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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 00:46

   Un peu plus de deux ans après sa Révolution Facebook, la Tunisie a remplacé le jasmin par le carmin. Carmin comme le sang qui coule dans la capitale. Le sang de l'opposant Chokri Belaïd abattu ce mardi par balles devant son domicile à l'heure du petit-déjeuner. Le sang, aussi, d'un policier tué lors des émeutes qui ont suivi. L'exécution du chef des Patriotes démocrates a immédiatement fait porter le soupçon sur les Islamistes au pouvoir dont les locaux ont été saccagés et incendiés, tandis qu'un appel à la grève générale est lancé.

   La situation est tellement grave que le Premier ministre, Hamadi Jebali, un modéré  s'il en est, a annoncé sa volonté de dissoudre le gouvernememt aux profit de "technocrates apolitiques". Une telle annonce choc était inévitable, mais suffira-t-elle à faire retomber la tension et à effacer la stupeur? Evidemment non, d'autant plus que cette promesse, entachée de précipition et de flou, ne manque pas de faire songer, à sa manière, au piteux "Je vous ai compris"  proféré par un Ben Ali aux abois, quelques jours à peine avant sa fuite du palais de Carthage.
   Que les Islamistes soient réellement responsables de l'assassinat de l'opposant ou qu'il s'agisse d'une "tentative de déstabilition"  isolée, selon le mot de Moncef Marzouki, de retour précipité de Strasbourg, une chose est sûre. Ce qui vient de se passer dans ce pays, qui n'a, c'est le moins qu'on puisse dire, pas réussi sa transition, est un affront posthume adressé à Mohammed Bouazizi, le petit vendeur de fruits de Sidi Bouzid immolé "pour la Liberté"  de tout un peuple, à Noël 2010. Quant au sinistre ricanement que l'on croit entendre s'élever au-dessus du chaos, il n'est autre que celui de l'ex-dictateur que l'on imagine l'oeil rivé à la situation actuelle depuis son insolent exil saoudien.
   La Tunisie est entrée dans l'ère de la génération "Ennahda dégage!"  Mais c'est, hélas, la même génération que celle qui scandait, il y a si peu de temps encore, "Ben Ali dégage!" D.P.  
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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 21:48

      Pour un peu, l'info nous aurait échappé. Il est vrai que nous avons des excuses, il y a le triomphe de Hollande à Tombouctou, la deuxième phase de la guerre au Mali, un fiévreux débat à l'Assemblée, sans oublier Beckham qui arrive au PSG... Mais tout de même, la mesure officielle prise jeudi dernier est de taille. C'est au ministère des Droits de la femme que l'on doit cette audace. A coup sûr un tournant pour notre société. De quoi s'agit-il? Tout simplement d'une mesure qui concerne toutes les habitantes de la capitale, ce qui fait du monde, mine de rien.
   Allez, on l'annonce cette révolution. A partir de dorénavant et sans plus attendre, les Parisiennes pourront... porter un pantalon. Non, ce n'est pas une plaisanterie. Car figurez-vous que l'interdiction d'une telle tenue, prononcée le 7 novembre 1799 par ordonnance, n'avait encore jamais été abrogée. Certains s'étaient bien alarmés de cette absurde survivance, notamment le groupe des députés verts il y a deux ans, mais en vain. La préfecture de police avait mieux affaire que de s'occuper de ce qui, à ses yeux, relevait de "l'archéologie juridique". Le sénateur UMP de la Cote-d'Or, Alain Houpert, qui était une première fois monté au créneau, a donc finalement obtenu gain de cause.

   Certes, tout cela ne va pas changer grand-chose. Il n'aura échappé à personne que les "femmes les plus élégantes du monde"  n'ont pas attendu pour laisser, selon leur gré, robes et jupes au dressing. Mais la fin de cette pantalonnade juridique qui aura duré 214 ans, pour aussi symbolique qu'elle apparaisse, offre au moins un mérite. Elle vient opportunément nous rappeler à quel point ce qui fut présenté un jour comme farouchement institutionnel - pour ne pas dire partie prenante de notre "civilisation" -  peut, au fil de l'évolution des moeurs, se voir en toute logique relégué à la préhistoire. D.P.   
 

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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 23:58

    Une grève, ça? Disons, une grévounette, rien de plus. Une façon  toute modérée, pour les participants, de rappeler à François Hollande qu'ils sont là, qu'ils ont du mal, qu'ils s'attendaient à mieux. Mais grosso modo, les écoles sont restées ouvertes ce jeudi, le courrier a été distribué, les bureaux étaient opérationnels. Bref, la fonction publique a fonctionné et le coup de semonce n'a pas eu lieu. Non pas que les griefs se soient envolés par miracle, mais c'est un peu comme si la crise, dans sa récurrente insistance, avait, à force, anesthésié les plus revendicatives ardeurs.

   Jadis, il n'y a pas si longtemps encore, le souffle des révolutions menait le bal contestataire. On ne trouve plus guère, désormais, que de la résignation dans l'air. Ah! il est bien fini le temps où l'on faisait semblant de croire au matin du Grand Soir à coups d'impétueux slogans et de calicots rageurs. Aujourd'hui, ce sont les aubes qu'on redoute pour leurs ternes promesses de nouveaux plans sociaux. Et gare à l'indécence! Il y a du soupçon d'aveuglement, sinon d'égoïsme, dans la moindre clameur couverte, au demeurant, par les grincements des derniers pneus Goodyear d'Amiens-Nord.
   "Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat", comme disait le poète. Tiens, même David Beckham, nouveau venu au PSG, et qui n'a sans doute pas lu Aragon, a promis de reverser son salaire à une association caritative en faveur des enfants. Comment voulez-vous que, dans ce monde sens dessus dessous, on veuille encore faire la grève? D.P.   
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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 22:02

    Combien seront-ils ce jeudi dans la rue? Tant pour les syndicats, tant pour la police et, de toute façon, beaucoup trop pour le président de la République qui devrait ainsi faire face au premier gros conflit unitaire de son quinquennat. A l'appel de trois syndicats, la CGT, la FSU et Solidaires, les 5,2 millions de fonctionnaires entendent, entre autres griefs, défendre leur pouvoir d'achat et protester contre les suppressions de postes.
   Vous avez dit "suppressions"? Certes, le gouvernement n'a pas renoncé à la création des 60 000 postes d'enseignants promis pendant la campagne du candidat de gauche mais le problème, c'est que ce qui se rajoute ici doit être ôté ailleurs. Fichu dilemme, en forme de piège arithmétique, pour l'exécutif. Mais si la marge de manoeuvre est étroite pour le pouvoir en place, les mobilisés n'ont pas, eux non plus, les coudées aussi franches qu'on pourrait le croire. Il n'est pas sûr, en effet, qu'il soit très facile pour eux de faire entendre leurs voix dans un contexte accaparé par la guerre au Mali et les débats enfiévrés sur le mariage et la famille à l'Assemblée. Sans compter que, en temps de crise, cette "manif pour tous" encourt le risque de se voir à nouveau taxer de corporatiste, avec des revendications susceptibles de passer pour des crispations de nantis, ce que les participants ne sont évidemment pas.

   Reste, dans tout ça, une chose qui, paradoxalement, ne devrait pas trop déplaire à François Hollande. Lui qui a déjà "sa" guerre et "son" épreuve de force sociétale, le voilà maintenant avec "sa" grève de fonctionnaires, incontournable marqueur dans l'épreuve du pouvoir. De quoi, pour lui, si l'on ose dire, se rassurer. Il est vraiment un président normal. D.P.

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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 22:22

  Et voici qu'on reparle d'Oradour-sur-Glane, ce bourg de Haute-Vienne dont la seule prononciation du nom fait résonner à jamais le mot "glas"  dans les mémoires. L'emblème même de la folie nazie au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement allié en Normandie, une colonne de soldats appartenant au régiment "Der Führer"  de la division blindée SS "Das Reich" remontant vers le nord, ivres de sang et peut-être ivres tout court, s'arrête dans le village assoupi à l'heure du déjeuner pour s'y livrer au plus atroce des massacres de civils en France. On connaît tous cette saisissante iconographie de la terreur. L'église en feu. Les maisons détruites. Les carcasses des rares voitures de l'époque, les vestiges de landaus calcinés, les objets quotidiens pétrifiés dans ce Pompéi de la barbarie... On a tous marché un jour ou l'autre, le souffle coupé, à travers ce fantomatique no man's land de l'histoire contemporaine. "Ici lieu de supplice, recueillez-vous". 
   Ce que l'on sait moins, en revanche, c'est que le procès, qui s'ouvrit à Bordeaux en 1953, tourna court. Neuf ans s'étaient écoulés. L'époque était à la "réconciliation nationale". S'il ne s'agissait pas de fermer les yeux, il y avait urgence à les tourner vers l'avenir. A plus forte raison sur fond de rivalité entre le Limousin et l'Alsace d'où étaient originaires les "Malgré nous" , ces incorporés de force impliqués dans la tragédie, sans oublier les rivalités entre le PC et les partis de droite en pleine guerre froide. Bref, les quelques condamnations prononcées "tombèrent"...  une dizaine de jours avant la promulgation d'une loi d'amnistie.

   C'est dire si l'on a de quoi se montrer sceptique en apprenant que, soixante huit ans après, un procureur et un commissaire allemands sont venus, ce mardi, enquêter au sein du ruiniforme musée. Or, les conditions sont peut-être, pourtant, plus favorables que jamais. Le temps a passé en atténuant fatalement, sinon le traumatisme, du moins les passions. Le seul procès possible ne pouvait s'ouvrir que loin de l'à-vif de la douleur et de la vengeance. Ce qui semble, tant bien que mal, le cas aujourd'hui. Pas assez tôt, évidemment, pour tous ceux qui ont disparu, aussi bien du côté des victimes miraculées que des bourreaux scandaleusement laissés en paix. Jamais trop tard, en revanche, pour graver les mots de la vérité sur l'un des plus béants martyrologes du XXe siècle. D.P.  

 

 

 

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28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 22:10

  Evidemment qu'elle font plaisir à voir, ces scènes de liesse dans la boucle du Niger. Tout un peuple qui fête la victoire, avec des images jubilatoires qu'on dirait remastérisées à partir de quelque film d'exultation passée. Hommes qui lèvent les bras en remerciant les soldats, français et locaux. Femmes qui ôtent crânement leur voile en souriant au lendemains qui chantonnent. Enfants qui jouent dans la venelle de terre battue qui était encore, la veille, la voie de la peur et de la répression. Tombouctou humiliée, Tombouctou malmenée, Tombouctou blessée, mais Tombouctou libérée! Oui, l'histoire est belle quand elle réactive, avec ce mélange de vérité nue et de lyrisme débordant, les grands précédents gravés dans les mémoires universelles. Sauf qu'ici, les héros du jour, aux visages de Rambos salvateurs sur leurs chars messianiques, n'ont même pas eu à combattre.

   Trop beau pour être vrai? Autrement dit: laguerre est-elle terminée?"Nous sommes en train de gagner cette bataille", s'est félicité François Hollande. "Bataille" et pas "guerre", la nuance est de taille dans la bouche du président au demeurant fort optimiste. S'il y a à coup sûr de quoi se réjouir, nous devons aussi savoir raison garder. Une "opération" comme celle-ci a besoin de symboles et le dernier en date n'est certes pas des moindres. Mais on a également appris depuis longtemps que, sous l'arbre des emblèmes, se cache souvent la forêt des défaites ennemies en trompe-l'oeil.

   Les djihadistes, qui ont quitté la ville qu'ils occupaient depuis dix mois, se sont simplement repliés ailleurs, quelque part dans les montagnes. Là où tout est encore possible pour eux. Là où commence "l'afghanisation"  des conflits. Et n'oublions pas qu'avant de filer, ils se sont livrés à l'incendie d'une bibliothèque riche de précieux manuscrits. Quiconque ose brûler un livre n'a sans doute, hélas, pas dit son dernier mot. D.P.
 

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 20:52

  

   Mais qu'est-ce qui sent comme ça? Une fuite de butane chez le voisin, un AZF qui mijote dans le coin? Autant dire que la trouille s'est propagée à tout va ce mardi matin. Et pas dans un mouchoir de poche, s'il vous plaît. Non, la zone concernée allait, en gros, de Rouen à Paris avec même, paraît-il, un petit détour par l'Angleterre où l'on n'a pas manqué d'ironiser sur cette satanée "pong" ("puanteur"). Ce devait être marrant de voir tous ces gens atteints de reniflette aiguë. Quoique "marrant"  ne soit pas tout à fait le mot... Surtout quand on ne sait plus où sont passés les stocks de masques de Roselyne Bachelot.

   Enfin bon n'en parlons plus, tout ça c'est fini et chacun respire. D'ailleurs, c'était trois fois rien. Du mercaptan qui s'était échappé d'une cuve chez Lubrizol, une usine de la capitale haut-normande. Du mercaquoi? Un produit anodin, ont immédiatement rassuré les autorités. En tout cas, à très faible concentration comme c'était le cas. On en utilise pour fabriquer les boules puantes. On s'en sert pour que le gaz de ville, qui normalement ne sent rien, sente... le gaz de ville. Et même notre organisme en produit, paraît-il, quand on mange, par exemple, des asperges. Permettez qu'on vous passe les détails de l'alchimie.
   Reste pourtant  un vague doute dans cette affaire d'émanation géante en provenance d'un site classé tout de même Seveso. Comment la substance en question a-t-elle ainsi joué la fille de l'air et pourquoi, si elle est aussi inoffensive, a-t-on annulé en soirée le match Rouen-OM? Sans compter qu'en réalité on l'a repérée jusqu'à Berlin où Delphine Batho, invitée à l'anniversaire du "Traité de l'Elysée", a repris à pleins gaz l'avion pour Paris.
   Il faut dire que, depuis un certain été caniculaire, les ministres sont devenus prudents. Ils savent qu'à la moindre défection, ils peuvent déclencher une explosive usine à gaz. D.P.  
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20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 21:36

   La Clusaz, janv. 2013 075Les choses sont parfois bien faites. A la veille du cinquantième anniversaire du Traité de l'Elysée, le ciel de Paris a opportunément pris la couleur de celui de Berlin. Et les rues et les places et les jardous itou. Oui, il neige dans la capitale française comme dans celle de l'Allemagne. Il neige sur la Tour Eiffel comme sur la porte de Brandebourg mais c'est chez nous, bien sûr, que le phénomène a valeur d'événement, fût-ce en plein coeur de janvier.
   Tout au long du week-end, une série de très séduisants tableaux aux cinquante nuances de blanc nous ont montré un Paris carrémment sexy. Il y avait, en tout cas, quelque chose de doux et d'apaisant dans cette interminable couverture (!) médiatique d'une virginité urbaine au lendemain du ressassement de non-images en provenance de la tragique prise d'otages d'In Amenas.

   On a skié à Montmartre. On a sorti les luges au Luxembourg. On a glissé sur les trottoirs miroitants à la manière de ludions verlainiens ("Il patinait merveilleusement, / S'élançant, qu'impétueusement! / R'arrivant si joliment..."). On a vu à la télé un touriste américain qualifier sa ville d'accueil de "very romantic". On a entendu un jeune promeneur, qui se croyait plus sûrement à Combray, s'exclamer: "Ca rappelle Marcel Proust". Et même les usagers d'une rame de métro bloquée par le froid sur un pont de la ligne 5 ont, paraît-il, pris leur mal en affable patience.
    Evidemment, une euphorie dominicale n'est pas faite pour durer. La galère, la vraie, est programmée pour ce tout début de semaine. Les cinquante nuances de blanc se fondront dans la grise palette des lundis sans nuances. Les voitures et les trains resteront peut-être en rade mais les avions pour Berlin, eux, décolleront. Depuis qu'il a fait la paix, le couple franco-allemand se rit des intempéries. Ou presque. D.P. 

   Ah! oui, petite précision: il n'a pas neigé qu'à Paris. Photo D.P.

 

 

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 21:23

  Dans cette longue et tragique prise d'otages en Algérie, en marge sanglante de la guerre au Mali, ce qui nous aura marqués, nous autres observateurs fatalement un peu (beaucoup?) voyeurs, ç'aura été, précisément, l'absence d'images. Tout juste fûmes-nous réduits à scruter sur nos divers écrans, tantôt de très basiques cartes de la zone, tantôt un majestueux panneau désignant, en arabe et en français, le lieu de l'affrontement aux menaçantes inflexions: "In Amenas",  tantôt encore des documents d'archives montrant, en légère contre-plongée ou en plan un peu plus éloigné, un site gazier probablement semblable à tous les autres, avec ses cuves et son embrouillamini de tuyaux.
   Mais ce qui fascinait le plus - si tant est qu'une situation aussi critique laisse de la place à ce genre de sentiment -, ce furent les vues de satellites. L'une d'entre elles, tout particulièrement, a retenu notre attention (photo). On n'en finissait plus d'observer ce vaste fond ocre du désert, avec ses taches plus sombres et ses rides, avec, dans la partie centrale, le réseau des installations industrielles réduites à une sorte de dessin pointilliste. A croire qu'en lieu et place des reporters, c'est un peintre abstrait qui avait fait office d'envoyé spécial. Hypothèse à laquelle on est évidemment un peu honteux de songer en pareille circonstance. Mais tout le monde en conviendra: le pinceau est souvent plus fidèle que la caméra. Et ce ne sont pas les toiles de Polke, Jasper Johns, Tapiès ou Philippe Cognée (*) qui nous contrediront. D.P.  

 

   (*) Vite, la belle exposition qui lui est consacrée au Musée de Grenoble se termine le 3 février.

 

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16 janvier 2013 3 16 /01 /janvier /2013 22:05

 "Déja"! , C'est bien le mot qui venait d'emblée à l'esprit à l'annonce, ce mercredi soir, de l'attaque contre le site gazier algérien par un groupe de jihadistes. Oui, déjà les représailles, déjà les otages, déjà la terreur, déjà le chantage à la vie humaine, et cela alors que nous n'en sommes qu'au sixième jour du conflit au Mali. Certes, les informations étaient encore floues, mais une chose paraissait presque sûre. Il s'agissait d'extrémistes islamistes agissant en réaction à l'ingérence de l'Algérie qui a autorisé le survol de son territoire par l'aviation française.
   On a beau savoir qu'il n'y a pas de guerre, aussi justifiée soit-elle, sans "victimes colatérales", comme on disait au temps de l'Irak, on n'est évidemment jamais prêts à ce type d'actions qui ne va pas manquer d'alimenter, jusque sur notre territoire, la crainte des attentats. Or, si la vigilance est plus que jamais de mise, la fermeté ne doit pourtant en aucun cas s'infléchir face à de telles tentatives d'intimidation.

   Ne nous y trompons pas: en agissant ainsi, les représentants de cette mouvance d'al-Qaïda ne font pas preuve de force, ou alors que de façon illusoire. Ils montrent, au contraire, à quel point ils sont aux abois. Un peu comme si, en retenant les employés occidentaux, les membres du groupuscule répondant au nom de "Signataires du sang" se prenaient eux-mêmes en otages. D.P.
 
 

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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