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4 juillet 2012 3 04 /07 /juillet /2012 21:33

 Une parenthèse, loin de ce blog, dans la torpeur d'un été grec, entre la douce éternité des mythes et l'âpre étau de l'Europe. Des instantanés? Des fragments d'images? En voici quelques-uns saisis au gré d'une flânerie entre légende et réalité, entre hier et maintenant, entre Homère et Merkel. Les petites routes de l'île d'Eubée, ourlées de lauriers roses et blancs, accrochées à la rocaille, que les troupeaux de chèvres traversent en toisant les impatientes voitures de location. Les vagues de la mer Egée moussant au port de Kymi d'où partent les ferries pour l'île de Skyiros. Le site antique de Dystos impossible à dénicher dans la vallée au lac asséché où l'on cultive aujourd'hui le lin qui fera les costumes des "bobos"  d'Exarhia, de Mykonos ou d'ailleurs.

   Juin-2012--Ile-d-Eubee--Delphes-151.jpgPourtant ils sont là, nous jure-t-on, à deux pas, les vestiges convoités. C'est juste un peu plus bas. "Kato! Kato!"  répète ce villageois de Krieza (ce qui ne se traduit pas par "crise") en incitant à emprunter le chemin qui dévale, qui dévale, qui dévale pour déboucher sur... rien. Enfin, "rien"  n'est pas le mot. Ce rien est un reflet de paille, une poudre de marbre vert envolée de la carrière de Styra, sur les rives de l'Euripe, ce bras de mer à quelques encablures de l'Attique, où Aristote se serait noyé. Une ruche bleue comme les maisons riveraines, une christique gesticulation d'éolienne sur la colline, un murmure d'oracle égaré.
 
   Juin-2012--Ile-d-Eubee--Delphes-065.jpgL'oracle? Mais oui, quittons l'île par le vieux pont de Chalkida pour gagner Delphes. Delphes pas revue depuis vingt-deux ans. Delphes si souvent revisitée en rêve. Le cadre est toujours aussi saisissant, surplombant le ravin du Pleistos à l'à-pic du Parnasse. Apollon veille, gardien du temple de nos passions de pierre. L'éloquent silence de la Pythie couvre miraculeusement la voix de sa rivale moderne prénommée Angela. La fontaine Castalie attend nos ablutions miraculeuses. Sans oublier, de l'autre côté de la route de la station montagnarde d'Arachova, les énigmatiques trois doigts doriques de la Tholos. Une brume bleue argent flotte au-dessus de la "plaine sacrée"  qui descend jusqu'au petit port d'Itéa. Les oliviers sont restés ceux qu'a si bien décrits jadis Jacques Lacarrière: "Petits vieillards, ventripotents, gnomes ricanants, faits à notre mesure".
   Sur l'itinéraire du retour, dans la "poussière sèche, de cendre ambrée", alors que reviennent à la mémoire des vers d'Elytis, de Séféris ou de Ritsos, difficile de ne pas sacrifier à cet inventaire sensible qui ne cesse de régir nos vies. Juste avant Livadia, chef-lieu de la Béotie, les sources de la Mnémosyne (la mémoire) et du Léthé. Dans la campagne près de Thèbes, Déméter qui couve les moissons. A Erétria, les bases  du sanctuaire de Dionysos dont il ne reste guère que les ruines groupées comme les bêlantes âmes aux ordres du berger voisin. Et puis, soudain, devant le capot, un renard écrasé par l'un des véhicules pressés qui nous devançait.
   Juin-2012--Ile-d-Eubee--Delphes-010.jpgVivement qu'on soit rentrés pour prendre un verre à l'hôtel. Mais impossible de se faire servir une Mythos en pression. La tireuse de bière est cassée. A l'image du pays, probablement. "Chez nous, ce n'est plus la pression, c'est la dépression"  s'amuse avec aigreur le barman.
   Allez, santé! En attendant, il faut s'y faire: en cet été 2012, en Grèce, même les dieux ont la gorge sèche. D.P.
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20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 21:16

      Au juste, c'est la combientième? Bah, on ne va tout de même pas se mettre à compter. La Fête de la musique, c'est toujours la première et à peine se souvient-on qu'elle naquit un jour dans l'euphorie rose des années 80. D'ailleurs, tiens, quelque trois décennies plus tard, si l'insouciance n'est plus là, le rose, lui, est de retour. Mais ce n'est pas ça l'important. La Fête de la musique ne vote ni à droite ni à gauche et encore moins aux extrêmes. Elle gratte la guitare, elle s'époumonne dans un saxo, elle tape sur des bambous, comme disait l'autre.
   La turbulente génération Facebook et Twitter qui fera la java en ce jour du solstice ne sait même plus qui est Jack Lang. Autant dire qu'elle n'aura pas la moindre pensée pour celui qui a  interprété son requiem électoral dimanche soir dans les Vosges. Une chose doit, toutefois, réjouir le battu des législatives. Si sa carrière politique est morte, "sa"  Fête, elle, est plus vivante que jamais. Les leaders du moment feraient bien d'y songer. S'ils veulent laisser une trace, qu'elle soit ludique, qu'elle soit déconnante, qu'elle soit "zim boum boum". Le sérieux mène rarement à la postérité.

   Plus tard, dans des tas d'années, des plaques de rues ne salueront pas "Jack Lang, homme politique", mais "Jack Lang, créateur de la Fête de la musique". A chacun sa tribune, à chacun son perchoir... D.P.

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6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 21:15

    Soyons honnêtes, on le croyait mort depuis longtemps. Ou pire encore, la question ne nous venait même pas à l'esprit. C'est que, pour nous, le nom de Ray Bradbury évoquait moins un individu qu'une légende. Et pourtant, quelques heures avant que, tout là-haut, Vénus pousse ses pions devant le soleil, l'extraterrestre auteur des Chroniques martiennes et de Fahrenheit 451 s'en est allé comme tout un chacun. A 91 ans,il avait derrière lui une vie presque aussi remplie que les fanzines dans lesquels il noircissait ses nouvelles. Il en aurait signé un demi-millier, dit-on. L'admirateur d'Edgar Poe, de Jules Verne et de Wells adorait faire court. Pas d'épanchement, pas de lyrisme, juste un magnétique attrait pour l'anticipation.
   Le temps était en effet sa grande affaire. Moins le présent que le futur. De quoi se voir sacré presto pape de la science-fiction, titre un peu usurpé à ses yeux. "La SF, c'est l'art du réel ; le fantastique, l'art de l'irréel", répétait-il et, on l'aura compris, il se revendiquait plutôt du second registre. Ses fameuses Chroniques martiennes  parues en 1950, près de deux décennies avant la conquête de la lune, en témoignent. Et en 1966, lorsque Truffaut, avec le succès que l'on sait, porta à l'écran Fahrenheit 451, on oublia parfois que le premier dénonciateur des autodafés s'appelait Bradbury.
   Faut-il rappeler que le thème est particulièrement d'actualité aujourd'hui, alors que l'objet livre est une fois encore menacé? "Raymond"  n'avait pas d'ordinateur et pestait volontiers contre internet. Il ne possédait pas de voiture non plus. Même pas une petite fusée pour s'envoler. L'autodidacte à la crinière blanche et aux lunettes en hublots a pourtant réussi son décollage, mardi, depuis sa base de Los Angeles. A son âge, c'est un véritable exploit. Il faudrait au moins un auteur de son acabit pour écrire l'histoire du plus terre à terre des martiens chroniques de la littérature américaine de l'après-guerre. D.P.

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4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 22:03

     Certes, ce n'est qu'une image de plus dans un siècle où nous en sommes, à chaque instant, bombardés. Mais tout de même, ce n'est pas banal, le portrait du nouveau chef d'Etat. On sait qu'il sera là, comme une vigie discrète, accroché dans la ferveur claudelienne de nos ambassades ou sur les murs républicains de nos écoles et mairies. C'est face à cet iconographique "polaroïd"  garant des institutions qu'on procèdera à nos apprentissages et aux rites administratifs qui, pour faire court, vont de la vie à la mort. C'est sous son regard qu'on se mariera dans le crépitement de l'éphémère éternité des flashes nuptiaux.
   Mais c'est sans doute pour l'élu lui-même que la symbolique est la plus forte. Le document recèle en quelque sorte sa carte d'identité. "Voilà qui je suis vraiment, moi Président, si différent de mon prédécesseur... François Hollande n'a pas échappé à ce désir pictural de rupture. Peut-être plus que les autres encore. Le voici dans le parc de l'Elysée, comme surpris par l'objectif lors d'une promenade où l'on toise l'état des arbres qui font de l'ombre sur la pelouse. Plan américain, petit sourire, drapeau mural lointain. Un homme "normal", bras ballants, comme encombré de ses deux mains vaguement de guingois dans leur retombée. Il y a presque du paysan corrézien endimanché dans ce décor empruntant son vert bovin au plateau de Millevaches.

  L'auteur de l'instantané n'est pas n'importe qui. Dans l'album existentiel de Raymond Depardon, se cotoient de Gaulle et Jan Palach, Bardot et Françoise Claustre, les scènes de guerre et les vestiges d'un monde rural qui meurt. Avec toujours, en prime, comme un supplément d'âme, cette perpétuelle attention que lui, le fils de fermier caladois du Garet, porte aux autres. Et pourtant, comment dire?, les photos qu'il signe, si vivantes, si évidentes, on jurerait souvent qu'on pourrait les faire soi-même.
   Celle-ci ne fait pas exception. Loin de la solennité des figures pétrifiées jadis dans leurs bibliothèques emplies de vieux cuirs, le successeur de Nicolas Sarkozy est saisi ni à l'arrêt, ni en pleine déambulation. Disons: entre les deux. Dans le fragile équilibre arraché à l'"intranquillité"  conjoncturelle des années 2012. D.P.  

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 21:46

      Sale temps! Il vente, il pleut, il grêle. Le printemps prend l'eau de toutes parts. Dans Montpellier en fête, la place de la Comédie dégouline. A Cannes, si ça continue il va falloir des palmes... La mélancolie affleure. De la fièvre des samedis soir d'hier, il ne reste qu'un battement de coeur disco. Robin Gibb est parti sur un dernier vibrato. Neuf ans après son frère jumeau Maurice. Barry est désormais seul. On chante moins bien quand on est seul.
   Sale temps! il gronde, il tonne, il écume. Le ciel de mai orphelin prend tout à coup des reflets de vieux vinyl. La météo du jour nous met le moral dans les chaussettes. On se repasserait bien le disque des années d'insouciance: "I will remember Massachusetts...".

   Heureusement qu'il est là, lui. Grand gamin de presque 90 ans. Farceur à lunettes noires et baskets blanches. Jambes fatiguées et esprit vif. Alain Resnais a présenté ce lundi soir son nouveau long-métrage sur la Croisette. "Vous n'avez encore rien vu". C'est le titre. Toute sa "clique" était là. Azéma, Arditi et les autres. Un "film-testament"  a prévenu l'ultime rescapé de la Nouvelle Vague. Tu parles, "on connaît la chanson!"
   Resnais n'a pas d'âge. Son oeuvre non plus. Elle nous console de tout. De la pluie, du vent, de la grêle. Des Bee Gees partis. Du temps qui passe et du temps qu'il fait. Resnais est notre éternel oncle d'Amérique. "Feel I'm goin' back to Massachusetts / Something's telling me I must go home". D.P.

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 21:40

La première photo de groupe   Ah! cette photo-là... Incontournable, émouvante, à la fois naïve et vraie. On y pressent un mélange de solennité et de décontraction. A l'heure du tout image frénétique, elle offre une sorte de dimension iconographique hors du temps. Mais c'est comme sur ces vieux supports sépias dénichés tout à trac dans une armoire - souvenir d'école ou de banquet de classe -, il y en a toujours un ou une qui se distingue au moment du déclic.
   La classe parfaitement mixte du gouvernement tout juste constitué a ainsi posé hier devant l'objectif officiel. "Attention, on ne bouge plus, le petit oiseau républicain va sortir..." Bruit d'ailes dans le ciel de l'Ascension, battements de coeur des nouvelles et nouveaux venu(e)s, attitudes de circonstances. Ce vendredi matin la scène - on pourrait presque écrire "la Cène" - fait la Une de la presse. "Normal", comme dit le chef.

   Il n'y a pas que des bleu(e)s. Quelques aîné(e)s sont là, un ou deux chevaux de retour. Mais ce sont les trombines sur lesquelles on ne sait pas encore mettre un nom qui nous émeuvent le plus. Bien malin qui peut lire les destins de ces personnes passées en quelques instants de l'anonymat à l'exhibitionniste papier des journaux. 
   Dans quelques années peut-être, en retrouvant par hasard le document jauni, on ne se souviendra plus de certains patronymes qu'on n'aura parfois, du reste, à peine eu le loisir de retenir. C'est la loi du genre. Les équipes ministérielles vont, viennent, gravissent un jour des marches qu'elles redescendront plus tard. Des bureaux se vident que d'autres occupent. L'enthousiasme des uns se frotte à la nostalgie, sinon, à l'amertume, des autres. Manuel Vals a taclé Claude Guéant. Aurélie Filippetti a offert un livre d'Erri de Luca à Frédéric Mitterrand qui est reparti sur son scooter. Vroum, vroum! Pierre Moscovici a tenu le bras de François Baroin, façon vieux potes de régiment. Arnaud Montebourg a attendu en vain son prédécesseur peu réputé pour sa loyauté.
   L'histoire retiendra quoi de tout cela? Qu'un beau jour de mai, en l'an 2012, la gauche est revenue au pouvoir et que celles et ceux qui ont été de l'aventure ont vécu là des instants déterminants. Regardez-les bien ces visages sur le portrait de groupe. Ils sont en prise avec eux-mêmes. Ils sont en prise avec la France, y'a pas photo. D.P.      

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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 20:42

       Très fort, Eric Charden. Très fort jusqu'au bout. Il est en effet parvenu à glisser son nom dans la frénétique actualité du pont du 1er-Mai, rivalisant fugacement avec ceux de François Hollande et Nicolas Sarkozy. Belle prouesse pour celui qui ne se souciait de campagne qu'à la condition qu'elle soit estampillée "Made in Normandie". Le chanteur-compositeur, qu'on aura encore vu à la télévision à la veille de sa disparition, poignant comme Bashung, n'était pourtant pas, à l'instar de ce dernier, un "artiste maudit". Il était simplement populaire, excusez du peu.
    Il est vrai que le phénomène ne reposait pas sur ses seules épaules. Charden n'était pas Un, il était Deux. Ses mélodiques et fantaisistes apparitions auprès de sa compagne eurent le don d'insuffler une espèce de jovialité matrimoniale dans dans les austères années Pompidou et Giscard. Stone, le monde était stone, souvenez-nous...
   "Chouchou" et "Loulou" des sixties, puis des seventies, le célèbre duo luttait à sa manière contre l'inflation des allumettes, pour mieux se brûler aux feux de la gloire passagère. Leur "Avventura" n'était pas celle d'Antonioni, elle était celle des jeunes gens d'une époque avides de "soleil sur la France", d'"étés chauds dans les maillots", à l'heure de "laisser aller la musique".
    Comme souvent dans la vraie vie, histoire s'arrêta, mais ce n'était que pour mieux resurgir sur scène. Passés des "yéyés" aux "Tournées Âge tendre", après une longue éclipse de "ringardise", ils pouvaient laisser croire que tout pouvait renaître tout le temps. Las! Le bon filon vintage des producteurs se heurte un jour aux plus "immortels" vétérans de la scène rétro. "Monsieur Stone" avait 69 ans, une légion d'honneur toute fraîche et des milliers de fans nostalgiques. Ce dimanche, en un seul tour, ils ont tous voté Charden. Et Stone. D.P. 

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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 18:24

      Ecoutons ce silence-là. Raymond Aubrac s'est tu et, depuis quelques heures, c'est lui qu'on entend. Belle voix grave, en creux, bien plus forte, tout à coup, que le brouhaha de la campagne électorale. Bon sang, ça fait du bien quand l'Histoire, la vraie, la majuscule, bouscule l'actualité, cette histoire immédiate qui croit qu'elle n'a que dix jours devant elle.
   Raymond Aubrac, c'était la dernière grande mémoire rescapée de "ces moments-là". Raymond Aubrac, c'était l'un des ultimes témoins du temps des loups et de la haine. Et ce qu'il y a de miraculeusement réconfortant dans son cas, c'est qu'il était - et qu'il reste - plus connu des jeunes que la plupart des postulants pour l'Elysée.

   Lorsqu'il se déplaçait dans un de ces lycées ou collèges qui d'ailleurs souvent portent son nom, ceux que l'on dit si souvent désabusés ne perdaient pas une miette de ce que leur confiait l'invité. Qui a-t-elle désormais à écouter cette génération en mal de témoins et d'exemplarité? Voilà bien la grande question que doivent se poser les candidats à la présidentielle.

   Attention, n'instrumentalisons, pour autant, la disparition de celui qui vient de rejoindre Lucie dans l'éternité des combattants de la liberté et des amants-courage. Le silence de Raymond Aubrac ne vote pour personne. Mais il nous dit ceci: "Sachons toujours résister!". Et surtout: "Ne nous abstenons jamais!" D.P. 

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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 22:07

    Ce qui est bien dans cette campagne, c'est qu'on avait tout prévu depuis des lustres, sauf... Sauf quoi, au juste? Sauf l'imprévisible, voilà. Et cet inattendu, et ce déroutant, se résume aujourd'hui en trois syllabes: Mé-len-chon. Joli nom que celui-ci. Et sympa sobriquet à la Cabu. "Méluche", ça rime avec "Grand Duduche". Rien qu'à prononcer le mot, on pense à ces camarades de lycée qu'on admirait ou qu'on redoutait - c'est selon -, tant leur propension à foutre le bordel dans l'étude ou dans le dortoir était manifeste.
   Dans la classe politique du moment, "JLM"  a tout pour faire songer à cette figure lointaine de nos années bahut. Il est culotté, insolent, cabochard et grande gueule. La République, qui est une jeune fille bien élevée, n'ose pas l'avouer mais, quelque part, elle est amoureuse de lui. Elle rougit comme une ado. Elle rêve la nuit de prendre sa main. Attention, elle n'ira pas jusqu'à sortir avec lui, elle a trop peur du regard oblique et du qu'en-dira-t-on, mais les autres à côté, bon sang, quelle mièvrerie! 

   Alors oui, c'est comme ça, la France de mars est là à attendre la distribution des prix. Avec ceux qui, l'oeil sur les sondages ingrats, se demandent jusqu'où ira l'animal en espérant qu'il ne broute pas tout le fourrage de gauche dans leur mangeoire. Avec ceux qui, à droite, se félicitent de l'irrésistible ascension d'un trublion qui ne peut, à leurs yeux, que favoriser leur leader à la traîne.
   La forte tête Mélenchon, elle, elle s'en fiche. Elle ricane sous son brushing effronté et dans son écharpe écarlate. Elle a déjà gagné son pari. Elle vient de réécrire avec brio la version potache de l'évangile selon Jean-Luc. D.P.

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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 22:19

   Cinq Oscars haut levés par-dessus l'océan. C'est un vrai signe de la main qui nous a ainsi été envoyé l'autre nuit depuis Los Angeles. Un signe d'allégresse, de gloire et de complicité. C'est fou comme, dès le sacre de The Artist  connu, tout le monde ne parlait plus que de ça. A la maison, au café, dans la rue, dans les allées du salon de l'Agriculture sans doute et même, en aparté, sur le plateau des émissions politiques. Ce qui a ravi les gens, c'est bien sûr le triomphe international d'une équipe soudain promue symbole du "produire français", mais c'est aussi, avant tout, l'éclatante reconnaissance d'un acteur offrant, à la fois, le charisme de Belmondo ("Toc, toc, badaboum!") et le capital sympathie d'un bon pote.
   Chacun rêve peut-être, au fond de soi, d'avoir un copain nommé Dujardin, ne serait-ce que parce que ce patronyme sonne d'emblée comme une invitation. Une invitation à partager des éclats de rire au vert le week-end, une invitation à prendre l'apéro sous la tonnelle aux premiers beaux jours en proférant quelque juron d'enthousiasme: "Oh! putain, génial". Mais Dujardin, ce n'est pas seulement l'ami, c'est également, pardon pour le jeu de mot,... Lamy. Dans l'iconographie populaire, "Loulou"  est en effet indissociable de "Chouchou"  et cette image-miroir du couple de Un gars, une fille n'est pas pour rien dans l'attachement que suscite la nouvelle star au charme naturel.

   C'est pour cela, entre autres raisons bien sûr, que le héros muet au bras de Bérénice Bejo dans le film plébiscité de Michel Azanavicius semble si bien faire souffler un air neuf sur un septième art tricolore qui relève la tête. Quelque chose comme un parfum de brise venue, non pas de Nice, mais d'Hollywood. D.P.

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  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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