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18 juillet 2018 3 18 /07 /juillet /2018 13:49
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.
Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.

Étival (Jura) : son calme, son lac, ses plaques de rues et la maison de Gabriëlle Buffet où séjournèrent Picabia, Duchamp et Apollinaire en octobre 1912. Photos © D.P.

 
   À Étival, il ne se passe rien, ou presque. La petite bourgade jurassienne est assoupie en ce temps de midi. Pas un vivant, dirait-on. Il faut descendre au lac pour croiser quelques âmes. On y pique-nique en famille. On y guette les nuages en redoutant l'orage. Mais inutile ici, sans doute, de demander si l'on sait où est la maison. La seconde tentative dans le village est plus fructueuse. À cet homme qui termine son repas sur sa terrasse, on risque la question. Son doigt se tend aussitôt. "Mais c'est là, juste à côté". Et si l'on vient à s'étonner de l'absence de plaque sur la façade, notre interlocuteur répond par la modestie des propriétaires actuels, "des gens très gentils", descendants de la famille.

   La famille? Celle de Gabriëlle Buffet (1881-1985), une fille de militaire devenue femme audacieuse et libre, qui fut une grande musicienne et qui, en 1908, par l'intermédiaire de son frère peintre, rencontra le personnage qui allait aimanter toute sa trajectoire amoureuse et existentielle et devenir le père, très détaché, de ses quatre enfants : Francis Picabia (1879-1953). Celui qui allait aussi lui faire connaître son complice dada Marcel Duchamp (1887-1968), dont Gabriëlle s'éprit parallèlement, ainsi qu'un poète hâbleur, érudit et sensible nommé Guillaume Apollinaire. On n'en finirait pas d'évoquer les péripéties suscitées par ce trio - ou plutôt ce quatuor - qui allait chambouler l'histoire de l'art et de la littérature. On se reportera pour cela à l'épatant ouvrage qu'Anne et Claire Berest, les arrières-petites-filles de Gabriëlle, viennent de consacrer à leur aïeule et à ses acolytes (1).

  On y lira notamment l'évocation de ce temps fort de l'aventure plurielle pour laquelle, avouons-le, nous avons effectué, ce matin de juillet, le détour dans ce village proche de Clairvaux-les-Lacs et d'un barrage de Vouglans qui, faut-il le préciser, n'existait pas à l'époque. Retour, donc, à une mémorable nuit pluvieuse d'octobre 1912. Une pétarade de voiture loufoque comme les aimait Picabia résonne dans Étival. Gabriëlle, qui dormait auprès de ses enfants et de sa mère, comprend tout de suite. Ils sont là. C'est eux en effet, eux "Pica", Duchamp et "Apo" qui, noircis de poussière d'automne et de cambouis, surgissent, "invincibles", de l'antique Peugeot sans pare-brise du premier "en criant comme des marins ayant dépassé le détroit de Gibraltar". Ils arrivent épuisés de Paris. Ils chahutent. Ils ont faim. Le havre de solides pierre entouré de sapins les ravit. Ils vont vivre là, tous ensemble, d'incroyables journées d'insouciance, d'affection, de promenade, de réflexion et de travail dans ce lieu qui, par décision du roi de France sur l'incitation de Voltaire, s'appelle depuis 1776 "La Zone". 

   La Zone? Le mot plaît à Apollinaire. Il en fera le tire de l'un de ses poèmes les plus connus, celui qui ouvrira le recueil Alcools l'année suivante : "À la fin tu es las de ce monde ancien / Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin..." Guillaume se plaît à lire tout haut ses vers. Se mêlant aux effluves des tablées de gibier aux morilles, les mots résonnent devant la cheminée où les bûches lancent des lueurs complices.

  Plus d'un siècle s'est écoulé depuis. Et pourtant, malgré le silence qui règne à Étival en ce jour d'été 2018, c'est bien cette voix-là - ces voix-là - qu'on croit entendre encore derrière les murs protecteurs de la demeure. Une thébaïde où, entre les séjours à Paris, en Allemagne, en Amérique ou ailleurs - on voyageait beaucoup dans ce milieu privilégié - , se jouèrent quelques-uns des épisodes de ce qu'il faut bien appeler une révolution artistique et sociétale. Juste avant l'orage de feu qui s'abattra sur le monde suppliciant le poète à la pipe (lequel mourra à 38 ans, à l'avant-veille de l'armistice) et dont l'un des Calligrammes  fait écho, dans sa chute graphique, à la folle odyssée jurassienne: "Et tandis que la guerre / Ensanglante la terre / Je hausse les odeurs / Près des couleurs-saveurs / Et je fume du tabac de Zone".

   Impossible de ne pas songer à cela en quittant la bourgade endormie qui commémora, en 2012, le centenaire de cette"Route Jura-Paris" - pour reprendre le titre de la note rédigée alors par Picabia - et qui s'honore désormais de la présence de trois plaques de rues aux noms de ses prestigieux hôtes d'hier. D.P.

__________

 

(1Gabriëlle de Anne et Claire Berest, Stock, 443 p., 21,50 €. 

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 23:19
Clancier, le "paysan céleste", s'en est allé à 104 ans
  S'il avait été à la mode, on l'aurait appellé GEC. Ça sonne presque comme "geek". Mais, loin des allumés d'Internet et de quelques autres marottes dans l'air du temps, Georges-Emmanuel Clancier n'était pas réductible à un raccourci. Pensez donc: ce discret vétéran de la littérature avait eu cent ans le 3 mai 2014. Un siècle de fracas des hommes et de cendres froides, un siècle de fraternité et d'espérance par-delà le chaos, un siècle de mots tracés sur la page comme les sillons du Paysan céleste (Robert Laffont, 1943) qu'il n'a cessé d'être. Issu d'une famille de sabotiers et de porcelainiers, ce fils du peuple né au cœur de la France laborieuse quelques mois avant le début de la Grande Guerre devait tout à la fréquentation des hussards noirs de la République et à ses "frères" en écriture que furent Joe Bousquet, Max-Pol Fouchet, Jean Tardieu, Raymond Queneau, André Frénaud ou Pierre Gascar.

 

   Clancier a été journaliste, homme de radio et de presse écrite, délégué aux Affaires culturelles, président du Pen Club (de 1976 à 1979) où il lutta en faveur de tous les bâillonnés de la plume. Des activités qui ne l'ont heureusement pas empêché de mener à bien, auprès de sa femme Anne, psychanalyste, décédée, elle, à 101 ans, en décembre 2014,  une œuvre patiente et multiple où la poésie domine, même si le grand public connaît avant tout Le Pain noir (Laffont, 1956), premier volume d'une suite romanesque par le biais de laquelle l'écrivain creusa avec une émouvante opiniâtreté la terre de ses origines limousines. Mais Georges-Emmanuel Clancier, également critique et dramaturge, n'aura peut-être jamais mieux approché la vraie nature de son expression, entre le tragique et la grâce, entre la confiance et le doute, que dans le titre de ce recueil de vers paru en 1978 chez Gallimard: Oscillante parole.
   Dans la torpeur de ces premiers jours de juillet, soyons nombreux à saluer le départ discret de ce descendant d'une aïeule bergère illettrée qui confiait il y a peu à Jérôme Garcin avoir extrait de son œuvre l'épitaphe à graver sur sa tombe au cimetière Montparnasse: "Nous qui sommes trace éphémère / Dans la merveille et dans l'effroi".   D.P.
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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 14:45
Photos © D.P.
Photos © D.P.
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Photos © D.P.
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Photos © D.P.

  On nous avait dit : "Attention, l'orage va arriver". Prudents, on avait pris de quoi se couvrir. Pour rien. L'augure n'était pas météorologique, il était musical. Car même à 74 piges, Jeff Beck c'est des mugissements de foudre, de la grêle de sons, de l'intempérie de rock. Autant dire, tombée du ciel, de la légende vivante. Pas facile de regagner son abri routinier après une soirée comme celle de lundi dernier à Vienne. L'éclair de cette apparition zigzague longtemps dans la tête. Une sorte de Zeus cravaté en pantalon blanc et gilet noir, chaloupant au côté du chanteur Jimmy Hall et de l'exceptionnelles bassiste. La furie de sa Fender blanche "Stratocaster" montée tête à l'envers. Les coups de tabac du vibrato mêlés au souffle d'une violoncelliste extra. Avec bien sûr, en ouverture, les mythiques Stratus de 1973.

   Et puis ces souvenirs en rafales revenus d'on ne sait quelle contrée d'adolescence : un vieux disque des Yardbirds, un riff de Clapton ou de Page, une fameuse séquence du Blow up d'Antonioni. Bref, on l'aura compris, le feu a couvé jusqu'au bout de cette tropicale nuit du 2 juillet où, une fois couché, le soleil semblait s'être réfugié dans la pierre des vénérables gradins du théâtre antique. Pour faire la fête à Jeff (accompagné aussi d'un batteur et d'un pianiste). Et à nous autres, les quelques 5000 prévenus de l'orage qui n'eurent  à sortir ni chapeaux ni pépins. Échec aux prévisionnistes : ce n'est pas encore cette fois-ci, et c'est tant mieux, qu'on aura eu le Beck dans l'eau. D.P.  

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23 juin 2018 6 23 /06 /juin /2018 21:58
"Yé lé lé Yé lé lé"...

   C'était toujours la nuit. Avec ou sans lune. Nous étions quelques-uns - et sans doute plus que ça - à cligner les yeux de fatigue devant les phares allumés. C'était l'heure, tardive, de rentrer. Nous venions de quitter un lieu de travail où l'on ne se couche pas avec les poules. Par exemple, la rédaction d'un journal. Pour effacer de nos esprits les gros titres que nous venions de balancer à l'imprimerie pour la Une, on allumait la radio de l'auto en quête des éloquents silences d'Alain Veinstein dans son émission de France Culture Du jour au lendemain.

   Quelques minutes plus tard, une fois parvenu à la maison, le rituel ne variait guère. Il fallait brancher la télévision. Sur France 2. Le rendez-vous de Michel Field s'appelait alors Le Cercle de minuit mais ce que nous ne voulions surtout pas rater, c'était le générique.  Une envoûtante mélopée sur fond d'images un peu tremblantes d'un Paris d'ombres et de lumières clignotantes saisies par une caméra tenue à bout de bras sur le siège arrière d'un cabriolet. Et surtout une voix. Un vibrato brûlant qui répétait "Yé lé lé  Yé lé lé". Ou "Yé yé yé", on ne sait pas trop.

Le chanteur s'appelait Goeffrey Oryema. Ses onomatopées disaient l'exil, le partage, la fraternité, la panique aussi probablement. Celui qui fut également le compositeur de la musique du film Un Indien dans la ville était un migrant qui, en 1977, à 23 ans, avait fui l'Ouganda de sa naissance - "chacun sa route chacun son chemin" - où un tyran nommé Idi Amin Dada avait fait assassiner son père ministre. Oryema aimait la France. "Elle m'a tendu ses deux grands bras", remerciait-il. Un peu plus tard, la Bretagne lui ouvrait son cœur. C'est là qu'il est mort, vendredi dernier, à Lorient, à l'âge de 65 ans. 

   En apprenant la nouvelle, nous nous sommes revus au volant, voyageur fièvreux des années 90, pressé sur la route pour ne pas rater le qutidien coup d'envoi d'un cercle de ferveur et de passion. "Yé lé lé Yé lé lé". C'était hier et c'est maintenant. Et c'est encore un peu plus la nuit. D.P. 

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 09:10

Connaissez-vous Hé m'man! ? C'est une chanson qu'on pourrait, avec les réserves d'usage, qualifier de circonstance en ce dimanche de Fête des Mères. En voici des bribes, avec un Brel en répétition, clope à la main. Et avec, aussi, à l'arrière-plan, le fidèle Gérard Jouannest qui vient de partir... À noter que le Grand Jacques n'a presque jamais interprété cette "bourrée mineure" qu'il avait, à l'origine écrite pour Mireille Mathieu - qui n'en voulut pas - et qui fut finalement popularisée - ce qui est un bien grand mot - par Martine Baujoud que l'on pourra également écouter ici (mais qui se souvient encore de cette dame?)

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5 mai 2018 6 05 /05 /mai /2018 09:04
Karl et Friedrich au Marx-Engels-Forum de Berlin. Photo © Didier Pobel

Karl et Friedrich au Marx-Engels-Forum de Berlin. Photo © Didier Pobel

200 ans aujourd'hui et toujours une santé de fer. Du moins si l'on en croit cette statue du sculpteur Ludwig Engelhardt (1924-2001) en bonne place dans un parc du quartier de Mitte, dans l'ancien Berlin-Est. On remarquera juste que Karl, un peu plus fatigué que son ami Friedrich, est assis... Un détail, au demeurant pas vraiment capital. D.P.

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19 février 2018 1 19 /02 /février /2018 22:28
Les sanglots longs du violon de Lockwood...

Au bout du chemin, Didier Lockwood (1956-2010).

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 22:55
Mathieu Riboulet, s'entretenant avec Thierry Guichard, lors du "Printemps du livre" de Grenoble en avril 2014. Photos © Didier Pobel
Mathieu Riboulet, s'entretenant avec Thierry Guichard, lors du "Printemps du livre" de Grenoble en avril 2014. Photos © Didier Pobel
Mathieu Riboulet, s'entretenant avec Thierry Guichard, lors du "Printemps du livre" de Grenoble en avril 2014. Photos © Didier Pobel
Mathieu Riboulet, s'entretenant avec Thierry Guichard, lors du "Printemps du livre" de Grenoble en avril 2014. Photos © Didier Pobel

Mathieu Riboulet, s'entretenant avec Thierry Guichard, lors du "Printemps du livre" de Grenoble en avril 2014. Photos © Didier Pobel

Mathieu Riboulet (1960-2018). Un écrivain discret nous a quittés ce mardi 6 février. "Aujourd'hui, c'est à peine si j'entends l'écho de ces chimères, mais je désire accomplir à nouveau le geste, retrouver la foi que je mettais en lui, et saisir ce qui aura été, finalement, la seule certitude, bien inutile, de ma vie" (in Les âmes inachevées, collection "Haute enfance", Gallimard, 2004). On lui doit également, entre autres, Un sentiment océanique (Maurice Nadeau, 1996), Deux larmes dans un peu d'eau ("L'un et l'autre", Gallimard, 2006) et L'Amant des morts (Verdier, 2008). D.P. 

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21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 00:00
Il jouait du piano debout

 Paul Bocuse a eu très tôt ses deux bacs. Le bac d'eau froide et le bac d'eau chaude. Ah! qu'est-ce qu'il a pu la resservir sa boutade. Certes, à la longue, elle sentait le réchauffé mais on lui pardonnait, tant tout le reste était à point. Fier d'être sans diplôme, il s'en était fait un certificat de bonne conduite, ce qui ne l'empêchait pas de connaître ses tables par cœur et de tout conjuguer au plus que parfait. Le bougre avait du goût et du bagout. Pas facile d'avoir le dernier mets avec lui.  Aux trop bavards - et toque! - il clouait le bec.

   Épicurien s'il en est, ce Paul pas austère pour un sou aimait la fête. Celle des papilles, celle des amis, celle de la vie. "Il était le Johnny Hallyday de la cuisine" s'est exclamé Pierre Gagnaire. "Il était dix fois Johnny" a surenchéri le critique Périco Legasse. On comprend leur enthousiasme, fût-il un brin exagéré, mais reste que Bocuse, lui, ne jouait que du piano et debout bien sûr.

   Ceux qui n'avaient pas la chance de pouvoir fréquenter l'Abbaye de Collonges - pas à portée de toutes les bourses, tout de même, faut-il le rappeler - salivaient à l'énoncé de son seul nom.  Un peu comme pour d'Ormesson dont nombre de ses admirateurs n'avaient jamais lu les livres. Tout à la fois maître de céans du Repas de noce de Brueghel,  figure virtuelle d'une Mythologie de Barthes et Saint Sébastien appelant à faire tourner les serviettes, Bocuse était hors du temps. À 91 ans hier matin, là même où il est né, au bord de la Saône en crue sous son tablier blanc d'écume, Monsieur Paul a pris une dernière fois le bac. D.P.  

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5 janvier 2018 5 05 /01 /janvier /2018 11:33
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.
En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.

En mai 2015, dans la cité médiévale de Pérouges, dans l'Ain, au cours d'une exposition où fut révélée la véritable dimension du talent de peintre de Pierre Dosse. On le voit avec Simone, sa femme, en conversation avec Charles Juliet. Suivent l'ami fidèle Jean Pérol (à droite) auprès du maire de Pérouges, Paul Vernay, et Jacques Boyon, ancien élu de l'Ain. Photos © D.P.

L'architecte Pierre Dosse est décédé, à 83 ans, alors que s'achevait l'an 2017. Il était aussi un peintre de talent, ce que n'a pas manqué de rappeler son ami de toujours, le poète Jean Pérol, dans son émouvant adieu, le 30 décembre dernier, lors des obsèques à l'église Saint-Pierre-Chanel à Bourg-en-Bresse. Voici le texte de son hommage :

 

   "Pierre

   deux ans nous séparaient

   32 – 34 autant dire deux fois rien ;

   mais en tout cas pas suffisamment pour que nous ne soyons pas tous les deux des enfants de la guerre.

   C’est ainsi que nous fûmes (passé simple devenu interdit depuis peu, parait-il, mais temps vraiment achevé terriblement aujourd’hui par ta mort), et que nous avons été (passé composé d’un temps qui dure et compose toujours en nous ses souvenirs) tous les deux d’un Lycée Lalande de 1940-48, à quelques encablures de cette église. Un lycée qui sentait encore - et parfois pas très bon - son lycée napoléonien, avec ses professeurs d’un autre temps, sa cloche, ses petites sœurs lingères, ses poêles à charbon et ses garçons de salle, ses sabots, sa messe en latin – Credo in unum Deum ! – à la chapelle du lycée, la fumée des gauloises, ses dortoirs glacés et ses glycines si odorantes en été. Nous séparaient nos statuts, si l’on peut dire, dans le lycée, moi côté ‘’esclaves’’- les internes maudits, et Pierre côté ‘’planteurs’’ –les externes bénis dans leurs familles bressanes. Mais peu importe, cela nous fut le même moule et les mêmes souvenirs de lycéens, terreau parfait pour une bonne amitié, et les chansons chantées plus tard en commun.

 

   Puis le temps a passé (passa) et nous a menés (mena) vers nos avenirs sociaux, Pierre vers l’architecture, moi le professorat. Mais le même temps fantasque nous a fait nous retrouver fort heureusement un soir d’été à Meillonnas, chez Roger Vailland, pas un grand ami de l’Église, certes, mais en tout cas un grand écrivain. Un Pierre ‘’1963’’, grand jeune homme blond, yeux bleus, Alfa Roméo rouge, et la belle Simone à ses côtés pour toujours. Depuis l’amitié qui nous a liés n’a pas cessé. Plus de cinquante ans de beaux souvenirs et de sursauts divers. Et plus d’un demi-siècle - mon dieu ! – à semer, à travers la folle histoire du monde où rien ne peut jamais rester tranquille, moi, quelques livres, et lui les éléments de la sarabande lumineuse des maisons et des bâtiments que Pierre a construits ici et là. Et là, et ici, remarquons comme il leur a toujours donné, comme il a su toujours y inscrire, cette élégance, cette lumière et cette rigueur qu’il avait si naturellement en lui. Si les poètes sont condamnés à l’invisible, à l’impalpable, au vent, qui souffle où il veut, certes, mais trop souvent vers un inconnu incernable, les architectes ont plus de chance. Ils laissent derrière eux des traces visibles, dures, inscrites dans la vie des hommes, et Bourg peut être fier de celles que l’architecte Pierre Dosse a laissées dans son espace, pimentées de quelques sculptures de son cher ami Costa.

 

   Mais Pierre n’était pas qu’un architecte occupé de ses plans, de ses calculs, des lois et des budgets à épines qui lui étaient imposés. Il était aussi un homme cultivé, informé, à la vaste bibliothèque où se côtoyaient tant de livres venus d’horizons si divers, peinture, philosophie, cinéma, poésie, littérature. Il a été également, vers la fin de sa vie, un peintre étonnant qui a surpris beaucoup de monde. En somme il a su être étrangement une dernière figure vivante de ‘’l’honnête homme’’ du dix septième siècle : son devoir et son savoir étaient vastes, solides, et son regard sur la culture, les hommes, les sociétés, toujours empreint d’un humour subtil et courtois qui lui servait à conserver ses distances de jugement. Ce qui, joint à sa grande affabilité et générosité, faisait de Pierre un ami et un homme rare, que tant d’artistes et d’écrivains ont eu plaisir à fréquenter. Pierre savait aimer et se faire aimer. C’est comme cela qu’il nous donnait envie de le payer de retour.

 

   Et maintenant, s’il faut arrêter sur une seule image la maudite caméra aux souvenirs, - et c’est difficile parmi tant d’images, entre autres, de nos rencontres, de nos dîners, de nos voyages ensemble au Japon et aux Etats Unis-, je l’arrêterai sur cette photo de Pierre prise à New York, sur l’île de la Statue de la Liberté, un jour sombre d’hiver et de pluie, en fin d’année, si semblable à celui d’aujourd’hui. Nous avions descendu Manhattan à pied sous le crachin et pris le ferry.

 

   Et Pierre est là, avec dans son dos la Grande Pomme, sa rade ocre aux eaux troubles, et la barrière de ses buildings perçant la brume et les nuages. Pierre au pied de la Statue, cadeau français, sur son socle de pierres (d’Ardèche), Pierre très prince et très acteur comme il l’était souvent, en grand chapeau noir newyorkais, imperméable-gabardine mastic, et qui, sourire malicieux (de Reims, bien sûr, et de champagne, qu’il aimait tant boire) au coin des lèvres, s’amuse à imiter la posture de la statue, faisant comme s’il élevait au bout de son bras dressé une torche imaginaire, éclairant tout ce qu’il y a sans doute encore à éclairer dans ce bas-monde.

 

   C’est ainsi que j’imagine Pierre – et c’est pour cela que j’ai choisi cette photo – en train de s’enfoncer, presque en s’excusant, dans cette nuit où il nous précède, comme s’il éclairait pour nous, en nous quittant, cette grande nuit qui pour tous, un jour, commence lorsque s’éteint la dernière étincelle de vie.

 

   Adieu, Pierre ; Pierre, à Dieu, et que sa nuit, ou sa lumière, te soit douce."

    

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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