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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 15:04
Dans "C'est à Bourg"

Un nouvel écho à mon roman Maman aime danser qui poursuit son chemin. À lire dans le dernier numéro de C'est à Bourg, "le magazine des Burgiennes et des Burgiens" (n° 246, janvier-février 2016). Merci à Céline Crociani et à l'équipe municipale. 

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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 14:54
Le petit livre ami retrouvé
C'est  un livre mince, mince, mince. Une cinquantaine de pages, guère plus. Pour un peu, on ne l'aurait pas vu du tout. Coincé là, sous une pile, lors de cette activité, à la fois exaltante et harassante, qui consiste à ranger sa bibliothèque. Une des bonnes résolutions de l'an neuf à laquelle on sera adonné - ou du moins que l'on aura amorcée : l'opération est en cours - , parmi tant d'autres vouées d'emblée à demeurer, elles, lettres mortes.  Un livre mince, mince, mince dont on avait le titre à l'esprit depuis fort longtemps, voletant comme les mots d'une chanson populaire qu'aurait pu roucouler Dalida dont on parle tant ces jours-ci : Il me semble désormais que Roger est en Italie  (1). Pourquoi, alors, ne l'avions-nous pas encore lu, cet opuscule? Parce que c'est comme ça. Il y a les livres qu'on ne laisse pas attendre et puis ceux - tellement plus nombreux - pour lesquels on se contente de promesses (sans parler de ceux que, pour tout un tas de raisons, on n'ouvrira jamais, si tant est qu'on en connaisse l'existence).
   Donc un livre mince, mince, mince signé Frédéric Vitoux. Un livre sur quoi? Sur la disparition d'un ami qui  n'est désigné ici que par son prénom (2). Critique de cinéma, un jour il lâche les salles obscures pour l'éclat vif de l'Italie. Ses paysages, ses monuments, ses artistes, ses musées... Passion totale et folle qu'il partage, en conversation mais aussi en simples cartes postales, avec le narrateur et son épouse. Jusqu'au jour où il s'éclipse. Furtivement. Un mal foudroyant. Frédéric Vitoux apprend la nouvelle à son propre retour d'Italie le 15 septembre 1985. "Qu'est-ce qu'il lui avait pris, cette fois, à Roger? [...] C'est facile à dire, une leucémie. Non, il y avait un truc, un tour de passe-passe, une mauvaise blague, l'un de ces jeux de mots consternants, de ces escamotages dont il avait le secret. Tout allait se dissiper très vite".
   Mais non, rien ne se dissipa. Ni la mort de Roger. Ni le lien qui l'unissait à Frédéric. Un lien magnifié dans cette brève et lumineuse évocation dont on retiendrait cette définition s'il fallait en privilégier une : "Un ami, c'est un démultiplicateur de bonheur". Soulignons l'expression. On y reviendra. En attendant, permettez qu'on retourne trier tous ces livres posés là, sur les croulantes étagères . En espérant d'autres résurgences de cette sorte. Et dire qu'il ne s'en serait fallu de rien pour qu'on passe à côté. Mince, mince, mince alors! D.P.
____________
(1) Actes Sud, 1986.
(2) Il s'agit en fait du critique Roger Tailleur (1927-1985), collaborateur de Positif, des Lettres Nouvelles et de France Observateur. 
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13 janvier 2017 5 13 /01 /janvier /2017 22:17
Monsieur Hublot et Monsieur Hulot

   Pendant que Thomas Pesquet s'adonnait ce vendredi 13 à sa petite balade interstellaire retransmise sur tous nos écrans, à deux pas de chez lui, dans sa Normandie natale, d'autres jeunes gens, fatalement moins médiatisés, s'activaient à une tâche qui, pour être plus terre à terre, n'en était pas moins aventurière. Quand notre flâneur de l'espace, harnaché dans sa moumoute cosmogonique, remplaçait les accus de son véhicule céleste, les ouvriers d'Easybike à Saint-Lô assemblaient, eux, les nouveaux Solex. Mais oui, vous avez bien lu : des Solex. Certes, ce ne sont plus les pétaradants deux-roues des années 50 et 60 immortalisés par Marie-Christine Barrault  dans Ma nuit chez Maud ou par le flegmatique Mon oncle de Tati, mais ils en ont gardé, sinon l'esprit, du moins vaguement la forme.

  Après des délocalisations en Italie, en Hongrie puis en Chine, le mythique engin, cher au poète Jacques Réda, est donc derechef fabriqué chez nous, à défaut d'avoir complètement renoncé aux pièces importées. Avec cependant une différence de taille avec son prédécesseur. Fini le bon vieux moteur à galet carburant à la solexine posé de guingois sur la roue avant. Les tout récents modèles sont électriques. Exactement comme la station orbitale de notre natif de Rouen parti voir là-haut s'il y était.

   Dites, ce serait trop chou si, une fois revenu sur le plancher des vaches blanches et noires, notre ex-Monsieur Hublot enfourchait une de ces bécanes branchées pour faire, non plus le tour de la planète à 28 000 km/h, mais juste un petit tour sur la Terre à la vitesse de Monsieur Hulot.  D.P.

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9 janvier 2017 1 09 /01 /janvier /2017 21:57
Photo D.P.

Photo D.P.

JEUX D'ENFANTS AU BORD DE L'EAU À LA MI-DÉCEMBRE

 

Sur l'étang gelé ils lancent des pierres

petits enfants blonds comme des galets

avec leurs poignets et leurs doigts de verre

brisant tous les ongles dont ils n'ont besoin

 

C'est beau de jeter l'ongle ou bien la pierre

sur l'étang où plus un bateau ne vient

c'est mieux de pouvoir briser les images

sur l'écran où pas un radeau ne va

 

L'hiver quand la glace fait un mausolée

l'eau de l'étang noir n'est pas morte encore

et si les enfants veulent l'achever

petits enfants roux comme des aurores

 

il leur faut viser le plus vulnérable

près du saule au tronc à demi liquide

cette tache brune ce poisson de sable

qui serait le cœur des noyés du monde.

 

(in Liaisons intérieures et autres lignes, Cheyne éditeur, 1990).

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4 janvier 2017 3 04 /01 /janvier /2017 23:34
Photos © D.P.
Photos © D.P.
Photos © D.P.

Photos © D.P.

La nuit elle pousse du doigt une porte

et marche sur la Terre en pantoufles.

La neige est la seule morte

qui vit encore sans un souffle.

 

Elle revient vers nous à petits pas,

emporte l'édredon du lit

mais nous ne l'entendons pas,

nous qui dormons à l'infini.

D.P.

______

(in Un long silence pâle, pré # carré éditeur, Grenoble, 2013).

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3 janvier 2017 2 03 /01 /janvier /2017 23:49
Bye bye John

"Il n'y a pas un nuage dans le ciel de Vogüé, sur la rive droite de l'Ardèche. On entend le bruit de l'eau qui lave, polit et déplace les pierres. La rivière est pleine de tourbillons, son courant est rapide. [...] Je regarde les oiseaux en amont qui plongent sous sa surface argentée. Un peu plus tôt ce matin, je suis allé prier pour Anne, dans la chapelle, au pied des falaises. Anne est la mère de mon ami Simon ; elle est en train de mourir chez elle - dans sa maison avec un jardin - à Cambridge. Si je le pouvais, je lui enverrais le bruit de l'Ardèche, qui tinte comme une promesse à la fois infaillible et imprécise".

______

En apprenant, ce mardi 3 janvier, la disparition de John Berger, j'ai ouvert, au hasard, D'ici là  (L'Olivier, 2006, traduit de l'anglais par Katya Berger Andreadakis), l'un des nombreux livres du plus Britannique des Haut-Savoyards - à moins que ce ne soit l'inverse (il vivait depuis une quarantaine d'années dans une ferme isolée au hameau de Quincy, à Mieussy, dans la vallée du Gifre, d'où il s'échappait pour de longues virées à moto). Auteur d'une œuvre protéiforme et très engagée à gauche, Berger, qui avait obtenu le Booker Prize (équivalent de notre prix Goncourt) dans son pays d'origine en 1972 pour G (L'Olivier), fut également le scénariste de La Salamandre d'Alain Tanner. Il avait 90 ans. D.P.

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3 janvier 2017 2 03 /01 /janvier /2017 18:50
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"
Dans la revue "Théâtre(s)"

Le nouveau numéro de la riche revue Théâtre(s) vient de paraître. Parmi de nombreux articles, critiques, reportages ou autres portraits très intéressants ("Être comédien aujourd'hui", "Alain Badiou dramaturge de la pensée", un hommage à Dario Fo, récemment disparu...), on lira des enquêtes de Nadja Pobel consacrées aux "Comédiens [qui] choisissent la mise en scène" et à "La fureur du théâtre sud-américain". D.P.

________

 

- Théâtre(s), "Le magazine de la vie théâtrale", n° 8, hiver 2016, 160 pages,

12 €, en kiosque.

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31 décembre 2016 6 31 /12 /décembre /2016 17:16
Et donc, bonne année à tous!
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31 décembre 2016 6 31 /12 /décembre /2016 11:04
La crève des confiseursLa crève des confiseurs

Est-ce que l'on meurt davantage au moment des Fêtes? Évidemment, posée comme ça, la question a l'air idiote. N'empêche, ce n'est pas la première fois qu'on constate un emballement des disparitions aux alentours de la Saint-Sylvestre. À peine 2016 avait-elle commencé qu'il avait en effet fallu saluer, dans un mouchoir de poche, Michel Delpech, Galabru ou Pierre Boulez. Et voici qu'à l'autre extrémité de cette même année, les "nécros" se bousculent à nouveau avec, à la clé, l'implacable loi des "audiences post-mortem". Ainsi, se sera-t-on très injustement moins souvenu du grand auteur-compositeur-interprète Jean Vasca, mort pendant son sommeil au solstice d'hiver, chez lui à Rivières, dans le Gard, à 75 ans, que de Michèle Morgan ou de Claude Gensac, la "Ma biiiche!"  des Gendarmes de De Funès, parties l'une le 20, l'autre le 27 décembre. Médiatiques cendres chaudes auxquelles s'ajoutèrent dans la foulée, si l'on ose dire, celles de George Michael avant, que ne "rappliquent" le lendemain, mercredi 28, Michel Déon et Pierre Barouh.

   Simple hasard du calendrier ou funèbre illusion d'optique, rien de plus, aux yeux des cartésiens, opposés en cela aux statisticiens de la santé qui, carte de la grippe sous leur nez qui coule, préfèrent pour leur part soupçonner les virus de faire leur lit dans la vacuité ambiante. Quoi, une crève des confiseurs? Un peu court, rétorqueront ceux pour qui il ne fait pas de doute qu'aux jours de réjouissance programmée coïncide souvent une rampante mélancolie vénéneuse. Une hypothèse que, du reste, l'œuvre du romancier des Poneys sauvages et d'Un taxi mauve n'aura, à sa manière, cessé d'accréditer. Jamais chez lui, rappelons-le, la quête du bonheur n'a vraiment masqué la fêlure de vivre, que ce soit à Saint-Germain-des-Prés, en Italie, sous le soleil des îles grecques ou sur la gaullienne lande irlandaise. Lecteurs de l'académicien stendhalo-maurrassien, pour qui "tout voyageur [est] un homme traqué, découvrant sa solitude, son impuissance à entrer dans la comédie ou la tragédie qui se se jouent autour de lui", on avait, en tout cas, compris depuis belle lurette qu'il ne suffit pas d'être adepte des meilleurs whiskies pour parvenir à noyer ses désillusions dans le malt du siècle.

   Déon s'est éclipsé à un peu plus de trois ans de son centième anniversaire, emportant avec lui sa cinglante insolence et sa désinvolture "hussardienne". Heureusement, il nous reste, comme on dit souvent sans peur du cliché, sa petite musique et sa voix. Sa voix ba da ba da da ba da ba da, pourrait-on presque fredonner pour adresser conjointement un clin d'œil à l'auteur des paroles de la célèbre ritournelle lelouchienne, composée par son complice Francis Lai. Barouh, le créateur du label Saravah et qui, avec À Bicyclette, permit à Montand d'enfourcher l'endurant succès que l'on sait, s'en est donc allé, à 82 ans, le même jour que Déon. S'il n'y a pas beaucoup d'autres points communs dans leurs trajectoires que celui de leurs échéances terrestres à la boucle du calendrier, au moins partageaient-il ce goût pour les belles histoires d'amour d'un homme et une femme, fussent-elles fulgurantes dans leurs élans d'éternité.

   Et tant mieux si aujourd'hui, dans ce tombeau commun posé de guingois entre les derniers soupirs de 2016 et les premiers vagissements de 2017, leurs "voix ba da ba da da ba da ba da / chantent tout bas ba da ba da da ba da ba da" et que "nos cœurs y voient ba da ba da da ba da ba da / comme une chance comme un espoir..." . D.P.

 
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27 décembre 2016 2 27 /12 /décembre /2016 22:09
Rue de la bêtise

Julien Sanchez, le maire FN de "Beaucaire, ville française!" - puisque tel était, point d'exclamation compris, l'intitulé de sa liste pour les élections de 2014 - n'en est pas à son premier coup d'éclat. Ce qu'il aime par-dessus tout, quand il n'est pas occupé à installer une crèche dans les locaux municipaux, c'est débaptiser les voies publiques. S'inspirant, à l'automne 2015, de son voisin de géographie et d'idéologie biterrois Robert Ménard, il avait changé la rue du 19-Mars 1962 en rue du 5-Juillet de la même année, date du massacre de centaines de civils européens et musulmans à Oran. Et voici qu'aujourd'hui sa proposition de créer une "rue du Brexit"  se voit triomphalement adoptée par son Conseil largement acquis à sa cause. Un désir dicté, explique le jeune élu sur Twitter, par la nécessité de "rendre hommage au choix des Britanniques de quitter l'Union européenne". Et au cas où on n'aurait pas compris que cette décision se voulait d'abord polémique, le compte rendu des délibérations est là pour préciser que la nouvelle artère sera adjacente à la rue Robert-Schuman, l'un des fondateurs de l'Europe, comme on le sait.

   On souhaite bonne chance à l'édile dans sa volonté de faire passer pour un coup d'audace ce qui n'est, qu'on le veuille ou non, qu'une façon d'insulter l'histoire. Sans compter que privilégier un anglicisme ne relève pas vraiment de l'obsession nationale dont se prévaut le parti du pseudo-iconoclaste. Une désignation, du reste proche par sa consonance du néologisme retenu, aurait à coup sûr mieux convenu. Plutôt que "rue du Brexit", on avoue en effet une petite préférence pour "rue de la bêtise". Et ça au moins, monsieur le maire, c'est du pur français. D.P.

 

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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