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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 22:41

 Alexis Jenni et Emmanuel Carrère, un Renaudot et un Goncourt    D'abord, il y a son nom. Passons sur l'homophonie avec "génie", elle est déjà usée jusqu'à la corde. Mais reconnaissons que Jenni, ça a de la gueule. A mi-chemin des titres d'un film que Carné tourna en 36 et d'un vieux rock' n' roll de Little Richard. "Oh Jenny, Jenny, Jenny..."  Sauf que lui, c'est avec un "i". Et même si, pour ce prof de "biolo"  lyonnais de 48 ans sacré ce lundi chez Drouant, le Goncourt, ça allait sans dire, avouons que ça va encore mieux en le disant.
   Oui, ce prix nous réjouit parce que L'Art français de la guerre - somptueuse bougie sur le gâteau d'anniversaire de la centenaire institution Gallimard - est un gros bon roman pétri d'histoire(s), brassant six décennies de conflits vécus dans la chair des hommes sacrifiés, dans la mémoire mutilée de ceux qui restent et à travers la maîtrise narrative de celui qui recueille et assemble aujourd'hui ces bribes de destins triomphants et de fiascos funesques.

   Le projet est ambitieux, la fresque éblouissante, et des ex-champs de bataille coloniaux aux rondes sécuritaires de nos villes modernes ("Nous ne connaissons pas d'adversaire, juste l'ennemi"), c'est le même frisson qui saisit un lecteur avançant tour à tour dans la moiteur des rizières, dans la puanteur des charniers, dans nos banlieues quadrillées, sinon sous le magnétique brouillard de Lyon, la ville de l'écrivain lauréat né en 1963. Alexis Jenni, à travers son personnage de vétéran devenu peintre, scrute, avec force et loin des idées reçues, des thèmes pourtant aussi rebattus que l'art et la réalité, le bien et le mal, le courage et lâcheté.
   Etrange, et judicieuse, coïncidence, les salauds et les héros sont également au coeur des deux autres livres récompensés le même jour: l'excellent Limonov d'Emmanuel Carrère (POL), ceint du bandeau Renaudot, et le non moins remarquable Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan (Stock), prix Renaudot de l'essai. Sans oublier, dans une thématique très proche, le Retour à Killybegs de Sorg Chalandon (Grasset) qui s'est vu attribuer le Grand prix du roman de l'Académie française dès le 27 octobre dernier. Quand on vous disait que les jurés ont parfois du gén... Ah oui, pardon, c'est vrai, on a dit qu'on ne la faisait plus celle-ci. D.P.

 

Alexis Jenni et Emmanuel Carrère présentant leurs ouvrages primés. Photo D.R.

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   - A lire également, un entretien avec Alexis Jenni par Nadja Pobel

 publié par , à Lyon, le 23 septembre dernier:

 

 

"Entre Louis XIV et OSS 117"

Interview / À peine le temps de terminer un cours de "SVT" qu’Alexis Jenni enfile son habit de romancier pour nous parler de son premier roman, L’Art français de la guerre. Cette fresque grinçante d’un demi-siècle d’histoire de violence française (1943-1991) a reçu un accueil dithyrambique mérité et est en course pour le Goncourt. Rencontre avec un jeune premier auteur de 48 ans étonné et heureux. Propos recueillis par Nadja Pobel.

 

 

Puisque vous décrivez si bien le déchirement d’un couple en début de roman, vous auriez pu faire un roman "à la française», sur l’intime. Pourquoi en avoir fait un ouvrage beaucoup plus vaste ?
 - Alexis Jenni :
Je me dis que quand on se mêle d’écrire, autant être d’une ambition un peu délirante, un peu absolue. On peut très bien être quelqu’un de modeste dans sa vie personnelle mais si on se mêle de faire ça, il faut y aller. Il y a une sorte d’utopie du roman absolu. J’ai des modèles russes et en fait je suis un russe blanc ! (rires). Cette idée de roman excessif me fascine. Tant qu’à faire un roman, autant assumer pleinement mon goût des grands espaces, de la cavalcade, de la scène délirante poussée à bout. Il fallait ces 630 pages ; et encore j’en ai enlevé car il y a quand même l’idée de faire un début et une fin, des étapes. Du coup, l’air de rien, c’est assez architecturé même si des choses débordaient de cette architecture.  

 

   Comme Haenel ou Mauvignier récemment, vous vous emparez de l’Histoire sans avoir forcément comme souci premier celui de la véracité historique...
- Mon souci est de décrire exactement une attitude humaine, c’est même presque une politesse. La vérité historique est parfois biaisée sans que ce soit bien grave, tout simplement parce que la succession réelle des événements ne convient pas à la fiction. Si on voulait refaire la chronologie réelle dans mon roman, on se rendrait compte qu’il y a des zones pas nettes. La fin de la guerre d’Algérie n’est pas rigoureuse d’un point de vue historique mais il fallait ça pour mon personnage. Il y a une exactitude de sens sans une exactitude historique.

  

   De la Deuxième Guerre mondiale aux colonnes blindées qui font aujourd’hui irruption dans les banlieues, vous faites le constat d’un demi-siècle de violence française…
- Récemment, quelqu’un à la radio m’a reproché de soutenir qu’aller arrêter au petit matin un dealer à Vénissieux, c’était la suite de la colonie ; mais je n’ai jamais dit ça. Qu’on arrête les délinquants me va bien. Je suis un petit bourgeois des classes moyennes, j’ai peur des classes dangereuses comme tout le monde. Mais la militarisation, le perfectionnement jusqu’à l’absurde des troupes d’intervention, ces CRS extraordinairement équipés et formés, là, je me dis qu’on a peut-être raté quelque chose, qu’on ne tape pas forcément là où il faut, que ce n’est pas ça qui va résoudre le problème.

 

   Tout est un échec d’ailleurs dites-vous, la guerre d’Algérie n’a servi à rien…
- Mais c’est comme ça. Il y a une tentation de vouloir la force et cette force échoue toujours. Il faut voir le système dans son ensemble. Je n’ai pas d’avis sociologique là-dessus, je ne pourrais pas dire qu’il faut faire comme ci ou comme ça. Tout ce que je peux dire c’est que c’est un principe d’arts martiaux traditionnels que d’énoncer que la force mène à l’échec. Que ce soit dans un affrontement avec quelqu’un ou dans un affrontement social, ça ne marche pas. La littérature a quelque chose à dire sur le contrôle d’identité, la surveillance permanente, les caméras. Le monde dans lequel on vit est une sorte de violence organisée. Un contrôle d’identité n’a l’air de rien mais quand on le subit c’est autre chose. Quand on se fait fouiller en pleine rue alors que l’on sait qu’on n'a rien fait et qu’après le type ne s’excuse pas et s’en va, alors on est rien. Pour moi, c’est au-delà de l’aspect politique, c’est une sorte de nouvelle réalité anthropologique que ce contrôle, cette chasse, l’affrontement dans une ville civilisée. Le lien social se disloque. Le pire est que désormais, la France a une expertise extraordinaire dans ce domaine-là, qu’elle a voulu s'en servir en Tunisie cet hiver et en Angleterre durant les émeutes à Londres. C’est fabuleux. Quand on regarde ça avec un peu de distance, un peu d’humour, on se dit que c’est dingue. N’empêche que nous avons des services à vendre comme ça et que ça représente cinquante ans de formation.

  

   Revenons à la guerre dont vous avez une approche très pragmatique qui vous a parfois été reprochée. Vous parlez de la terreur comme d’une technique...
- Oui. Certains commentaires disent même que je suis crypto-fasciste par ma fascination pour la guerre ; mais ils ont mal lu. Quand je dis que la terreur est une technique, c’est qu’il n’y a pas plus rationnel que la terreur. La bataille d’Alger était le triomphe de l’informatique humaine. Ça a été théorisé par des types hyper-intelligents et ça a marché. Même chose à Oradour-sur-Glane : les Allemands n’arrivent pas comme Attila en détruisant tout ; ces types utilisent des techniques apprises sur le front de l’Est pour couper le peuple de la Résistance en terrorisant sciemment tout le monde.

 

   D’où vous vient cette passion de la guerre alors que vous êtes né dans une famille antimilitariste qui lisait Charlie Hebdo ?
- Cette idée de m’intéresser à la guerre est vraiment née pendant la guerre du Golfe. Pas dans les circonstances décrites dans le livre, c’est exagéré, mais j’ai pour la première fois de ma vie vu la guerre à ce moment-là. Avant l’armée était loin. Et là, on voit ça à la télé. 1991 c’est aussi la fin des pays de l’Est, du petit XXe siècle, la fin des guerres Est/Ouest, Bien/Mal, c’est le retour des guerres d’avant 14. La guerre est un truc étonnant car ça ne nous concerne pas et, en même temps, on y pense beaucoup, il y a plein de films de guerre, plein de livres de guerre, de photographes de guerre. La guerre est peut-être un moyen de placer sa violence, de jouer avec la mort. J’ai voulu régler son compte à toutes ces sociétés un peu infantiles, en essayant de grandir un peu mais en l’assumant aussi pleinement au premier degré. Je ne voulais pas faire l’ironique qui regarde ça en intellectuel supérieur ni jouer au moraliste en disant que c’est pas bien. Regarder la guerre avant de la juger, c’est ce qui a fait exister ce roman.

 

   Vous abordez aussi l’identité, la race, des thèmes qui mènent invariablement à la controverse…
- J’aborde cela en écho à la guerre, dans les "commentaires". Les notions de séparation des races, d’identité, de faciès sont d’une confusion absolue dans le discours commun. J’essaye donc d’y comprendre quelque chose pour des raisons intellectuelles mais aussi pour des raisons personnelles, pour éclairer ce que sont l’ascendance, la transmission. Je fais pour cela le détour par le reste du monde. Au lieu de faire un roman intimiste et autofictif, j’ai fait un grand machin pour tourner autour et ça m’allait bien comme ça.

 

   Vous cassez aussi les idées reçues, peut-être angéliques, selon lesquelles on serait tous des Européens, des habitants du monde.
- On délire là-dessus. La race est réfutée depuis longtemps mais on ne peut pas s’en passer car on a besoin de reconnaître les siens, c’est une sorte de besoin anthropologique. Il n’y a qu’à voir ce qui se dit dans les villages. C’est à la fois quelque chose sur lequel on se replie et quelque chose qui n’existe pas. Je crois que l’identité n’existe pas. Mais on la sent, on la cherche et dès qu’on essaye de dire quelque chose à ce propos, ça devient absurde. Je ne crois pas vraiment qu’il y ait une identité personnelle et encore moins une identité collective.

 

   Vous dites souvent dans ce roman que rien ne change. Êtes-vous un optimiste malgré tout ?
- Je suis un optimiste mélancolique avec à la fois la perception d’un désastre général (la société, le monde et moi-même) et une sorte de regard un peu joyeux sur les choses. Par moment, c’est tellement dingue que ça me fait rire. Je regarde tout ça à la fois effrayé, amusé, horrifié et réjoui par tant de grandeur et de bêtise à la fois. L’Art français de la guerre, c’est quelque chose entre Louis XIV et OSS 117, grandeur et crétinerie, l’un n’empêchant pas l’autre.

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1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 21:59

   Bien sûr, le G 20 à la sauce cannoise aimante déjà toutes les attentions. Mais n'oublions pas que nous avons d'abord un G 10 à nous mettre sous la dent. Dix comme les dix décideurs du plus prestigieux prix littéraire au pays de Molière et de Stendhal. Cela se passera donc ce mercredi 2 novembre, au moment où s'ouvriront les JT de treize heures. On n'y parlera pas du détonnant référendum grec, ni de la finance mondiale, ni même de la dette européenne. Non, entre la poire des délibérations académiques et le fromage des affinités électives, les jurés de la place Gaillon, adeptes tout à la fois de gastronomie fine et de cuisine éditoriale, auront pour délicate mission de désigner sinon le meilleur roman de l'année, du moins celui qui leur paraîtra le mieux en accord avec le goût des gens et les mets de chez Drouant.
   Certes, il est de bon ton de se moquer de ce rituel bien de chez nous, inscrit à chaque automne au temps de la Toussaint, d'Halloween et du beaujolais nouveau. On devrait peut-être, au contraire, saluer cette spécifité nationale qui a pour mérite de mettre le livre à la Une de l'actualité. Le livre? Evidemment, c'est là, dans ce singulier, que les réserves se nichent. Le sacre du champion ne rend que plus criante l'éjection des autres qui, souvent, n'ont pas démérité, au terme d'une pression souvent ravageuse.

   Cette année, en revanche, comme, du reste, la précédente avec Houellebecq, peu de suspens à attendre. Il y a, paraît-il, du Jenni dans l'air. Alexis de son prénom. Un talentueux débutant de tout de même 48 ans. Dans un "pavé"  de plus de 630 pages (*), il revisite avec un incontestable brio notre passé colonial, ainsi que tous les conflits du siècle. Mais ce n'est pas tout. L'auteur parle aussi à merveille de sa ville, Lyon, et des alentours: "Ils traversèrent en camion le tableau flamand du val de Saône, où des champs d'un vert vif sont découpés par les brins de laine un peu plus foncée des haies. Sur le bleu de ciel passaient des nuages à fond plat, très blancs, et dessous allait la Saône qui s'étale plus qu'elle ne coule, miroir de bronze qui flue, mêlant des reflets de ciel à de l'argile" (p.221). Des phrases comme celles-là, on en redemande.
   Alors Jenni, nouvel "impétrant"? Fort probable, en effet. A moins d'un ultime coup de théâtre. Ne négligeons pas tout à fait cette hypothèse. Il n'y a rien de plus inépuisable, sous nos doux cieux, que l'art français de la guéguerre du Goncourt. D.P.

 

(*) L'Art français de la guerre d'Alexis Jenni, Gallimard, 632 p., 21 euros.

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   Petit récapitulatif:

- Mon favori pour le Goncourt: L'art français de la guerre d'Alexis Jenny (Gallimard).

N'oublions pas, pour autant, les trois autres auteurs en lice: Carole Martinez (Du domaine des murmures, Gallimard), Sorj Chalandon (Retour à Killybegs, Stock) et Lyonel Trouillot (La Belle amour humaine, Actes Sud). A signaler que Chalandon, déjà lauréat du Grand prix de l'Académie française, n'a pratiquement aucune chance. Et on aura noté que Gallimard a deux auteurs finalistes, façon sans doute pour le jury de célébrer les cent ans de l'"institution".

   Ce même 2 novembre sera remis le Renaudot, avec une dernière short list de cinq romans: L'Art français de la guerre d'Alexis Jenni (Gallimard), Limonov d'Emmanuel Carrère (POL), Le Système Victoria d'Eric Reinhardt (Stock), Assommons les pauvres de Shumona Sinha (L'Olivier) et Tout, tout de suite de Morgan Sportès (Fayard).

 - Mon favori pour le Renaudot: Limonov d'Emmanuel Carrère.

   Enfin, dans la foulée on décernera le Renaudot-essais à l'un de ces trois ouvrages: Le Souvenir du monde: essai sur Chateaubriand de Michel Crépu (Grasset), Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan (Stock) et Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (Gallimard).

   - Mon favori pour le Renaudot-essais: Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan. 

  

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 22:22

  Peju-004.jpg Un livre où se réfugier comme dans une cabane en ces temps de Toussaint: Enfance obscure de Pierre Péju (*). Un livre grave et calme qui, entre les concepts de l'"Enfantin" et de l'"enfantôme", nous ramène, avec intelligence et brio, dans ce que Bachelard appelait "La vie première". Un ouvrage, à mi-chemin entre l'essai et le récit, qui associe l'acte même de lire au "plaisir de lanterne sourde" . Au "plaisir clandestin de lanterne magique dans la solitude".  En voici deux extraits.

   Dans le premier, Péju fait référence à un grand aîné, l'auteur de La Pensée sauvage: "Evoquant les enfants déguisés en fantômes, squelettes, vampires et sorcières lors de la fête d'Halloween, Lévi-Strauss revient sur cette coutume d'une persécution tolérée des adultes par les enfants. Les enfants jouent les morts [...] mais qui peut personnifier les morts dans une société de vivants, sinon tous ceux qui, d'une façon ou de l'autre, sont incomplètement incorporés au groupe, c'est-à-dire participent à cette altérité qui est la marque suprême du dualisme: celui des morts et des vivants?" (p. 71).
    Le second passage, sans référence à Lévi-Strauss cette fois-ci, se trouve juste un peu plus loin: "On sait que les contes sortent de la bouche des morts, et qu'ils impliquent une proximité des hommes et des animaux. Les contes nous arrivent avec l'écho de la voix de ceux qui les racontent depuis la nuit des temps. Tous morts. Vieux enfants éternels". (p. 74 et 75). D.P.
 
   (*) Enfance obscure de Pierre Péju, Gallimard, collection "Haute enfance", 372 p., 20 euros.

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 20:03
- Pessin-003.jpgMarc Pessin, le graveur-éditeur de Saint-Laurent-du-Pont, dans l'Isère, est un épatant touche-à-tout qu'on ne présente plus. Mais ce qu'il affectionne peut-être plus que tout, ce sont les correspondances. Celles de Baudelaire sans doute, mais aussi celles qu'achemine la Poste. Les destinataires qui ont eu le plaisir de recevoir un jour une lettre de lui savent à quel point elles sont marquées par sa calligraphie si particulière. Mais ce que la Bibliothèque de Grenoble donne à voir ces jours-ci, c'est, à l'inverse, une sélection des courriers que quelques-uns des proches du "conservateur et directeur du Grand musée de la civilisation pessinoise" - telle est l'une des adresses qu'on peut lire sur une enveloppe ludiquement affranchie - se sont amusés à lui expédier. Chaque pli est une oeuvre d'art en soi. Celui-ci, de Chris Besser, recycle coquillages et médailles. Celui-là, de Marie Morel, autre originale adepte du "mail-art", s'orne d'une paire de lunettes. Quant à Mariette, fille de Marc et talentueuse plasticienne elle-même, elle a carrément inventé le concept de missive-chaussette. Allez, filez d'un bon pied voir cette expo. Et c'est franco de port. 
   Deux mots encore. Ils sont empruntés au texte liminaire affiché à l'entrée de l'expo et ils sont bien sûr signés de Marc Pessin: "La lettre incarne l'esprit immatériel que les hommes se transmettent sans altération. Elle est en quelque sorte un sismographe de nos vies. [...] L'art de la poste, le mail-art comme on dit maintenant, est un art de la donation, un vecteur d'émotions et d'amitié". Plutôt bien envoyé, non?,  
   (Marc Pessin "Art timbré", jusqu'au 12 novembre, Bibliothèque du Centre ville 10, rue de la République, Grenoble, tél.: 04 76 54 57 97).
 
Drôle d'effigie ailée sur l'un des plis adressés à "l'entomologiste" Marc Pessin. Photo D.P.

2011-automne--Brou--Beny--champignons-023.jpg- Après Frédéric Benrath, Daniel Sarrabat. Et mieux vaut annoncer la couleur. C'est une rupture totale de ton d'une exposition à l'autre sous les voûtes gothiques de Brou. Rupture tout à la fois chronologique et thématique. Benrath (1930-2007) incarnait l'abstraction contemporaine poussée à la limite du monochrome. Sarrabat (1666-1748) est un émule de Poussin. Mais soyons francs: qui le connaissait? Félicitons donc le musée bressan pour cette redécouverte, d'autant plus que les 54 oeuvres (dont 36 tableaux) de celui qui fut "l'un des plus grands peintres d'histoire à Lyon et dans sa région"  maintiennent, au gré des salles, la curiosité parfaitement en éveil. On salue la maîtrise du débutant "monté"  de sa capitale des Gaules natale à Paris, on mesure l'ampleur précoce de son talent avec les travaux réalisés lors de son séjour à Rome (1685-1694), on est happé par les grandes toiles conçues après son retour entre Rhône et Saône (1716-1732). A découvrir tout particulièrement  le décor mythologique de l'Hôtel de Sénozan à Lyon et la série de tableaux illustrant l'histoire de Marie-Madeleine de l'église de Thoissey (Ain).
    (Daniel Sarrabat "L'Eclat retrouvé", jusqu'au 29 janvier 2012, Monastère royal de Brou 63, boulevard de Brou 01000 Bourg-en-Bresse, tél.: 04 74 22 83 83). D.P.

 

L'une des oeuvres de Daniel Sarrabat visibles actuellement au musée de Brou. Photo D.P. 

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 21:13
Retrouver, ce mercredi 12 octobre, dans la rubrique "Autrement dit"
(p. 27), du quotidien  journal, une tribune de Didier Pobel.
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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 15:29

2011--Vendanges-litteraires-041.jpg2011--Vendanges-litteraires-015.jpg2011--Vendanges-litteraires-026.jpg   Le cru 2011 des "Vendanges littéraires" restera dans les futailles de nos mémoires. C'était le week-end dernier, à Rivesaltes, au pays du muscat, sous le soleil d'une exceptionnelle arrière-saison. Et pourtant le vieux platane de la place Charles-de-Gaulle en a vu passer des écrivains, depuis la création de l'évènement en 2003. Après Michel Le Bris (2008), Michel Onfray (2009), Charles Juliet et Christian Oster (2010), l'invité d'honneur était cette année Bernard Pivot. Nonchalant, malicieux et flatté d'être là, il a répondu avec une courtoisie sans faille aux 2011--Vendanges-litteraires-059.jpgpertinentes questions du public et de Marie Bardet et Bernard Revel, le président du jury.
  Le jury? Eh oui, car on ne fait pas que converser et ripailler (Ah! la cargolade dans les vignes...) aux premiers jours d'octobre sur les rives de l'Agly, on distribue aussi des prix. Pivot, ex-Apostropheur national et aujourd'hui membre éminent de l'académie Goncourt, est reparti - façon de parler, bien sûr - avec une barrique sous le bras. Mais l'auteur des Mots de ma vie (Albin Michel) ne fut pas le seul lauréat. Javier Cercas, prix Jean-Morer pour son dernier ouvrage, Anatomie d'un instant (Actes Sud), a capté l'attention d'un auditoire fervent, tout comme Philippe Georget à qui fut remis le jeune prix Coup de foudre pour son polar Le Paradoxe du cerf-volant (Jigal). Et que Michel Gorsse, prix Vendémaire retenu en Mongolie, se rassure. Il fut bien représenté par Bernard Combes et Gérard Salgas, respectivement illustrateur et préfacier du très ludique ouvrage à l'honneur, Divagalâmes.

   Bref, on ne s'est pas ennuyés un seul instant lors de ces "Vendanges" . On y a également applaudi les comédiens du théâtre du Gecko et Jean-Claude Drouot dans l'habit d'un La Fontaine plus libertin qu'on ne l'imagine souvent. On y a rencontré les éditeurs présents sur la place. On a dégusté - avec modération - les meilleurs nectars catalans, notamment ceux du pétulant Henri Lhéritier, vigneron et écrivain (il vient de publier un épatant Requiem pour Mignon, au Trabucaire). Disons-le tout net, sans l'insistant clocher de l'ancien hôtel de ville, on aurait juré que le temps ne passait plus, en ce riche et beau week-end d'automne, à Rivesaltes. Un grand bravo aux organisateurs et à la Municipalité. D.P.

 

D'une scène à l'autre, Bernard Pivot, auprès du public ou des membres du jury, ici signant son livre, Les Mots de ma vie, ou, là, dégustant la "cargolade" dans les vignes. Photos D.P.

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 19:00
 

sept.oct.-2010-249.jpg- Certes, le temps des vendanges est déjà terminé, mais pas à Rivesaltes. Là-bas, c'est ce week-end que ça va se passer. Attention, comme désormais chaque année à la même époque, il ne s'agit pas de raisin au pays du muscat, mais de fête et de partage sous le signe des mots, du langage, de la chaleur humaine.  Après Michel Onfray en 2009, les "Vendanges littéraires" avaient célébré l'an dernier Charles Juliet, Christian Oster et Michel Arcens.

   En 2011, le lauréat du prix principal ne sera autre que Bernard Pivot, ex-Monsieur Apostrophes, bien sûr, mais aussi auteur, tout récemment, de cet épatant abécédaire qu'est Les Mots de ma vie (Albin Michel). Le catalan Javier Cercas se verra, pour sa part, remettre le prix Jean-Morer pour Anatomie d'un instant (Actes Sud) , alors que le Vendémiaire reviendra à Bernard Combes et Gérard Salgas et le prix coup de foudre à Philippe Georget pour son polar Le Paradoxe du cerf-volant (Jigal).

   Ah oui, il  faut encore préciser que lorsqu'on est distingué par la tonique (tanique?) équipe roussillonnaise, on ne reçoit pas une médaille, ni même une bande rouge, mais une barrique de vin. Pivot, l'homme du Beaujolais, appréciera. Et, du coup, on aura compris pourquoi ce rendez-vous possède autant de contenance. Présentations, rencontres, débats seront menés par Christian Discipio, Marie Bardet, Sylvie Coral, Chantal Lévêque, sans oublier Henri Lhéritier, le pétulant vigneron-écrivain du domaine de Crest et, évidemment, Bernard Revel, président d'un jury dont la municipalité complice se fait fort de respecter l'indépendance. A noter encore le spectacle gratuit donné par Jean-Claude Drouot autour des Contes libertins de La Fontaine le samedi à 18 heures.

(Ce samedi 1er octobre - à partir de 15h30 - et dimanche 2 - toute la journée, dès 10h30 -, à Rivesaltes, Pyrénées-Orientales).

 

- C'était il y a un an autour du platane de Rivesaltes: Bernard Revel et  Christian Discipio à l'écoute des trois lauréats 2010: Charles Juliet, Christian Oster et Michel Arcens. Photo D.P.

 

 

- Le talentueux peintre et photographe Pierre Gaudu a délaissé, au cours des semaines passées, ses habituels sentiers du Valbonnais ou du Vercors, pour s'imprégner de l'esprit du Musée Hébert, près de Grenoble. Les jardins, la Nymphée, les sculptures (celles d'Olivier Giroud, en l'occurrence), rien n'a échappé à l'oeil de ce visiteur pas tout à fait comme les autres, y compris, on l'aura deviné, les salles de ce lieu d'exception, véritable enclave italienne dans la capitale des Alpes, où l'univers d'Ernest Hébert (1817-1908) reflète tout particulièrement le monde des femmes de  la société du XIXe siècle.

(Photographies de Pierre Gaudu, cabinet des dessins, du 1er octobre au 2 janvier 2012,  Musée Hébert 38700 La Tronche 04 76 42 97 35).

 

- Initiative à ne pas manquer, tout à la fois pour ses dimensions esthétiques et humanistes: l'association "Osons l'art sans frontières" organise en effet, très prochainement, une exposition d'art contemporain en soutien à la recherche sur la leucémie et les cancers du sang. Avec de nombreux plasticiens présents parmi lesquels Christine Bry.

(Hôtel de Ville de Grenoble, du 4 au 14 octobre).  D.P

 

  

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6 septembre 2011 2 06 /09 /septembre /2011 11:05
- Drome--ardeche--septembre-2011-088.jpgEtape incontournable à Vogüé. Pour le site, bien sûr. La falaise calcaire qui Drome--ardeche--septembre-2011-096-copie-1.jpgprotège de la rumeur du monde. La rivière qui s'offre vers le soir des reflets de peintures rupestres. Pour le site, mais aussi pour les expositions qu'accueille, grâce à la vaillante et efficace association "Vivante Ardèche", le majestueux château. Celle qui se tient actuellement, jusqu'au 1er novembre, est consacrée à un très original plasticien, Jean-Yves Pennec, dont le matériau de prédilection pourrait prêter à sourire si l'on n'y prenait garde: le cageot. Certes, un prestigieux aîné avait déjà, à sa manière, glorifié cette "simple caissette à claire-voie" qui "luit de l'éclat sans vanité du bois blanc"  et Pennec ne manque pas de rendre hommage à Francis Ponge en présentant un mobile sur les parois duquel est inscrit en pyrogravure le célèbre poème du Parti pris des choses. Mais l'artiste breton - il est né à Quimper en 1958 - ne se contente pas de ce clin d'oeil. En détournant ces futiles réceptacles en peuplier sous des formes les plus diverses - modestes assemblages, découpages fantaisistes ou recompositions insolites -, il reconstitue un univers personnel qui, sans se prendre au sérieux, interroge tout à la fois les origines de l'homme et de l'art ou les mystères de la filiation et de l'amour.
   Voici un entretissage de fines lattes et de lumière à travers lequel s'entrouvrent les persiennes de la maison d'enfance. Voici un objet qui ressemble à un xylophone muet. Ou bien encore cette réplique d'une boîte de cubes de jadis. En destructurant la matière brute et en réagençant la multitude des fragments et des messages publicitaires lisibles sur le bois - l'un des "puzzles"  comporte 1250 pièces montées sur place -, Jean-Yves Pennec s'adonne aussi, à l'occasion, au portrait parodique (La Joconde, Le Fils de Rembrandt...), sinon à l'autoportrait, le tout "pixelisé en trois dimensions".
   Ah oui, petite précision: le cageot en écho à Ponge est suspendu au-dessus de la grille du cachot. Cageot/cachot, cagette/cachette? Rassurons-nous, il y a du jeu de bûchettes plus que la référence carcérale dans la démarche de celui qui s'amuse parfois à glisser une once d'esprit oriental dans ses réalisations, le temps, par exemple, d'une partie de "mikajo". Toutes affaires cessantes, allez faire votre marché à Vogüé, allez vous frotter aux objets glanés par Jean-Yves Pennec. Quel que soit leur état, ils sauront, à l'évidence, mieux vous emballer que vous faire tourner en bourriche.
- "A travers bois" de Jean-Yves Pennec, jusqu'au 1er novembre, au Château de Vogüé, à une dizaine de kilomètres au sud d'Aubenas (Ardèche), tél.: 04 75 37 01 95. 
Parmi les oeuvres de Jean-Yves Pennec exposées au château de Vogüé, Mi casa luna (2003) et Le Cageot de Ponge (1996), au-dessus de la grille du cachot. Photos D.P. 
 
-Crypte-Cruas-006.jpg Une visite à la galerie Emiliani à Dieulefit est toujours un moment privilégié. Michèle, la responsable des lieux, a décidé de prolonger d'un mois l'exposition consacrée à Junji Yamashita, né en 1940 à Nagasaki et installé à Paris depuis la fin des années soixante. On a donc jusqu'à la fin septembre - tant mieux - pour aller découvrir un ensemble de toiles et d'ardoises peintes dominées par les blancs, les bleus, les gris, les jaunes, où l'on croit voir parfois des sortes de demeures d'écume, à la composition tourmentée, sinon carrément dévastée. Des réminiscences du chaos à jamais ancré en l'enfant qui avait cinq ans au moment de l'explosion atomique? Plutôt, de l'autre côté du miroir pétrifié, une projection vers cet éden que représente la Grèce aux yeux de l'artiste. De ses fréquents séjours à Santorin, Yamashita a rapporté quelque chose qui ressemble à la lumière originelle, et qu'importe qu'elle soit l'émanation même d'un monde en fusion. Esquisses de portes, de voûtes, de fenêtres, de ciels, de villages... On reconnaît à peine quelques formes dans ces images d'un univers exalté au-delà du néant et de la nuit des tragédies antiques ou contemporaines. Mais Junji Yamashita excelle aussi dans des "Natures mortes"  saisies sur de  plus petits formats infléchis parfois d'une touche de mysticisme: assiettes avec cerises, raisins, pêches comme les projections intenses du seul élément, au fond, qui vaille: le fruit du regard.
- Junji Yamashita, "oeuvres récentes", jusqu'au 30 septembre, galerie Emiliani Le Parol- Allée des Promenades 26220 Dieulefit. Tél.: 04 75 46 30 28.
L'île grecque de Santorini a inspiré à diverses reprises Junji Yamashita. Photo D.P.
 
- Drome--ardeche--septembre-2011-025.jpgA deux pas de la galerie Emiliani, il faut s'arrêter chez Artenostrum. Il reste encore une Drome--ardeche--septembre-2011-013.jpgquinzaine de jours pour y admirer une exposition en forme de prologue - ou de complément - à une présentation plus générale des oeuvres d'Ivan Theimer dans l'un des plus magnifiques sites de la Drôme provençale, le Centre d'art et d'animation du Poët-Laval.
   Theimer? Ce n'est évidemment pas un hasard si celui qui vit le jour en 1944 en Moravie a tenu à être ainsi doublement présent au pays de Dieulefit en cet été 2011. Il reçut, en effet, ici, dans ce lieu synonyme de résistance, l'un des plus décisifs accueils après avoir quitté sa Tchécoslovaquie natale meurtrie par l'écrasement du printemps de Prague, en 1968. Il n'a pas oublié "La Boulangerie", la petite galerie de Françoise Schroeter qui lui ouvrit ses portes avec la complicité d'une poignée de fervents, tels que Jean-Jacques Lerrant ou René Déroudille. Un judicieux choix d'huiles ou d'aquarelles, réalisées dans les années 70, témoigne de cet attachement.
   Oniriques scènes de nymphes à la baignade dans le Lez ; voile d'émotion bleu nuit posé sur les collines de La Roche-Saint-Secret, un village voisin aux allures de petite Toscane ; paysages à la fois intimistes et traversés de lignes de fuite ou comme vitrifiés par l'ineffaçable écran de l'exil... Tel est bien, rehaussé d'un bestiaire de serpents, de poissons et d'oiseaux, l'univers de cet émule de Rousseau et de Corot dont le talent apparaît plus manifeste encore à travers l'accrochage du Poët-Laval où la part belle est donnée aux tableaux de grand format et aux bronzes du sculpteur des saisissantes "Méduses" à qui l'on doit également les épées d'académiciens de Simone Veil et de Jean Clair.
- Ivan Theimer, jusqu'au 18 septembre à la galerie Artenostrum (Le Parol-Allée des Promenades 26220 Dieulefit, tél.: 04 75 46 83 30) et au Centre d'art et d'animation Raymond-Puy (26160 Le Poët-Laval, tél.: 04 75 46 49 38).
Parmi les oeuvres d'Ivan Theimer exposées à Dieulefit ou au Poët-Laval, ce Paysage au tuyau rouge de la période drômoise de l'artiste (1971) et cette Tête de méduse en bronze argenté (2006-2007). Photos D.P. D.P.
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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 14:51

Autrans--aout-2011-038.jpg   Dernier week-end d'août à Autrans. Il y a quelques années encore, ce lieu n'était "qu'une" ferme. Le voici aujourd'hui promu petit temple privé de la culture, des rencontres, de l'échange amical. Et si l'ancienne grange s'est muée en salle de spectacles sous le nom de "L'Anecdote", il n''y avait rien d'anecdotique à l'affiche de la première édition de "Livres en scène". Initiées par Béatrice Arbet et le poète-nouvelliste Emmanuel Merle - et portées par une efficace équipe de bénévoles -, les animations se sont succédé en un épatant éclectisme. Les Sonnets de Shakespeare par la troupe du Levant, les lectures-shows de Fabrice Vigne et Christophe Sacchettini, le petit-déjeuner dominical en poésie avec Sylvie Fabre G et moi-même, La Corrida, le poème de Prévert, "joué" par Michel Bernier (Cie Fier Monde)... Tout cela s'est enchaîné sans chichis mais non sans ravissement collectif.

   La "marraine",  Michèle Bernard, est venue interpréter trois ou quatre chansons: "Je me fous du cours du dollar / Je me fous des jeux de hasard / Même si j'y joue quand même / Je t'ai-ai-aime...". Emmanuel Merle a clos le programme en lisant son nouveau recueil, Ecarlates (Sang d'encre), en mêlant ses mots au souffle de l'accordéon de Jean-Marie Revol... Pour un coup d'essai tout là haut à mille mètres, cela avait des airs de coup de maître, réalisé avec la participation très active d'éditeurs (Hervé Bougel, Jackie Plaetevoet, Kyrographaires...) et plus accessoire des clarines bovines du champ voisin, des cyclistes suant sur la route, des avions traçant des mots à la craie dans le ciel. Sans oublier, ici dans ce lieu-dit "Echarlière", un inespéré soleil venu promptement effacer les premières gelées de l'aube sur le Plateau. A l'été prochain pour le deuxième "Livres en scène" du Vercors. D.P.Autrans--aout-2011-058.jpgAutrans--aout-2011-068.jpg

Echange poétique à l'heure du petit-dejeuner avec Sylvie Fabre G et Didier Pobel,.Michèle Bernard au cours de son mini-concert en plein air. Emmanuel Merle portant la casquette de... lecteur. Photos D.P.

 

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27 août 2011 6 27 /08 /août /2011 10:51

   

 Après la torpeur d'un été brisée, cette fin de semaine en Dauphiné, par un coup de vent de légende, les "affaires" reprennent, si l'on ose dire. Rendez-vous ce week-end à Autrans (Autrans en emporte le vent, bien sûr. Mwouais!). Donc, c'est là-bas, dans le Vercors, en zone nordique, que se tient la première édition d'une manifestation intitulée "Livres en scène".  Au programme, "des rencontres avec des éditeurs et des auteurs rhônalpins, des spectacles associant littérature et musique, et des moments de lecture". Le coup d'envoi sera donné tout à l'heure, c'est-à-dire ce samedi 27 août à 17h30, juste après une mise en scène des Sonnets de Shakespeare par la troupe du Levant. Viendra ensuite (à 21h) une lecture musicale des Giètes par Christophe Sacchettini et Fabrice Vigne, auteur du "photoroman" qui porte ce titre (Thierry Magnier , 2007; prix Rhône-Alpes du Livre 2008), pertinente évocation de la vieillesse, de la retraite, du crépuscule, sans le moindre pathos.
   Demain dimanche, les réjouissances commenceront tôt avec un petit-déjeuner qui réunira Sylvie Fabre G (citons parmi ses titres Dans la lenteur, Unes, 1998 ; L'Isère, Félin, 1999 ; L'Approche infinie, Dé Bleu, 2002 ou Corps subtil, L'Escampette 2009) et votre serviteur-blogueur (Liaisons intérieures et autres lignes, Cheyne, 1990 ; La Vie blanche, éditions Ex-Aequo, 2010...). Les deux "matinaux"  feront tinter leurs tasses de café complices, dialogueront - entre eux et avec le public -, tout en lisant des extraits de leurs "travaux" publiés ou en cours.

   Parmi les autres invités, citons Michel Bernier, un comédien qui jouera un poème de Prévert, La Corrida (dimanche à 15 h), Jacqueline Chemier, Sandrine Guinard, Marie Marais, Jacky Platevoet, Evelyne Bouton et le poète Emmanuel Merle (Amère indienne, Gallimard, 2006 ; Pierres de folie, La Passe du vent, 2010...) que l'on entendra lire des fragments de son nouveau recueil, Ecarlates (Sang d'encre, 2011), dimanche à 18h30, accompagné à l'accordéon par Jean-Marie Revol. Sans oublie le ferronnier Jean-Marc Brunet venu en voisin présenter quelques-unes de ses sculptures et la marraine de "l'évènement", l'excellente chanteuse Michèle Bernard (en photo ci-dessus). D.P.
- "Livres en scène", ces samedi et dimanche 27 et 28 août, à "L'Anecdote" d'Autrans (Isère). Renseignements au 06 88 33 41 55.
 

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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