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27 septembre 2015 7 27 /09 /septembre /2015 00:53
Patrick Pelloux, l'urgent triste

Patrick Pelloux a décidé de cesser d'écrire dans Charlie Hebdo. C'est drôle, tout de même, ces choses-là. Des mouvements de personnel dans la presse, il y en a tous les jours et pourtant en voilà un qui fait figure de petit événement. Pourquoi cela? Parce que c'est Charlie et parce que c'est lui, pourrait-on répondre en paraphrasant la célèbre phrase de Montaigne sur l'amitié. Pelloux, c'est ce grand gaillard paumé venu répéter à la France entière, les yeux dans les yeux embués de l'après-7 janvier, qu'il y avait quelque chose de brisé dans notre bon vieux pays des Droits de l'homme et de la tolérance. Pelloux, c'était l'homme qui continuait à chercher ses amis dans les lambeaux de l'impensable. Pelloux, c'était ce restant d'énergie pelotonné dans une grosse boule d'éternel chagrin d'hiver.

On ne lisait pas forcément ses chroniques dans son hebdo frappé au cœur, dans son canard au sang devenu poule aux œufs d'or. Mais on les savait là, veillant avec des mots de tous les jours sur des caricatures humaines inachevées, sur des frangins partis un sale matin en catastrophe. Et puis donc, voilà qu'il s'en va lui aussi. Comme Luz. Comme d'autres. Comme les vivants morts et comme les morts-vivants. Tchao la compagnie, "il y a quelque chose qui est terminé", confie-t-il.

Mais qu'est-ce qui est fini, au juste? On ne sait pas trop. Une aventure, une utopie, une survivance. Le grand gamin joufflu l'a dit sans le dire sur une radio potache. Fidèle à l'appel de tous les signaux de détresse anonymes et sa boîte à pansements en bandoulière, Pelloux retourne à ses patients. Car le chroniqueur était d'abord médecin. Un médecin pas tout à fait comme les autres. Faites le 17 ou le 18 - on ne sait plus trop - et avec un peu de bol vous l'aurez. Mister Patrick s'éloigne, le docteur Pelloux revient. Et, de grâce, ce toubib-là, ne le secouons pas, il est notre urgent triste. D.P.

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16 septembre 2015 3 16 /09 /septembre /2015 20:41

Je me souviens d'un passant dans la rue qui sifflait sous l'averse Il fait toujours beau quelque part.

Je me souviens d'une femme triste qui chantait L'eau vive lors d'un repas de communiant à la campagne il y a longtemps.

Je me souviens que cette chanson a donné son titre à un film de François Villers d'après Giono.

Je me souviens qu'au lycée le prof de français nous avait fait écouter Bal chez Temporel.

Je me souviens que les paroles étaient d'André Hardellet et que j'ai tout de suite voulu lire plus de choses de lui.

Je me souviens d'avoir chouravé le Guy Béart de Robert Beauvais dans la collection "Poètes d'aujourd'hui" de Seghers.

Je me souviens d'avoir essayé d'apprendre à la guitare "Dans la neige y'avait deux souliers / Dans la neige qui étaient oubliés".

Je me souviens qu'au début je confondais avec Moi, mes souliers de Félix Leclerc.

Je me souviens d'avoir entendu pour la première fois Alphabet au "Palmarès des chansons" et d'avoir tout de suite eu envie de fignoler moi aussi des couplets et des refrains.

Je me souviens, toujours chez Guy Lux, d'avoir ri aux éclats en découvrant Béart chanter Suez en duo avec Raymond Devos, tous deux accompagnés par le grand orchestre de Raymond Lefèvre.

Je me souviens qu'à la fin quand Béart dit "On s'achèterait Panama", Devos l'approuve d'un "Chapeau, chapeau!".

Je me souviens de Jean-Pierre Léaud qui gueule "Allô, allô tu m'entends?" rivé à une cabine téléphonique paumée en pleine cambrousse dans Week-end de Godard.

Je me souviens qu'on ne passait pas Le monsieur et le jeune homme aux heures de grande écoute à la radio.

Je me souviens du début de la chanson "Un monsieur aimait un jeune homme / Surtout ne nous affolons pas / Regardons autour de nous comme / Chaque amour va son propre pas".

Je me souviens de la chute de la chanson qui décoinçait certains sourires: "Un monsieur aimait un jeune homme / Il est si doux d'être papa".

Je me souviens qu'on disait que Le grand chambardement avait annoncé Mai 68.

Je me souviens que je n'avais d'yeux que pour Marie Laforêt lorsque, lascive, elle susurrait "Viens mon cher Frantz" blottie contre son complice.

Je me souviens que "Bienvenue chez Guy Béart", réalisée par Guy Job, était programmée à 20h30 sur la première chaîne.

Je me souviens que lors de la cinquième émission, Béart avait reçu Louis Aragon et Elsa Triolet, mais aussi Simon et Garfunkel, Catherine Sauvage et Avron et Evrard.

Je me souviens que Guy Béart faisait partie des habitués chez les Pompidou quai de Béthune.

Je me souviens qu'il disait qu'il ne faisait pas de politique.

Je me souviens qu'il cognait sur sa guitare comme un forgeron.

Je me souviens qu'il a écrit La Vérité après une conversation avec Anquetil sur le dopage.

Je me souviens d'un débat houleux chez Pivot en 1986 sur le thème "La chanson est-elle un art mineur?"

Je me souviens que Gainsbourg apostropha Béart en lui criant: "Qu'est-ce qu'il dit l'blaireau?".

Je me souviens que Guy Béart était cabotin.

Je me souviens d'avoir croisé Emmanuelle Béart un jour dans la rue et d'avoir fredonné tout bas: "Elle avait, elle avait un chandernagor de classe...".

Et tout de suite après: "C'est le plus beau jou-ou-r de ma vi-i-i-e", alors que je n'avais même pas retrouvé mon chapeau.

Je me souviens de ce vieux monsieur qui souriait à l'hospice quand repassait en boucle "C'est l'espérance folle / qui nous console..."

Je me souviens de "Couleurs vous êtes des larmes". Et de "Couleurs vous êtes des pleurs".

Je me souviens d'avoir appris le décès de Guy Béart au "Treize heures" de France 2 le 16 septembre 2015, jour de la sainte Edith.

Je me souviens qu'il sortait de chez son coiffeur. Ou qu'il y allait.

Je me souviens qu'il y avait ce jour-là une alerte orange "vent et pluie" sur une bonne partie de la France et qu'un peu partout on entendait L'Eau vive. D.P.

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7 septembre 2015 1 07 /09 /septembre /2015 21:44
Ô Claire de la Une...

Heureusement que l'info n'était pas encore tombée hier au moment de la conférence de presse de François Hollande, elle était de taille à l'éclipser. Quoi, Claire Chazal virée? Il y a, pesons nos mots - et nos maux -, du séisme dans l'air. Car enfin quoi, l'emblématique présentatrice des JT de fin de semaine de TF1 est un monument national. Avec elle, l'actualité, murmurée à mi-voix, est lisse comme les pages glacées de ces magazines people dont l'estivale cougar des plages a souvent fait les couv'. Les informations qu'elle développe ne sont pas forcément les plus importantes du moment mais au moins sait-on une chose en la regardant, c'est qu'on est dimanche. Ou samedi.

Depuis 1991, Patrick Le Lay et Étienne Mougeotte ont fait d'elle la reine du week-end. C'était l'époque bénie où leur chaîne n'était pas que chronologiquement la première. Auvergnate comme Danielle Gilbert et populaire comme PPDA avec qui elle eut un enfant aussi médiatisé qu'il fut caché, la biographe de Balladur, romancière à ses heures très perdues, a cet art sans façon d'entrer dans les maisons à l'heure des repas pour humer la soupe des Français, histoire de la pimenter tout en douceur d'un grain de sel ou d'un soupçon de Poivre.

Presque un quart de siècle que ça dure. Bah! Il faut bien songer à passer la main ailleurs que dans un impeccable brushing. Surtout lorsque, embusquée derrière des audiences à la peine, la relève est prête. Anne-Claire Coudray, de vingt ans sa cadette, vient d'être installée par Nonce Paolini. dans ce si convoité fauteuil. Pourvu que la remerciée ne la joue pas trop larmoyante. Par les temps qui courent, on peut trouver, en cherchant bien, des migrants au sort encore moins enviable. Quant aux téléspectateurs qui, privés de Claire de la Une pensent que leur chandelle est morte, qu'ils se rassurent. L'identité télévisuelle du septième jour n'a pas dit son dernier mot. Il reste Drucker sur France 2. D.P.

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1 mai 2015 5 01 /05 /mai /2015 21:06
Au secours Patachou!Au secours Patachou!

On ne va pas remercier Patachou de s'être éclipsée comme ça, en douce, un 30 avril. Ce serait à coup sûr inconvenant. Mais tout de même, ce départ de la chanteuse, une veille de 1er Mai, à 96 ans, nous aura permis de réentendre un peu partout, en ce vendredi de pluie, des bribes de ses succès à la télé ou sur les ondes et c'est peu dire que ce furent de bienvenues ponctuations des échos d'une terne Fête du Travail marquée par une nouvelle tragi-comédie des Le Pen, avec papy qui bombe encore le torse pendant que les "Femen" exhibent les leurs. Non merci, pas envie d'aller danser dans le "petit bal mal famé" de cette famille. C'est chez Temporel qu'on voulait retourner en pensant "aux bonheurs qui sont passés / Là simplement comme le nôtre".

Patachou, qu'on confondait parfois avec Mireille, Mick Michel ou Cora Vaucaire, était une de ces artistes populaires dont on sifflote les refrains pour oublier l'air ambiant pollué. Pendant que le patriarche au compte en Suisse et en imper rouge vociférait prostré devant la statue équestre de la Pucelle, nous, c'est à la patronne de cabaret complice de Bruant, de Brel et de Brassens qu'on aurait voulu adresser un dernier rappel: "Au secours Patachou!" D.P.

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 00:35
Richard entonné

Les succès de Richard Anthony semblaient tous plus ou moins procéder d'une universelle panacée. Affaire de dosage, bien sûr. Prenez un tiers de rythme lancinant, un tiers de fantaisie, un tiers de trouvaille vocale et vous obtenez, par exemple, un tube de Sirop Typhon, incontournable ritournelle pour colonie de vacances à l'époque où il n'y avait pas besoin d'un plan gouvernemental pour les relancer. C'était en 1969 et l'idole yéyé était déjà un peu sur le déclin mais peu importe. Jusque-là, tous ses titres ou presque - essentiellement des adaptations anglo-américaines - avaient été des triomphes. À mi chemin du rocker et du crooner, "le père tranquille du twist", comme on l'appelait dans Salut les copains, n'hésitait jamais à mettre de la guimauve sur Ray Charles, du slow d'été dans Aranjuez, des bondieuseries sur les Mamas et les Papas ou du vent dans Bob Dylan. Bah! Il aurait eu tort de s'en priver: la France, âge tendre et têtes chenues, aimait ça.

Mais le plus extraordinaire avec cet habitué du hit-parade, c'est qu'un titre a toujours surpassé les autres, celui que tout le monde a entonné ce lundi en apprenant sa disparition. "Et j'enten-en-ends siffler le train-ain...". Un train? Pas un TGV, non c'était trop tôt. Un tortillard lent comme le petit convoi ludique des fameux interludes de l'ORTF mais chargé d'émotion en un temps où les appelés partaient pour l'Algérie le transistor vissé à l'oreille, "dans la fumée des au-revoirs". C'est que, mine de rien, Richard Anthony fut un marqueur de son époque, comme on ne disait pas alors. La Nouvelle Vague de Françoise Giroud et de L'Express doit beaucoup aussi à sa "p'tite MG" et à ses "trois compères assis dans la bagnole sous un réverbère". Et c'est précisément cette "scie" que l'on retrouve un peu plus tard dans l'une des scènes les plus touchantes de Pierrot Le Fou de Godard.

À 77 ans, Richard Anthony, qui eut beaucoup de fans, d'enfants, d'ennuis fiscaux et de "come-back", avait en quelque sorte bouclé la boucle. À présent, il pouvait s'en aller. Ç'aurait tout de même été un comble qu'il rate le train. D.P.

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17 mars 2015 2 17 /03 /mars /2015 23:21

   9782702155998.jpg   Il a cent printemps aujourd'hui. Sans tapage. Sans honneur qui dépasse sa petite contrée. Et pourtant Jean Anglade n'est pas n'importe qui. Il a écrit une centaine de livres que des dizaines de milliers de lecteurs ont lus. L'un d'entre eux, Le Semeur d'alphabet (Presses de la Cité, 2007), titre qui pourrait définir son auteur, figure à la douzième place des ouvrages les plus empruntés en bibliothèques. Le problème - pas pour lui évidemment -, c'est que l'homme au nom de coureur cycliste d'autrefois n'a jamais été à la mode. Du coup, on l'a parfois taxé de ringard. Ringard, l'inlassable colporteur de mémoire? S'il l'est, c'est comme un fromage, comme une saucisse au chou, comme un couteau. Ah! oui, l'agrégé d'italien, qui eut Michel Charasse comme élève, est auvergnat, faut-il le préciser.

   Né le 18 mars 1915 au hameau des Bonnets, à Escoutoux, entre Dore et Durolle, au cœur du Massif Central, il ne s'est jamais vraiment éloigné de son "pays" qui fut aussi celui d'Henri Pourrat, avec qui on le confond parfois, et de Vialatte (Mais Vialatte, lui, ne parlait pas patois...). Né d'un père ouvrier maçon mort à la Grande Guerre et d'une mère servante, le normalien devenu enseignant  écrit dans ses moments perdus pour retrouver la voix des disparus et faire vibrer l'âme d'un terroir, et cela sans jamais avoir peur du mot "populaire", fût-il ici ou là assorti de sarcasmes. Les titres de sa ribambelle de romans ont la ferveur d'un rond de gentianes dans une pâture à aubracs: Les Mauvais pauvres (Plon, 1954), La Foi et la montagne (id., 1961), Le Voleur de coloquintes (Julliard, 1972), Le Noël aux prunes (id., 1983), Le Temps et la paille (Presses de la Cité 2006)...
    Biographe, par ailleurs, de son concitoyen Blaise Pascal, d'Hervé Bazin ou des frères Montgolfier, le traducteur occasionnel de Machiavel et de Boccace n'a en fait jamais cessé de célébrer les hommes confrontés aux rudesses de l'existence et aux défis. On entend dans ses pages siffler les lames de Thiers sous la meule, crisser la neige qu'on piétine sur la chaîne des puys, gueuler les bêtes dans le dédale des contes et légendes. Le jour de son centième anniversaire, Jean Anglade, bon pied, bon œil (il a tout de même eu droit, la veille, au "13 heures"  de Pernaud) va écrire. Comme d'habitude. Souffler des bougies, ce n'est pas son truc. À la rigueur un volcan... D.P.

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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 22:11

Jean Ferrat (26 décembre 1930 / 13 mars 2010).

"Au printemps de quoi rêvais-tu?
Vieux monde clos comme une orange,
Faites que quelque chose change,
Et l'on croisait des inconnus
Riant aux anges
Au printemps de quoi rêvais-tu?".

(Photos © D.P.)

Avril 2012, Vogüé 048DSCN7441-copie-1.JPGDSCN7439.JPGDSCN7438.JPG

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4 mars 2015 3 04 /03 /mars /2015 22:16

  telechargement--2--copie-4.jpg    Ce n'est sans doute pas un grand bouquin - mais qu'est-ce que ça veut dire, au juste? -, pas un de ces ouvrages savants qu'on met de côté pour le lire plus tard, c'est-à-dire la plupart du temps jamais. Non, c'est plutôt quelque chose comme une conversation qu'on capte au bistrot ou dans la salle d'attente d'un médecin. De santé, justement, il en est beaucoup question dans ce livre. Du mal sournois qui s'avance. Mais aussi de ce péril plus scandaleusement naturel qui s'appelle la vieillesse. Avis non autorisés paraît aujourd'hui aux éditions des Équateurs sous la plume de Françoise Hardy. Une confession mezzo-voce dans laquelle la chanteuse des sixties et des années Berger/Gainsbourg se met à nu. C'est  le strip-tease d'une pudique, le soliloque d'une taiseuse,  la leçon de ténèbres d'une astrologue. Avec ici ou là les inflexions d'un hymne à l'amour pur comme la romance d'un manouche sans guitare. On peut évidemment se moquer de ce que la créatrice de Mon amie la rose pense de Fillon ou de Juppé et certaines anecdotes paraîtront sans doute assez dénuées d'intérêt, mais l'ex-yéyé qui entend bien disparaître avant Jacques Dutronc, son mari, son "veuf imminent", est d'une sincérité si désarmante qu'on prend tout en bloc avant même d'avoir tourné la dernière page.C'est un livre que tous les garçons et les filles de mon âge aimeraient pouvoir écouter à la manière d'un disque qui fait onduler ses traits noirs et ses stries de lumière sous le bras d'un vieux Teppaz. Un message personnel que ces Avis non autorisés? Oui, mais passionnel avant tout: " Si le dégoût de la vie vient en toi / Si la paresse de la vie / S'installe en toi / Pense à moi / Pense à moi...". Mais oui, soyez-en sûre, on pense hardiment à vous, Françoise. D.P.

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11 février 2015 3 11 /02 /février /2015 19:19

 telechargement--5-.jpg   Oh, dites, on est triste, on ne sait plus qui va nous raconter l'histoire de la chemise lilas. Quoi, vous ne connaissez pas l'histoire de la chemise lilas? C'est l'histoire d'un type qui entre dans une mercerie et qui demande une chemise lilas. On lui en présente une violette, une rose bonbon, une mauve, plein d'autres... Mais jamais ça ne lui convient. "C'est la couleur qui ne va pas, je voudrais lilas". Le vendeur n'en peut plus lorsque le client désigne enfin une étoffe blanche. "Voilà, c'est ça qu'il me faut - Mais vous m'avez dit lilas! - Et alors vous n'avez jamais vu de lilas blanc".

   Si on peut penser ce qu'on veut de cette brève pochade de Fernand Raynaud, il y en a un qu'elle a toujours fait rire aux éclats, c'est François Mitterrand. Chaque année, à la Pentecôte, après l'ascension de la Roche de Solutré avec Baltique et une poignée de fidèles, c'était sa petite récréation. "Allez Roger, raconte l'histoire de la chemise lilas!". Et Roger, avec sa tchache de "là-bas" faisait durer le plaisir. Roger, le plus célèbre "beauf" des années 80, après celui de Cabu, l'homme qui jouait les bouffons dans toutes les fêtes de famille élyséenne, de Château-Chinon à Latche, en passant par Cluny, le populaire fou du roi que son mariage et sa verve avaient fait entrer tout à la fois sur la grande scène et dans les secrets de Dieu.
   Mari à la ville de Christine Gouze-Rénal, la sœur de Danielle, acteur de seconds rôles chez Grangier, Joffé ou Chabrol avant mai 81, puis projeté à la lumière rose de "la force tranquille" prince de la société du spectacle politique autant que des plateaux, Roger Hanin, qui vient de mourir à 89 ans, plaisait à tout le monde. Il tournait et parlait sans cesse. Ou alors il savait tout et se taisait. "Tonton" parti, celui qui fut aussi écrivain (L'Ours en lambeaux, Loin de Kharkov...) endossa l'habit du commissaire Navarro. Cent-neuf épisodes avec la fortune au bout. De quoi être serein... Sauf que l'ex-petit-fils d'un rabbin de Bab El Oued ne le fut pas autant qu'avant. Il faut le comprendre, plus personne ne lui demandait "La chemise lilas". D.P.
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26 janvier 2015 1 26 /01 /janvier /2015 23:36

   DSCN0296.JPGDSCN0302.JPGDSCN0299.JPGDSCN0298.JPGDSCN0301.JPG   Moi qui écris partout, en long, en large et en travers, à raison ou souvent sans doute à tort, ce jour-là je n'ai rien écrit. Rien, ce n'est pas tout à fait le mot. Je retrouve à l'instant mon carnet de l'époque. J'ai écrit: "Il tombe un peu de pluie". Ou encore: "Le vent fait bruire les peupliers". Un peu plus loin, j'ai ajouté: "L'herbe pousse entre les blocs". Puis: "Un merle s'est posé sur les barbelés". Et c'est tout.

   Ce jour-là, souffle coupé, je foulais le sol des camps d'Auschwitz et Birkenau. C'était le samedi 26 juin 2004. La veille à Lisbonne, la France avait perdu contre la Grèce en euro de football.  J'étais arrivé en car de Cracovie. Avant d'atteindre Oswiecin - c'est l'orthographe polonaise -, la route traversait des villes et des bourgades dont j'ai relevé les noms: Liszki, Zagorze, Babice, Zarki. Les agriculteurs faisaient les foins sur leurs tracteurs "Ursus". Des chevaux tiraient des charrettes. J'ai marché d'une baraque à l'autre. J'ai vu des cheminées, des allées, des arbres. La potence, la chambre à gaz, des fours. J'ai vu des montagnes de cheveux, de lunettes, de gamelles. Des châlits, des listes, des cachots. J'ai palpé le mur d'exécution reconstitué. J'ai songé à Primo Levi. Et à Jean Cayrol: "Même un paysage tranquille, même une prairie avec des vols de corbeaux, des moissons et des feux d'herbe, même une route où passent des voitures, des paysans, des couples, même un village pour vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration... ". Et puis je suis reparti. Le car du retour n'attendait pas.
   Mais qui était-il celui qui venait de quitter ce lieu sans âge et sans visage? Existait-il vraiment? S'il n'y avait ces quelques rares notes griffonnées dans la fièvre, je ne serais pas sûr que ce moment a existé. Ce jour-là, j'étais allé là où les rails rouillés s'arrêtent au pied d'un mirador. Je m'étais heurté à cette terrible image d'une tour de briques dévastant la mémoire. J'étais entré dans l'infinie nulle part. Je m'étais tu avec le grand silence des suppliciés. J'avais aussi cueilli une fleur de trèfle qui a séché dans mon carnet. On dirait aujourd'hui une tache de sang.
   Je n'ai rien écrit à Auschwitz-Birkenau. D.P.   (Photos © D.P.).

   (26 janvier 2015, jour du 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz).
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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