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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 18:46

   Brève halte, en forme d'insolite prologue improvisé, devant Mars-2013--Giacometti-005.jpgl'affichMars 2013, neige 007eMars-2013--Giacometti-001.jpg apposée sur la façade de la gare du téléphérique. La Grande femme IV (1960-61) reste de bronze. Qu'on ne compte pas sur elle pour prendre place dans l'une des bulles qui glissent sur son câble vers la Bastille. A n'en pas douter, la géante efflanquée est déjà là-haut, au sommet, bousculant les notions mêmes de contraste et de perspective. Et elle n'est pas la seule. Tout est élévation chez Giacometti. Voilà, en tout cas, ce qui saisit en visitant l'exposition sous-titrée "Espace, Tête, Figure", à l'intérieur du magnifique Musée de Grenoble. Pas seulement en contemplant les grands volumes de l'artiste. En un étrange paradoxe, ses miniatures aussi nous hissent vers une part inconnue de sa démarche créatrice et, partant, de nous-mêmes.
   C'est d'ailleurs, précisément, cela qui fait la richesse de l'ensemble. Au total, quelque soixante-dix oeuvres. Des sculptures, des peintures, des dessins, des photos avec, au centre, La Cage (version de 1950), un oeuvre entrée dans les collections iséroises dès 1952, grâce au conservateur d'alors, Jean Leymarie, le successeur du pionnier Andry-Farcy. Dans cette volière sans grille et sans oiseau, espace très géométriquement délimité, il y a tout Giacometti. Celui qui sortait de sa période surréaliste pour se heurter déjà à la "recherche de l'absolu". Une Cage qu'on peut voir aussi comme un atelier en réduction mais qui, selon le regard, s'offre également des airs de castellet.

   Dans la partie supérieure, on découvre la tête filiforme d'une femme et le buste d'un homme, tous deux tournés l'un vers l'autre mais sans se regarder. Perchées haut sur leur piédestal, les "marionnettes"  pétrifiées de Giacometti captent notre regard et renvoient à tout un monde qui se fige ou s'anime. Non loin de là, accroché à son fil, Le Nez (1949) menace à la façon d'un canon de revolver braqué contre le néant, alors que La Boule suspendue (1931), elle, s'en balance, métronome abstrait oscillant au-dessus des perceptions et des certitudes.
   Solitude, énigmes, vertige, rien n'échappe vraiment, ici, à cette trilogie. Pas plus La Forêt (1950), composée de quelques spectrales apparitions mi-arbustes, mi-femmes, que cette petite Tête d'homme sur socle (1949-51), obsédant visage en épingle de plâtre polychrome qui témoigne de l'inexprimable douleur universelle.
   Loin de se prétendre exhaustif, le parcours grenoblois se veut "historique et didactique", précise Guy Tosatto, le maître des lieux, qui a travaillé de concert avec Véronique Wiesinger, la directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti. Pari réussi que la restitution de ce cheminement qui nous emporte loin au-dessus des formes familières et des perspectives communes. Car, c'est une affaire entendue, la cage - thoracique, d'ascenseur, de Faraday... -, insuffle l'énergie et tire vers le haut. Ouvrez, ouvrez, La Cage d'Alberto... D.P.
 
   "Alberto Giacometti - Espace, Tête, Figure", jusqu'au 9 juin au Musée de Grenoble 5, place Lavalette. Rens:  04 76 63 44 44. A signaler la publication d'un pertinent catalogue, co-édition Actes Sud/Musée de Grenoble/Fondation Alberto et Annette Giacometti (200 p., 32 €), ainsi que le beau hors-série de la revue Beaux Quartiers (42 p., 3 €).    
 
   Au coeur de l'exposition grenobloise, La Cage (version de 1950). Tout près, parmi beaucoup d'autres oeuvres, une Tête d'homme sur socle, plâtre peint (1949-51). Photos D.P (cliquez pour agrandir).
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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 13:35

   Fev.-2013--expo-photo-Musee-Geo-Charles-001.jpg Il y a assurément mille et une manières de ressentir et d'exprimer la mélancolie. Lorsqu'elle ne ronge pas nos âmes comme la pointe du graveur chez Dürer, ou façon "soleil noir"  de Nerval, elle sait se faire langueur berçant comme une mélopée de Ferré: "C'est revoir Garbo / Dans la rein' Christine / C'est revoir Charlot / A l'âge de Chaplin / C'est Victor Hugo / Et Léopoldine..." Hugo? Tiens, justement, il avait lui aussi sa définition: "La mélancolie, c'est le bonheur d'être triste", disait-il. Un drôle de sentiment qui jette le trouble et parfois sème le doute. "Et si ce n'était pas la mélancolie"  s'enquiert ainsi - sans point d'interrogation - l'affiche de la nouvelle exposition du musée Géo-Charles d'Echirolles. 
   Autour de cette fausse question, la conservatrice Elisabeth Chambon a réuni quatorze photographes qui n'ont en commun que leur apparente irréductibilité. Mais que font-ils ensemble, alors? Peut-être simplement prennent-ils "le monde à revers" selon le précepte de Denis Roche qui joue un peu malgré lui, ici, le rôle de mentor. A son regard sur les pyramides répondent les clairs obscurs égyptiens de Pierre de Fenoÿl. Dans le miroir de son nu sur un lit se reflètent les fragments de corps de Jacques Damez, l'émoi des visages de Lionel Fourneaux ou ce grand nu de dos signé Yves Rozet.

   Mais la leçon de cette exposition, si jamais il s'en dégage une, c'est que la mélancolie se niche partout et, donc, nulle part. Par exemple, sous les grands arbres propices à la méditation solitaire saisis par Pierre Gaudu dans son Conte de la forêt d'où semble sortir le cochon sauvage - décidément, le cochon est à la mode - fonçant vers l'objectif d'Arièle Bonzon. La Lyonnaise présente par ailleurs un beau triptyque au sein duquel se confondent, en au moins cinquante nuages de gris, anatomie et corps céleste.
   Qu'on ne tente surtout pas, toutefois, d'élucider la mélancolie. Elle reste une énigme et c'est très bien comme ça. Les instantanés paysagés d'Eric Bourret ne disent rien d'autre. Tout comme la série "Juste un avion dans le ciel" de Pierre Canaguier, les effets de miroir newyorkais de Serge Clément, le questionnement sur la mémoire des lieux de la Drômoise d'adoption Beatrix von Conta, ou bien encore la fantaisie ethnographique de Myette Fauchère et les portraits néoréalistes de Mario Piselli.
   Sans oublier, last but non least  puisque l'artiste n'est autre que William Klein, ces "Quatre têtes au coin de Broadway et de la 33e rue"  pas dépaysées pour un sou sur les cimaises échirolloises. Elles sourient, nous observent, regardent ailleurs. Ce que l'on sait d'elles n'est rien d'autre que leur éphémère permanence. Et c'est peut-être bien ça, après tout, la mélancolie. D.P.
 
   "Et si ce n'était pas la mélancolie", jusqu'au 19 mai au musée Géo-Charles d'Echirolles, près de Grenoble (renseignements au 04 76 22 58 63), en collaboration avec la galerie "Le Réverbère" de Lyon. On lira, en contrepoint, le magnifique ouvrage de Jean Starobinski, L'Encre de la mélancolie, récemment paru au Seuil (672 p., 26 euros).  musee-geo-charles@ville-echirolles.fr  

 

  Le rapprochement des photos n'est pas dû au hasard. Ainsi, c'est bien du "Conte de la forêt" de Pierre Gaudu que paraît s'être échappé le cochon sauvage de la série "Familier" d'Arièle Bonzon. Photo D.P. (cliquez pour agrandir)

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27 février 2013 3 27 /02 /février /2013 10:06

  Fév. 2013, Bény 067

Fev.-2013--Beny-068.jpgFév. 2013, Bény 029Fev.-2013--Beny-031-copie-1.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

De retour d'un bref séjour en Bresse. Avec quelques photos. Et un poème revisité:

 

Les pas secrets

 

 

Là où la neige est marquée de traces,

on imagine le chevreuil,

on croit voir le sanglier.

 

Mais comment expliquer qu'en face,

là où nulle trace n'est visible,

rôdent tout autant de présences?

 

Celle du vent sans mains sans pieds,

celle des bonshommes de neige

qui font la nuit des pas secrets

 

comme vont les mots du poème

sur la page blanchie de cendres

lorsque l'on cherche à reconnaître

 

le sabot noir de leur encre.

 

D.P.

 

(Photos D.P Cliquez pour agrandir).

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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 13:49

Fev.-2013--Gr.---Pierre-Ducrozet-006.jpg   "Les poètes nous parlent. Ecoutons-les. Ils nous disent de ne pas nous en faire, de croire encore aux trésors et aux rêves. Même lorsqu'ils sont tristes, le son de leur voix nous réconforte. Ce sont de petits êtres de chair et d'encre qui ont tout fait pour percer le mystère des choses et du temps qui s'en va. Ce qu'ils ont découvert se trouve dans leurs vers. Ecoutons-les. Ils nous montrent du doigt les îles où accoster". Comment résister à l'invitation de Pierre Ducrozet qui, dans son texte liminaire, nous invite à entrer dans l'intimité de dix-huit poètes?

   Intimité est bien le mot qui convient puisque, par la voix de leur jeune messager, c'est avec le "Je"  qu'ils "se dévoilent"  à nous. "Si je vais vite, c'est sans doute parce que je suis poursuivi. Par qui? Par des choses que je n'aime pas malgré leurs noms jolis: la mort, la tristesse des soirs de pluie, la mélancolie" (Cendrars). "J'avais été pressé de vivre, je l'étais aussi de mourir. Pas le temps de s'attarder, il faut toujours courir, c'est notre seul espoir"  (Rimbaud). "On me lit toujours, me dit-on. J'en suis ravi. Les animaux, en fin de compte, vieillissent moins vite que les hommes"  (La Fontaine).
   Et ainsi de suite avec, toutes époques confondues,  Hugo, Verlaine, Baudelaire, Michaux, Apollinaire, Ronsard, Char, Desnos, Eluard, Nerval, Queneau, Aragon, Musset, Tardieu et Vian. Chacun d'eux a droit, en contrepoint de son "auto"- présentation, à un poème, une brève note biographique et, surtout, un saisissant portrait signé Zaü, le talentuleux illustrateur humaniste à qui l'on doit notamment Une cuisine grande comme le monde.
   N'en doutons pas, la formule de cet épatant album, tout juste paru à l'enseigne des monts du Lyonnais Bulles de savon, ravira les lecteurs à partir de dix ans et bien au-delà évidemment. Ajoutons encore que, dans un autre registre, on attend avec impatience La Vie qu'on voulait, annoncé pour le 2 avril prochain chez Grasset, deuxième roman de Pierre Ducrozet dont on n'a pas oublié le Requiem pour Lola rouge  publié par le même éditeur en 2010 et prouvant aussi que les propos que lui inspirent les autres s'appliquent également à lui: "Les poètes nous aident à vivre. Sur leurs îles, l'air est plus vif, la vie plus intense. Alors pourquoi ne pas prendre la mer avec eux?". D.P.
 
   Poètes, qui êtes-vous? (De Hugo à Rimbaud 18 poètes se dévoilent), texte de Pierre Ducrozet, illustrations de Zaü, collection "Poètes en herbe", éditions Bulles de savon (Bas de Rochefort 69850 Saint-Martin-en-Haut. Tél.: 04 78 19 14 88. Mail:  contact@editions-bullesdesavon.com), 48 p. grand format, 17 euros.
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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 09:57

Voiron 017Voiron-012.jpgVoiron-016.jpgIl neige à nouveau ce lundi sur ma ville. Et pour l'accompagner, ces traces laissées, il y a peu, sur la page blanche:

 

 

 

 

 

 

Vieux secret

 

La neige est un vieux secret

écrit d'un seul mot invisible

à la poussière de craie

sur le tableau sans chiffons

de l'enfance ineffaçable.

  

 

La clé

 

Son ombre seule l'anime,

son silence est en clé de fa.

La neige est un spectacle de mime

qui vaut bien mieux qu'un opéra.

 

(D.P., poèmes inédits).

 

Photos D.P. (cliquez pour agrandir).

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1 février 2013 5 01 /02 /février /2013 19:21

   Relisant Rimbaud, comme ça, parce qu'il faut toujours relire Rimbaud, même un 1er février, me voici tout à coup en arrêt devant ces trois vers du Dormeur du val: "Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme / sourirait un enfant malade, il fait un somme: / Nature, berce-le chaudement: il a froid." Je lis ces vers et les relis. quelque chose m'intrigue. Une concision, un rythme. Ca y est, j'y suis. Je compte lettres et espaces pour vérifier: 140 signes, pile. J'avance un peu dans ma lecture. Dans le poème Mauvais sang d'Une saison en enfer, ce passage très connu: "J'ai horreur de tous les métiers. Maîtres et ouvriers, tous paysans, ignobles. La main à plume vaut la main à charrue. Quel siècle à mains!"  Je sors encore ma petite calculette: re-140 signes. N'insistons pas, j'ai compris. C'est Arthur qui a inventé le tweet. Et nous sommes tous, "Ithyphalliques et pioupiesques", ses followers. D.P.

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 09:37

Dec.-2012--Berlin-184.jpgDéc. 2012, Berlin 151Déc. 2012, Berlin 130Déc. 2012, Berlin 112Déc. 2012, Berlin 078Déc. 2012, Berlin 020 Déc. 2012, Berlin 168

 

 

 

 

 

 

Quelques images rapportées d'un récente déambulation hivernale à Berlin: le mémorial de l'Holocauste sous la neige la nuit, les vestiges du Mur à "l'East Side Gallery", les façades colorées du vieux quartier ouvrier de Friedrichshain désormais "bobo", la Karl-Marx Allee veillée par ses imposantes tours staliniennes, une scène de patinage dans le Tiergarten devant la Colonne de la Victoire ("Siegessaüle") surmontée de son ange aux "ailes du désir" chères à Wim Wenders, le "sekt" et la bière au frais sur le rebord d'une fenêtre d'hôtel, la grande roue de l'Alexanderplatz. Photos D.P. (cliquez pour agrandir)

 

    Et puis un fort et dérangeant petit livre à découvrir, Demain Berlin, du jeune écrivain Oscar Coop-Phane, prix de Flore pour son premier roman, Zénith-Hôtel, en 2012. Les dérives croisées de trois "druffis" (des "défoncés") entre l'Alexanderplatz, Prenzlauerberg  et le tout à la fois fascinant et glauque Berghain-panoramabar. Parmi eux, Armand dont il faut s'efforcer de croire que "ce n'est pas par dégoût de l'existence qu'il se drogue, non, c'est peut-être plutôt par amour de la vie...". Mais retenons aussi, au-delà de la plongée dans cette vertigineuse "Drogensolidarität", de très pertinents regards sur la "ville situationniste" des rives de la Spree: "On est un peu fauché, on se débrouille. Les soupes sont bonnes. On fume au bistro puisque ce serait insensé de ne pas le faire. On travaille à quelques obsessions sur un ordinateur portable. Autour de soi, on sent l'Europe, toutes ces langues qui se mélangent et se répondent". D.P.

 

   Demain Berlin d'Oscar Coop-Phane, Finitude, 174 p., 16 euros.

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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 22:11

 J.-B.-Pontalis-004.jpg Un homme disparaît. Impossible, évidemment, de ne pas songer en premier lieu à ce livre, paru en 1996, à l'annonce du décès de J.-B. Pontalis. Non pas qu'il projettait sa propre mort dans cette rêverie éperdue autour d'un passant fantomatique, mais parce que réside en ce texte l'essentiel de son univers. L'exploration des méandres de la mémoire. Le questionnement du double. La rencontre avec soi-même à travers les autres.
    L'auteur d'Un homme disparaît a disparu le jour de son 89e anniversaire (15 janvier 1924-15 janvier 2013) en nous laissant méditer la dimension malicieuse que recèle cet ultime effacement d'une vie qui en connut bien d'autres. A commencer par la part d'identité de celui qui s'appelle en réalité Lefèvre-Pontalis et qu'on ne cessa, de surcroît, de prénommer "Jibé" (*). D'habitude, c'est avec les enfants qu'on use d'un tel raccourci familier. A croire qu'il le fut jusqu'au bout, l'insatiable philosophe, psychanalyste, éditeur et écrivain. Autant de nobles fonctions auxquelles on pourrait ajouter flâneur mélancolique, "dormeur éveillé"  ou collectionneur d'amitiés.
   En prêtant l'oreille aux confessions qui se murmuraient sur son divan, l'émule de Merleau-Ponty et de Lacan n'avait d'autre objectif que de faire renaître les voix menacées d'un monde enfoui. Une mission semblable en bien des points à l'activité du directeur de la prestigieuse collection "L'un et l'autre"  chez Gallimard, où figurent des auteurs aussi proches et dissemblables que Jacques Réda et Pierre Bergounioux, Christian Bobin et Christian Garcin, Pierre Michon et Guy Goffette.
   Petit-neveu de Louis Renault, Pontalis aimait la musique et les songes, la peinture et le silence, la volupté des cigarettes Benson et les volutes des entre-deux. Laissons, pour conclure, la parole à son très cher complice Claude Roy (1915-1997), avec qui il partageait un petit bureau à La NRF  (l'un le matin, l'autre l'après-midi): "Théoricien très fin, praticien expérimenté, J.B., loin de s'engluer comme trop de ses confrères dans le pédantisme freudien et le charabia pontifiant, laisse surgir des pages de ses travaux théoriques cette poésie d'autant plus charmante qu'elle n'a pas annoncé sa venue ni endossé ses habits du dimanche".
   On ne saurait mieux dire, non? D.P.

 

   (*) Ah oui, pour un peu on allait oublier cette précision:le "B" de J.-B. ne renvoie pas à Bernard mais à Bertrand. 

 
  
    Parmi les livres de J.-B. Pontalis:
 
   Après Freud, Julliard, coll. "Les Temps modernes", 1965, rééd. 1993.
   Entre le rêve et la douleur, Gallimard, 1977.
   Loin, Gallimard, 1980.
   L'Amour des commencements, Gallimard, 1986.
   Perdre de vue, Gallimard, 1988.
   La Force d'attraction, Le Seuil, 1990.
   Un homme disparaît, Gallimard, 1996.
   Ce temps qui ne passe pas, suivi de Le Compartiment de chemin de fer, Gallimard, 1997.
   L’Enfant des Limbes, Gallimard, 1998.
   Fenêtres, Gallimard, 2000.
   En marge des jours, Gallimard, 2002.
   Traversée des ombres, Gallimard, 2003.
   Le Dormeur éveillé, Mercure de France, 2004.
   Frère du précédent, Gallimard, 2006, Prix Médicis Essai.
   Passé présent, avec Jacques André - Françoise Coblence et Jeffrey Mehlman, Paris, PUF, 2007.
   Elles, Gallimard, 2007.
   Le Songe de Monomotapa, Gallimard, 2009.
   En marge des nuits, Gallimard, 2010.
   Un jour, le crime, Gallimard, 2011.
   Avant,, Gallimard, 2012.

 

 

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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 18:44

 LNouvel-an-2013-038.jpg'épiphanie? Il n'y a pas que les galettes pour la célébrer, il y a aussi les livres. Offrons-nous donc en ce dimanche une portion des Rois mages d'André Frénaud (1907-1993), ses poèmes de captivité écrits dans le Brandebourg en 1941:

 

"La neige avait tissé les pays du retour

avec ses fleurs fondues où se perd la mémoire.

De nouveaux compagnons se mêlaient à la troupe,

qui sortaient des arbres comme les bûcherons.

Le Juif errant peinait, aux blessures bafouées.

Des fourrures couvraient le roi noir malade à mourir.

Le pasteur de la faim est avec nous,

ses yeux bleus éclairent son manteau d'épluchures

et le troupeau rageur des enfants prisonniers"

 

(in Les Rois Mages, suivi de L'Étape dans la clairière et de Pour une plus haute flamme par le défi, collection Poésie/Gallimard, n° 220, 224 p., 9 euros).

 

Photo D.P.

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2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 22:46

  Moi, René Tardi, Prisonnier de guerre - stalag IIB - Jacques Tardi - 9782203048980 - 9782203048980 "Je ne suis pas intéressé, je ne demande rien et je n'ai jamais rien demandé. On n'est pas forcément content d'être reconnu par des gens qu'on n'estime pas". C'est par un tonitruant coup de gueule que Jacques Tardi a commencé l'année. Un coup de gueule qui a de la gueule. Il faut dire qu'à l'heure blafarde où d'autres tentaient de se remettre du réveillon, il lui tombé du ciel un encombrant présent. Une Légion d'honneur dont on se demande bien qui, en haut lieu, a pu avoir l'idée. C'était, en tout cas, vraiment mal connaître le créateur de BD, ami de Manchette et de Daeninckx, qui, loin de toute posture facile, a tenu à se justifier: "Etant farouchement attaché à ma liberté de pensée et de création, je ne veux rien recevoir, ni du pouvoir actuel, ni d'aucun autre pouvoir politique quel qu'il soit. C'est donc avec la plus grande fermeté que je refuse cette médaille".

   Un rejet de "ce ruban malheureux et rouge comme la honte", selon l'invective de Léo Ferré, qui s'inscrit dans une longue lignée d'élans réfractaires signés, excusez du peu, Monet, Berlioz, Camus, Sartre ou Aragon. Et comme si ce n'était pas assez clair, l'auteur d'Adèle Blanc-Sec a ajouté: "Je n'ai cessé de brocarder les institutions. Le jour où l'on reconnaîtra les prisonniers de guerre, les fusillés pour l'exemple, ce sera peut-être autre chose".
   Le rouge ne brillera donc pas à la boutonnière du rebelle pour la bonne raison qu'il est tout entier contenu dans son poing. Celui avec lequel il écrit, dessine et revendique sa farouche indépendance. Il suffit, pour s'en persuader, de rouvrir ses albums, et notamment le tout récent Moi René Tardi, prisonnier de guerre, Stalag II B  (*) dédié au père de l'artiste courroucé qui vécut le drame de la captivité lors du second conflit mondial.
   C'est une évidence, le seul honneur que peut recevoir cette oeuvre, c'est celui que ne cessent de lui accorder ses dizaines de milliers de lecteurs. Et tout le reste, en l'occurrence, n'est que... lésions d'honneur. D.P.
 
(*) Casterman, 194 p., 25 euros.
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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