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Top articles

  • Plus de flou que de flouze

    18 avril 2011 ( #Le monde comme il va )

    C'était, à sa manière, un joli conte (on pourrait presque écrire: "un joli compte") cette histoire de fric que les entreprises bénéficiaires se préparaient à reverser à leurs salariés. Et pas des clopinettes. Mille euros. Tout ronds. On entendait déjà...

  • Séquence autosatisfaction

    13 avril 2011 ( #Le monde comme il va )

    "Moi, la situation, je la sens bien..." On imagine la tête des députés UMP devant lesquels Nicolas Sarkozy s'est livré, ce mercredi, à ce petit numéro d'autosatisfaction dont il raffole et dont, probablement, il use désormais comme d'un exorcisme, façon...

  • Un 11-Septembre à l'envers?

    02 mai 2011 ( #Le monde comme il va )

    Tout comme chacun se souvient de ce qu'il faisait le 11 septembre 2001, nul n'oubliera l'instant où il a appris, ce lundi matin à l'aube, la mort de Oussama ben Laden. Non seulement du fait du caractère historique de ces deux dates balayant d'un seul...

  • Après la suspension de Schengen, le retour au franc?

    23 avril 2011 ( #Le monde comme il va )

    Suspendre les accords de Schengen pour faire face à l'afflux d'immigrés? Tiens, encore une idée que le gouvernement vient de repiquer dans le programme du FN. Au train où vont les choses en matière d'emprunts frontistes, on va sans doute nous préconiser...

  • La transparence au temps d'opaque

    21 avril 2011 ( #Le monde comme il va )

    Ouf, les affaires Woerth-Bettencourt ou MAM-Ollier ne seront pas restées sans effet longtemps! Pour le vaste immeuble de l'Etat, c'est désormais transparence à tous les étages. Depuis ce jeudi matin, en effet, tous les ministres, y compris le Premier...

  • Docteur DS et Mister K

    15 mai 2011 ( #Destins - ombres - figures )

    Au train où vont les choses, les plus imaginatifs des écrivains ou des scénaristes vont finir par porter plainte contre la réalité - ou ce qui nous est présenté comme tel - pour concurrence déloyale. Car enfin quoi, ce qui vient de se passer à Manhattan,...

  • La tache ou le nuage

    25 mai 2011 ( #Le monde comme il va )

    Vous êtes quoi, vous? Vous êtes tache ou vous êtes nuage? Ca n'aura, en tout cas, échappé a personne, telle est bien l'alternative à laquelle nous sommes soumis en ces jours brûlants de printemps ibère et de tournoi de Roland-Garros. L'actualité est faite,...

  • Palme glauque pour "Loft story à Brodway"

    22 mai 2011 ( #Le monde comme il va )

    Une semaine! D'habitude, une semaine ça dure sept jours, ou quelque chose comme ça. Mais là non. Celle qu'on vient de traverser, comme dans une fulgurance pétrifiée, transcende les lois du temps et de la raison. Des images sidérantes. Des commentaires...

  • Après le printemps du jasmin, l'été du cactus

    19 juin 2011 ( #Le monde comme il va )

    Voilà une sacrée paie qu'on n'avait pas de nouvelles de Zine El Abidine Ben Ali. Le 14 janvier dernier, il avait filé comme un voleur lâche, laissant le pays sur lequel il avait règné quelque vingt-trois ans dans l'efferverscence d'une "révolution Facebook"...

  • Ces pans de "mémoire directe" qui s'en vont...

    08 juin 2011 ( #Destins - ombres - figures )

    "Dans quelques années, il n'y aura plus personne pour avoir une mémoire directe des camps d'extermination". Funeste prédiction formulée par Jorge Semprun le 8 avril 1995, lors d'un bouleversant retour à Buchenwald. Avec sa disparition, à l'âge de 87 ans,...

  • Hervé et "Tapo" nous ont rapporté l'été

    30 juin 2011 ( #Le monde comme il va )

    Ah, on ne se lassera jamais de ces extraordinaires images de retrouvailles. Sourires, accolades, embrassades de France. Silhouettes floues dans le cadrage imprécis d'une caméra complice admise sur le tarmac. Puis gros-plans comme si on y était. Ainsi...

  • DSK, les trois lettres de l'été

    03 juillet 2011 ( #Le monde comme il va )

    Jadis, pendant les congés, on attendait des cartes postales. Maintenant ce sont des lettres. Trois lettres, précisément, en cet époustouflant été 2011: D, S, K. Trois lettres que nous recevons tous, où que nous soyons en ce temps de transhumance présente...

  • "Il faut savoir finir une guerre..." et la continuer

    12 juillet 2011 ( #Le monde comme il va )

    La guerre, la paix, c'est bizarre ces choses-là. Tantôt on s'engage, patriotisme, arsenal et barda en bandoulière. On y met tout son coeur. On y laisse un peu-beaucoup son corps. On en rapporte des médailles, des amertumes, des odes. On connaît le calligramme...

  • La France qui se divise, la France qui se rassemble

    17 juillet 2011 ( #Le monde comme il va )

    Vous préférez quoi, vous, la France qui se divise ou la France qui se rassemble? Celle qui se divise, on a entendu sa cacophonie, on a vu ses visages et ses masques, de tribunes politiques en festivals de l'été, tout au long d'un week-end long comme une...

  • Marquage à la culotte

    29 août 2011 ( #Le monde comme il va )

    On a bien compris la motivation de Martine Aubry qui s'est rendue ce lundi à Marseille au moment même où Claude Guéant venait installer un nouveau préfet, le troisième en deux ans. Elle a voulu faire un joli coup. Dans le genre: sondage ou pas, coucou...

  • Pauvres de nous!

    30 août 2011 ( #Le monde comme il va )

    Brrr! Elle fait froid dans le dos cette dernière étude de l'INSEE sur nos moyens de subsistance. Froid comme un vent nocturne au ras d'un trottoir. Froid comme un souffle hivernal sur un seuil de pauvreté. Près d'un Français sur sept vit avec des clopinettes....

  • Villepin, DSK: le temps des "blanchis" encombrants

    14 septembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    Donc l'affaire Clearstream est terminée. Ouf! Cette petite plaisanterie aura tout de même duré près de huit ans. Avec un programme particulièrement réjouissant. Résumons les ingrédients: des coups tordus, un listing falsifié, un corbeau, un faussaire,...

  • 202 "jours d'après"

    17 octobre 2011 ( #Le monde comme il va )

    Le "jour d'après". C'est comme ça qu'on dit d'habitude pour désigner un lendemain de cap franchi dans l'euthousiasme. L'euphorie de la veille s'est un peu altérée. L'air de la fête est déjà plus acide. Le rose aux joues s'atténue. Bref, c'est "le jour...

  • Nauséeux péplum final

    21 octobre 2011 ( #Le monde comme il va )

    On aurait tant aimé pouvoir se passer de ça. De ces images diffusées en boucle sur les canaux les plus sérieux de nos téléviseurs. L'ex-tyran violenté, lynché, près de mourir semble-t-il, épongeant à plusieurs reprises le sang de son visage avec sa main....

  • Quand Montebourg s'en prend au Palais barbon

    09 novembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    Pas facile d'être vétérans à l'Assemblée nationale par les temps qui courent. L'autre jour, on les sollicitait pour qu'ils réduisent leurs salaires. Et voilà maintenant qu'on les houspille pour qu'ils... rajeunissent. C'est Arnaud Montebourg, le trublion...

  • La grande guerre de la dette

    10 novembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    D'habitude, le 11 novembre, c'est le 11-Novembre. Un jour avec juste une majuscule en plus, comme un habit de cérémonie. Souvenir au présent. Béance du temps. Drapeaux en berne. Evocation du sacrifice des aînés. Voix émouvante des derniers poilus jusqu'à...

  • Croissance et carence, les deux mamelles de La France

    15 novembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    Il faut croire que la France, depuis qu'elle est inscrite dans sa crèche européenne où sévit une épidémie de fièvre des marchés, est devenue une sorte d'enfant patraque menacé de rachitisme. On surveille sa croissance comme le lait (premier âge) sur le...

  • "Vive la crise!", version 2011

    06 novembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    C'est tout de même frappant cette manière qu'a notre gouvernement de "recevoir" la crise. On dirait qu'il force sur le respect, qu'il la traite comme une visiteuse de marque. Quelqu'un dont on se passerait, évidemment, mais devant lequel il convient néanmoins...

  • Une journée d'immobilisation?

    12 décembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    D'habitude, une "journée de mobilisation", ça fait du ramdam. On entend venir la chose plusieurs jours à l'avance et la veille elle fait déjà carrément les gros titres. Or, rien de tel avec celle de ce mardi. Se serait-on trompé de date? Mais non, vérification...

  • Tahrir, Moody's, Agnès...

    21 novembre 2011 ( #Le monde comme il va )

    L'actualité est comme ça. Elle va son train d'enfer, elle fait son incessant ramdam. Les situations et les mots qu'elle mêle n'ont souvent rien à faire ensemble. Tenez, ce lundi, par exemple, il y a eu Tahrir. Tahrir, c'est une place. En Egypte. Place...

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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