizome


   Par Didier Pobel

   À l'image des "Oyats" du titre de son premier recueil, les poèmes de Marik Froidefond, roseaux des sables – et des fables –, explorent les racines mêmes de l'écriture.

   Il y a d'abord du bruit et de la fureur dans Oyats, le premier recueil de poèmes de Marik Froidefond. Tout commence en effet par un galop, des roulements de tambours, des sifflements de flèches et de sabres, une cavalcade d'Asie ponctuée de ruades à travers le paysage des légendes et leurs fables millénaires : "clarté opalescente de la lune / les masques comiques se confondent avec ceux des démons". Et puis, sans qu'on s'y attende vraiment, à cette "scène inaugurale", succède un espace de silence et de paix. Le silence et sa "règle minérale" où s'entend "la respiration de la pierre" et où affleure bientôt l' "oisive quiétude / de l'érosion centrale".
   Il y a de la passion, des questions et des vertiges aussi dans ces pages. Du souffle, du sang, des larmes. De l'amour, ce "vrai lieu" où "les secrets glissent en silence". Des retours à l'enfance également, ce "pays autrefois clair" resurgi du fond des "nuits de cave", qui offrent à notre goût les plus beaux passages du livre, tel celui-ci à la page 77 : "grenier rapiécé des campagnes comment te dire / comment dire le fer repeint chaque été la craie sur les doigts les dictionnaires / appris par cœur et l'essoreuse dans son bruit de carlingue / et comment dire le convoi d'octobre dont les roues / ont émietté les ardoises".
Et si vivre, c'était ça? Courir dans la "steppe", dépasser la horde, s'éloigner de la tribu, pour mieux apprivoiser "la possibilité d'un visage"... Vivre par et pour les mots lorsque, au profit d'un instant de répit dans la folle chevauchée, on se demande, parvenu dans le cloître du cœur, "si ça bat encore".
C'est un parcours, à n'en pas douter, que balise ainsi méticuleusement Marik Froidefond. Un parcours de femme qui aime, qui doute, qui écrit, qui repousse la fatigue, qui rompt avec un certain passé, qui s'inscrit dans un avenir rameuté et tu. Un parcours jalonné d'élans et de "peur animale", tout d'aspirations et de tourments sous "l'incessante circulation des désirs" quand la quête de l'Autre se fragmente : "de toi il me semble que je ne garderai que les mains / tes mains seules pour qu'elles survivent aux corps qu'elles ont caressés".
   Les mots cognent aux tempes, s'apaisent, reprennent leur rythme. Les vers se resserrent, s'étirent, captent un émoi, assènent une sentence. Et, entre deux signes de reconnaissances à Reverdy, Emily Dickinson, Marina Tsvetaïeva ou Marguerite Yourcenar, ils mêlent leurs voix aux sobres dessins de Gérard Titus Carmel : traits d'ombre, traces de terre, limoneuses éclaboussures, silhouettes fauves renforçant la vraie dimension d'un ouvrage qu'on peut qualifier de « bel objet ».
Toutefois, la métaphore végétale, initiée dès le titre, n'est jamais bien loin. À l'instar des oyats, ces roseaux des sables à la reproduction en rhizome – élément cher, on le sait, à la pensée de Deleuze et Guattari –, la parole de Marik Froidefond s'invente des racines nouvelles, lutte contre les vents, traverse "les paluds", enjambe "les barques retournées dans les lagunes" et, par-delà les "désordre[s] mimosa" – superbe image –, feint de se briser à la seule condition de mieux renaître dans la bouche de celle qui déclare in fine : "je guette aujourd'hui / les mots neufs qui pourraient / préparer l'oubli".

Didier POBEL
___

https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/…/la-parole-en

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28 octobre 2019 1 28 /10 /octobre /2019 14:12
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).
Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).

Au café François-Coppée, à Paris, Jean Pérol était l'invité de Bernard Fournier pour une rencontre présentée par Didier Pobel. © Photos D.P (pour les quatre premières).

Avec Jean Pérol, mercredi dernier, 23 octobre, aux Rencontres de poésie initiées par Bernard Fournier au café François-Coppée à Montparnasse, en présence d'une assistance fervente quoique un peu trop clairsemée.

"J'ai décidé de ne plus
revenir sur mes pas
j'ai décidé de suivre le premier chemin
qui s'ouvrira devant moi
il me mènera à ma mort comme il veut
il faut s'attendre à être seul

à peine cent personnes
lisent encore des poèmes".

(Jean Pérol, L'Infini va bientôt finir, La Rumeur libre", 2018).

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22 octobre 2019 2 22 /10 /octobre /2019 08:08
Rencontrer le poète Jean Pérol
Rencontrer le poète Jean Pérol

LE MERCREDI DU POÈTE au café FRANÇOIS-COPPÉE à Paris

(1, bd du Montparnasse - Métro Duroc de 15 h précises à 18 h Salle du 1er étage) :

Bernard Fournier a l’honneur d’inviter pour sa séance du Mercredi 23 octobre 2019

JEAN PÉROL

qui sera présenté par DIDIER POBEL. 

 

"Gueuler, jouir, faire exploser le cadenas. Arpenter en tremblant la scène ou la peau nue" ("Morale provisoire", Gallimard, 1978).

 

 

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14 septembre 2019 6 14 /09 /septembre /2019 10:37
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel
Photos © D. Pobel

Photos © D. Pobel

Retour en images - c'était jeudi dernier 12 septembre  - sur le vernissage de l'exposition mâconnaise "Arts et divertissement aux jardins", avec des œuvres de Nicoletta Randazzo, Jean-Paul Kara-Mitcho, Nicole Mahuet, Anne Lanci, Mireille Colling, François Quévremont, Ghislaine Pobel... (parmi la douzaine de créateurs présents). Sans oublier les Espaces verts de la Ville de Mâcon représentée par le maire adjoint à la Culture Hervé Reynaud. D.P.
_____
Salle du Pavillon, 5 impasse de l'Héritan 71000 Mâcon. Tél. : 03 85 39 72 02. Jusqu'au 22 septembre.

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 13:14
"Loin des footeux et des mafieux..."

Pour (tenter de) faire face à la folie foot, (re)lire Jean Pérol. Notamment ce poème tiré de son dernier recueil L'Infini va bientôt finir (éditions La Rumeur Libre).

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15 février 2018 4 15 /02 /février /2018 11:14
Un amour de Festival
Un amour de Festival
Un amour de Festival
Un amour de Festival

La Saint-Valentin est passée mais, à Saint-Amour - celui du Jura, pas celui du Beaujolais -, le Festival du Film d'amour se poursuit. Le 19e du nom. Avec une super programmation, le boulot de dingues des bénévoles, la présence de réalisateurs/trices (Jean-Pierre Améris, Sou Abadi...), les conseils avisés de Pascal Binétruy, critique à Positif et... un public passionné. Attention : si l'amour n'a pas de fin, le Festival en a une. Ce sera ce dimanche 18 février avec un pur chef-d'œuvre du muet et de toute l'histoire du septième art, L'Aurore (Sunrise) de F.-W. Murnau (1928). "Le plus beau film du monde" à en croire un certain François Truffaut. Excusez du peu. À noter que, pendant la projection, le musicien Christian Pabeouf, interprétera en direct la partition qu'il a composée pour l'occasion. D.P.   

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5 avril 2017 3 05 /04 /avril /2017 09:19
Fondateur du prix Roger-Kowalski (Grand prix de poésie de la Ville de Lyon), François Montmaneix est l'auteur d'une œuvre poétique de tout premier plan. Citons parmi ses récentes publications : "Saisons profondes" (La rumeur libre, 2015), "Œuvres poétiques, tomes 1 et 2, postface de Jean-Yves Debreuille (La rumeur libre, 2015) et "Laisser verdure", préface d'Yves Bonnefoy (Le Castor Astral, 2012 ; prix Théophile-Gautier 2013 de l'Académie française). Photo D.P.

Fondateur du prix Roger-Kowalski (Grand prix de poésie de la Ville de Lyon), François Montmaneix est l'auteur d'une œuvre poétique de tout premier plan. Citons parmi ses récentes publications : "Saisons profondes" (La rumeur libre, 2015), "Œuvres poétiques, tomes 1 et 2, postface de Jean-Yves Debreuille (La rumeur libre, 2015) et "Laisser verdure", préface d'Yves Bonnefoy (Le Castor Astral, 2012 ; prix Théophile-Gautier 2013 de l'Académie française). Photo D.P.

"Chers amis,
 
Je viens par le plus grand des hasards de tomber, en cet après-midi du dimanche 2 avril, sur un entretien de l’inoxydable Luc Ferry avec l’inusable Claire Chazal, sur la chaîne france-Info télévision (canal 27).
Et je suis plus qu’indigné, révolté par les propos incroyablement méprisants que Luc Ferry a tenus sur la poésie “genre secondaire sans aucune audience”, et autres gracieusetés du même tonneau... Pour lui seule compte l‘évaluation, évidemment internationale, par les grands nombres.
Et d’appeler une fois de plus Adorno à la rescousse, pour une démonstration à charge, sanctionnée par l’évacuation de la poésie dans les oubliettes de l’Histoire : “Comment parler encore du clair de lune, après Auschwitz...“. Puissamment original, non ?
Sauf que je pense depuis toujours, et contre Adorno, que s’il y avait eu davantage de poésie pour endiguer la fatale folie logorrhéique de l’éructant nabot, il n’y aurait peut-être pas eu d’Auschwitz.
En tout cas, l’expérience reste plus que jamais à tenter, en un XXIe siècle qui semble bien parti pour nous jouer le dernier acte de “ l’inconvénient d’être né ”.
Tout y est passé dans la condamnation et le rejet de la poésie par l’intarissable bavard professionnel qu’est ce Ferry enferré dans ses oukases et bien mal féru de poésie !
On l’avait déjà vu pâle et piètre ministre de l’éducation mais là, il s’avère n’être qu’un sinistre imbécile en vêture de crétin solennel...
En tout état de cause, il me semble impossible de ne pas relever ses propos en le mouchant comme il le mérite.
Ne voulant pas être le seul à l’avoir ainsi entendu vitupérer la poésie je te prie (ainsi que les amis en copie) de faire en sorte d’écouter en différé l’émission en question.
Je n’ai personnellement pas de blog et quand bien même un jour ou l’autre en aurais-je un, je suis certain de ne pas savoir m’y prendre, tellement je suis un récalcitrant internetiste impénitent.
Alors, que ceux d’entre vous qui sont plus “modernes” que moi (et ça ne doit pas être très difficile) réagissent – après écoute de l’émission en différé – à pareille ineptie pompeusement et méchamment pontifiante !
Je bouillonne de ne pouvoir le faire moi-même, sinon j’aurais immédiatement décoché une volée de bois vert à ce patenté crétin, aussi visiblement ignare que doctement infatué, qui ne recule devant aucune méconnaissance du fait et de la vie poétiques pour stigmatiser un domaine qui, visiblement, lui est totalement étranger.
Depuis Platon, relayé de nos jours par, entre autres, un poussif et alambiqué Maldiney, nous savions les philosophes (Bachelard était un poète) assez mal disposés envers les poètes dont l’aptitude heureusement inexplicable à réenchanter le monde – sans s’attarder vainement à vouloir le décortiquer – les irrite. Mais avec ce bêlant bellâtre de Luc Ferry, non seulement l’on n’est plus dans l’argumentation mais on plonge, ex cathedra, dans l’exclusion sans appel de la poésie et des poètes...
 
Amis, à vos claviers : on ne peut laisser pérorer et se pavaner tranquillement un assassin de la poésie et des poètes !
Bien à vous tous,
François Montmaneix"
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9 janvier 2017 1 09 /01 /janvier /2017 21:57
Photo D.P.

Photo D.P.

JEUX D'ENFANTS AU BORD DE L'EAU À LA MI-DÉCEMBRE

 

Sur l'étang gelé ils lancent des pierres

petits enfants blonds comme des galets

avec leurs poignets et leurs doigts de verre

brisant tous les ongles dont ils n'ont besoin

 

C'est beau de jeter l'ongle ou bien la pierre

sur l'étang où plus un bateau ne vient

c'est mieux de pouvoir briser les images

sur l'écran où pas un radeau ne va

 

L'hiver quand la glace fait un mausolée

l'eau de l'étang noir n'est pas morte encore

et si les enfants veulent l'achever

petits enfants roux comme des aurores

 

il leur faut viser le plus vulnérable

près du saule au tronc à demi liquide

cette tache brune ce poisson de sable

qui serait le cœur des noyés du monde.

 

(in Liaisons intérieures et autres lignes, Cheyne éditeur, 1990).

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4 janvier 2017 3 04 /01 /janvier /2017 23:34
Photos © D.P.
Photos © D.P.
Photos © D.P.

Photos © D.P.

La nuit elle pousse du doigt une porte

et marche sur la Terre en pantoufles.

La neige est la seule morte

qui vit encore sans un souffle.

 

Elle revient vers nous à petits pas,

emporte l'édredon du lit

mais nous ne l'entendons pas,

nous qui dormons à l'infini.

D.P.

______

(in Un long silence pâle, pré # carré éditeur, Grenoble, 2013).

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11 décembre 2016 7 11 /12 /décembre /2016 19:39
Un si Bruyant silence
Un si Bruyant silence

Qu'on ne se méprenne pas, cette enseigne, située pas très loin de la gare de Grenoble, n'est pas inspirée du chef-d'œuvre de Giono. Non pas Colline mais Col'inn. Il doit bien y avoir une explication à cette elliptique appellation, mais peu importe. De quoi s'agit-il? D'un espace de "coworking". Même les moins familiers de la langue de Shakespeare auront grosso modo compris qu'on désigne ainsi une plateforme de travail partagé, un endroit où l'on peut louer un bureau pour un temps déterminé. Bref, nullement, à première vue, un lieu propice à des expositions.

   Mais méfions-nous des idées reçues. Depuis son ouverture, "Col'inn"  (1) prête très régulièrement ses murs à des artistes. Pierre Gaudu est presque un habitué et c'est cette fois-ci son "Sentier d'Ophélie" qu'il nous propose de suivre. L'invitation est d'abord géographique. Il faut, au moins par l'imagination, se hisser un peu plus haut. Dans le Vercors. Au bord d'un impétueux torrent nommé le Bruyant que notre marcheur contemplatif a découvert en 2002. Et cent fois visité depuis. "Quatorze ans plus tard [il] reste l'un de mes rendez-vous préférés. C'est le lieu le plus proche de mes pensées mélancoliques, traversées de soudaines et riantes percées lumineuses", confie-t-il dans le propos liminaire du catalogue (2).

   Impossible d'en douter en découvrant les photos que celui qui est aussi un dessinateur et peintre talentueux - l'exposition en atteste également - en a rapportées. Des images sauvées in extremis du péril de l'ombre. Des instants arrachés à l'éphémère qui bouillonne sur les trop lisses pierres millénaires. Ici une branche retient le jour comme un secret. Là une rose flotte dans les tourments d'un fugitif sanctuaire d'écume. Ailleurs, une infime libellule capte toute la fragilité d'une passion ailée. Quand elle ne mêle pas sa salive aux éléments, la rivière peut receler des reflets verts de prairie d'enfance ou des tourments fiévreux de peau sous la caresse. Rarement, se dit-on, l'expression "l'eau à la bouche" aura aussi bien trouvé son sens.

   On en oublierait presque la référence à Ophélie. D'ailleurs, qui est-elle exactement cette représentation imaginaire dans les photos de Gaudu? La noyée shakespearienne en qui se mire la folie d'Hamlet? Le "grand lys" du poème de Rimbaud "glissant sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles"? Ou la vaporeuse gisante du peintre britannique John Everett Millais reproduite, cheveux épars et yeux ouverts, sur la couverture d'un vieux volume du Lagarde et Michard? Tout cela à la fois, à l'évidence. À moins qu'Ophélie, fascinante incarnation du bruyant silence des émois, ne soit avant tout, pour Pierre Gaudu, qui ne cesse de converser avec sa propre solitude peuplée de rêves liquides, la fantasque figure aimée flottant à la surface du temps sans jamais couler tout à fait. 

  

Didier POBEL

_______

 

1) "Le sentier d'Ophélie", 22 photos inédites de Pierre Gaudu, peintures & dessins, jusqu'au 18 décembre à l'espace Col'inn 34, avenue Félix-Viallet, 38000 Grenoble (09 80 81 36 99).  

2) Pour se procurer le catalogue, on peut contacter l'artiste à cette adresse : pierre-gaudu@orange.fr

 
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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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