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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 21:04

   photo-dr.jpg   La première des choses, c'est que François Hollande a fait vite et ça c'est plutôt bien. Il n'aurait plus que manquer qu'il fasse lambiner la France au lendemain du désaveu géant des Municipales. Dans sa précipitation et son cadrage de guingois, son spot préenregistré et diffusé ce lundi soir à l'heure du dîner avait quelque chose d'alarmant. Un peu dans le genre "alerte enlèvement". "Attention, ce Premier ministre a disparu..." Exit donc le terne et preux Jean-Marc Ayrault, renvoyé à ses terres nantaises sous la très improbable protection de Notre-Dame des Landes, et benvingut  à Manuel Valls!

   Un bon choix que ce "Sarkozy de gauche"  pour Matignon? Un signe, en tout cas, adressé par un président sonné - dans tous les sens du mot - au peuple qui vient de manifester son "mécontentement"  et sa "déception". Un signe de rupture, d'abord. Le nouveau chef du gouvernement, chargé de mener à bien les pactes "de responsabilité"  et de "solidarité", est populaire, volontaire, iconoclaste. Un signe de fermeté, ensuite. Le promu est impatient, intransigeant, voire cassant, ce qui ne manque pas, au demeurant, de le rendre indésirable auprès des Verts et de ceux qui réclament "davantage de gauche".
   Reste à connaître l'équipe "resserrée"  dont il s'entourera. Une chose est sûre: sa cohérence et sa dynamique devront être sans faille pour faire oublier l'ère des approximations et des couacs sévèrement sanctionnée dans les urnes. A noter encore qu'il est peu probable qu'elle soit annoncée dès ce mardi 1er avril, la situation ne se prêtant pas, faut-il le rappeler, au moindre contexte de farce. D.P. 
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4 mars 2014 2 04 /03 /mars /2014 09:56

   Il avait encore neigé quelques jours plus tôt. Sur notre balcon grenoblois fleurissait la première jonquille de Vergongeat. A Haïti, Aristide quittait le pouvoir. M. commençait sa "chimio douce". Au téléphone, elle m'avait dit: "Mais je vais bien, je sème des petits pois". Le dimanche précédent, Jean d'ormesson avait été l'invité de Drucker. Sur mon carnet de l'époque, je retrouve ce poème qui parlait déjà de la neige et qui se termine comme ça: "Elle touche à tout, cache les arbres, / déplace saisons et talus, / laisse des miettes sous l'armoire / et sur la table verse le lait / qu'aucun enfant ne boira plus". Nous étions le jeudi 4 mars 2004. Le soleil montrait enfin le bout de son nez. Claude Nougaro venait de mourir. Il avait 74 ans. Nous lui avions consacré la Une et la dernière page du journal sous ce gros titre: "Dansons sur lui!" 


Quelques extraits des journaux du 5 mars 2014:


   - Bernard Revel dans L'Indépendant du Midi: 

   "Il parlait comme on récite un poème. Il chantait comme un ténor qui aurait trop écouté Louis Armstrong. Il mariait les rimes de Brassens avec le swing de Charles Trenet, mais il n'était ni l'un ni l'autre. Il était lui. Son père qui interprétait "Rigoletto" à l'Opéra de Paris fut longtemps son "seul chanteur de blues" dont la voix se mêlait à celle de Jacques Pills qui sortait de la radio. Ça laisse des traces. Chez Claude Nougaro, la java ne s'en va pas très loin quand le jazz est là. Il était toulousain, cathare, vigneron des Corbières et piéton de Harlem. Tout autour de lui, tout autour de nous, il y avait la musique, sa musique, les violons de Ravel et les flonflons de l'accordéon, les rythmes brésiliens et le piano-jazz de Maurice Vander. Car Nougaro était "bleu blanc blues". Il était chez lui dans toutes les musiques. Il chantait avec l'accent du Midi les villes qu'on appelle bidon, Nougayork, Paris Mai, l'Amour sorcier d'Afrique et son frère brésilien. Avec lui, la pluie fait vraiment des claquettes et "quatre boules de cuir tournent" toujours "dans la lumière" de nos rings intérieurs. Il voulait bien admettre, comme Gainsbourg, que "la chanson est un art mineur", mais, ajoutait-il, "mineur de fond"."

 

   - Didier Pobel dans Le Dauphiné Libéré:

   "Trapu, voûté, cassé, tanguant. Quand il surgissait sur scène, le cou serré dans son écharpe blanche, il ressemblait à l'un des pendus de la Ballade de François Villon, oscillant à tous les vents. Fils d'un premier baryton et d'une prof de piano, il avait très tôt flirté avec le chant, épousé l'harmonie, marié le jazz et la java. Il était de Toulouse et de Rio. De la Garonne et de "Nougayork". Du Capitole et de la capitale. De l'Occitanie et de l'accent tonique. Plus Gascon qu'un quatrième mousquetaire, l'Espagne en lui poussait un peu sa corne. "Je suis un petit taureau...", clamait-il devant la muleta d'un public de tous âges jamais prêt à lui porter l'estocade. (...) Sur le parcours du coeur battant, il riait avec nos larmes. Cabotin et cabochard, on le croyait éternel. Et voilà que ce fou de swing nous fait faux bond, à 74 ans, en pleine adolescence. Ça va leur faire sacrément drôle là-haut quand ils vont le voir arriver. Dave Brubeck jouera comme un fou. Audiberti reprendra sa Chanson du maçon. Armstrong se fendra la poire. La pluie fera peut-être même des claquettes sur le trottoir à minuit. Quant à nous, dansons sur lui, dansons sur lui, le soir de ses funérailles... Et regardons-le filer vers "la voie lactée, la voie clarté / où les pas ne pèsent pas". Oui, regardons une dernière fois Claude Nougaro sortir de scène. Trapu, voûté, cassé. Géant." 


   - Jean-Marcel Bouguereau dans La République des Pyrénées:

   "Sa voix, son accent roucoulant, son swing ensoleillé étaient inimitables. Claude Nougaro était notre plus grand chanteur de Jazz. Ce " troubadour baroque " comme il se définissait lui-même, cet anti-Trenet, ce "petit noir cathare", pour lequel, disait-il, "il est dur d'être sur le ring de la vie" nous a quitté hier. Ses chansons vont longtemps nous trotter dans la tête, de "Cécile ma fille" à "La Java du diable", en passant par "Tes seins". Ce Toulousain qui avait si bien su immortaliser sa ville était né d'une pianiste et d'un baryton à l'Opéra. Mais ce n'est pas hasard si, tout jeune, il se voyait bien poète maudit. Il ne sera pas maudit mais il sera poète, un poète qui mélangera le swing, le blues, les percussionnistes africains, les influences brésiliennes et américaines pour composer ses propres créations. Sa passion des mots sautait aux yeux, lui disait vouloir "chanter le bottin" comme "une Piaf au masculin". (...) "Dansez sur moi dansez sur moi, avait-il écrit un jour, le soir de mes funérailles, que la vie soit feu d'artifice, et la mort un feu de paille Un chant de cygne s'est éteint". 

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2 mars 2014 7 02 /03 /mars /2014 22:01

  DSCN5760.JPG   Bien sûr qu'on l'aimait, cet éternel facétieux à tignasse blanche et yeux bleus, aux chemises rouges et aux baskets d'ados, qui nous ouvrait la porte des éblouissantes comédies de sa dernière période. On ne se faisait jamais prier beaucoup pour entrer dans la ronde de la très moliéresque troupe des Azéma, Arditti et Dussolier. De  Smoking / No smoking (1993) aux Herbes folles, adaptées du roman de Christian Gailly, en passant par Pas sur la bouche (2003) ou Coeurs (2006), on connaissait la chanson, si l'on peut dire. Surtout depuis que cette épatante ode à la rengaine nous avait bluffés en 1997. Et puis, bon, on ne détestait pas non plus le cinéaste grave et cérébral des années 80 qui avait signé des oeuvres comme Providence (1977), La Vie est un roman (1983) ou L'Amour à mort (1984).

   Mais on ne va pas se le cacher, on ne serait pas honnête si on n'avouait pas que "notre"  Resnais, celui qui nous a happés au sortir de l'adolescence, celui qui vint se mêler de notre apprentissage de l'art, de l'histoire et de la vie, c'est cet irréductible de la Nouvelle Vague dont les plans, saisis au hasard des projections enfumées de ciné-clubs, nous bouleversaient. On n'oubliera jamais le choc que fut Nuit et brouillard, découvert plusieurs années déjà après sa sortie (1956). Ce va-et-vient d'ombres et de couleurs, ces lancinants travellings tressautant comme, quinze ans plus tôt, d'autres convois sur d'autres rails. Et la voix de Michel Bouquet traînant après lui les mots de Jean Cayrol: "Même un paysage tranquille, même une prairie avec des vols de corbeau, des moissons et des feux d'herbe, même une route où passent des voitures, des paysans, des couples, même un village de vacances, avec une foire et un clocher, peuvent conduire tout simplement à un camp de concentration".

   Et puis, bien sûr, il y eut Hiroshima et Duras (1959). Qui n'a pas répété, en imitant les voix d'Emmanuelle Riva et d'Eiji Okada, "Tu n'as rien vu à Hiroshima, rien"? Qui n'a pas joué aux jeu des allumettes après avoir vu L'Année dernière à Marienbad (1961)? Qui n'a pas été hanté par le prénom Muriel en sortant du film éponyme évocateur de la torture en Algérie (1963)? Pour nous autres, juvéniles rebelles bientôt marqués du sceau de 68, Alain Resnais, mort samedi à 91 ans, c'était avant tout cela. Le génial monteur d'images qui nous disait Guernica, Auschwitz, la bombe atomique, la "gégène"... Un courageux et dérangeant créateur doublé d'un extraordinaire éveilleur de conscience . Non, vraiment, sans Resnais, nous n'aurions rien vu, rien, ou si peu. Et pas seulement à Hiroshima. D.P.

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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 22:15
   Il aurait pu lui aussi, comme son ami Woodie Guthrie (1912-1967), écrire sur son banjo, son ukulélé ou sa guitare à douze cordes "This machin kills fascists". C'était en effet un temps où l'on pensait pouvoir abattre toutes les oppressions en musique. Rescapé du Maccarthysme, propulsé au début des années 50 emblème du protest song, Pete Seeger dénonçait la déshumanisation de l'Amérique post-New Deal et luttait contre la guerre au Vietnam. Il ne fut pas seulement une voix mais une conscience. Les cadets de la génération suivante, qui le saluèrent comme un père, s'appelaient Joan Baez, Bob Dylan, Peter Paul and Mary ou Bruce Springsteen et, chez nous, Hugues Aufray et Graeme Allwright.
   En apprenant sa mort hier à 94 ans, ce qui nous est venu à l'esprit, comme ça sans réfléchir, ce furent peut-être les premières mesures de son célèbre Where have all the flowers gone?, cet hymne à la paix adapté d'un chant populaire ukrainien et devenu, dans la France yéyé, un tube porté par Dalida ou Nana Mouskouri. "Que sont devenues les fleurs du temps passé? Apprendrons-nous un jour / Apprendrons-nous jamais?". Ou bien encore évidemment le fameux If I'ad a hammer qui ne fut pas seulement le "Who oh oh oh!" scandé plus tard par Claude François et quelques autres. Non, le marteau réclamé par Pete Seeger dès 1949 - l'enregistrement fut alors interdit -  était celui de la révolte et de la dignité. Un instrument qu'on ne trouve plus guère aujourd'hui dans les boîtes à outils d'ici ou d'outre-Atlantique."If I had a hammer, I'd hammer in the morning / I'd hammer in the evening, all over this land...". D.P.
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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 18:14
 
   C'était l'été 65. Churchill était mort en janvier. De Gaulle préparait sa réélection de décembre. Encore quelques semaines et un bébé allait naître en Syrie. Ce sera - eh! oui - pour le 11 septembre. Le chérubin s'appellera Bachar el-Assad. C'était l'été 65. Le tunnel du Mont-Blanc s'ouvrait. Malraux effectuait un voyage officiel en Chine. Les Américains bombardaient au nord du 17e parallèle. 
   C'était l'été 65. On enregistrait des records de froid pour la saison. Il ne faisait que 10° le 14 juillet à Paris. Johnny et Sylvie étaient jeunes mariés. À "Salut les copains", Christophe n'en finissait plus d'appeler Aline pour qu'elle revienne, Hervé Villard jurait qu'il ne retournerait plus à Capri, Michel Delpech invitait chez Laurette.
   C'était bien, c'était chouette, c'était l'été 65. Un "vieux" crooner - il avait déjà 33 ans! - faisait roucouler la France avec un slow taillé sur mesure en sol # mineur. Les paroles étaient aussi lascives que la mélopée. Ça faisait ça à n'en plus finir: "Nous avons le ciel, le soleil et la mer...".
   Ce fut sa seule heure de gloire. À moins que l'on y ajoute son come-back lors de la tournée "Âge tendre et tête de bois". François Deguelt est mort mercredi. Il venait d'avoir 81 ans. Le soleil s'est éteint. La mer s'esr retirée. Il lui reste le ciel. Allez, rebranchons une dernière fois nos Teppaz: "Ma cabane est en planches / Et le lit n'est pas grand / Tous les jours c'est dimanche / Et nous dormons longtemps". D.P.
 
 
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18 décembre 2013 3 18 /12 /décembre /2013 22:17

     C'est donc lui. Lui qui conduira la liste socialiste pour les Européennes dans le grand Sud-Est. Celui-là même qui, à peine un peu plus tôt, clamait haut et fort ne "pas avoir d'ambition politique". Oui, ce tribun à la belle gueule qui, toisant les représentants du pouvoir, déclarait, un brin méprisant: "Je ne suis pas de leur monde", en se permettant d'ajouter pour ceux qui osaient déjà en douter: "Je ne suis pas opportuniste".
   Pas opportuniste, Edouard Martin? Peut-être. N'empêche qu'il vient de franchir le pas. Et pas n'importe lequel. Celui qui le fait passer du chaudron syndicaliste, version CFDT, à ce haut-fourneau électoral où brûlent si souvent les idéaux en acier brut. Promis juré, il ne trahira pas. C'est lui qui le dit, avec cet aplomb qui a fait sa gloire au plus chaud du combat, perdu d'avance, pour Florange. On voudrait le croire sur parole. Mais comme dans tous les cabotins à qui la célébrité finit par monter à la tête, on soupçonne une part d'arrivisme, fût-elle l'excroissance d'un désir de revanche niché dans le tréfonds du fils d'immigré andalou soumis aux revirements d'Arcelor et de l'Etat.

   Le bagarreur a un physique de jeune premier. Pourvu que le cinoche des tactiques de parti ne l'aspire pas. Bon retour Martin"Guerre", mais gare au laminoir! D.P.  

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15 décembre 2013 7 15 /12 /décembre /2013 22:38

   Il est rare qu'un acteur soit aussi totalement un personnage. Peter O'Toole fut Lawrence d'Arabie, point barre. Ce fut sa gloire. Ce fut également, à l'évidence, sa faiblesse. Certes, le monstre sacré irlandais aux yeux bleus, fou de cricket et de pêche à la mouche, a joué beaucoup d'autres rôles, au théâtre ou au cinéma. On l'a vu, ainsi, sur le grand écran, dans Quoi de neuf Pussicat? en 1965, dans Comment voler un million de dollars?, avec Audrey Hepburn, l'année suivante, ou bien encore dans Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci, en 1987. Et puis il avait obtenu un oscar d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre en 2003... Mais quand on est entré dans la légende comme ce fut son cas dès 1962 avec le chef-d'oeuvre de David Lean, on se trouve, en quelque sorte, prématurément muséïfié. D'où notre presque surprise, oserons-nous l'avouer, en apprenant son décès ce dimanche. Cet immortel-là n'avait-il pas disparu depuis longtemps? La gloire est ainsi faite: elle efface ce qu'elle magnifie. Allez, goodbye Peter d'Arabie! Cette réplique à Fayçal, parmi beaucoup d'autres, parle de vous, jurerait-on, au moment où vous vous éclipsez pour de bon: "C'est le moment de redevenir grand, Monseigneur!" D.P.  


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11 décembre 2013 3 11 /12 /décembre /2013 00:09

 

   

   "Oh! non, pas lui". Evidemment, l'exclamation est partisane, mais combien avons-nous été à la prononcer hier soir en apprenant sa disparition à soixante-dix ans? C'est que Jean-Louis Foulquier était un peu des nôtres. Il l'était devenu, comme ça, au fil du temps, au gré des saisons intimistes qui se fredonnent, par le miracle de la radio, ce porte-voix qui parle encore plus intensément à l'oreille des solitaires et des noctambules. Certes, Foulquier n'était plus derrière le micro d'Inter depuis un bon moment déjà mais il continuait à répandre au vent changeant des jours son Pollen. Et puis, surtout, il avait fait des Francofolies un galion où les fous de couplets et de refrains mettaient quelques jours d'été à portée(s) d'éternité. Autour de lui, garçons et filles de La Rochelle armaient un bâtiment pour aller faire la course dedans les mers du vrai chant.

   On aurait juré qu'avec ses casquettes de marin et ses chemises de gros fil, il s'était échappé d'un roman de Carco. On le savait aussi acteur, chez Jacques Bral (Polar), chez Véra Belmont (Rouge baiser), chez José Pinheiro (Mon bel amour, ma déchirure)..., mais on ignorait plus souvent qu'il peignait également dans ses moments pas perdus, lui qui, grâce à son père, rencontra très jeune l'épatant naïf que fut Gaston Chaissac.
   Oui, ce soir, les Saltimbanques que, espérons-le, nous sommes tous peu ou prou(e) sont tristes. Tchao Jean-Louis, y'a de l'affliction dans l'air. Et puis, dis, que vont devenir nos oreilles? "Ah! la feuille s'envole, s'envole..." D.P.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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7 décembre 2013 6 07 /12 /décembre /2013 10:45

   Pour saluer Mandela, sans en rajouter, dans la déferlante de l'hommage posthume, ce billet, intitulé "Une conscience à perpétuité",  paru dans Le Dauphiné Libéré. C'était le 11 février 2010, vingt ans après le jour historique...

 

   On n'a pas oublié ce visage. Front barré de rides, énergie intacte. On n'a pas oublié ces yeux. Regard perdu, pupilles ardentes.

   On n'a pas oublié ce poing droit brandi à la fois en signe de victoire et de hargne. C'était le 11 février 1990. Un dimanche.

   Il faisait beau. Surtout dans les coeurs. Trois mois après la chute du mur de Berlin, une autre prison s'ouvrait, là-bas en Afrique du Sud. Celle où Nelson Mandela venait de passer plus d'un quart de siècle.

   Les témoins, qui se croyaient pourtant prêts au retour du héros, n'en crurent pas moins à une apparition. "On n'arrêtait pas de se pincer pour être sûr qu'on ne rêvait pas".    L'archevêque anglican Desmond Tutu ne fut pas le seul à évoquer ainsi ce moment "magique et indescriptible". Le "détenu 46664", qui n'était souvent jusque-là qu'un slogan sur des T-shirts et des posters, avait enfin une vraie présence. L'instant irradiait. L'histoire basculait.

   La peine de l'ex-condamné à vie se commuait soudain en conscience à perpétuité. Le vieux militant de l'ANC était entré très tôt dans le combat. La lutte contre l'apartheid, imposée dans son pays en 1948, fut sa raison d'exister. Elle aurait pu être sa raison de mourir. Vingt ans après, que reste-t-il de cet apogée ? Il reste un beau prix Nobel de la Paix partagé, en 1993, avec Frederik de Klerk ; le triomphe au premier scrutin multiracial l'année suivante ; de vibrantes images d'unité, de paix et de réconciliation.

Certes, tous les miracles espérés n'ont pas eu lieu. Des inégalités criantes existent encore entre Le Cap et Pretoria, sur lesquelles il est peu probable que se braquent les projecteurs de la prochaine Coupe du Monde de football. Il reste une icône de la liberté, du dialogue et du pardon.

   Un certain Nelson Mandela, 91 ans, à jamais fixé dans nos mémoires, le poing levé et le front haut, un fameux jour d'hiver 90. D.P.

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 23:39

     Comme certains "sont"  des rues, lui, il était, de son vivant, devenu une loi. Un destin à la fois glorieux et réducteur. La dimension institutionnelle pouvait, en effet, faire oublier qu'il y avait un homme au-delà. Et pas des moindres. Le très jeune résistant courageux, qui, pendant la guerre, ne dut son salut qu'à une pièce de monnaie sur laquelle ricocha la balle de l'ennemi, n'allait pas cesser de poursuivre le combat. Et il lui en fallut déployer de l'énergie pour faire adopter, le 28 décembre 1967, contre une grande partie de l'opinion de l'époque, la loi autorisant la contraception. Un an plus tôt, le chanteur Antoine avait certes préconisé la mise en vente de "la pilule dans les monoprix", mais lui-même n'y voyait guère qu'une élucubration. Lucien Neuwirth ne portait pas de chemise à fleurs. Juste le gilet pare-balles de ses convictions visionnaires, adoubées par le général De Gaulle dont il fut l'un des derniers héritiers historiques. Celui qui "changea la vie"  vient de mourir à 89 ans. Saluons bien haut sa trajectoire. Au nom de la Loi. D.P.

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Présentation

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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