C'est un livre mince, mince, mince. Une cinquantaine de pages, guère plus. Pour un peu, on ne l'aurait pas vu du tout. Coincé là, sous une pile, lors de cette activité, à la fois exaltante et harassante, qui consiste à ranger sa bibliothèque. Une des bonnes résolutions de l'an neuf à laquelle on sera adonné - ou du moins que l'on aura amorcée : l'opération est en cours - , parmi tant d'autres vouées d'emblée à demeurer, elles, lettres mortes. Un livre mince, mince, mince dont on avait le titre à l'esprit depuis fort longtemps, voletant comme les mots d'une chanson populaire qu'aurait pu roucouler Dalida dont on parle tant ces jours-ci : Il me semble désormais que Roger est en Italie (1). Pourquoi, alors, ne l'avions-nous pas encore lu, cet opuscule? Parce que c'est comme ça. Il y a les livres qu'on ne laisse pas attendre et puis ceux - tellement plus nombreux - pour lesquels on se contente de promesses (sans parler de ceux que, pour tout un tas de raisons, on n'ouvrira jamais, si tant est qu'on en connaisse l'existence).
Donc un livre mince, mince, mince signé Frédéric Vitoux. Un livre sur quoi? Sur la disparition d'un ami qui n'est désigné ici que par son prénom (2). Critique de cinéma, un jour il lâche les salles obscures pour l'éclat vif de l'Italie. Ses paysages, ses monuments, ses artistes, ses musées... Passion totale et folle qu'il partage, en conversation mais aussi en simples cartes postales, avec le narrateur et son épouse. Jusqu'au jour où il s'éclipse. Furtivement. Un mal foudroyant. Frédéric Vitoux apprend la nouvelle à son propre retour d'Italie le 15 septembre 1985. "Qu'est-ce qu'il lui avait pris, cette fois, à Roger? [...] C'est facile à dire, une leucémie. Non, il y avait un truc, un tour de passe-passe, une mauvaise blague, l'un de ces jeux de mots consternants, de ces escamotages dont il avait le secret. Tout allait se dissiper très vite".
Mais non, rien ne se dissipa. Ni la mort de Roger. Ni le lien qui l'unissait à Frédéric. Un lien magnifié dans cette brève et lumineuse évocation dont on retiendrait cette définition s'il fallait en privilégier une : "Un ami, c'est un démultiplicateur de bonheur". Soulignons l'expression. On y reviendra. En attendant, permettez qu'on retourne trier tous ces livres posés là, sur les croulantes étagères . En espérant d'autres résurgences de cette sorte. Et dire qu'il ne s'en serait fallu de rien pour qu'on passe à côté. Mince, mince, mince alors! D.P.
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(1) Actes Sud, 1986.
(2) Il s'agit en fait du critique Roger Tailleur (1927-1985), collaborateur de Positif, des Lettres Nouvelles et de France Observateur.