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21 octobre 2011 5 21 /10 /octobre /2011 21:28

   On aurait tant aimé pouvoir se passer de ça. De ces images diffusées en boucle sur les canaux les plus sérieux de nos téléviseurs. L'ex-tyran violenté, lynché, près de mourir semble-t-il, épongeant à plusieurs reprises le sang de son visage avec sa main. Séquences syncopées, jouissifs caméscopes de la vengeance, triste divertissement à portée de réseaux dits sociaux. On aurait tant aimé ne pas voir et revoir ça. Ces scènes de liesse autour de la dépouille d'un homme - oui d'un homme, malgré tout -, blessures encore à vif, torse nu, ventre sanglé, allongé dans une chambre froide de Misrata. Pervers défilé de spectateurs "révolutionnaires"  venus se photographier devant leur trophée de guerre.
   Le couple Ceausescu exécuté sous nos yeux, devant nos crèches de Noël, en 1989 ; Saddam Hussein pendu en mondiovision sept ans plus tard toujours au temps des santons ; et puis donc, maintenant, Mouammar Kadhafi exhibé face à l'hilarité replète des nations bien-pensantes avec la bénédiction d'un talion de pacotille. Dites, dans quel Moyen-Âge moderne vivons-nous pour trouver notre délectation dans l'iconographie du châtiment à l'heure du dîner en direct live? Ce staccato d'images déshumanisées n'apporte rien, ni aux faits immédiats, ni à l'histoire et moins encore aux fondements d'avenir que le peuple libyen est désormais à même - enfin! - de poser.

   Attention, il n'est pas question ici d'un de ces sursauts absurdes de je ne sais quel "grandcoeurisme" de mauvais aloi, destiné à trouver soudain des vertus à celui qui fut l'un des dirigeants-bouffons les plus méprisables de la planète. Non, chassons toute ambiguïté: que la page de la dictature de Tripoli se tourne, après 42 ans d'abjection (et de récurrentes complicités occidentales et pétrolifères), est une excellente chose. Mais aucune civilisation ne se grandit en ajoutant de la barbarie à la barbarie. Y compris celle des images d'un nauséeux péplum final. D.P.     

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 22:06

  Ainsi donc Mouammar Kadhafi est mort. Tué par ceux-là mêmes qui, il y a moins de deux ans, l'accueillaient en héros. Vertige de l'histoire immédiate. Trouble. Questions. Cela s'est passé près de Syrte, son fief, qu'il tentait de fuir. Envie, juste, pour se rincer l'esprit - et sans lien avec ce qui précède, quoique... -, de relire quelques lignes du Rivage des Syrtes de Julien Gracq.

   Celles-ci, par exemple: "Il y a dans notre vie des matins privilégiés où l’avertissement nous parvient, où dès l’éveil résonne pour nous, à travers une flânerie désœuvrée qui se prolonge, une note plus grave, comme on s’attarde, le cœur brouillé, à manier un à un les objets familiers de sa chambre à l’instant d’un grand départ. Quelque chose comme une alerte lointaine se glisse jusqu’à nous dans ce vide clair du matin plus rempli de présages que les songes; c’est peut-être le bruit d’un pas isolé sur le pavé des rues, ou le premier cri d’un oiseau parvenu faiblement à travers le dernier sommeil; mais ce bruit de pas éveille dans l’âme une résonance de cathédrale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l’oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n’a pas plus d’écho que la mer. Notre âme s’est purgée de ses rumeurs et du brouhaha de foule qui l’habite; une note fondamentale se réjouit en elle qui en éveille l’exacte capacité. Dans la mesure intime de la vie qui nous est rendue, nous renaissons à notre force et à notre joie, mais parfois cette note est grave et nous surprend comme le pas d’un promeneur qui fait résonner une caverne: c’est qu’une brèche s’est ouverte pendant notre sommeil, qu’une paroi nouvelle s’est effondrée sous la poussée de nos songes, et qu’il nous faudra vivre maintenant pour de longs jours comme dans une chambre familière dont la porte battrait inopinément sur une grotte". (Editions José Corti, 1951). D.P.

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 21:01

     Ca y est, il est né. Qui ça, "il"? Mais le bébé de l'Elysée, pardi! Ou plutôt "le nourrisson", comme l'appelle sa maman dans un document télévisé diffusé ce jeudi soir sur France 2. Un évènement? Avant d'accoucher Carla a tenu à relativiser: "C'est un moment heureux et banal". Donc, promis, pas question d'exhiber l'enfant. Pas de photo officielle. Pas de plan com' prévu. Qu'on se rassure pourtant (si tant est qu'on s'inquiétait): il ne sera pas dit qu'on ne voie pas bientôt la jolie frimousse, nous ne sommes pas au siècle de l'image pour rien.
   En attendant, l'attitude paternelle nous a rendus un peu perplexes ces dernières heures. Après un court moment passé à la clinique de la Muette, Nicolas Sarkozy s'est envolé pour Francfort où, soit dit en passant, il n'était pas invité. Fichu dilemme tout de même. Choisir entre la cigogne ou l'avion. Sauver l'euro avec Angela ou saluer l'angelot avec "areu". Il doit y avoir plus simple dans la vie. Et puis donc, on l'a appris tardivement, c'est une fille. Du rose, encore du rose, voilà décidément la couleur du moment...
   Reste une particularité: c'est la première fois qu'un président en exercice et son épouse ont un enfant. Quoi qu'on tente de nous faire croire, la chérubine tricolore prendra toute sa place dans la campagne qui commence. Fût-ce en dormant, fût-ce en suçant son pouce, fût-ce métaphoriquement. Car enfin quoi, parler d'avenir dans les prochaines semaines revêtira immanquablement, pour le candidat sortant, une dimension à la fois collective et privée. Et la jeunesse, thème favori de François Hollande, se trouvera en quelque sorte illustrée concrètement par son concurrent.
   Allez, terminons sur une autre bonne nouvelle. La future jeune élève ne sera pas "évaluée" en maternelle ("RAS" , à "Risque" ou à "Haut risque"). Luc Chatel vient de renoncer à ce délirant projet. Pile poil au moment de la venue au monde de cette nouvelle petite Française (presque) comme les autres. C'est beau, quand on y pense, tous ces fronts bienveillants penchés sur un couffin. D.P.

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 21:25

     Elle avait quelque chose de bizarre, cette Convention de l'UMP qui s'est tenue ce mardi soir à Paris. Certes, son but était clair. Il s'agissait, pour le parti de la majorité, de reprendre l'initiative au lendemain de plusieurs semaines d'occupation du terrain médiatique par le PS. L'objectif n'avait rien de vraiment surprenant non plus. La droite, aiguillonnée par un Nicolas Sarkozy furax de la rivalité montante de François Hollande sacré par la primaire, s'était promis de décortiquer, chiffres à l'appui, le projet socialiste. Non, ce qui était étrange, c'était, si l'on ose dire, le décor.

   Les images qu'on a vues sur nos écrans rappelaient étrangement un jeu télévisé. Pour un peu, on se serait cru au Juste prix. Manquait plus que Lagaf. Ou alors, dans un registre moins futile, il y avait quelque chose du Téléthon dans ce plateau. Au-dessus de la tête des intervenants, les douze petites cases d'un compteur électronique crépitaient comme au plus fort des promesses de dons. Sauf qu'il ne s'agissait pas de générosité mais de l'inverse. Sur l'air du "grand malendu"  et, de surcroît, sous la menace d'une dégrAdation de la note des bAnques frAnçaises, les quinze ministres qui faisaient bloc autour de Jean-François Copé, ont pointé, stigmatisé, dénoncé, riposté, cogné. C'était carrément de l'artillerie lourde. En les écoutant, on se disait: "Bon sang, si ça continue à ce rythme, ça promet!".

   Esquivant les coups, François Hollande avait préféré, lui, aller compter les buts du match Real-Lyon à Madrid. Les sondages ne manqueront pas de dire qui, dans cette histoire, a fait le bon calcul. D.P.   

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 20:03
- Pessin-003.jpgMarc Pessin, le graveur-éditeur de Saint-Laurent-du-Pont, dans l'Isère, est un épatant touche-à-tout qu'on ne présente plus. Mais ce qu'il affectionne peut-être plus que tout, ce sont les correspondances. Celles de Baudelaire sans doute, mais aussi celles qu'achemine la Poste. Les destinataires qui ont eu le plaisir de recevoir un jour une lettre de lui savent à quel point elles sont marquées par sa calligraphie si particulière. Mais ce que la Bibliothèque de Grenoble donne à voir ces jours-ci, c'est, à l'inverse, une sélection des courriers que quelques-uns des proches du "conservateur et directeur du Grand musée de la civilisation pessinoise" - telle est l'une des adresses qu'on peut lire sur une enveloppe ludiquement affranchie - se sont amusés à lui expédier. Chaque pli est une oeuvre d'art en soi. Celui-ci, de Chris Besser, recycle coquillages et médailles. Celui-là, de Marie Morel, autre originale adepte du "mail-art", s'orne d'une paire de lunettes. Quant à Mariette, fille de Marc et talentueuse plasticienne elle-même, elle a carrément inventé le concept de missive-chaussette. Allez, filez d'un bon pied voir cette expo. Et c'est franco de port. 
   Deux mots encore. Ils sont empruntés au texte liminaire affiché à l'entrée de l'expo et ils sont bien sûr signés de Marc Pessin: "La lettre incarne l'esprit immatériel que les hommes se transmettent sans altération. Elle est en quelque sorte un sismographe de nos vies. [...] L'art de la poste, le mail-art comme on dit maintenant, est un art de la donation, un vecteur d'émotions et d'amitié". Plutôt bien envoyé, non?,  
   (Marc Pessin "Art timbré", jusqu'au 12 novembre, Bibliothèque du Centre ville 10, rue de la République, Grenoble, tél.: 04 76 54 57 97).
 
Drôle d'effigie ailée sur l'un des plis adressés à "l'entomologiste" Marc Pessin. Photo D.P.

2011-automne--Brou--Beny--champignons-023.jpg- Après Frédéric Benrath, Daniel Sarrabat. Et mieux vaut annoncer la couleur. C'est une rupture totale de ton d'une exposition à l'autre sous les voûtes gothiques de Brou. Rupture tout à la fois chronologique et thématique. Benrath (1930-2007) incarnait l'abstraction contemporaine poussée à la limite du monochrome. Sarrabat (1666-1748) est un émule de Poussin. Mais soyons francs: qui le connaissait? Félicitons donc le musée bressan pour cette redécouverte, d'autant plus que les 54 oeuvres (dont 36 tableaux) de celui qui fut "l'un des plus grands peintres d'histoire à Lyon et dans sa région"  maintiennent, au gré des salles, la curiosité parfaitement en éveil. On salue la maîtrise du débutant "monté"  de sa capitale des Gaules natale à Paris, on mesure l'ampleur précoce de son talent avec les travaux réalisés lors de son séjour à Rome (1685-1694), on est happé par les grandes toiles conçues après son retour entre Rhône et Saône (1716-1732). A découvrir tout particulièrement  le décor mythologique de l'Hôtel de Sénozan à Lyon et la série de tableaux illustrant l'histoire de Marie-Madeleine de l'église de Thoissey (Ain).
    (Daniel Sarrabat "L'Eclat retrouvé", jusqu'au 29 janvier 2012, Monastère royal de Brou 63, boulevard de Brou 01000 Bourg-en-Bresse, tél.: 04 74 22 83 83). D.P.

 

L'une des oeuvres de Daniel Sarrabat visibles actuellement au musée de Brou. Photo D.P. 

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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 20:50

   Le "jour d'après". C'est comme ça qu'on dit d'habitude pour désigner un lendemain de cap franchi dans l'euthousiasme. L'euphorie de la veille s'est un peu altérée. L'air de la fête est déjà plus acide. Le rose aux joues s'atténue. Bref, c'est "le jour d'après". Le jour d'après l'élection de François Hollande, c'était donc aujourd'hui. Et comment ça allait? Eh bien, justement, comme un lundi. Non pas que les bonnes intentions spontanées se fussent d'emblée envolées. Mais enfin que voulez-vous, la rude réalité reprend vite le dessus. On a tiré des plans sur la comète présidentielle. On a esquissé des portraits. On a humé des senteurs d'Auvergne. On a déniché une vieille Une de Paris Match. Même Lionel Jospin est sorti du bois d'un certain 21 avril pour s'exprimer sur Canal +. Juste après, c'est François Fillon qui dénonçait une "illusion d'optique due à l'overdose médiatique". Ah, la presse..

   On a parlé de "marge de manoeuvre". D'aucuns, ici ou là - et même surtout là -, ont jugé inéluctable un rééquilibrage du PS. On s'est repassé le film au ralenti. On a monté le son pour réécouter de plus près le mot "rassemblement". En apparence, il sonne toujours aussi bien. Dans les faits, il est difficile de ne pas y discerner quelques timides fausses notes. On a répété: "La campagne est lancée". On a soupiré: "Elle sera longue", comme on misait jadis sur la durée d'une guerre.

   Et puis, signe qui ne trompe pas, on a ressorti la machine à compter les jours. Celle qui, depuis des lustres, fait tic-tac au cadran patiné de notre démocratie haletante. Nous étions, paraît-il, ce 17 octobre 2011, à J - 202 du premier tour de la présidentielle. 202 occasions de débattre, de s'affronter, de soutenir ou de pourfendre la "Hollandie" ou la "Sarkozie". 202 risques de trouver le temps long. 202 "jours d'après". D.P.

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16 octobre 2011 7 16 /10 /octobre /2011 21:42

  On dira ce qu'on voudra mais elle avait de la gueule cette soirée-là. D'abord parce qu'elle était l'aboutissement d'une longue campagne inédite riche en débats de haute tenue et en leçons démocratiques. Et puis surtout parce qu'elle a su éviter tout ce qu'on pouvait redouter. Adieu la "mollesse", adieu "le candidat du système", adieu les petites piques, fussent-elles feutrées, l'heure était au "rassemblement" autour de l'"impétrant" vainqueur, et pour une fois, on aurait juré que ce joli mot, "rassemblement", n'était pas vain.
   Bon sang, mais que s'était-il donc passé pour que tout à coup on n'ait plus le sentiment d'avoir affaire à la gauche la plus bête du monde? Car il faut bien admettre que cette union instantanée, cette fusion, autour de François Hollande de celles et ceux qui, peu de jours auparavant, étaient encore ses rivales et rivaux sonnaient juste. Le fair-play de Martine Aubry avait quelque chose d'exemplaire. L'impétueux Arnaud Montebourg a affirmé une "loyauté totale". Et même Ségolène Royal, la pleureuse du dimanche précédent, affichait un soutien non feint à son ex-compagnon.

   Réconfortante soirée, oui, en tout cas pour le "peuple de gauche" qui n'avait pas vécu ça depuis longtemps. Peut-être bien, toutes proportions gardées, depuis mai 1981. Est-ce à dire pour autant que le François triomphant du second tour de cette primaire socialiste rejoindra dans l'histoire son emblématique prédécesseur? La route sera longue encore jusqu'au printemps prochain et, bien sûr, il faudra que la magie rose d'automne ne se dissolve pas, comme l'espère une droite en mal de ressaisissement. Le pré-président François Hollande, l'homme qui veut "réinventer le rêve français" en misant sur la jeunesse, n'ignore rien de la rudesse du combat qui s'annonce. Il connaît aussi le risque qu'entraîne, de facto, une entrée en campagne aussi précoce. A lui, maintenant, au lendemain de cette belle nuit de mai en octobre, de savoir à son tour "donner du temps au temps". D.P.     

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 21:13
Retrouver, ce mercredi 12 octobre, dans la rubrique "Autrement dit"
(p. 27), du quotidien  journal, une tribune de Didier Pobel.
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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 20:55

   Vous savez ce que sont devenus François Hollande et Martine Aubry au lendemain du premier tour de la primaire socialiste? Ne vous fiez pas aux apparences, ce ne sont pas des ennemis, ni même simplement des rivaux. Non, ce sont des "impétrants". Des impé-quoi? Ne cherchez pas. La définition est d'Arnaud Montebourg. Lundi soir, au vingt heures de France 2, il a prononcé ce vocable pas moins de trois fois en une dizaine de minutes. L'"arbitre du deuxième tour"  n'avait pas terminé sa prestation que nous avions déjà le nez dans nos dicos. Certes, le mot ne nous était pas inconnu, mais il y avait urgence à ce que nous nous rafraichissions la mémoire. "Impétrant", ça vient du latin impetrare, "obtenir". La définition est un peu plus précise: un impétrant est une "personne qui a obtenu de l'autorité compétente quelque chose (charge, privilège, titre) qu'elle avait demandé officiellement". OK, mais dans ce cas, Montebourg, vainqueur s'il en est du scrutin du 9 octobre, est lui-même un impétrant.

   Bah, direz-vous, il y a plus urgent sur terre, par les temps qui courent, qu'une petite leçon de sémantique. N'empêche, il est bien difficile de ne pas voir dans l'usage récurrent de ce terme vieilli et hautain une manière pour l'orateur de rappeler que c'est lui le patron, qu'il a déjà, en quelque sorte, obtenu le dernier mot. Un autre document consulté précise encore que "l'impétrant est celui qui prête un serment d'allégeance au roi". Là, on comprend un peu mieux le choix lexical de l'homme qui, riche de presque 17% de voix, est au coeur de toutes les convoitises, de toutes les aspirations, de toutes les calinothérapies.

   A l'heure où ses deux devancier(e)s, quitte à oublier leurs propos passés, n'ont qu'un souci, s'afficher le plus "montebourgo-compatible" possible, le député de Saône-et-Loire rit rose. C'est lui, à l'évidence, qui est à même de tirer les ficelles électorales. Et il peut le faire de deux manières opposées. Soit en donnant des consignes savamment dosées. Soit peut-être plus encore en n'en donnant pas ouvertement. Simplement, façon Mitterrand, en usant de non-dits, de sourires, de mimiques. Sans oublier, plus impétrant encore, en usant de mots rares. D.P.       

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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 21:37

   2011-oct.--Primaires-PS--Musee-002.jpgDrôle de dimanche! Il y avait quelque chose de festif dans l'air frisquet d'octobre. Dès le matin, d'inattendus attroupements se formaient devant certains lieux publics. Un engouement qui en rappelait un peu un autre. Mais non, là c'était autre chose: c'était journée portes ouvertes aux monuments socialistes. On se serait vraiment cru jour d'élections. Entendez: les vraies, les définitives. Il fallait se pincer pour revenir à la réalité.

   Ce n'était qu'un préalable, qu'une initiative propre à un seul parti. N'empêche, quelle réussite, quel magnifique succès populaire, quelle belle leçon de démocratie! Pendant que la gauche rosissait de satisfaction, la droite en palissait de jalousie. A en oublier presque qu'il allait y avoir un second tour. Et pourtant la semaine qui commence s'annonce fatalement moins harmonieuse. Car le véritable vainqueur, ce ne fut pas François Hollande ni Martine Aubry, mais bel et bien Arnaud Montebourg, le chantre de la démondialisation à l'origine de cette consultation historique, fort d'une troisième position reléguant loin derrière la grande perdante, Ségolène Royal.

   Place maintenant aux tractations, aux négociations et, ne rêvons pas, sans doute aux petites combines. Les heures et les jours qui viennent se vivront au rythme des palpitations des convictions et dans le cliquètement fiévreux des calculettes politiques. N'oublions pas que le voeu le plus cher du peuple de gauche, filles et fils de Jaurès, de Mendès et de Mitterrand, chacune et chacun à sa manière cheville ouvrière des fondations de la VIe République de l'automne 2011, c'est que la haute tenue des débats initiaux ne se mue pas en nocive cacophonie. Ce n'est pas parce que le PS a gagné les primaires qu'il doit considérer la suite comme secondaire. D.P.      

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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