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30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 13:47

   C'est parti pouLaferriere-003.jpgr le Printemps du livre de Grenoble dont la dixième édition sera inaugurée ce vendredi après-midi, 30 mars, à 18h30, sous le chapiteau blanc du Jardin de Ville. Mais depuis déjà deux jours, les lecteurs dauphinois - et d'ailleurs, le festival draine un public venu de bien au-delà de la région - ont pu, ici où là, assister à plusieurs rendez-vous préalables en présence, notamment, de Dany Laferrière. Parrain de la manifestation, le grand écrivain haïtien a ainsi lu des textes lors du coup d'envoi de l'exposition de photos de George S. Zimbel mercredi à la Maison de l'International et conversé avec le sismologue grenoblois Philippe Guéguen le lendemain à la Bibliothèque Lyautey.
   Rappelons que, s'il vit au Canada, l'auteur de L'Enigme du retour (Grasset  2009) était à Port-au-Prince le 10 janvier 2010 lors du terrible séisme évoqué dans son récit Tout bouge autour de moi (*). C'est d'ailleurs en se référant à ce titre, à peine infléchi, qu'a été élaborée la programmation de ce "Printemps"  2012 réunissant des invités autour de la remuante thématique: "Tout bouge autour de nous". A noter qu'on retrouvera Laferrière ce vendredi, à 15h30, à la Bibliothèque du centre ville, pour débattre du sujet "Je lis donc j'écris"  auprès d'Arno Bertina, Nicolas Fargues, le musicien, acteur et écrivain américain Theo Hakola, Hélène Lenoir, l'Irlandais Robert McLiam Wilson, Lorette Nobécourt et le "régional de l'étape"  Hubert Mingarelli. D.P.

 

   Dany Laferrière, mercredi à la Maison de l'International à Grenoble. Photo D.P. 
  
  - Du 28 mars au 1er avril, Jardin de Ville et Bibliothèques de Grenoble. Programmation détaillée sur le site http://printempsdulivre.bm-grenoble.fr/   
 
   Auteurs invités: Olivier Adam, le Texan Rick Bass, l'Italien Stefano Benni, John Berger, Arno Bertina, Elisabeth Brami, Arnaud Cathrine, Valérie Dayre, Chloé Delaume, Marie Desplechin, Patrick Deville, François Dominique, Nicolas Fargues, Timothée de Fombelle, Claudine Galea, Theo Hakola, Emmanuelle Houdart, Flo Jallier, Maylis de Kerangal, Dany Laferrière, Albert Lemant, Hélène Lenoir, Claude Lorius, Jean-Marc Mathis, Robert McLiam Wilson, Diane Meur, Hubert Mingarelli, Susie Morgenstern, Magali Mougel, Lorette Nobécourt, Christophe Ramaux, Eric Reinhardt, Samuel Ribeyron, Lydie Salvayre, François de Singly, le catalan Jordi Soler, Murielle Szac, Pierre Zaoui, Jean Zigler et le Suisse Germano Zullo.

 

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   (*) Un extrait de Tout bouge autour de moi (Grasset, 2011): "On s'est réfugiés sur le terrain de tennis de l'hôtel. Je m'attendais à entendre des cris, des hurlements. Rien. On dit en Haïti que tant qu'on n'a pas hurlé, il n'y a pas de mort. Quelqu'un a crié que ce n'était pas prudent de rester sous les arbres. En fait, c'était faux, car pas une branche, pas une fleur n'a bougé malgré les quarante-trois secousses sismiques de cette première nuit. J'entends encore ce silence" (p. 14).   
 
  

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26 mars 2012 1 26 /03 /mars /2012 17:36

    Mars-2012--Drome-012.jpg- Des visages difformes, des têtes d'animaux jaillies d'un improbable magma, d'étranges bestioles à mi-chemin de la figure antique et du spectre moderne... Il y a tout cela dans l'univers du peintre Francis-Olivier Brunet qui expose en ce moment chez Michèle Emiliani à Dieulefit. L'ex-étudiant aux Beaux-Arts de Grenoble, Valence et Genève qui vit et travaille aujourd'hui en Haute-Savoie, est, à 50 ans, l'un des artistes en vue du moment, si tant est que cette expression ait un sens ou qu'elle n'apparaisse pas réductrice. On aime l'intensité de ses noirs et sa manière d'incruster des éclats à vif dans ses tableaux. On aime l'arche rescapée de ses coulées éruptives peuplée de chats, de poules, de loups, de cochons, voire de "singes-pensées",  qui nous ramène tout à la fois à l'imagerie naïve de l'enfance et à la cruauté légendaire des allégories. On aime sa façon de nous tirer des ténèbres pour mieux nous y replonger, comme au coeur même de l'Origine. D.P.
 
 
   (Francis-Olivier Brunet, "Oeuvres récentes", jusqu'au 8 mai à la galerie Emiliani Le Parol Allées des Promenades 26220 Dieulefit. Rens.: 04 75 46 30 28. A lire: trois ouvrages du poète Jean-Pierre Gandebeuf illustrés par Francis-Olivier Brunet, parus chez Voix d'Encre à Montélimar: Ombres chinoises, 2003, 88 p., 16 euros ; Trafic de devises, 2008, 144 p., 19 euros et Le Ralentissement du tempo, 2011, 100 p., 19 euros). 

   

   Quatre petits fragments du "bestiaire" fantasmé de Francis-Olivier Brunet à la galerie Emiliani. Photo D.P.

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     Mars-2012--Drome-022.jpg- Il faut attendre encore quelques jours pour retrouver, à deux pas de là, les derniers travaux d'Anne Slacik. Sous le titre "Tilleul", l'exposition drômoise d'Artenostrum, ode à la couleur et à la fluidité, propose une suite de grandes toiles et de plus petits formats où l'idée initiale propre à l'univers du végétal renvoie en fait à bien d'autres domaines. Et avant tout, sans doute, à celui de l'eau, élément jamais détaché de cette émotion lyrique qui, depuis longtemps, a fait de la plasticienne la complice des poètes. On ne compte plus, en effet, les livres qu'Anne Slacik a, non pas seulement illustrés, mais relus du bout de son pinceau et de sa sensibilité (Ovide, Mallarmé, Ponge, Marguerite Yourcenar, André du Bouchet, Bernard Noël, Jean-Pierre Chambon, Sylvie Fabre G...).  D.P.
  
   ("Tilleul" d'Anne Slacik, galerie Artenostrum Le Parol Allée des promenades 26220 Dieulefit. Du 31 mars au 18 juin. Rens.: 04 75 46 83 30. Autres rendez-vous avec la plasticienne: jusqu'au 2 juillet au Musée de Saint-Denis, rens.: 01 42 43 05 10 et "L'Avril", peintures 2010-2011, jusqu'au 26 août au Musée de Melun, rens.: 01 64 79 77 70. Le catalogue regroupe, outre les introductions des conservateurs, Hervé Joubeaux et Dominique Ghesquière, les oeuvres exposées, une série de "Sainte Victoire" et "Le Nénuphar blanc" de Mallarmé, IAC éditions d'Art, 80 p., 18 euros).
 
   L'univers d'Anne Slacik, tout de couleur et de fluidité, chez Artenostrum à Dieulefit. Photo D.P
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  - Si le bestiaire de Francis-Olivier Brunet a quelque chose de singulier, celui que propose, de son côté, la galerie L'Antichambre  à Chambéry est judicieusement pluriel. Quatorze plasticiens (Hervé Burret, Pierre David, Alice Dourenn, Natacha Dubois-Dauphin, Syulvie Duverney-Prêt, Elisabeth Frering, Fabrice Midal, Nicolas Momeim, Colette Reydet, Sabine Rival, Etienne Ruggierri, Daniel Schlier, Alexandre Suberville et Peter Wüthrich) ont répondu présent - quelques-uns sont des habitués - et leurs champs d'expression rassemblent peintures, dessins, aquarelles, photo, gravures et vidéos. d.p. 
 
    (L'Antichambre, Corinne Lempen Bret,  15 rue de Boigne 73000 Chambéry. Dans un premier temps jusqu'au 5 avril, puis du 12 au 21 avril. Rens.: 04 79 75 39 27).
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   - Grand rendez-vous attendu que celui de la nouvelle exposition du Musée de Grenoble. L'affiche de printemps (120 oeuvres en provenance de Berlin) invite à une remontée "aux origines de l'expressionnisme"  à travers le célèbre mouvement pictural allemand des années 1904-1914 "Die Brücke"  ("Le Pont") créé à Dresde par Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Karl Schmidt-Rottluff et Erich Heckel. d.p.
 
  (Musée de Grenoble 5, place Lavalette 38000 Grenoble, du 30 mars au 17 juin. Rens.: 04 76 63 44 44).   
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   - Le printemps du ciel a précédé celui du Livre. C'est de bon augure pour la dixième édition de la manifestation grenobloise qui sera officiellement inaugurée ce vendredi sous l'habituel chapiteau du Jardin de Ville. Une quarantaine d'auteurs sont annoncés, et pas des moindres. Citons Olivier Adam, Rick Bass, John Berger, Arno Bertina, Chloé Delaume, Patrick Deville, Maylis de Kerangal, Dany Laferrière, Hélène Lenoir, Hubert Mingarelli, Lorette Nobécourt, Eric Reinhardt, Lydie Salvayre, Jean Ziegler... Rencontres, débats, signatures se répartiront comme à l'accoutumée dans plusieurs lieux de la ville. d.p.
 
   (Le 10e Printemps du Livre de Grenoble, du 28 mars au 1er avril. Liste complète des invités et des lieux sur printempsdulivre.bm-grenoble.fr).
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   - Et puis retour à l'art pour conclure - provisoirement - avec les "Portraits sensibles" très prochainement présentés dans ce lieu d'exception qu'est le château de Vogüé, sous l'efficace initiative de l'association "Vivante Ardèche". L'exposition, ouverte dès ce samedi, réunira Gérard Gasquet (peintures), Sophie Burbaloff (pastels), Michel Houssin (dessins), Nina Khemchyan (céramiques) et Jean-Luc Meyssonnier (photos). Une étape incontournable sur la route du Sud. Et du bonheur de la découverte. d.p.
 
   ("Portraits sensibles", du 31 mars au 24 juin, au château de Vogüé 07200 Ardèche, rens.: 04 75 37 01 95).
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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 22:51

    Il y avait du chat en Antonio Tabucchi. Oeil mi-clos pour mieux filtrer la lumière oblique du monde. Patte de velours de l'écrivain et coups de griffe du polémiste. Sans parler de l'admirable souplesse qui l'amenait à jouer avec les langues comme le félin se contorsionne autour de sa proie. Né en 1943 à Pise, ce fils unique d'un marchand de chevaux toscan avait un don, celui du mouvement. On jurait l'avoir croisé l'instant précédent aux Salons du livre de Genève ou de Paris qu'il était déjà annoncé à son poste de l'Université de Sienne. On l'imaginait à Bombay perdu dans le labyrinthe du Nocturne indien grâce auquel, en 1987, il accéda au grand public alors qu'il errait, une fois de plus, dans Lisbonne la blanche.
   Ah! le Portugal... Ce pays cher, tout à la fois, aux navigateurs et aux reclus, aura vraiment été la grande affaire de sa vie. Le poisseux Portugal de la dictature de Salazar cloué au pilori de Pereira prétend en 1995. Le lumineux Portugal aux senteurs de morue et de grand large présent dans la plupart des autres romans et nouvelles (*). Et puis, évidemment, le Portugal de Fernando Pessoa. L'admirateur et l'émule du désinvolte aîné lusitanien (1888-1935) qui ne signa presque aucun de ses ouvrages de son vrai nom s'était en quelque sorte fondu en lui jusqu'à devenir, à sa façon, l'un de ses hétéronymes. Ou plutôt un peu tous en même temps. A travers la multiple figure du flâneur du Chiado, tout ramenait Tabucchi dans cette corne de terre extrême aux embruns mélancoliques et conquérants. Sa fascination pour les fantômes. Son goût des errances et des brumes atlantiques. Sans oublier l'impérieux désir de fuir le berlusconisme, peste emblématique des démocraties modernes.

   Il fallait bien que ce soit là, au Portugal, que s'achève le vagabondage du coeur et des mots. Victime d'un cancer fulgurant, l'auteur de Requiem, nobélisable et conscience insatiable des aspirations de l'Europe et de ses dérives, est mort à 68 ans. Ciao Antonio! Adeus Tabucchi! Il nous reste à reparcourir ses livres-dédales, ses livres portés par une espèce d'oralité marmonnante qui en fait tout à la fois le charme, l'étrangeté et l'"intranquillité"  pessoïenne: "Je descendis du taxi, la Place do Chiado était vide, une femme habillée de noir, portant un petit sac en plastique, était assise au pied de la statue du poète Ribeiro Chiado ; j'entrai dans la Brasileira, le garçon, derrière son comptoir, me considéra d'un air narquois, Monsieur est tombé dans le Tage? C'est pire, répondis-je, j'ai un fleuve à l'intérieur, est-ce que vous avez du champagne français?" (in Requiem, Bourgois, 1993, p. 22). D.P.
 
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   (*) Dans l'oeuvre importante d'Antonio Tabucchi, citons, chez Christian Bourgois et Gallimard, Nocturne indien (prix Médicis 1987, porté au cinéma par Alain Corneau en 1989), L'Ange noir (1992), Requiem (1993), Pereira prétend (1995),  Le Temps vieillit vite (2009) ou, au Seuil, Les Trois derniers jours de Fernando Pessoa (1994). Des ouvrages traduits la plupart du temps par Bernard Comment.    

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15 mars 2012 4 15 /03 /mars /2012 20:44

   Le Salon du Livre de Paris est comme les hirondelles. Il ne fait sans doute pas le printemps à lui tout seul mais il en est assurément l'un des signes. Froissement d'ailes des pages qui se tournent. Gazouillis migrateur dans les queues à dédicaces. Coups de bec et fraternelles nichées de toute une branche professionnelle. Cette année, le Japon est à l'honneur, et bien que lancée avant Fukushima, la programmation 2012 a bien évidemment été happée par le thème de l'après-tragédie autour duquel de jeunes auteurs nippons ont axé leurs derniers ouvrages.

   Les éditeurs parleront business et temps difficiles, eux qui sont à la tête d'un secteur dont le bilan, sans être catastrophique, n'est pas non plus très encourageant, a fortiori  en période électorale, contexte peu propice, on le sait, aux embellies. Les candidats à la présidentielle viendront feuilleter un ou deux ouvrages en tentant de tirer à eux une couverture qui ne sera sans doute pas celle du libelle de Stéphane Hessel, Indignez-vous!, pourtant meilleure vente de ces derniers mois.
   Voilà pour le convenu, si l'on ose dire. Mais le rendez-vous de la Porte de Versailles - avec, depuis quelques années, ces très efficaces "essaimages"  provinciaux que sont par exemple les Journées de Bron qui viennent de s'achever ou le Printemps du livre de Grenoble qui va commencer (*) -, c'est bien autre chose. Et d'abord l'occasion unique pour tous ces gens qui hésitent souvent à franchir le seuil d'une librairie, non seulement de soutirer des autographes aux "stars", mais aussi de flâner dans le dernier sanctuaire de notre culture, de palper le papier, de humer l'encre, de grapiller des phrases à la sauvette comme on maraude des fruits dans le verger clos d'un couvent.
   Car oui, en dépit des dérives inhérentes, gageons que dans l'expression "Salon du Livre", le mot "livre" domine encore. Et tout le reste est littérature... D.P.

 

 
   - Le 32e Salon du Livre de Paris se tient à la Porte de Versailles, à Paris, du 16 au 19 mars.
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   (*) La dixième édition du Printemps du Livre de Grenoble se tiendra du 28 mars au 1er avril. Avec Olivier Adam, Rick Bass, John Berger, Arno Bertina, Cloé Delaume, Patrick Deville, Nicolas Fargues, Dany Laferrière, Hélène Lenoir, Lydie Salvaire, etc.
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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 22:32

   Ce 15 mars est, à coup sûr, une journée à marquer d'une pierre blanche. Jugez plutôt: on peut non seulement demander L'Impossible, mais il est désormais possible de l'obtenir. L'Impossible, c'est le dernier OINI de Michel Butel. OINI comme Objet imprimé non identifié. Certes, L'Impossible  est un journal, un "Autre journal"  (*) pourrait-on dire en faisant référence au précédent "joujou"  du même talentueux et obstiné patron de presse hors norme, mais il entre aussi dans sa composition un mélange de livre de poche, de revue de poésie, de dazibao, de vade-mecum du monde comme il va et, mine de rien, d'autoportrait de son "inventeur". A 72 ans, après maints enthousiasmes, une pléthore de déconvenues et un cancer, celui qui, en tant que romancier, obtint le prix Médicis 1977 pour L'Autre Amour (Mercure de France), continue de croire qu'une audacieuse liasse de pages noires d'encre et de passion est à même, sinon de sauver le monde, du moins de le débarrasser du pssitacisme qui le ronge, à plus forte raison en période préélectorale. Michel Butel est un utopiste? Oui, et alors! Grâce à lui, une fois de plus, à l'impossible tout le monde est ténu. C'est mieux, avouons-le qu'un slogan de campagne. D.P.  
 

   - L'Impossible, n°1, 128 p., 5 euros, En kiosque ce jeudi, en librairie le 23 mars (mensuel en rêvant de devenir hebdo).
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   (*) Huit années durant, de 1984 à 1992, Michel Butel anima L'Autre Journal ("L'époque était triste, moins qu'aujourd’hui. Le monde était féroce, moins qu'aujourd'hui. L'argent était cruel, moins qu'aujourd'hui. La gauche était de droite, moins qu'aujourd’hui", rappelle-t-il). Parmi une multitude de pépites, on n'a pas oublié le dialogue Mitterrand-Duras, la rencontre entre Charles Juliet et Christian Bobin ou l'épatant portrait de Miles Davis par Francis Marmande. Des documents collectors à retrouver dans L'Autre Journal, 1984-1992, le riche volume anthologique qui paraît ces jours-ci aux éditions des Arènes (416 p. 29,80 euros).
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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 18:51
Fin-fev.--Photos-Gr.-014.jpg   - On imagine Jacques Truphémus (né en 1922 à Grenoble) tout ému tant sa modestie s'accommode mal des hommages. La grande rétrospective que lui consacre la Région, à partir de ce vendredi 2 mars, dans son nouveau site de "La Confluence", est pourtant des plus méritées. Si le flâneur des cafés de Lyon, le contemplatif des fenêtres cévenoles et des ciels du Nord ne fut vraiment découvert que tardivement, notamment grâce à Balthus qui lui permit d'accéder à la galerie Claude Bernard à Paris, les plus attentifs sont depuis longtemps attachés à l'inlassable quête de celui dont chaque toile ou dessin est une méditation sur l'espace, la nuance et le songe. Pas moins de 120 oeuvres de cet "humaniste de la couleur" seront regroupées selon sept thématiques. A coup sûr un événement entre Rhône et Saône. D.P.
(Truphémus, "Les Trois lumières" 1951-2011, sur le "Plateau", Conseil régional Rhône-Alpes 1, esplanade François-Mitterrand Lyon 2e, commissaire Sylvie Carlier, jusqu'au 23 juin, rens.: 04 26 73 40 00).
   
   - Cap sur Bron pour une 26e Fête du Livre qui s'ouvre ce jeudi 1er mars autour de la très "magrittienne"  dénégation "Ceci n'est pas une histoire vraie". Avec, comme d'habitude, un riche programme et un prestigieux éventail d'invités dont on trouvera la liste complète sur le site de la manifestation. Parmi nos coups de coeur, signalons outre le dernier prix Goncourt, Alexis Jenni, venu en voisin, quelques autres auteurs "lyonnais"  tels que Eric Villeneuve, Eric Sommier ou Fabio Viscogliosi. Saluons également la présence de Pierre Bayard (son nouvel essai, Comment parler des livres qu'on n'a pas lus, chez Minuit, est un régal), Bernard Chambaz, Ananda Devi, Véronique Ovaldé, Anne Wiazemsky (alors que l'ex-égérie de Godard évoque avec justesse ses années passées auprès du cinéaste dans Une année studieuse, chez Gallimard, une projection du film La Chinoise est prévue dimanche à 20h30 ), Claudine Galéa, Jacques Rancière... Sans oublier, côté poètes, Serge Pey ou Michel Deguy, auteur, entre autres, de Gisants (Poésie/Gallimard) et de N'était le coeur (Galilée, 2011). D.P.
(Fête du Livre de Bron 1,2,3 et 4 mars, Hippodrome de Bron Parilly 4-6 av. Pierre Mendes France Bron, entrée gratuite, rens.: 04 78 26 09 31).

 


   Fin-fev.--Photos-Gr.-016.jpg- "Enfances": c'est sur ce thème que sera donné le coup d'envoi national du 14e Printemps des poètes ce lundi 5 mars à Lyon, sous l'impulsion de la Ville et de l'espace Pandora. "Une édition 2012 porteuse de toutes les promesses de l'aube et, pareillement, soucieuse de réinventer l'enfance et le futur", selon le mot de Georges Képénékian, adjoint au maire de la capitale des Gaules, délégué à la culture, au patrimoine et aux droits des citoyens. Autour du parrain de la manifestion, Charles Juliet (dont POL vient opportunément de rééditer le quatrième tome du Journal, Accueils - 1982-1988), on pourra rencontrer Joël Bastard, Roger Dextre, Vahé Godel, Robert Piccamiglio, Valérie Rouzeau, Roland Tixier et bien évidemment Yves Bonnefoy, lauréat du prix Kowalski. D.P.
(Jusqu'au 11 mars. Renseignements sur le site officiel et auprès de l'Espace Pandora: 04 72 50 14 78).

 


 - L'un des temps forts de ce Printemps des poètes sera donc constitué par la remise du prix Kowalski de la Ville de Lyon à l'une des figures majeures de la littérature contemporaine, Yves Bonnefoy, pour son livre L'Heure présente (Mercure de France, 120 p., 12 euros). Le comédien Yannick Laurent lira des extraits de cette oeuvre en présence du lauréat. Et, chut, c'est encore un secret, il se murmure que le mode d'attribution de ce qui est l'un des plus prestigieux prix de poésie nationaux s'apprête à évoluer de très pertinnente façon. Rappelons que cette distinction  a été créée en 1984 en hommage à Roger Kowalski, auteur des Hautes Erres (Seghers, 1966) ou de Sommeils (Grasset, 1968), disparu prématurément en 1975. D.P.
(Lundi 5 mars à 18h30 à l'Hôtel de Ville de Lyon, entrée libre).
 
   - Enfin, avant que ne se termine (le 17 mars) la pertinente reconstitution de la trajectoire de Mohammed Dib à Grenoble, signalons qu'une conférence sur l'oeuvre du poète sera donnée par Charles Bonn, professeur émérite de l'Université Lyon 2, sur les lieux mêmes de l'exposition.
(Bibliothèque du Centre Ville, mardi 6 mars à 18h30). D.P.
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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 18:59

Fin-fev.-2012--dimanche-a-Lyon-016.jpg   Au départ, c'est l'histoire d'un fils en deuil qui découvre un petit livre de poèmes, paru confidentiellement en 1954, dans la bibliothèque-tombeau de son père peu de temps après sa disparition prématurée au printemps 1973. L'ouvrage s'intitule Le Jour proche et si son auteur suisse romand, Jacques Chessex, est encore peu connu, il ne va pas tarder à accéder à la notoriété en recevant, à l'automne suivant, le prix Goncourt pour son roman L'Ogre, publié par Grasset. Dans l'abondant flot de sollicitations et de flatteries qui lui parvient à Lausanne, une lettre intrigue tout particulièrement son destinaire. Elle provient d'un jeune Parisien nommé Jérôme Garcin qui, plutôt que de célébrer la gloire toute fraîche du lauréat, lui confie sa passion pour des vers déjà anciens.
   Ni l'un ni l'autre ne pouvaient alors imaginer qu'une aussi anachronique amorce de dialogue allait déboucher sur l'exceptionnelle Fraternité secrète (1), ce dense volume dans lequel on a parfois le sentiment d'entrer en fraude tant il est constitué de confessions et de chuchotements. D'autant plus que tout sépare, à première vue, les deux futurs amis. L'aîné, "au buste de paysan normand qu'on eût dit sorti d'une nouvelle de Maupassant", avait la cinquantaine sulfureuse et déjà, entre blasphème et sacré, plusieurs livres à son actif. Le cadet, dilettante et mélancolique, était un étudiant de dix-huit ans égaré dans la khâgne d'Henri-IV, en attendant d'opter pour le journalisme.
 
   Trente-cinq années durant, jusqu'à la mort subite de Chessex, le 9 octobre 2009, ils vont pourtant s'écrire, se téléphoner, se rencontrer, se parler à l'oreille et au coeur, se soutenir, partager leurs enthousiasmes ou leurs dédains, mutualiser leurs aspirations, se compléter, comploter, ricaner des scandales si souvent provoqués par les publications de Chessex dans son pays (Le Désir de Dieu, 2005; Le Vampire de Ropraz, 2007 ; Un juif pour l'exemple, 2009...). Il n'est pas exagéré de penser que Jérôme Garcin n'aurait pas franchi le pas de l'écriture - il signera notamment, en 2003 et 2011 chez Gallimard, ces récits majeurs que sont Théâtre intime et Olivier - sans l'incitation et l'attention permanentes de son mentor "calviniste", lequel s'enrichissait en contrepartie de la très aiguisante et fertile admiration de l'autre.

   On est, en tout cas, rapidement emporté par la lente montée de leur correspondance - dans tous les sens du terme -, par la grâce de leurs affinités, par ces éclairs croisés de vies privée et professionnelle, cette suprématie partagée du poème et, bien sûr, l'omniprésente et rayonnante figure du père - des pères - absent(s). Philippe Garcin, ex-patron des PUF, est mort désarçonné le 21 avril 1973 (on a lu avec émotion, en 1998, La Chute de cheval) ; Pierre Chessex, directeur de collège et étymologiste, s'est suicidé en 1956, soupçonné d'avoir couché avec les jeunes filles de son établissement, tragédie qui hantera toute l'oeuvre du fils. Bien avant Internet et les téléphones portables, les deux improbables complices ont su créer une espèce d'instantanéité de la communication affective qui, mêlant ferveur, gravité et anecdotes, n'en va pas moins, cependant, toujours à l'essentiel.
   Il faut souligner également à quel point cette somme épistolaire constitue un précieux témoignage sur une époque révolue, celle des revues (qui se souvient d'Entailles ou des Inédits de Pierre Dalle Nogare?), celle d'un journal comme Les Nouvelles littéraires auquel Garcin collaborait, bien avant de diriger les pages Culture du Nouvel Observateur et d'animer Le Masque et la plume  à la radio, celle d'une presse généralement plus attentive aux livres qu'elle ne l'est devenue, que ce soit de ce côté-ci du Jura ou de l'autre. Mais ce qui retient aussi, au fil de ces échanges, ce sont ce qu'on pourrait appeler les présences "périphériques"  émaillant lettres ou conversations : Gustave Roud, le poète de Carrouge, admirable chantre de "la douceur empoisonnée des campagnes" ; Francis Ponge ; Philippe Jaccottet ; André Dhôtel ; Marcel Arland ; Henri Thomas ; François Nourissier ; Pierre Boudot ; Jean-Pierre Faye, tant d'autres...
   Enfin, comment ne pas être happé par cette manière si puissante, si charnelle, dont l'adepte d'une"célébration panthéiste des saisons"  évoque, sur fond de"fraîcheur blues de la pluie de notre Mittel-Europa", son Haut Jorat, les renards du cimetière jouxtant sa maison de Ropraz, les "alouettes schubertiennes", les fenaisons "roudiennes", le "concile" des champignons, bref son "pays""la neige tombe sur les campagnes du Roman de Renard"? Le 28 novembre 1978, Jacques écrit à Jérôme: "... Il fait de plus en plus froid et l'on s'attend à être complètement coupés (Dieu merci). Le matin je prends le gros bus Ford cahotant de maître Gilliéron pour descendre à la halte. C'est plein de traces de bêtes...". Le puzzle d'encre vive et de battements de coeur dans lequel on trouve ces mots est plein, lui, de traces d'hommes. Et de les suivre ainsi, aujourd'hui, nous rend, comme Chessex cet hiver-là, "heureux loin de toute hâte".   Didier POBEL
 
   "Fraternité secrète" ("Correspondance 1975-2009"), de Jacques Chessex et Jérôme Garcin, préface et note de ce dernier, Grasset, 664 p., 25 euros.
 
 
   
   
  
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11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 17:40

Fev.-2012--expo-Dib--scenes-d-hiver-002-copie-2.jpg   - Découvrir, ou redécouvrir, au coeur de cet hiver anesthésiant, la trajectoire et l'oeuvre de Mohammed Dib. Dans l'espace qui lui est très opportunément réservé à la Bibliothèque de Grenoble, il y a d'abord, évidemment, les livres et l'on est parfois surpris de constater avec quelle intensité l'auteur de Feu beau feu (Seuil, 1979), de L'Enfant-jazz (La Différence, 1997) ou de Laëzza (Albin Michel, 2006) a écrit et publié. Des livres donc, avec, en contrepoints, des manuscrits - fine graphie comme un sillage d'oiseau sur le sable brûlant - et des lettres ou des témoignages. Missives ou documents signés Camus, Bachelard, Jean Sénac, Abdellatif Laâbi, Guillevic, Jules Roy. Ou bien encore Aragon ("Je pense, mon cher Dib, que tu m'autoriseras à publier  Chemin dans Les Lettres Françaises..."), Aragon à qui l'on doit, d'autre part, la préface d'Ombre gardienne (Gallimard, 1961): "Je suis étranger au-dedans de ce grand secret collectif". Enfin, et il faudrait sans doute commencer par là, il y a les photos. Le poète algérien, décédé en 2003, aimait et maîtrisait cet art. Enfants, faubourgs, ruelles... D'une scène à l'autre, saisie notamment à Tlemcen, la ville où il naquit en 1920, Mohammed Did apprivoise le fugitif, la pénombre, l'éclat d'un visage, la vie. Autre façon pour lui de fixer ce que, par ailleurs, il désigne ainsi dans ces vers: "toute la parole / tout l'écartement / la chair le vent // et plus étendue / réduite au repos / nudité encore // seule ombre à défaire". D.P.

______________
 
    (Mohammed Dib, "Les lieux de l'écriture", hommage rendu dans le cadre du cinquantenaire de l'indépendance algérienne, Bibliothèque du Centre Ville 10, rue de la République Grenoble. Tél.: 04 76 54 57 97. Jusqu'au 17 mars).

   A lire, parallèlement, Quand la nuit se brise, anthologie de la poésie algérienne dirigée et présentée par Abdelmadjik Kouah (Dib est présent), Points/Seuil, 295 p., 7,80 euros. Et encore, côté romans: L'Opium et le bâton de Mouloud Mammeri (1917-1989) et Les Enfants du nouveau monde d'Assia Djebar (née en algérie en 1936 et élue à l'Académie française en 2005), ces deux volumes également en Points/Seuil, respectivement 314 et 273 pages et 8,70 et 8,40 euros.

 

   Mohammed Dib, de livres en manuscrits. Photo D.P.

  
  Fev.-2012--expo-Josiane-Zarka-012.jpg - Février 2011-février 2012. A l'occasion du premier anniversaire de la "Révolution de jasmin", la capitale des Alpes organise une série de manifestations marquées, entre autres, par la présence de deux plasticiens originaires de Sfax, la cité jumelle de Grenoble. Si Raouf Karray vit encore dans sa ville méditerranéenne natale, où il est professeur d'art graphique à l'Institut supérieur des Arts et métiers, Josiane Zarka est, elle, installée sur les bords de l'Isère depuis 1972. Avec des registres assez différents - à l'imagerie naïve émaillée de symboles de Karray semble, en effet, s'opposer l'abstraction lyrique de sa compatriote -, les deux illustrateurs et peintres ne se rejoignent pas moins dans leur volonté de célébrer une Tunisie toute de couleurs, de lumière et d'aspiration à retrouver la sérénité au-delà de ses bouleversements et de ses failles. D.P.
   ("Illustrations" de Raouf Karray, Bibliothèque Alliance 90, rue de Stalingrad 38100 Grenoble. Tél.:04 76 09 21 24. jusqu'au 24 février. 
    "Mon miroir" de Josiane Zarka, avec également des oeuvres de Raouf Karray, Maison de l'International 1, rue Hector Berlioz 38000 Grenoble. Tél.: 04 76 00 76 80. Jusqu'au 24 février). 
 
    Lors du vernissage de l'exposition de Josiane Zarka. Photo D.P.
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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 18:30

 Janv.-2012--Hauterives-013.jpg  La culture, la vraie, celle qui ne s'embarrasse pas de vains concepts et de poussifs poncifs, emprunte souvent des chemins détournés. Ainsi, au coeur des collines drômoises, non loin de cette vallée de l'Herbasse où jadis l'Aragon clandestin de La Diane française se faisait appeler François la Colère, et à deux pas de la célèbre "demeure" du Facteur Cheval, Alain et Patricia Lèze ont, eux aussi, édifié un "palais idéal". Leurs petits cailloux, ceux qu'ils ont amassés patiemment, sont des livres, des oeuvres d'art, des idées de rencontres... C'est dans leur "Baz'Art des Mots" - à la fois librairie, galerie et salon de thé - qu'un public attentif et fervent a pu découvrir, ce samedi 28 janvier, la belle expostion de Guth Joly. Assembleuse de branches, d'écorces, de graines, entre autres éléments, la plasticienne rend hommage à sa façonJanv.-2012--Hauterives-027.jpg à l'arbre, thème qu'elle illustre également dans le dernier numéro de Bacchanales, précisément intitulé "Poémons-nous dans les bois". Autour de cette revue, éditée par la Maison de la poésie Rhône-Alpes, avaient également pris place cinq poètes qui ont lu des extraits de leurs oeuvres et conversé avec l'auditoire. Il y avait là, outre l'auteur de ces lignes, Saori Fukasawa, jeune Japonaise en résidence d'artiste en France depuis plusieurs mois ; Elisabeth Chabuel, par ailleurs dramaturge et plasticienne ; Cathy Ko, enseignante et slameuse et René Thibaud, conteur, psychanalyste et éditeur à l'enseigne de Gaspard Nocturne. Merci à Alain et Patricia pour leur accueil. Et sûr que si, un de ces quatre le préposé Ferdinand venait à repasser par là avec sa brouette chargée de galets, il serait jaloux de ses récents voisins. D.P. 

- "Le Baz'Art des Mots", 19, grande rue 26390 Hauterives. Tél.: 04 75 68 95 40.

- Bacchanales, n° 47, 204 p., 20 euros.

- L'exposition de Guth Joly (entrée libre) se poursuit jusqu'au 25 mars.
  
   En haut, de gauche à droite, Saori Fukasawa, Guth Joly, René Thibaud, Elisabeth Chabuel, Didier Pobel, Cathy Ko et, à l'arrière-plan, Alain Lèze, le maître des lieux. En bas, un aperçu des oeuvres de Guth Joly. Photos D.P.
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28 janvier 2012 6 28 /01 /janvier /2012 11:17

   A-t-on remarqué cette sorte d'anachronisme, sinon carrément d'injustice, qu'aura constitué la réduction de l'interminable feuilleton du "triple A"  aux seuls domaines économique, financier et politique? Car avant les chiffres, il y eut tout de même, ne l'oublions pas, les lettres. Ou plutôt la lettre. Et pas n'importe laquelle. La première. Celle qui nous a ramené tout à la fois aux abécédaires de l'enfance et à ces sibyllines images d'Epinal qu'il convenait alors de manipuler dans tous les sens pour y dénicher l'amorce d'un alphabet crypté. Comment ne pas saluer également l'aubaine ludique générée par le passage dans le langage courant de cette association de "A"  à même de combler les grilles boiteuses des cruciverbistes et autres verbicrucistes? Sans oublier les adeptes du scrabble toujours en mal de vocables insolites.

  Mais venons-en à quelques domaines plus nobles qui n'en ont pas moins semblé résonner avec malice au coeur du tourment sociétal du moment. "Passe l'hiver / Qu'allons-nous faire / Qu'est-ce qui t'inquiète?"  Ce n'est tout de même pas banal: cette complainte déjà ancienne, mais comme inscrite dans l'air du temps, est d'un certain Dominique A. Et s'il fallait ensuite décerner une palme, c'est à l'évidence à Rimbaud que l'on songeait, lui qui liait l'idée même de déchéance à cet étroit triangle promu voyelle la plus tendance. "A, noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles". Quoi, l'argent ne sent pas bon? La dette souveraine empeste et attire la vermine? Merci au poète de Charleville, qui au demeurant se ficherait de notre interprétation comme de son premier "album zutique", d'avoir bien malgré lui rivalisé en prophétie avec, disons, Alain Minc et François Bayrou.

   Enfin, s'il y a, plus sérieusement encore - pour autant que le mot convienne -, un écrivain auquel la dégration de la note française n'a pu manquer de faire penser, c'est bien Georges Pérec. On aurait juré que Standard & Poor's avait adressé un clin d'oeil à l'auteur de La Disparition en escamotant à son tour l'un des plus familiers de nos signes graphiques. Non plus le "E" passé à la trappe dans le célèbre ouvrage publié par Denoël en 1969, mais ce bon vieux "A" en forme de compas, que l'on croyait pourtant si solidement campé sur son double jambage.

   Invitons donc ceux que les chiffres fous paniquent ou ennuient à lire la décision de l'agence américaine pour ce qu'elle fut aussi. Une très habile parodie de Pérec qui, lui-même pasticha le sonnet de Rimbaud évoqué plus haut: "A, noir carcan poilu d'un scintillant morpion / Qui bombinait autour d'un nidoral impur". Oui, Standard & Poor's a sans doute écrit à sa manière notre grand roman lipogrammatique national. Inutile de le cacher plus longtemps et, n'en déplaise à Moody's et consorts, ne tournons pas autour de l'Oulipo. Ou plutôt si. D.P.

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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