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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 18:37

   Sept.-2012--Drome-et-Ardeche-068.jpgLire le matin, très tôt, quand tout est silence, ici, dans cette vaste ferme de Bresse. A côté de Fin-dec.-2012---Gr.-009-copie-1.jpgmoi, le vieux poêle qui ronfle. Le fourneau, comme on disait jadis. Il y a les hauts-fourneaux, au coeur de l'actualité, là-bas, en Lorraine sinistrée. Et puis là, près de moi, près de nous, le bas fourneau. "Les bûches, sous l'escalier, ont elles aussi des mots à murmurer. Mais l'hiver les jettera au feu. L'hiver est une saison où j'entre avec le jardin dans la maison". Lire, le matin, Joël Vernet. Joël, le maraudeur d'instants, l'écrivain nomade qui, lorsqu'il n'est pas en Syrie ou en pays dogon, écoute battre le coeur à vif de son coin de campagne.
   Son nouveau livre s'intitule Rumeur du silence  (*). Tendez l'oreille. Un souffle s'en échappe. Une respiration. Une louange à "la vie paisible", cette émanation d'une "très haute clairvoyance". Frère des fleurs, moissonneur de "pans entiers de ciel", notre cueilleur de lumière qui chante aussi les "psaumes paisibles des ténèbres"  n'a pas son pareil pour restituer "la naïve leçon des jours"  ou pour recevoir le salut d'un lézard qui laisse "glisser les heures sous son ventre", un lézard comme "un premier poème écrit sur la pierre du matin".

   Auteur d'une trentaine de livres inclassables chez Fata Morgana, Lettres vives, l'Escampette ou Le Temps qu'il fait, Joël Vernet, ce contemplatif pour qui "rendre hommage à une libellule est sans doute la plus belle des conquêtes"  n'a jamais oublié ses racines rurales en Margeride, notamment auprès d'une aïeule présente dans ces pages: "Lorsque j'étais plus jeune, nous nous tassions contre le poêle. Elle me lisait des contes, me racontait des histoires, murmurait dans le noir à voix si basse qu'il me semblait parler avec un ange".
   Serrons nos ailes autour des livres de Joël Vernet. Il y fait un peu plus chaud, un peu plus simple, un peu plus fraternel. On y voyage sur place en allant loin au fond de soi. On s'y préserve de la vanité, du vide et de l'insignifiant. "Combien les Grandes choses ont raison de se tenir aux lisières, dans la belle lumière des sous-bois. Ce qui est grand ne se montre pas. Ce qui ne se montre pas est éternel".  D.P.  
 
    (*) Rumeur du silence, avec des dessins de Michel Potage, Fata Morgana, 56 p., 12 euros.

Joël Vernet a également fait paraître cette année son Journal fugitif au Moyen-Orient (Le Temps qu'il fait), alors que Fata Morgana a réédité son Petit Traité de la marche en saison des pluies, initialement publié en 1996.

 

   Joël Vernet, lors d'une lecture en Ardèche, au mois d'août dernier, dans le cadre des rencontres "Les Essayages" aux Vans. Photos D.P.

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20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 15:14

    Il y a quelques semaines, Vanessa Curton me recevait au micro de l'excellente émission "Entre paroles et musique"  qu'elle anime chaque semaine sur l'antenne de RCF Isère, pour évoquer, notamment, mon roman Couleur de rocou (Le Temps qu'il fait). En cliquant sur le lien ci-dessous, on pourra réécouter ce programme, diffusé en deux parties les 28, 29 et 30 novembre derniers, et ponctué par une plage musicale inédite: une chanson intitulée La Cabane interprétée par Jean René qui a signé la musique sur un texte de moi-même. D.P.

 

http://www.vanessa-curton.fr/article-entretien-avec-didier-pobel-autour-de-couleur-de-rocou-113644260.html

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 23:35

       Le prix de poésie Roger-Kowalski, Grand prix de la Ville de Lyon, le plus doté dans son domaine, a été attribué ce mercredi à Philippe Delaveau pour son livre Ce que disent les vents paru aux éditions Gallimard. Issu d’une famille d’origine tourangelle mais né à Paris en 1950, le lauréat, qui fut professeur de littérature, est l'auteur de plusieurs recueils chez Gallimard depuis Eucharis en 1989, avec, pour la plupart, des titres emblématiques de l'oeuvre entière, tels Infinis brefs avec leurs ombres (2001) ou Instants d'éternité faillible (2004). On lui doit également de nombreux ouvrages réalisés avec des peintres, notamment Julius Baltazar.
 
 
    "... qui suis-je / incertain dans la nuit, veillant, alignant quelques mots, m'écroulant de fatigue? / Toujours à nos fenêtres, la lune au gré de son errance. Le canot file. / Suis-je l'ultime survivant?"  (in Le Survivant, p. 56). D.P.

 

  

  Rappel de la composition du jury:

  Georges Képénékian, adjoint à la culture de la Ville de Lyon, Jean-Yves Debreuille, secrétaire du prix, Patrice Béghain, Béatrice de Jurquet-Burgelin, Patrick Kéchichian, Hervé Micolet, François Montmaneix, Jean Pérol, Didier Pobel, Roger-Yves Roche, Annie Salager et Jean-Pierre-Siméon,

 

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5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 22:22

   - Bravo à Jean-Claude Pirotte qui, après de nombreuses autres distinctions dont le prix Kowalski de la Ville de Lyon en 2008, vient de recevoir le Goncourt de la poésie, rebaptisé cette année "Robert Sabatier", en hommage à l'académicien poète disparu en août dernier. 

"je vis reclus dans ma chambrette / où sont mes livres et mes papiers / où j'entends les voix étouffées / des chroniqueurs et des poètes // je vis reclus parmi les ombres / plus présentes que les vivants / et si cette chambre est ma tombe / je vis ma mort depuis longtemps ". (in Revermont, éditions Le Temps qu'il fait, 2008).

 

-   - Bravo également à Antoine Choplin, tout récent lauréat du prix France-Télévisions, pour son dernier roman La Nuit tombée (La Fosse aux ours). L'écrivain isérois a été préféré à Jean Echenoz, Joy Sorman et Christine Angot.   

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26 novembre 2012 1 26 /11 /novembre /2012 16:27

 

logo rcf Isère"Entre Paroles & Musique"

           (Entretiens littéraires radio - RCF Isère - RCF Savoie)

Les 28, 29 & 30 novembre,

l'invité est l'auteur & poète Didier Pobel 

A l'occasion de la sortie de son roman Couleur de Rocou aux éditions Le Temps qu'il fait.
 

"Et si je m’étais trompé ?» Le narrateur de cet allégorique roman «incubatoire», rôdant quelque part entre Dhôtel et Kafka, est soudain pris d’un doute. La fricassée de champignons qu’il vient d’ingérer n’était-elle pas constituée de l’une des plus pernicieuses espèces qui soient ? (...)

 

Chaque semaine, dans l'émission "Entre Paroles & Musique", Vanessa Curton invite à découvrir ou à re-découvrir un écrivain ou un acteur (libraire, éditeur, organisateur) de la vie littéraire en Rhône-Alpes à travers un entretien de 28 minutes. 

Entretiens portraits ou autour d'un livre, en studio ou au café... Mais toujours des rencontres avec la musicalité des langues singulières.  

 

Un rendez-vous hebdomadaire :

tous les mercredis à 18h30, les jeudis à 11h30
et les vendredis à 19h30

Fréquences :

RCF Isère : 103.7 FM (Grenoble et Agglomération) ; 106.8 FM (Bièvre, Côte-Saint-André)

 RCF Savoie : 102.3 FM (Chambéry / Aix-Les-Bains) ; 102.2 FM (Albertville) ; 
96.1 FM (Moutiers 3 Vallées) ; 98.6 FM (Bourg-Saint-Maurice) ;
96.5 FM (Saint-Jean-De-Maurienne) ; 98.1 FM (Modane / Aussois).

 

 


 

 

 

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20 novembre 2012 2 20 /11 /novembre /2012 19:20
   Mon article consacré à l'actuelle exposition au Musée des Beaux-Arts de Lyon, posté sur ce blog le 3 novembre, est également lisible sur le site du mensuel "Lyon Capitale".
   Cliquez sur ce lien: 

 

   A noter que le dernier numéro du magazine, celui de novembre, consacre un passionnant dossier à "La grande saga des meilleurs vins du monde".

 

VOIR LE SOMMAIRE

 

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11 novembre 2012 7 11 /11 /novembre /2012 06:14

      Après les commémorations - ou avant, ou après, ou pendant -, une seule occupation en ce 11-Novembre pluvieux (et toujours un peu plus vieux aussi): lire (ou relire) le dernier roman de Jean Echenoz sobrement intitulé 14 (Minuit, 124 p., 12,50 euros) et ainsi résumé en quatrième de couverture. "Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état". C'est tranchant, saisissant, fulgurant et, oserons-nous le dire, drôle. Oui, drôle, même si cette guerre-là ne fut en rien une "drôle de guerre". Ce livre a valu à son auteur, sacré Goncourt dès 1999 pour Je m'en vais, le très convoité prix des Vendanges littéraires de Rivesaltes. Santé, Echenoz! En plus d'une barrique, votre 14 mérite un 18. Au moins. D.P.  

 

Un extrait (p. 64): "Du côté de l'orchestre, l'un des clarinettistes était tombé, frappé au ventre, la grosse cisse avait culbuté, joue transpercée, avec son instrument et le deuxième flûtiste n'avait plus que la moitié de sa main".

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3 novembre 2012 6 03 /11 /novembre /2012 14:21

Soulages-0.jpgSoulages-1.jpgSoulages-4.jpg Soulages-2.jpg

   Il y a comme une étrange continuité à passer ainsi, aux confins de novembre, des  terres fraîchement labourées de la Bresse à l'exposition Soulages au Musée des Beaux-Arts de Lyon. A peine, peut-être, les nuances marron d'ici se sont-elles, là, transformées en noir. Ou en blanc. Car oui, contre toute attente, l'immaculé - ou ce qui semble en tenir lieu - est également présent dans les oeuvres récentes de celui auquel on associe pourtant, presque spontanément, l'inverse.
   Mais le blanc est-il le contraire de cet "outrenoir"  inventé par le peintre? Pas plus sans doute que la terre retournée sous le soc ne s'oppose à son état précédent. Rainures, sillons, mottes dans le champ voisin. Stries, fissures, glacis sur les toiles où l'artiste va chercher, au tréfonds des ténèbres, la source même de la lumière, celle de l'origine qui sera aussi celle, foudroyante, des fins dernières.

   De salle en salle, l'évidence s'impose: la démarche de Soulages est aratoire. Fermons à demi les yeux face à l'un de ses nouveaux polyptiques. Cet infime grain - de poussière, de charbon, de chaux... - perdu dans l'emblavure de la toile, c'est lui, c'est nous. Lui, le vieil enfant du Rouergue immigré à Sète ou à Paris, mais qui n'a pas plus oublié l'ombre des noyers de son "pays natal"  que le voile crépusculaire laissé sur les doigts par le brou des coques vertes. Nous, qui ne cessons d'arpenter le cadastre d'éclairs noirs et blancs où s'inscrivent les fragiles encres sur papier marouflé de nos destinées.
   A près de 93 ans, Pierre Soulages, métayer de nos domaines en perdition aussi bien que de nos territoires à naître, ne cesse de creuser, de herser, de semer. Et si nous marchons avec un tel ravissement dans son sillage, c'est que nous l'avons compris depuis longtemps: son inlassable quête de l'enfoui et de l'enfui ramène mieux que nulle autre au grand jour la clarté première qui nous aveugle. D.P.  
 
("Soulages XXIe siècle", ensemble d'oeuvres récentes, réalisées entre 2000 et 2012, dont certaines encore inédites, jusqu'au 28 janvier 2013, Musée des Beaux-Arts de Lyon. Renseignements au 04 72 10 17 40). 

 

En arpentant les salles du Musée des Beaux Arts de Lyon. Photos D.P.  (Cliquez pour agrandir).

 

____________________
 
   On découvrira également, en contrepoint, le regard que pose Christian Bobin sur l'univers du peintre lors d'une visite au musée Fabre de Montpellier. "Je suis un enfant dans une buanderie, devant des draps noirs mis à sécher sur une corde. Les tableaux sont de grandes bêtes vivantes allongées, un peu engourdies d'être là. Une lumière d'or bat leurs flancs. Leur souffle est lourd, lent, imbibé de silence. Je ne sais quoi faire devant elles qui ruminent les herbes noires de l'éternel. (...) La vision de Soulages est plus puissante que la mort, elle l'arrête comme jadis on arrêtait un vampire avec une croix. Ce noir charpente mon cerveau, y tend ses poutres maîtresses dont le deuil n'est qu'apparent: le noir est l'éclair d'un sabre de cérémonie, une décapitation qui ouvre le bal des lumières", écrit ainsi, Bobin, aux pages 32 et 33 de L'Homme-joie, son nouveau livre dont les chapitres s'intitulent par ailleurs "Un prince", "Le Laurier-rose", "Vita Nova", "Trésors vivants" ou "Les minutes suspendues", et dont la "quatrième de couverture"  porte ces mots, en reproduction de graphie manuscrite: "J'ai rêvé d'un livre qu'on ouvrirait comme on pousse la grille d'un jardin" (L'Homme-joie de Christian Bobin, L'iconoclaste, 183 p., 17 euros).
..
 

 
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2 novembre 2012 5 02 /11 /novembre /2012 21:27

 

   C'était la semaine dernière sur Télégrenoble. Didier Pobel était l'invité du "JT des Voironnais", au côté d'Arlette Gervasi, adjointe à la culture à Voiron et conseillère régionale, pour évoquer le Festival "Livres à vous", le week-end suivant à Voiron. 
25 OCTOBRE 2012 AVEC A. GERVASI ET D. POBEL - Ma-Tvideo France2
JT DES VOIRONNAIS DU 25 OCTOBRE 2012 AVEC A. GERVASI ET D. POBEL
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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 23:23

 

    Il aimait le verbe et la peinture, les embrasures et le silence, l'Ephémère et l'intouchable. Il aimait le granit des monts d'Ardèche de son enfance et les arides chemins de crête de la langue des hommes. Il écrivait comme on marche, le souffle suspendu aux aspérités de la rude paroi des jours, le pas mesurant les plus infimes "escarpements intérieurs". Il ne cessait de relire Rimbaud, Char ou Celan. Il admirait Giacometti, Miro et Tapiès.

   Jacques Dupin s'est éteint samedi à l'âge de 85 ans. On vient seulement de l'apprendre. Ca ne fait pas de bruit la mort d'un arpenteur d'émotions dans notre époque de cacophonie vaniteuse, d'ouragans et d'hivers précoces. Il était l'un des derniers très grands poètes contemporains, avec Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet et quelques autres. Les titres de ses recueils, disponibles chez Gallimard, Fata Morgana ou POL, tiennent dans la main comme un caillou, dans le coeur comme un caillot: Gravir (1963) Dehors (1975), Contumace (1986), Echancré (1991)...

   Relisons-le comme on part randonner au profond de soi-même: "Même mort, rester à l'écoute. Rester inhumain. A l'exception de la voix. Comme la bogue d'une châtaigne. La flamme du coquelicot..." (in Le Corps clairvoyant, 1963-1982, Poésie/Gallimard). D.P. 

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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