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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 21:49

Mai-2013-007.jpg   A Grenoble, la mobilisation se poursuit contre la fermeture de la librairie Arthaud, menacée comme onze autres enseignes du groupe Chapitre, à Boulogne-sur-Mer, à Calais, à Cannes, à Dax, à Evreux, à Lyon, à Nancy, à Narbonne, à Belfort, à Colmar et à Toulouse ("Privat"). Dans la "capitale des Alpes", un rendez-vous un peu particulier est proposé pour ce samedi 11 mai, de 16h à 17h, devant le 23, Grand-Rue, où une séance de "free hugs"  est organisée. "Free hugs"? En français: "Câlins gratuits". La donne est simple: une étreinte équivaut à un soutien. C'est ce qu'on appelle une mobilisation à multiples visages. D.P.

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 09:30

23-24-avril-2013--Val-de-Loire--Bourgogne-141-copie-1.jpgMon billet dans l'hebdomadaire Voix de l'Ain de la semaine dernière (vendredi 26 avril, n° 3548) s'intitule "Voisins de coeur" (p. 10). Celui de cette semaine (3 mai), "Juste un brin",  sera disponible à la lecture un peu plus tard sur ce blog.

 

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir). 

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29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 19:15

  

   Livre Annie ButorÀ quelques mois du vingtième anniversaire de la mort de Léo Ferré - le 14 juillet prochain -, c'est un autre visage de l'"anar au grand coeur" que l'on découvre ici: intimiste et cabotin, aimant et révolté, fou de maisons sans confort et d'animaux accaparants, plein de prévenance et de mauvaise foi. Un portrait signé Annie Butor, la fille de Madeleine, seconde épouse d'un chanteur qui, dès les années 50, éleva l'enfant comme si c'était le sien.
   Une belle histoire qui bascula, en 1968, dans la tragédie "chimpanzéïfiée" du château lotois de Perdrigal. "Pépée", la guenon aux "mains comme des raquettes" qu'Annie était priée d'appeler "Seu-soeur", s'empara du pouvoir. L'enfer n'était pas loin. La suite? On ne la connaissait guère jusque-là, ou alors qu'à travers la seule version du libertaire exilé en Toscane où il prit, du reste, un farouche plaisir à caviarder les textes en référence à ce passé.

   Le livre de la "Jolie môme" - c'est pour elle que son "Pouta" de beau-père écrivit ce qui fut l'un de ses plus grands succès - est précis, implacable, émouvant, pudique, jamais accusateur ni revanchard. Fallait-il le publier? Oui, assurément, tant il éclaire souvent, d'une magnifique lumière en biais, le contexte de l'un des plus bouleversants répertoires de la chanson française de l'après-guerre. Sans compter qu'on y croise, précieux témoignages s'il en est, les figures de Breton, d'Aragon, de Louise de Vilmorin, de Caussimon ou du Prince Rainier. 
   Il faut lire cette reconstitution d'une trajectoire artistique et privée, où l'admiration côtoie l'incompréhension plus que le dédain, et dont le principal mérite est de réhabiliter avec force la "muse" des années charnières entre misère et gloire, aussi haïe soudain qu'elle fut célébrée auparavant. Comment voulez-vous que j'oublie... Le titre de l'ouvrage d'Annie Butor, sans point d'interrogation, sonne à la fois comme l'expression d'une exaltation et d'un tourment permanent. Ce que confirme aux dernières pages l'auteur: "Avec le temps j'aime encore Léo malgré tout, sentiment paradoxal fait de tendresse et de rancune". D.P.

   Comment voulez-vous que j'oublie... Madeleine et Léo Ferré 1950-1973 d'Annie Butor, Préface de Benoîte Groult, Phébus, 211 p., 17 euros.
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26 avril 2013 5 26 /04 /avril /2013 12:38

Mon billet dans l'hebdomadaire Voix de l'Ain de la semaine dernière (vendredi 19 avril, n° 3547) s'intitule "Transparence de façades" (p.8). Celui de cette semaine (26 avri23-24-avril-2013--Dombes--Macon--muguet-028.jpgl), "Voisins de coeur",  sera disponible à la lecture un peu plus tard sur ce blog.

 

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir). 

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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 21:38
Ne pas laisser filer ce 21 avril 2013 sans rouvrirth-5-.jpg Truinas le 21 avril 2001, le très poignant petit livre dans lequel Philippe Jaccottet évoque l'enterrement de son ami André du Bouchet, dans son village drômois. Arrêt sur ces lignes, page 40: "Voilà donc comment il peut arriver que s'entretissent le visible et l'invisible, les choses de la nature, les bêtes, les êtres humains, vivants et morts, et leurs paroles, anciennes ou nouvelles, ainsi que le chagrin et une espèce de joie. Alors, ayant frôlé du plus intime de soi, si fragile qu'on puisse être, si débile qu'on puisse devenir, quelque chose qui ressemble tant au plus intime du mystère de l'être, comment l'oublier, comment le taire?"
(La Dogana, Genève, 56 p, 16,50 euros.).
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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 13:07

   Avril-2013--chantier-Beny--La-Claison--Cerdon--Voix-de-l-A.jpgDans l'hebdomadaire Voix de l'Ain de la semaine dernière (vendredi 12 avril, page 9), un billet pour saluer les soixante-dix ans du Petit Prince. Ma contribution de cette semaine (19 avril), qu'on pourra lire ici avec un peu de décalage, s'intitule Transparence de façade(s).

 

(Cliquez sur l'image pour agrandir).

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19 avril 2013 5 19 /04 /avril /2013 10:39

   Pierre-Ducrozet.JPGC'est un roman aux allures de film qui va vite vite vite. Une sorte de post-Pierrot Le Fou mais thCAL8AA81.jpgoù Pierrot-Ferdinand s'appelle Manel. "Elle est retrouvée. Quoi? L'éternité". C'est la mer allée avec le soleil fade de la fin des années 90. Ils sont cinq qui, marre de s'acquitter de l'ennui, cette "taxe obligatoire sur la vie", prennent chacun à sa façon la tangente. Paris, Lyon, Barcelone, Londres, Bruxelles, Berlin.... Staccatos du coeur et des trains cendrarsiens. "Grand rouleau hypnotique" des autoroutes de la vieille Europe.
   Sauf que fuir n'empêche rien. Surtout pas la désillusion. "On se voudrait romanesque, on n'est qu'un objet de sociologie". Manel et sa bande, Eva et son frère Théo, Lou, Quentin/Camille sont comme ça. Ils marchent, ils roulent, ils fuient, ils aiment, ils travaillent parfois, ils se nichent provisoirement dans les interstices de l'existence, histoire de ne pas tourner infiniment en rond dans ce "monde (...) si petit qu'on en touche les bords". Heureusement il y a deux ou trois bricoles pour s'inventer des "instants purs" au creux des nuits. La musique dans le meilleur des cas. Celle qu'on écoute, celle aussi qui s'élève du saxo de Manel au Caveau de la Huchette. "La musique, c'est pas de la blague. On joue pour atteindre les sphères, pour toucher dieu ou ce qu'il en reste".
   Deux ans et demi après Requiem pour Lola rouge (Grasset), prix de la Vocation 2011, c'est le portrait d'une "génération grise" que poursuit avec brio Pierre Ducrozet dans un deuxième roman au titre à l'imparfait du revendicatif, La Vie qu'on voulait. Nul besoin de dessin (de dessein?), on sait d'emblée qu'au bout de l'échappée le compte n'y sera pas. Le rythme haletant nous arrache. "L'odeur de l'absence" prend à la gorge. La langue est à l'unisson de ce perpétuel "apprentissage du vertige" qu'est la vie. Les dialogues syncopés saisissent au vol des bribes de conversations brisées dans l'éboulis des solitudes: "Les gens ne finissent presque jamais leurs phrases, ils ne savent pas quoi mettre dedans".
   Et puis on aime aussi dans ce livre les éclats de paysages traversés qui frappent de biais. tout particulièrement à Berlin où s'achève, un soir de "freins cassés" et de roues qui vont vite vite vite, la folle trajectoire de Manel, joueur d'échecs et de gâchette. "Toute cette ville, si on y pense, n'est qu'une ode à la douceur que l'on trouvera dans la mort". Des phrases comme celle-ci, il y en a beaucoup dans ces pages. Tant mieux. Elles nous sauvent "des vents furtifs et tournants qui agitent la société". D.P.

 

   La Vie qu'on voulait de Pierre Ducrozet, Grasset, 245 p., 17,90 euros.   

   Du même auteur, tout récemment: Poètes, qui êtes-vous? (De Hugo à Rimbaud, 18 poètes se dévoilent), avec des illustrations de Zaü, éditions Bulles de savon, 48 p., 17 euros. A partir de dix ans.

 
   Pierre Ducrozet, à Barcelone, en 2011. Photo D.P.
 

 
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16 avril 2013 2 16 /04 /avril /2013 16:55

Dans les pages "Rebonds" de de ce mardi 16 avril (p. 22), une tribune en forme de coup de gueule - ou plutôt de cri du coeur. Avec, en toile de fond, la fermeture annoncée de plusieurs librairies ChaPitre, dont Arthaud, l'"institution" grenobloise.

 

 Avril-2013--tribune-Libe--Entiere-.jpg(Cliquez sur l'image pour l'agrandir).

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30 mars 2013 6 30 /03 /mars /2013 22:29

 Où trouver la lumière, en ce printemps qui ne vient pas, ailleurs que dans les poèmes? Celui qu'on lira ci-dessous est signé René Guy Cadou (1920-1951) et son titre est de circonstance:

 

Ciel de Pâques

 

Soleil

Bien plus que le soleil

La tête en haut de l'arche

Et le sang frissonnant qui coule sur les marches

Le miel bleu descendu dans le coeur des vergers

Les langes du couchant à peine ravagés

Et la main de l'ami qui bat

Comme une enseigne

 

Voici le ciel ouvert sur les neiges qui saignent

Décombres de lilas appuyés sur le champ

Hirondelles perdues

Fantômes attachants

Et tes bras saisonniers aussi lourds que l'averse

Arrêtez le soleil

Je tombe à la renverse

Et déjà mes poumons se remplissent de fleurs

 

Ah que se lève en toi cette obscure douceur

Que tes yeux dans mes yeux tombent en larges flaques

Plus fidèles que nous

Sont les cloches de Pâques.

 

(in Poésie la vie entière, Oeuvres poétiques complètes, Seghers 2001). 

 

.

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20 mars 2013 3 20 /03 /mars /2013 08:53
     D'habitude, avouons-le, on préfère les poètes, les chansonniers, les saltimbanques, les chemineaux. Mais ce pape-là, allez savoir pourquoi, on aurait presque envie de lui taper dans le dos. Oh! pas trop fort tout de même, il n'est plus de première jeunesse, mais un petit signe complice, comme ça, en passant.
   Pourquoi un tel élan? Bah! les voies de l'affectif sont parfois elles aussi impénétrables. A la réflexion, ce doit être à cause du nom.  On aime bien les François. De préférence, Villon, Rabelais, Couperin, Mauriac ou Morel. Sans oublier le facteur de Jour de fête. Un peu court, sans doute, pour se dire proche d'un pape. Admettons. N'empêche que, sans trop le connaître et sous réserve de changer d'avis, on est plutôt heureux de voir le successeur de Benoît XVI s'inscrire dans le sillage d'un très emblématique François.
   Pourvu, toutefois, qu'on parle du même. Pourvu que le "réalisme politique" du futur pontificat ne réduise pas cette référence à une vague figure vidée de sa substance. Le François qui est des nôtres, c'est celui que Nikos Kazantzakis appelle "Le Pauvre d'Assise" (1) dans son ode magnifique. Celui dont les mots de Delteil clament l'amour fol de l'humanité et la haine des égoïsmes (2). Celui auquel songe Charles Juliet en rencontrant un jour, lors d'une promenade près de chez lui, un vieux vigneron bugiste vêtu comme un clochard (3).
   C'est celui, encore, qui, en quête de "la joie parfaite", parle aux oiseaux dans l'opéra d'Olivier Messiaen. Celui qui sait où loge Le très-Bas lorsque, dans sa vibrante méditation lyrique (4), Christian Bobin suit l'éternel enfant "au ras de la lumière du siècle, là où la vie manque de tout, là où la vie n'est plus rien que la vie brute, merveille élémentaire, miracle pauvre". Celui, enfin, qui donne souffle à ce chef-d'oeuvre de Pasolini qu'est Uccellani e Uccellini ("Des oiseaux, petits et grands"). La pellicule est ancienne, elle grésille un peu, mais quel fascinant paradigme du sacré et du profane! L'"initiateur" du 266e pape, il est là, à n'en pas douter, dans la voix du corbeau qui converse avec le petit homme au chapeau de paille et le jeune naïf qui lui emboîte le pas.
   Vous l'avez-vu, dites, ce film, Jorge Mario? Il est sorti en 1966. Ce n'était pas encore la dictature dans votre pays, l'Argentine. Peut-être alors le projetait-on à Buenos-Aires... On n'insistera pas, vous avez à l'évidence plus urgent ces jours-ci. Mais, de grâce, au cours de votre mission suprême qui commence, n'oubliez pas François, le vrai, dans son habit de toile rêche et sa ceinture de corde. Le lumineux de Ombrie. Le "poverollo" pour qui les animaux n'avaient rien des allégories de Marcela Iacub.
   S'il vous plaît, ne vous contentez pas de twitter comme votre prédécesseur, mais, vous qui avez renoncé d'emblée à votre nom de roi, soyez simple roitelet. Et puis, à l'occasion, entre deux gazouillis, lisez Kazantzakis, Delteil, Juliet, Bobin, écoutez Messiaen. Et si jamais la fable de Pasolini repasse dans un ciné-club du Trastevere, foncez-y!
   Non, n'oubliez pas San Francesco. Ni nous autres, "oiseaux petits et grands", bestiaux égarés, piafs de gouttière. Faites qu'on nous jette des miettes de pain, sinon pour manger, du moins pour marquer le chemin.  
 ______________ 
 
(1) Le Pauvre d’Assise, 1956, trad. par Gisèle Prassinos et Pierre Fridas, Plon, 1957.
(2) François d'Assise, 1960. Rééd. "Les Cahiers rouges", Grasset, 2012. 
(3) Dans la lumière des saisons, POL, 1991.
(4) Le Très-Bas, "L'un et l'autre", Gallimard, 1992.
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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