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25 février 2016 4 25 /02 /février /2016 23:30
Drôle de circonstance pour une rencontre
Drôle de circonstance pour une rencontre

En apparence, leur seul point commun était d'aimer le cinéma. Et de le servir le plus honnêtement possible. Le public ne s'y était pas trompé. La première connut le succès tout aussi bien avec Mariages en 2002 qu'avec la série de France 2 Avocats et associés, entre 1998 et 2000. Le second n'attendit pas La Chambre des officiers en 2001 pour remplir les salles. Un bel engouement avait déjà salué, treize ans plus tôt, son premier film dont on n'a pas oublié à la fois l'originale unité de lieu et de temps - un parking d'autoroute, un soir d'hiver - et la magistrale distribution réunissant Catherine Deneuve et Gérard Depardieu en un magnétique" extérieur nuit".

Et puis il y avait ces mots, bien sûr : Drôle d'endroit pour une rencontre. C'est assez rare au cinéma qu'un titre devienne une expression de la vie courante accommodée sans relâche au fil des années. Ah! encore un détail : le tournage de Drôle d'endroit... se déroula près de Valence, dans la Drôme, pas très loin de Montélimar qui fut le cadre de Mariages. Valérie Guignabodet et François Dupeyron, puisque c'est d'eux qu'il s'agit, avaient donc aussi en partage le goût du Sud. Ce Sud où la scénariste-réalisatrice vient de disparaître à 49 ans, victime d'une crise cardiaque, deux jours avant que Dupeyron, de seize ans son aîné, ne s'éteigne des suites d'un cancer.

La mort, experte s'il en est en funestes castings, vient de les réunir sur son aire de repos à elle. Drôle de circonstance pour une rencontre. D.P.

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29 janvier 2016 5 29 /01 /janvier /2016 22:25
Rivette ne nous appartient plus

"Paris nous appartient", ce slogan surgi parmi d'autres sur les réseaux sociaux pour nous réchauffer un peu le cœur au lendemain des attentats du 13 novembre dernier, c'était lui. Le titre de son premier long métrage, à la fois film noir et néoréaliste dans lequel apparaissait, au côté de Gianni Esposito et Françoise Prévost, toute la jeune bande insolente de la Nouvelle Vague : Briali, Godard, Chabrol, Demy... Une fidélité à un style et à un clan à laquelle ne renoncera jamais le réalisateur des quatre heures dix (dans la version longue) de L'Amour fou (1968), de l'onirique Céline et Julie vont en bateau (1974), de Jeanne la pucelle, avec la bouleversante Sandrine Bonnaire (1994). Et, bien sûr, de La Belle Noiseuse, souvent, hélas, le seul opus qui vient à l'esprit - à l'esprit, est-ce d'ailleurs vraiment le mot, quand on sait à quel point irradiait ici la plastique, très apparente, d'Emmanuelle Béart? - à l'évocation du nom de Jacques Rivette.

Au juste, se souvient-on que son seul vrai succès commercial remonte à 1966 avec une adaptation de La Religieuse de Diderot qui fit sortir, sous l'ère Malraux, les grands ciseaux d'une censure jouant évidemment a contrario pour la renommée de l'œuvre maudite? Ainsi fut donc ce cinéaste, à la fois classique et rebelle, grave et malicieux, culte et méconnu, qui est venu s'ajouter hier, à 87 ans, à l'interminable liste des disparus de ce mois de janvier 2016. "Je pense que le monde est moins absurde qu'il en a l'air" disait Gérard à Anne dans Paris nous appartient. Ne serait-ce que pour cette lueur d'espoir, on ne regrettera pas le détournement momentané de ce titre dans la tragique actualité de 2015. D.P.

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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 17:46

Dans l'émission hebdomadaire "L'Agora - Parlons vrai' du vendredi 8 janvier, sur FC Radio, le portrait de l'invité du 8 janvier, Damien Abad, avant l'entretien avec Jean-Marc Perrat et Nicolas Bernard.

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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 22:45
Marcher dans l'abus

Certes, Michel Delpech était populaire et sympa. Certes, la plupart de ses "tubes" ont jalonné nos insouciances ados avant d'accompagner souvent nos préoccupations d'adultes. L'auteur de ce billet aurait d'ailleurs mauvaise grâce à ne pas le reconnaître, lui qui n'a pas hésité ici même, en apprenant le décès du chanteur samedi soir, à sacrifier à quelque élan nostalgique. Mais tout de même... Consacrer la moitié ou plus des JT dominicaux à l'artiste décédé, reprogrammer un "Vivement dimanche" d'hommage sur France 2 et une émission spéciale en soirée sur France 3 - sans parler de ce qu'on aurait pu rater -, c'est peut-être, quoi qu'en pensent les fans purs et durs , un brin too much, comme on disait au temps des boums et des flirts. L'événement a bouleversé tout le monde, même les grilles!

Guy Béart, qui n'a probablement pas moins apporté à la chanson française, n'a pas eu droit, récemment, à pareil adieu. Et ne parlons pas du pauvre Lény Escudero... Ce qui a évidemment joué, dans le cas présent, c'est bien sûr le vide de l'actualité d'un premier dimanche de l'année, avant la déferlante attendue des commémorations des attentats de janvier dernier et du vingtième anniversaire de la mort de Mitterrand. Mais enfin, lorsqu'à vingt heures, après avoir vu Didier Barbelivien pleurer en direct celui qui était à ses yeux "un photographe du temps", on a entendu Marie Drucker saluer "le chroniqueur visionnaire des époques traversées", on a eu envie de leur crier stop. Dites, ça n' vous gêne pas de marcher dans l'abus? D.P.

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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 00:40
"C'était bien, c'était chouette..."

Qu'est-ce que c'est, dites, qu'un chanteur populaire? C'est quelqu'un qui chante même quand il ne chante pas. Entendez par là qu'on n'a pas besoin de sa voix pour qu'elle nous arrive soudain. Il suffit parfois de pas grand-chose. Tenez, par exemple l'enseigne d'une auberge. Quiconque est passé un jour devant "Chez Laurette" à Malaucène, au pied du Ventoux, en aura fait l'expérience. "C'était bien, c'était chouette..." La mélopée surgissait comme ça, lorsqu'on découvrait en devanture le sobriquet de la taulière. Et ça ne s'arrêtait pas : "À sa façon de nous app'ler ses gosses / On voyait bien qu'ell' nous aimait beaucoup...". Avouons-le, ça donnait envie de s'arrêter.

En cela, Michel Delpech n'était pas qu'un artiste de variétoche. Il était un relais de campagne, un bistro dans la mémoire, un patelin paumé du Loir-et-Cher où on a tous un vieux parent. Celui qui fut d'abord le beau gosse de Salut les copains assurant les levers de rideau de Brel, n'aura, au fond, cessé de tenir la chronique d'une histoire contemporaine qui va du sourcilleux regard gaulliste de l'Inventaire 66 - "Et toujours le même président!" - à la bénédiction protectrice d'un Drucker préposé, in fine, aux nouvelles du malade. Avec lui, nous avons tous rêvé d'un p'tit raton laveur qui nous repeigne une année tout en rose, avec lui Wight était Wight au temps des festivals pop et de Donovan, avec lui toutes nos Mariannes étaient jolies, avec lui les déchirures des Divorcés aux inflexions sociologiques se fredonnaient sur un air de complainte familière : "Je garderai l'appartement / Je passerai de temps en temps / Quand il n'y aura pas d'école...".

Le crooner qui swinguait sur ses futurs rhumatismes faillit sombrer dans l'oubli dix fois mais rien n'y fit. Entre deux dépressions et trois élans mystiques, Saint Michel terrassait le dragon de toutes les emportements. Le has-been des années 80 redevint même tendance sur le tard. On l'adulait dans les clubs gays, on l'acclamait lors des tournées Âge tendre. Jusqu'à cette saloperie de maladie qui lui bouffa la voix et dont il est mort, ce samedi soir, à quelques jours de ses 70 ans. "J'avais des boots blanches / Un gros ceinturon / Une chemise ouverte / Sur un médaillon / C'était mon sourire / Mon atout majeur / J' m'éclatais comm' un' bête / Quand j'étais chanteur...". Allez, rien de tel pour commencer l'année qu'un bon coup de nostalgie. Mais oui, Delpech, "c'était bien, c'était choue-e-tte". D.P.

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18 décembre 2015 5 18 /12 /décembre /2015 23:28

Le bel hommage de Ferré "À une chanteuse morte".

Dire qu'elle aurait cent ans aujourd'hui ne signifie évidemment rien. Elle avait mille ans quand elle est née ce 19 décembre 1915 dans l'encoignure d'un légendaire macadam de Belleville. Elle avait trois jours le 10 octobre 63 quand elle a grillé Cocteau sur l'absurde podium de la mort des artistes. Piaf n'était pas une femme, c'était un moineau et les moineaux ne comptent pas le temps comme nous. Sur tous les réseaux zoziaux de la terre, sa voix courait comme une universelle psalmodie d'espoir blessé. Tout à la fois abbesse du Moyen-Âge et star de "The Voice" avant l'heure, hashtag-Piaf likait Les Amants de Paris et tweetait La Vie en rose.

Bref, elle était un emblème. Et si elle avait été encore de ce vieux monde la nuit du 13 novembre dernier, c'est elle que les internautes emportés par la foule foudroyée du Bataclan et des terrasses du 11e auraient épinglé comme un hymne à l'amour à leurs profils Facebook. Pas même besoin de la voiler d'ombre comme la Tour Eiffel. La Môme était noire même quand elle riait. Jamais aussi bien qu'en elle la mort et la vie se mêlaient, le deuil et la joie s'épousaient, la goualante des pauvres gens et le cynisme des milords se confondaient.

Allez, on n'y échappera pas, l'amante éplorée de Marcel, la compagnonne de la chanson, la "Bayreuth de trottoir" comme disait joliment Ferré, aurait cent berges ce samedi. Eh, dites, quand même, ne laissez pas passer cela! D.P.

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27 novembre 2015 5 27 /11 /novembre /2015 21:38
"Entrez ici..."

A-t-on prêté attention à cela? Les derniers mots de l'hommage national de François Hollande ce vendredi aux Invalides en rappelaient d'autres prononcés également en conclusion d'une intervention qui fit date. Ce n'est sans doute pas un hasard si, cinquante et un ans après le fameux discours d'André Malraux accompagnant le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, notre nouveau chef de guerre a tenu à terminer lui aussi son propos en invoquant "le visage de la France". Sa formule exacte est celle-ci : "Malgré les larmes, cette génération est aujourd'hui devenue le visage de la France". Et voici celle du ministre de la Culture du général de Gaulle désignant "la face informe du dernier jour" de Moulin : "ce jour-là, elle était le visage de la France". Dans le même ordre d'idées, lorsqu'un peu plus tôt il fut question de "Ces hommes, ces femmes [qui] étaient la jeunesse de la France", est revenu en nos mémoires l'écho du chevrotant "Écoute, jeunesse de France" de l'orateur du 19 décembre 1964.

Sans emprunter à son aîné ses grands airs de tragédien, qui du reste confineraient à l'heure actuelle au ridicule, il est plus que probable que François Hollande ait tenu, avec discrétion, à s'inscrire dans cette continuité. Celle de l'évocation d'une circonstance tragique érigée en destin collectif. Celle d'une parole qui vibre dans l'histoire. Celle d'une République qui a besoin de mots pour panser - et penser - ses maux. Ainsi s'agissait-il pour le Président, alors que résonnait un "Quand on n'a que l'amour" plus fort que le "Quand on n'a que la haine" des terroristes, d'"héroïser" les "martyrs du 13-Novembre", en appelant de ses vœux un propagateur esprit de Résistance contre les "hordes d'assassins".

C'est dans la grandiose cour d'honneur de l'édifice militaire créé par Louis XVI qu'ont été cités - poignante litanie - les 130 noms des victimes des tueurs de Daech. Mais pour l'occasion les Invalides étaient bien leur Panthéon. D.P.

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13 novembre 2015 5 13 /11 /novembre /2015 18:53
C'était il y a un an tout juste, lors d'une soirée de rencontres et de signatures organisée par l'Académie de La Bresse à Bourg. Nous étions, Jean-Jacques et moi, voisins de tables.  Photos © Gh. Pobel
C'était il y a un an tout juste, lors d'une soirée de rencontres et de signatures organisée par l'Académie de La Bresse à Bourg. Nous étions, Jean-Jacques et moi, voisins de tables.  Photos © Gh. Pobel

C'était il y a un an tout juste, lors d'une soirée de rencontres et de signatures organisée par l'Académie de La Bresse à Bourg. Nous étions, Jean-Jacques et moi, voisins de tables. Photos © Gh. Pobel

C'était hier matin, à l'heure où l'on n'est plus vraiment couché et pas encore tout à fait levé. Pour passer de la nuit au jour, comme d'habitude, France Inter est là. Soudain, la voix dans le poste annonce que la croissance rebondit et que Jean-Jacques Bernard est mort. La croissance, je m'en foutais mais qu'on me dise ainsi, tout à trac, que Jean-Jacques s'était écroulé la veille au soir, paf comme ça, en sortant d'un débat qu'il venait d'animer à Sarlat, la cité du foie gras, non, ça, ça n'aurait pas dû être permis. Et puis j'ai pensé comme il se serait marré s'il avait su qu'il mourrait en même temps que la croissance rebondissait.

Lui, il n'avait cessé de rebondir, en rondeurs épicuriennes, en rires malicieux, en traits d'esprit pour mieux parler de sa passion : le cinéma. Dans ce domaine, il savait tellement tout qu'il n'avait pas besoin d'en rajouter. L'érudit modeste aimait le septième art sans jamais se faire de cinoche. C'est à Bourg, là où il est né et revenait souvent, que tout a commencé pour lui. Il a treize ans en 1964 quand il voit La Tulipe noire à L'Eden. Delon tombe en arrêt devant le petit Bressan. À moins que ce soit l'inverse, on ne sait plus. La suite - pas pour Delon, pour Bernard -, c'est toute une vie allumée à la lanterne magique des salles obscures. Oury, Audiard, Kurosawa, Gabin, Mitchum... Le critique éclairé aimait tant de choses différentes. Les querelles de genres, ça n'était pas le sien. C'est pour ça qu'on prenait un vrai plaisir gourmand à le lire dans Première, à écouter sa voix suave sur France 2 ou sur Inter, ou, plus tard, à le suivre sur Ciné+Classic.

Dans son billet hebdomadaire de Voix de l'Ain - où il était mon voisin de palier en page 2 ou 3 -, paru le jour de sa brutale disparition à 64 ans, le complice de Claude Villers se moque des montres de luxe exhibées sur le papier glacé des magazines de fin d'année. Des montres qui tournent en rond et du"mouvement perpétuel de la vanité humaine". "Du coup, conclut-il, il n'y a guère d'autres choix que se contempler sans fin dans ses cadrans miroirs... ou de fuir au plus vite - et sans demander l'heure". Fuir, on est bien d'accord, d'autant plus qu'on a démoli la vieille salle mythique de Bourg. Fondu au noir, L'Eden, comme la tulipe. Mais enfin, tout de même, Jean-Jacques, tu aurais pu attendre un peu. Je sais pas, moi, rebondir un chouïa. Comme la croissance. D.P.

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10 novembre 2015 2 10 /11 /novembre /2015 22:37
Schmidt, "die Ikone"

Il avait vu le jour un mois et demi après le 11 novembre 1918. C'est dire si dès sa naissance l'Histoire l'attendait, cette Histoire dont on commémore justement l'un des plus tragiques épisodes aujourd'hui. L'histoire des hégémonies, des combats, des tranchées, du grand massacre des innocents. Et Helmut Schmidt n'avait guère que vingt ans lorsque son pays, en proie à la folie nazie, précipita à nouveau le monde dans le sanglant désastre que l'on sait. C'est là sans doute, dans cette réitération de l'horreur, ce bégaiement tragiques des événements, qu'il faut trouver l'origine de l'engagement du militant social-démocrate pour une paix qui ne pouvait passer à ses yeux que par l'Europe et par cette emblématique complicité que le successeur de Willy Brandt partagea avec Valéry Giscard d'Estaing, devenu président trois jours après sa propre accession à la chancellerie. C'est à eux que l'on doit, en 1978, la création du SME (le Système monétaire européen) et l'accélération de l'élaboration d'une monnaie commune d'abord appelée Écu.

Au terme de huit ans et quatre mois de pouvoir, remplacé après la chute de sa coalition en 1982 par Kohl - un autre Helmut, CDU, celui-ci -, Schmidt, l'atlantiste partisan de l'"ostpolitik" (le rapprochement avec l'est), se retira en partie des affaires. Mais pas de la vie morale de la République fédérale. De son fief hanséatique de Hambourg - où il est né et où il s'est éteint ce mardi -, celui qui eut aussi à lutter contre les exactions terroristes de la Fraction armée rouge devient la conscience de tout un peuple encore grandement traumatisé par son passé et souvent inquiet de son avenir. On s'arrachait ses éditos dans la Zeit, on buvait ses paroles voilées d'un nuage de fumée de ses chères cigarettes mentholées auxquelles il ne renonça jamais.

Le vieux Sage de l'Elbe allait avoir 97 ans le 23 décembre prochain. L'Europe est triste. Und Deutschland trauert um seine Ikone (Et l'Allemagne réunifiée pleure son icône). D.P.

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9 octobre 2015 5 09 /10 /octobre /2015 22:27

Honte à nous, on l'avait un peu oublié, celui-là. Il y a quelques semaines tout juste, en évoquant Guy Béart qui venait de partir on saluait l'un des derniers grands de la chanson française. Ne restait plus guère qu'Aznavour, se consolait-on. C'était assurément faire peu de cas de Leny Escudero. Il fut pourtant un type bien et une magnifique voix. Le problème, c'est que tout commença pour lui par un incroyable coup de chance qui fut aussi un handicap. Aux yeux des gens - à leurs oreilles surtout -, Escudero c'était Pour une amourette, point barre. Une rauque mélopée qui s'imposa par miracle dans le tourbillon yéyé des années soixante pourtant plus friandes d'onomatopées "dadouronesques" que de couplets romantico-réalistes.

Certes, l'auteur-compositeur-interprète aux airs de gitan avait lui aussi un blouson noir et des cheveux longs et on le vit en tournée au côté de Richard Anthony, mais toute autre similitude ne pouvait que forcer le trait. Même avec le fric de ses premiers cachets, l'ancien carreleur restait un artisan. Toujours soucieux de mettre sur ses notes les mots d'amour et de combat qui résument toute sa vie. Le petit immigré espagnol n'oublia jamais la lutte des siens pour conquérir la liberté, ni ce qu'il devait à la France qui les accueillit. Leny Escudero était un migrant fuyant le franquisme et la misère. Un frère de ceux qui naviguent aujourd'hui sur leurs radeaux de fortune. Que ce soit à la Fête de l'Huma ou bien, plus tard, lors de ces tournées "Âge tendre" un peu niaises où il faisait magistralement figure d'intrus, il ne cessa de chanter les destins ballottés, l'angoisse du lendemain, la rage de s'en tirer et, dans le meilleur des cas, les bras qui s'ouvrent,

À l'heure de sa disparition, à 82 ans, il y a bien, outre la fameuse "amourette qu'il faut prendre comme ça / un jour ou deux peut-être / longtemps quelquefois", deux ou trois autres couplets qui nous reviennent en mémoire. Ceux de la Balade à Sylvie, d'À Malypense, de Vivre pour des idées ou de Van Gogh. Mais s'il y a une chanson d'Escudero qui doit nous accompagner, nous secouer, c'est celle qui commence comme ça: "J'ai vécu / Au siècle des réfugiés / Une musette au pied de mon lit / Avec la peur au ventre / Des humiliés / des sans logis / Qui tremblent". Elle date de 1982 et s'appelle Le siècle des réfugiés. Les paroles sont de Leny et la musique de Julian, son fils. Elle dit encore: "Ils ont des trous à chaque main / C'est ce qui reste du naufrage / Ils n'ont pas l'air d'être en voyage..."

Vous avez dit, voyage? Vous avez dit naufrage? D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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