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14 janvier 2013 1 14 /01 /janvier /2013 22:14

   Au début, c'est comme ça, on ne sait pas trop. On ne parle encore que d'"intervention militaire", d'"envoi de troupes" ou de quelque opération light  du même tonneau. Et puis passent les heures et les euphémismes cèdent la place aux situations précises, aux mots plus adéquats. Nul doute, maintenant, ce qui se livre, là-bas au nord de Bamako, c'est bien une guerre dont on a même vu, furtivement, les premières images. Des pick-up flous incendiés. Un cadavre calciné. De la poussière et des gravats. Oui, une guerre avec ses frappes aériennes et ses replis tactiques. Avec ses méchants et ses bons p'tits gars. Avec ses soldats au barda de héros mais au pauvre coeur d'hommes. Une guerre avec ses questions sur les faits et ses doutes sur le calendrier. Combien de temps va durer le conflit, ne risque-t-il pas de se muer en "bourbier africain", combien tout cela va coûter, d'hommes, d'argent, d'idéaux, d'honneur sauf?

   Une seule chose est sûre, l'"opération Serval" n'a rien d'une parodie. La preuve, ceux qui, chez nous, privilégiaient, la veille encore, le débat sur le "mariage pour tous"  ne font même plus semblant de croire que l'enjeu malien est moindre. François Hollande, lui, ne laisse rien paraître. En quelques heures, il a échangé son accoutrement mou de caricature Flanby contre un très grave uniforme aux galons de maréchal. Le voilà salué partout pour sa nouvelle stature. C'est fou comme ce rôle-là infléchit les traits, bouscule les perceptions, rallie les opinions.

   Longtemps plus tard, parfois, tout cela résonne à l'intérieur d'un roman-fleuve. Fleuve de grandeur, de gloriole et de sang. On y lit, par exemple, des phrases comme celles-là: "La guerre eut lieu, on n'en sut pas grand-chose. Il vaut mieux. (...) Il guerre comme il pleut, et c'est fatalité. La narration est impuissante, on ne sait rien raconter de cette guerre. (...) C'est beau comme de l'art brut, c'est beau comme les oeuvres dynamokinétiques de 1920 mais avec en plus un gros son qui cogne, qui soulève les images, qui ravit le spectateur en le plaquant dans son siège par effet de souffle".

   Rappelons, pour mémoire, que L'Art français de la guerre d'Alexis Jenni (*), d'où sont tirés ces extraits, a obtenu le Goncourt 2011. Qui a dit que la guerre, ça n'avait pas de prix? D.P.

 

   (*) Collection "Blanche" chez Gallimard et, le mois prochain, en Folio.

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8 janvier 2013 2 08 /01 /janvier /2013 21:40

Ubu-Jarry.png A première vue, ça devrait inquiéter, cette histoire de grosse boulette du FMI. Et si, au contraire, on y voyait l'occasion de se rassurer? Car enfin quoi, qu'une institution aussi sérieuse que celle que dirige Christine Lagarde puisse se planter comme un cancre de Prévert, voilà qui, d'une certaine manière, la rend plus humaine.

  Comment résumer la grosse bévue qui vient d'être dévoilée par deux experts-maison prêts à faire leur mea culpa? Pour faire vite, disons qu'à cause d'un mauvais coefficient, les effets négatifs de l'austérité ont été sous-estimés. Zéro pointé pour les fortiches de Washington qui, tels le Père Ubu à la "pompe à phynances"  mal réglée, auraient tout simplement sous-estimé l'ampleur de la crise.

   Passé l'instant où l'on essaie d'en sourire parce qu'après tout c'est mieux que de s'affliger, il faut bien retomber sur terre. Car on l'a compris, nous sommes tous évidemment, à des degrés divers, les victimes de l'excessif rouleau compresseur de cette fautive  politique de coupes budgétaires.

   Remarquez, les Grecs, les Portugais et quelques autres - suivez mon regard - avaient bien remarqué qu'ils souffraient un peu plus chaque mois, mais jusque-là, ils pensaient que c'était pour leur bien. Il n'y a plus qu'à attendre que les pataphysiciens du Fond monétaire international accordent à tout le monde une belle ristourne. Avec un peu de bol, là-bas aussi, ça va être les soldes. D.P.

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7 janvier 2013 1 07 /01 /janvier /2013 22:48

   L'autre semaine, on ne parlait que d'elles. Deux ados de 16 et 17 ans qui avaient disparu. Des fugues, il y en a tous les jours mais celles-ci, on ne sait pas trop pourquoi, elles ont fait la Une plusieurs jours de suite. On avait beau tenter de s'intéresser à cette affaire avant tout privée, on ne voyait pas bien en quoi elle était digne de la dimension sociétale qu'on semblait unaniment vouloir lui prêter en pleine trêve des confiseurs.
   Et maintenant qu'on a déjà oublié Geneviève et Camille, voici Anne précipitée au coeur du "buzz". Anne, c'est cette malheureuse nonagénaire d'Eure-et-Loir qu'on a vulgairement jetée hors de sa maison de retraite pour 40 000 euros de loyers impayés. Une attitude scandaleuse, évidemment, de la part de l'établissement en question répondant pourtant au doux nom de "Villa Beausoleil". Mais n'oublie-t-on pas un peu trop qu'à l'origine de cette décision, injustifiable répétons-le, il y a une situation d'ordre là encore "simplement"  familial?

   Tant mieux, certes, si la regrettable dérive de ce qui est d'abord un drame de la solitude fait tout à coup résonner jusqu'en plus haut lieu le problème de la prise en charge des personnes âgées. Mais il ne faut sans doute pas se montrer dupe de ce nouveau sursaut mobilisateur. D'un gouvernement à l'autre, la question de la dépendance fait figure de serpent de mer. Dans quelques heures Anne - dont on a appris que l'un des enfants est médecin - aura rejoint Geneviève et Camille dans l'anonymat dont elles n'auraient jamais dû sortir. Et une autre fugitive émotion transgénérationnelle habitera nos élans collectifs. D.P.

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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 21:52

   Côté actu, ce fut rien moins qu'un nauséeux dimanche d'Epiphanie. Face aux gros titres du jour, nos sentiments oscillaient, en effet, entre la honte et l'aversion. Ici, un pitoyable bouffon, serrant dans ses bras le président de ce grand pays "démocratique" qu'est la Russie et dont il pourrait devenir ministre de la culture régional. Là, un tyran proférant, après sept mois de silence public et de terreur tous azimuts, des insultes envers tout à la fois son peuple supplicié, l'opposition et l'Occident.
   Evidemment, on l'aura compris, il n'est pas question de comparer Gérard Depardieu à Bachar el-Assad. Ce serait faire trop d'honneur/horreur au premier qui, heureusement, n'est qu'un (ex-)grand comédien devenu triste provocateur jusqu'au-boutiste. Mais tout de même, cette inévitable cohabitation lors des JT ou des bulletins d'information n'était pas loin, si l'on n'y prenait garde, de susciter le vertige. Car c'est aussi en jouant sur les ressorts de la théâtralité qu'intervenait le dirigeant syrien aux 60 000 morts, multipliant les effets de manche et de voix sur la scène de l'opéra de Damas, galvanisé par les acclamations d'un fanatique public de fidèles.

   Répétons-le en banissant tout amalgame facile, seul les aléas de l'actualité pouvaient être tenus pour responsables d'une telle proximité de sujets. N'empêche, est-ce par hasard aussi si notre trouble s'intensifia en découvrant le nouvel ami de Poutine parader sur le sol de Saransk? Oui, à Saransk, en Mordovie, là où jadis il n'y a pas si longtemps, s'élevaient les camps que l'on sait. D.P.        

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31 décembre 2012 1 31 /12 /décembre /2012 20:18

  Au juste, on en est où avec l'incandescence? Côté ampoules, on le sait, c'est fichu. Il sera désormais impossible d'en trouver sur le marché. Trop consommateur d'énergie. Pas assez éclairant. Bref, trop ringard. Nos bonnes vieilles lampes d'antan doivent céder la place à de savants bidules à basse consommation.
   Et côté bagnoles? Là, on l'ignore encore à l'heure où s'écrivent ces lignes, mais tous les compteurs à délinquance sont en piste. Brûler des voitures est devenu un sport national très couru. Avec surenchère des casseurs. Et rivalité politique d'un gouvernement à l'autre. Qui gagnera le match Manuel Valls contre Claude Guéant? Résultat à l'aube.

   En attendant, la seule, la vraie incandescence qui importe en ce passage morose de l'an de crise, c'est évidemment celle qui embrase le ciel au premier feu d'artifice de minuit. Mais c'est aussi celle qu'on espère pouvoir lire dans les regards, y compris au lendemain du réveillon.
   Allez, souhaitons-nous une année incandescente dans le meilleur sens du terme. Et veillons surtout à ne pas griller le petit filament conducteur qui doit nous relier. A plus forte raison quand l'avenir s'annonce sombre. Lumière, please! D.P.   

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 21:19

   "Faut-il pleurer, faut-il en rire / Fait-elle envie ou bien pitié? / Je n'ai pas le coeur à le dire / On ne voit pas le temps passer". C'est peut-être bien, tout compte fait, le vieux refrain de Jean Ferrat qui sied le mieux au 31 décembre, ce drôle de jour, tout à la fois d'allégresse et de fêlures, ce jour turbulent puni en bas sur le calendrier comme un mauvais élève au fond de la classe. Car avant d'aller réveillonner, si tant est qu'on ait l'envie - et les moyens - de se plier à ce rituel plein de cotillons, de joie programmée et parfois d'ennui, on a souvent du mal à ne pas se repasser en accéléré au moins quelques-uns des moments sensibles des douze mois écoulés.
   Moins sans doute que les grands bouleversements vécus sous nos yeux connectés à la planète - ici un changement de président, là une guerre qui n'en finit plus -, ces soubresauts plus infimes et plus intimes: bonheurs et chagrins unis, passions et lassitudes entrelacées, joies et peines domestiques mêlées. "Entre les courses, la vaisselle / Entre ménage et déjeuner / Le monde peut battre de l'aile / On n'a pas le temps d'y penser". Ferrat a raison, notre vieux monde peut battre de l'aile, il y a des circonstances où l'on s'en fiche. Alors, bien sûr, on écoutera à vingt heures le chef de l'Etat qui redira à sa manière ce que tous les autres ont exprimé avant lui. Alors, bien sûr, on se souhaitera la bonne année dans le crépitement de feu d'artifice des millions de SMS rédigés sur le pouce...
   Mais une vraie Saint Sylvestre, c'est aussi cela. L'imperceptible sentiment de ce qui s'en va, de ce qui s'en vient. De ce qui nous a comblés, de ce qui nous a frustrés. De ce qui nous a échappé, de ce qui nous attend. Allez, avant de songer à faire la fête - ou ce qui en tiendra lieu -, permettez qu'on se remette encore un peu de Ferrat sur le pick-up de nos intouchables mélancolies de fin de l'an: "A peine voit-on ses enfants naître / Qu'il faut déjà les embrasser / Et l'on n'étend plus aux fenêtres / Qu'une jeunesse à repasser / Faut-il pleurer / Faut-il en rire?" D.P.

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26 décembre 2012 3 26 /12 /décembre /2012 22:24

 

     On était habitué au sacro-saint palmarès des personnalités préférées des Français. Or, voici qu'il faut désormais compter (?) avec ce qui en constitue en quelque sorte le contrepied. Une étude Harris Interactive réalisée à la demande du magazine VSD  vient en effet d'établir, pour la seconde année consécutive, semble-t-il, la liste de celles et de ceux qui nous agacent le plus. Pourquoi pas, direz-vous... Et il y a sans doute quelque jubilation à apprendre - mais qui pouvait vraiment en douter? - que, dans le domaine de la politique, Jean-François Copé décroche la timbale. Avec une suite du "hit-parade" parfaitement à l'avenant puisqu'on y retrouve, sans grande surprise, Nadine Morano, Ségolène Royal, Benjamin Castaldi, Nikos Aliagas, Franck Ribéry, Diam's, BHL ou Valérie Trierweiler (tiens, DSK a déjà disparu - vive l'amnésie!).
   Ce qui étonnera le plus, au fond, dans cette initiative, c'est qu'à l'heure où l'on pourfend la notation à l'école, on éprouve sans cesse le besoin d'attribuer bons ou mauvais points aux "grands". Tableaux d'honneur pour les uns, avertissements pour les autres. Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu voudrais être. Dis-moi qui tu hais, je te dirai qui tu es.
   Gageons que le jour où l'on tentera de classifier les "personnalités" dont on se contrefiche éperdument, l'énumération sera longue, pour autant qu'on puisse les nommer. En attendant, on pourrait toujours essayer de demander aux braves gens qu'ils nous désignent... le sondage le plus agaçant. D.P.  
 
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25 décembre 2012 2 25 /12 /décembre /2012 22:54

    Noel-2012---Gr.-057.jpgAprès la bûche, le marronnier! Entendez par là qu'à peine engloutie la pâtisserie du moment, il faut déjà songer à se soumettre à ce drôle de souverain poncife qui consiste à adresser des voeux à la terre entière. Du côté du monde politique, là où l'on est le plus prompt à l'exercice, c'est à qui tirera le premier. Cette année, the winner is... Nicolas Sarkozy. Dès lundi, il a en effet tenu, via sa page Facebook "La France forte", a sortir d'un silence auquel il se vouait grosso modo depuis sa défaite. "Je profite de cette veille de Noël pour vous transmettre toute mon amitié et vous dire combien vos nombreux témoignages de soutien et de fidélité me touchent".

   On l'aura compris, ce n'est pas tout à fait une formulation traditionnelle. Ou alors disons qu'elle s'applique aussi, en un malicieux jeu de miroir, à celui qui la prononce. Il a raison, l'ex-président, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Et puis, bon, cela ne nous aura pas échappé, il n'est pas encore question de 2013 dans ses propos. Sans doute le perdant du 6 mai y reviendra-t-il... Comme tous les autres déjà vissés aux startings-blocks de leurs réseaux sociaux pleins à ras bords de bénédictions, de prévisions et d'exhortations.

   Mais en ces temps de crise à gogos(s), ce qu'on appelle le marathon des voeux n'est plus seulement cet alléluia de généreuses intentions auquel il est de bon ton de sacrifier, c'est devenu une sorte de pratique expiatoire. Lancer un "Bonne année!"  ne revient guère au fond, désormais, qu'à invoquer un millésime à venir moins pire que celui que chacun imagine. Soyons sans illusions, chez nos gouvernants, loin du message de la Reine d'Angleterre en 3 D, la marge de manoeuvre sera infinitésimale.

   Pour la fantaisie, mieux vaut probablement guetter du coté des people. En avant-goût, voici ce que dit Sardou dans la vidéo collective de son producteur: "En 2013, on va pas se faire chier. ça va swinguer". Vraiment Michel? Après ça, manque plus que la tirade défiscalisée d'un Gérard Depardieu. Comment dit-on "... Et surtout la santé!" en dialecte du Hainaut? D.P.

 

                                                                                                        Photo D.P.     

 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 22:40

Juin-2012--Ile-d-Eubee--Delphes-167.jpg  Alors voilà, on s'est creusé la tête, on a bouclé les courses fièvreusement, on a envoyé les derniers SMS au Père Noël. Et tout ça pour rien. Parce que le vrai cadeau, le seul qui importe, celui qu'on n'espérait pas, il est déjà tombé du ciel. C'est le grand manitou là-haut qui l'a envoyé aux enfants sages que nous sommes.

   Pensez: quatorze degrés à Paris l'autre nuit! Du jamais ressenti depuis la création de la station météorologique en 1873. Et ce dimanche après-midi, on s'est baignés à Bayonne comme au mois de mai.

   Tout ça grâce à quoi? L'élément déclencheur, c'est lui, paraît-il, un "anticyclone subtropical qui fait remonter de l'air très doux en provenance du Maroc". Et les spécialistes en sont sûrs: "Cet air très doux, qui engendre sur le Maroc et le sud de l'Espagne des conditions quasiment estivales, atteint la France et le Bénélux".

   Certes, un peu de neige en décembre n'a jamais fait de mal à nos imageries d'enfance, mais avouez que, par les temps de glaciation sociale qui courent, la douceur est un produit de luxe. La preuve. Certains en sont encore privés. On n'en citera que deux. Appelons-les Tapourg et Montebie. L'un est un tout nouveau magnat de presse provençale. L'autre ministre du redressement productif. A ce qu'on sache, le micro-climat de leurs planètes ennemies est loin d'être au beau fixe.

   Bon, cela dit, permettez qu'en cette trêve des confiseurs, on s'en fiche un peu. Du moment qu'on a un Noël très hot... D.P.  

 

   Photo D.P. 

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20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 21:54

   Amsel-Kieffer.JPGEt alors, comment ça se passe? Jusque-là tout va bien, mais sait-on jamais, mieux vaut rester vigilant. Ah! ne nous berçons pas d'illusions... Même si l'on s'efforce de l'oublier, cette idée aussi folle qu'intéressée de la grande catastrophe définitive ne risque pas de nous lâcher comme ça en ce jour du solstice d'hiver.
   La fin du monde? Pas Maya d'y échapper. Mais avouez que ce serait trop bête qu'elle ait lieu.

   Trop bête pour François Hollande dont, une fois n'est pas coutume, tout le monde ou presque salue la justesse et la sagesse du discours d'Alger dans lequel il a déploré, sans excuses, les "souffrances de la colonisation".
   Trop bête pour Bernard Tapie qui, alors qu'on le croyait rangé des affaires, vient tout juste de s'offrir une partie de gymtonic journalistique, provençale et politique.
   Trop bête pour Gérard Depardieu qui n'a pas encore eu vraiment le temps de s'acclimater au ciel si bas du plat pays qui est le sien et à qui Poutine propose déjà d'arroser la nouvelle année à la vodka d'une belle retraite de Russie. 

    Et puis trop bête pour nous tous, au fond, parce que, en dépit de la crise, de la précarité, du chômage, bref de la très récurrente et vertigineuse peur de l'avenir, nous l'aimons bien, ce truc bizarre, ce machin étrange, ce palpitant battement de coeur à la fois individuel et collectif qu'on appelle la Vie.
    Alors, superbe Apocalypse à tous et surtout que la santé soit bonne! D.P.  

 

Le chaos peut aussi revêtir une dimension picturale, comme dans ce tableau d'Amsel Kieffer

 vu au musée de l'Hamburger Banhof de Berlin. Photo D.P.
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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