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3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 21:49

   Au terme de huit mois de diète médiatique, Nicolas Sarkozy, ulcéré par le retentissement de la primaire socialiste, a décidé de mettre les bouchées doubles. A peine un peu plus d'une semaine après son grand retour sur le petit écran, acquis clé en main face à Jean-Pierre Pernaud et Yves Calvi, voilà qu'il récidive dès ce vendredi. Et pas n'importe comment. Ou, plutôt, pas avec n'importe qui. C'est auprès de son homologue américain himself  que le président français apparaîtra lors d'une interview croisée diffusée pendant les journaux télévisés du soir.
   Sarkozy et Obama au "G 20 heures" de TF1 et France 2? L'exercice, parfaitement inédit, "en jette". Les deux chefs d'Etat ne parleront probablement pas de leurs filles, comme ils l'ont fait, auparavant, en aparté, à Cannes. Seules la crise et l'économie mondiale seront au programme et il y a peu de risques que les amis bilatéraux, aussi prestigieux soient-ils, règlent le problème en un quart d'heure.

   Qu'importe, ce qui compte pour le futur candidat sortant à l'Elysée, c'est moins le fond que la forme. Un peu comme si celui qui s'est récemment fait taxer de"petit télégraphiste d'Angela Merkel"  entendait bien clouer le bec à ses détracteurs en sortant de son jeu de cartes international, non plus la dame de pique, mais l'atout de coeur.
   Et les téléspectateurs dans tout ça? Sûr qu'ils ne perdront pas une miette de ce numéro de duettistes aux inévitacles accents de plan com' en vue du printemps 2012. Mais on n'empêchera pas certains de penser que si s'afficher avec l'Allemagne et l'Amérique c'est bien, il y a aussi quelques dossiers franco-français à boucler par ici, fût-ce moins spectaculairement. D.P.  

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3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 10:12

 ... CONTRE TOUTES LES INTOLERANCES.

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 22:41

 Alexis Jenni et Emmanuel Carrère, un Renaudot et un Goncourt    D'abord, il y a son nom. Passons sur l'homophonie avec "génie", elle est déjà usée jusqu'à la corde. Mais reconnaissons que Jenni, ça a de la gueule. A mi-chemin des titres d'un film que Carné tourna en 36 et d'un vieux rock' n' roll de Little Richard. "Oh Jenny, Jenny, Jenny..."  Sauf que lui, c'est avec un "i". Et même si, pour ce prof de "biolo"  lyonnais de 48 ans sacré ce lundi chez Drouant, le Goncourt, ça allait sans dire, avouons que ça va encore mieux en le disant.
   Oui, ce prix nous réjouit parce que L'Art français de la guerre - somptueuse bougie sur le gâteau d'anniversaire de la centenaire institution Gallimard - est un gros bon roman pétri d'histoire(s), brassant six décennies de conflits vécus dans la chair des hommes sacrifiés, dans la mémoire mutilée de ceux qui restent et à travers la maîtrise narrative de celui qui recueille et assemble aujourd'hui ces bribes de destins triomphants et de fiascos funesques.

   Le projet est ambitieux, la fresque éblouissante, et des ex-champs de bataille coloniaux aux rondes sécuritaires de nos villes modernes ("Nous ne connaissons pas d'adversaire, juste l'ennemi"), c'est le même frisson qui saisit un lecteur avançant tour à tour dans la moiteur des rizières, dans la puanteur des charniers, dans nos banlieues quadrillées, sinon sous le magnétique brouillard de Lyon, la ville de l'écrivain lauréat né en 1963. Alexis Jenni, à travers son personnage de vétéran devenu peintre, scrute, avec force et loin des idées reçues, des thèmes pourtant aussi rebattus que l'art et la réalité, le bien et le mal, le courage et lâcheté.
   Etrange, et judicieuse, coïncidence, les salauds et les héros sont également au coeur des deux autres livres récompensés le même jour: l'excellent Limonov d'Emmanuel Carrère (POL), ceint du bandeau Renaudot, et le non moins remarquable Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan (Stock), prix Renaudot de l'essai. Sans oublier, dans une thématique très proche, le Retour à Killybegs de Sorg Chalandon (Grasset) qui s'est vu attribuer le Grand prix du roman de l'Académie française dès le 27 octobre dernier. Quand on vous disait que les jurés ont parfois du gén... Ah oui, pardon, c'est vrai, on a dit qu'on ne la faisait plus celle-ci. D.P.

 

Alexis Jenni et Emmanuel Carrère présentant leurs ouvrages primés. Photo D.R.

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   - A lire également, un entretien avec Alexis Jenni par Nadja Pobel

 publié par , à Lyon, le 23 septembre dernier:

 

 

"Entre Louis XIV et OSS 117"

Interview / À peine le temps de terminer un cours de "SVT" qu’Alexis Jenni enfile son habit de romancier pour nous parler de son premier roman, L’Art français de la guerre. Cette fresque grinçante d’un demi-siècle d’histoire de violence française (1943-1991) a reçu un accueil dithyrambique mérité et est en course pour le Goncourt. Rencontre avec un jeune premier auteur de 48 ans étonné et heureux. Propos recueillis par Nadja Pobel.

 

 

Puisque vous décrivez si bien le déchirement d’un couple en début de roman, vous auriez pu faire un roman "à la française», sur l’intime. Pourquoi en avoir fait un ouvrage beaucoup plus vaste ?
 - Alexis Jenni :
Je me dis que quand on se mêle d’écrire, autant être d’une ambition un peu délirante, un peu absolue. On peut très bien être quelqu’un de modeste dans sa vie personnelle mais si on se mêle de faire ça, il faut y aller. Il y a une sorte d’utopie du roman absolu. J’ai des modèles russes et en fait je suis un russe blanc ! (rires). Cette idée de roman excessif me fascine. Tant qu’à faire un roman, autant assumer pleinement mon goût des grands espaces, de la cavalcade, de la scène délirante poussée à bout. Il fallait ces 630 pages ; et encore j’en ai enlevé car il y a quand même l’idée de faire un début et une fin, des étapes. Du coup, l’air de rien, c’est assez architecturé même si des choses débordaient de cette architecture.  

 

   Comme Haenel ou Mauvignier récemment, vous vous emparez de l’Histoire sans avoir forcément comme souci premier celui de la véracité historique...
- Mon souci est de décrire exactement une attitude humaine, c’est même presque une politesse. La vérité historique est parfois biaisée sans que ce soit bien grave, tout simplement parce que la succession réelle des événements ne convient pas à la fiction. Si on voulait refaire la chronologie réelle dans mon roman, on se rendrait compte qu’il y a des zones pas nettes. La fin de la guerre d’Algérie n’est pas rigoureuse d’un point de vue historique mais il fallait ça pour mon personnage. Il y a une exactitude de sens sans une exactitude historique.

  

   De la Deuxième Guerre mondiale aux colonnes blindées qui font aujourd’hui irruption dans les banlieues, vous faites le constat d’un demi-siècle de violence française…
- Récemment, quelqu’un à la radio m’a reproché de soutenir qu’aller arrêter au petit matin un dealer à Vénissieux, c’était la suite de la colonie ; mais je n’ai jamais dit ça. Qu’on arrête les délinquants me va bien. Je suis un petit bourgeois des classes moyennes, j’ai peur des classes dangereuses comme tout le monde. Mais la militarisation, le perfectionnement jusqu’à l’absurde des troupes d’intervention, ces CRS extraordinairement équipés et formés, là, je me dis qu’on a peut-être raté quelque chose, qu’on ne tape pas forcément là où il faut, que ce n’est pas ça qui va résoudre le problème.

 

   Tout est un échec d’ailleurs dites-vous, la guerre d’Algérie n’a servi à rien…
- Mais c’est comme ça. Il y a une tentation de vouloir la force et cette force échoue toujours. Il faut voir le système dans son ensemble. Je n’ai pas d’avis sociologique là-dessus, je ne pourrais pas dire qu’il faut faire comme ci ou comme ça. Tout ce que je peux dire c’est que c’est un principe d’arts martiaux traditionnels que d’énoncer que la force mène à l’échec. Que ce soit dans un affrontement avec quelqu’un ou dans un affrontement social, ça ne marche pas. La littérature a quelque chose à dire sur le contrôle d’identité, la surveillance permanente, les caméras. Le monde dans lequel on vit est une sorte de violence organisée. Un contrôle d’identité n’a l’air de rien mais quand on le subit c’est autre chose. Quand on se fait fouiller en pleine rue alors que l’on sait qu’on n'a rien fait et qu’après le type ne s’excuse pas et s’en va, alors on est rien. Pour moi, c’est au-delà de l’aspect politique, c’est une sorte de nouvelle réalité anthropologique que ce contrôle, cette chasse, l’affrontement dans une ville civilisée. Le lien social se disloque. Le pire est que désormais, la France a une expertise extraordinaire dans ce domaine-là, qu’elle a voulu s'en servir en Tunisie cet hiver et en Angleterre durant les émeutes à Londres. C’est fabuleux. Quand on regarde ça avec un peu de distance, un peu d’humour, on se dit que c’est dingue. N’empêche que nous avons des services à vendre comme ça et que ça représente cinquante ans de formation.

  

   Revenons à la guerre dont vous avez une approche très pragmatique qui vous a parfois été reprochée. Vous parlez de la terreur comme d’une technique...
- Oui. Certains commentaires disent même que je suis crypto-fasciste par ma fascination pour la guerre ; mais ils ont mal lu. Quand je dis que la terreur est une technique, c’est qu’il n’y a pas plus rationnel que la terreur. La bataille d’Alger était le triomphe de l’informatique humaine. Ça a été théorisé par des types hyper-intelligents et ça a marché. Même chose à Oradour-sur-Glane : les Allemands n’arrivent pas comme Attila en détruisant tout ; ces types utilisent des techniques apprises sur le front de l’Est pour couper le peuple de la Résistance en terrorisant sciemment tout le monde.

 

   D’où vous vient cette passion de la guerre alors que vous êtes né dans une famille antimilitariste qui lisait Charlie Hebdo ?
- Cette idée de m’intéresser à la guerre est vraiment née pendant la guerre du Golfe. Pas dans les circonstances décrites dans le livre, c’est exagéré, mais j’ai pour la première fois de ma vie vu la guerre à ce moment-là. Avant l’armée était loin. Et là, on voit ça à la télé. 1991 c’est aussi la fin des pays de l’Est, du petit XXe siècle, la fin des guerres Est/Ouest, Bien/Mal, c’est le retour des guerres d’avant 14. La guerre est un truc étonnant car ça ne nous concerne pas et, en même temps, on y pense beaucoup, il y a plein de films de guerre, plein de livres de guerre, de photographes de guerre. La guerre est peut-être un moyen de placer sa violence, de jouer avec la mort. J’ai voulu régler son compte à toutes ces sociétés un peu infantiles, en essayant de grandir un peu mais en l’assumant aussi pleinement au premier degré. Je ne voulais pas faire l’ironique qui regarde ça en intellectuel supérieur ni jouer au moraliste en disant que c’est pas bien. Regarder la guerre avant de la juger, c’est ce qui a fait exister ce roman.

 

   Vous abordez aussi l’identité, la race, des thèmes qui mènent invariablement à la controverse…
- J’aborde cela en écho à la guerre, dans les "commentaires". Les notions de séparation des races, d’identité, de faciès sont d’une confusion absolue dans le discours commun. J’essaye donc d’y comprendre quelque chose pour des raisons intellectuelles mais aussi pour des raisons personnelles, pour éclairer ce que sont l’ascendance, la transmission. Je fais pour cela le détour par le reste du monde. Au lieu de faire un roman intimiste et autofictif, j’ai fait un grand machin pour tourner autour et ça m’allait bien comme ça.

 

   Vous cassez aussi les idées reçues, peut-être angéliques, selon lesquelles on serait tous des Européens, des habitants du monde.
- On délire là-dessus. La race est réfutée depuis longtemps mais on ne peut pas s’en passer car on a besoin de reconnaître les siens, c’est une sorte de besoin anthropologique. Il n’y a qu’à voir ce qui se dit dans les villages. C’est à la fois quelque chose sur lequel on se replie et quelque chose qui n’existe pas. Je crois que l’identité n’existe pas. Mais on la sent, on la cherche et dès qu’on essaye de dire quelque chose à ce propos, ça devient absurde. Je ne crois pas vraiment qu’il y ait une identité personnelle et encore moins une identité collective.

 

   Vous dites souvent dans ce roman que rien ne change. Êtes-vous un optimiste malgré tout ?
- Je suis un optimiste mélancolique avec à la fois la perception d’un désastre général (la société, le monde et moi-même) et une sorte de regard un peu joyeux sur les choses. Par moment, c’est tellement dingue que ça me fait rire. Je regarde tout ça à la fois effrayé, amusé, horrifié et réjoui par tant de grandeur et de bêtise à la fois. L’Art français de la guerre, c’est quelque chose entre Louis XIV et OSS 117, grandeur et crétinerie, l’un n’empêchant pas l’autre.

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1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 21:59

   Bien sûr, le G 20 à la sauce cannoise aimante déjà toutes les attentions. Mais n'oublions pas que nous avons d'abord un G 10 à nous mettre sous la dent. Dix comme les dix décideurs du plus prestigieux prix littéraire au pays de Molière et de Stendhal. Cela se passera donc ce mercredi 2 novembre, au moment où s'ouvriront les JT de treize heures. On n'y parlera pas du détonnant référendum grec, ni de la finance mondiale, ni même de la dette européenne. Non, entre la poire des délibérations académiques et le fromage des affinités électives, les jurés de la place Gaillon, adeptes tout à la fois de gastronomie fine et de cuisine éditoriale, auront pour délicate mission de désigner sinon le meilleur roman de l'année, du moins celui qui leur paraîtra le mieux en accord avec le goût des gens et les mets de chez Drouant.
   Certes, il est de bon ton de se moquer de ce rituel bien de chez nous, inscrit à chaque automne au temps de la Toussaint, d'Halloween et du beaujolais nouveau. On devrait peut-être, au contraire, saluer cette spécifité nationale qui a pour mérite de mettre le livre à la Une de l'actualité. Le livre? Evidemment, c'est là, dans ce singulier, que les réserves se nichent. Le sacre du champion ne rend que plus criante l'éjection des autres qui, souvent, n'ont pas démérité, au terme d'une pression souvent ravageuse.

   Cette année, en revanche, comme, du reste, la précédente avec Houellebecq, peu de suspens à attendre. Il y a, paraît-il, du Jenni dans l'air. Alexis de son prénom. Un talentueux débutant de tout de même 48 ans. Dans un "pavé"  de plus de 630 pages (*), il revisite avec un incontestable brio notre passé colonial, ainsi que tous les conflits du siècle. Mais ce n'est pas tout. L'auteur parle aussi à merveille de sa ville, Lyon, et des alentours: "Ils traversèrent en camion le tableau flamand du val de Saône, où des champs d'un vert vif sont découpés par les brins de laine un peu plus foncée des haies. Sur le bleu de ciel passaient des nuages à fond plat, très blancs, et dessous allait la Saône qui s'étale plus qu'elle ne coule, miroir de bronze qui flue, mêlant des reflets de ciel à de l'argile" (p.221). Des phrases comme celles-là, on en redemande.
   Alors Jenni, nouvel "impétrant"? Fort probable, en effet. A moins d'un ultime coup de théâtre. Ne négligeons pas tout à fait cette hypothèse. Il n'y a rien de plus inépuisable, sous nos doux cieux, que l'art français de la guéguerre du Goncourt. D.P.

 

(*) L'Art français de la guerre d'Alexis Jenni, Gallimard, 632 p., 21 euros.

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   Petit récapitulatif:

- Mon favori pour le Goncourt: L'art français de la guerre d'Alexis Jenny (Gallimard).

N'oublions pas, pour autant, les trois autres auteurs en lice: Carole Martinez (Du domaine des murmures, Gallimard), Sorj Chalandon (Retour à Killybegs, Stock) et Lyonel Trouillot (La Belle amour humaine, Actes Sud). A signaler que Chalandon, déjà lauréat du Grand prix de l'Académie française, n'a pratiquement aucune chance. Et on aura noté que Gallimard a deux auteurs finalistes, façon sans doute pour le jury de célébrer les cent ans de l'"institution".

   Ce même 2 novembre sera remis le Renaudot, avec une dernière short list de cinq romans: L'Art français de la guerre d'Alexis Jenni (Gallimard), Limonov d'Emmanuel Carrère (POL), Le Système Victoria d'Eric Reinhardt (Stock), Assommons les pauvres de Shumona Sinha (L'Olivier) et Tout, tout de suite de Morgan Sportès (Fayard).

 - Mon favori pour le Renaudot: Limonov d'Emmanuel Carrère.

   Enfin, dans la foulée on décernera le Renaudot-essais à l'un de ces trois ouvrages: Le Souvenir du monde: essai sur Chateaubriand de Michel Crépu (Grasset), Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan (Stock) et Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson (Gallimard).

   - Mon favori pour le Renaudot-essais: Fontenoy ne reviendra plus de Gérard Guégan. 

  

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 22:22

  Peju-004.jpg Un livre où se réfugier comme dans une cabane en ces temps de Toussaint: Enfance obscure de Pierre Péju (*). Un livre grave et calme qui, entre les concepts de l'"Enfantin" et de l'"enfantôme", nous ramène, avec intelligence et brio, dans ce que Bachelard appelait "La vie première". Un ouvrage, à mi-chemin entre l'essai et le récit, qui associe l'acte même de lire au "plaisir de lanterne sourde" . Au "plaisir clandestin de lanterne magique dans la solitude".  En voici deux extraits.

   Dans le premier, Péju fait référence à un grand aîné, l'auteur de La Pensée sauvage: "Evoquant les enfants déguisés en fantômes, squelettes, vampires et sorcières lors de la fête d'Halloween, Lévi-Strauss revient sur cette coutume d'une persécution tolérée des adultes par les enfants. Les enfants jouent les morts [...] mais qui peut personnifier les morts dans une société de vivants, sinon tous ceux qui, d'une façon ou de l'autre, sont incomplètement incorporés au groupe, c'est-à-dire participent à cette altérité qui est la marque suprême du dualisme: celui des morts et des vivants?" (p. 71).
    Le second passage, sans référence à Lévi-Strauss cette fois-ci, se trouve juste un peu plus loin: "On sait que les contes sortent de la bouche des morts, et qu'ils impliquent une proximité des hommes et des animaux. Les contes nous arrivent avec l'écho de la voix de ceux qui les racontent depuis la nuit des temps. Tous morts. Vieux enfants éternels". (p. 74 et 75). D.P.
 
   (*) Enfance obscure de Pierre Péju, Gallimard, collection "Haute enfance", 372 p., 20 euros.

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 21:25

   Le cours du temps est ainsi fait qu'il n'est pas à un paradoxe près. Ainsi donc, à la veille de la Toussaint et à deux jours de la Fête des défunts, il nous faut, ce lundi, célébrer la Fête des vivants avec un gros chiffre rond qui vient bousculer nos égotismes stendhaliens. En ce 31 octobre 2011, date choisie par l'ONU, nous serons en effet sept milliards de Terriens. Difficile d'imaginer ce que ça représente vraiment mais enfin bon, on n'aura pas de peine à admettre que, tout de même, ça en fait du monde. Au juste, comment fait-on pour parvenir au total de sept milliards pile? Allez savoir! Est-ce qu'on a bien ajouté la petite Giulia, est-ce qu'on a ôté Jean Amadou et Robert Lamoureux? Et que fait-on de Brassens puisqu'on n'a cessé de dire, ces jours-ci, que, trente ans après sa disparition, il était plus vivant que jamais?
   Bah, ne chipotons pas. A une ou deux unités près, convenons que sept milliards, c'est vertigineux. Surtout lorsqu'on songe que c'est sept milliards de bouches à nourrir dans un univers en crise, sept milliards d'identités à affirmer sur une planète en proie tout à la fois à une pénurie de travail pour les jeunes et au casse-tête de la dépendance des aînés, sept milliards de solitudes rivées à l'illusoire glace sans tain des réseaux sociaux.

   Sept milliards de coeurs qui battent. Sept milliards de bonheurs à réinventer. Sept milliards de "gens de peu" ou de princes, d'indignés ou de taiseux, d'opprimés ou d'"impétrants". Sept milliards de "Legos" en attente de règle du jeu, en quête de ressources énergétiques et environnementales, de rééquilibrage, de justice.
   Sept milliards de femmes, d'hommes et d'enfants qui rient, qui souffrent, qui se désespèrent, qui s'affrontent, qui parfois s'unissent, qui souvent rêvent. Sept milliards de "nous autres" qui, plus que jamais au moment de la grande addition universelle, ne savent plus sur qui et sur quoi compter. D.P.   
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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 20:29

      La question, c'est toujours la même. Que faisait-on au moment où l'info est tombée? Eh bien moi - pardon pour la confidence -, le 30 octobre 1981 (*), j'arrivais sur le parking d'un supermarché, à deux pas de la Saône. Fin d'après-midi, heure d'affluence, pas d'amoureux sur les bancs publics. La foule grouillait. Les autos rampaient. La radio marchait. Quoi, qu'est-ce qu'elle dit? Brassens est mort. Pardon, vous pouvez répéter? C'était l'époque où les stations n'étaient pas encore frappées de psittacisme. Sauf que là, l'annonce grésilla à nouveau dans le haut-parleur. "L'anar au grand coeur s'en est allé" , ou quelque chose comme ça. Et tout de suite on entendit les premières mesures des Copains d'abord, des Funérailles d'antan ou de J'ai rendez-vous avec vous.
   Dans le magasin, en poussant leurs chariots, les gens s'échangeaient la nouvelle en chuchotant. "Si, si, je viens de l'entendre!"  Une sorte de doux chagrin communicatif se répandit alors. Certains sifflotaient L'Auvergnat, d'autres se taisaient. Dois-je avouer une chose? J'en ai presque honte aujourd'hui, mais je n'étais, bêtement, pour ma part, qu'à demi affligé. Bien sûr, j'aimais Brassens. Le mécréant aux yeux tendres. L'ami des Mimi, des Lisette, des Ninon. Le "pornographe du phonographe". Le descendant de Villon, de Richepin, de Paul Fort. Grâce à lui, je m'étais entraîné, au lycée, à traquer la rime riche. Grâce à lui j'avais déjà usé le bout de mes phalanges - et mes illusions de virtuose - sur un manche de guitare bon marché. Putain d'accords!

   Mais voilà, ma vraie ferveur allait ailleurs. J'étais ferréen. Ou ferréiste. Georges était un chat, genre gentil matou qui griffe. Léo était un chien, façon coups de gueule et morsures au jarret. Oui, c'est comme ça, j'étais du côté des clebs. J'aurais dû savoir, au moins depuis la fameuse interview de Rock et Folk, devenue désormais spectacle, qu'il y a place en ce bas monde pour les chats, pour les chiens et même - car il ne faut pas oublier Brel - pour les chevaux. Mais, parce qu'elle avait quelque chose d'exclusif, ma passion pour Ferré me rendait moins douloureuse la disparition de Brassens. Aujourd'hui, avec le recul, trente ans pile plus tard, je me dis que cette alternative était fatalement un peu sotte. D'ailleurs Ferré est parti lui aussi. Et Brel. Et Ferrat et Dimey et Leprest et tant d'autres...
   Partis, c'est vite dit. Ils sont là, tout près, plus que jamais en notre époque passablement toquée où on voudrait nous faire croire qu'il y a davantage de place pour les chiffres que pour les mots des chanteurs et des poètes. Et à toi, Georges tout particulièrement, en ce jour anniversaire, sans vouloir trop te déranger là-bas sur ta corniche, dans ton caveau de famille plein comme un oeuf, permets qu'on te dise que tout le restant nous indiffè-è-èr-re. Et qu'on a rendez-vous avec toi. D.P.  
(*) Si l'information a bien été divulguée le 30, Brassens, en fait, s'est éteint la veille, le 29 octobre 1981, à 23h14, à Saint-Gély-du-Fesc, dans l'Hérault (Merci à l'ami Bernard pour sa précision).  
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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 21:07

   Sous prétexte de parler de la dette, via un retour en détail sur la longue nuit de Bruxelles de la veille, Nicolas Sarkozy est, en fait, entré jeudi soir, lors de son grand come-back médiatique savamment orchestré, en campagne pour son second mandat. Sous un costume de sérieux prof d'économie, il portait à la vérité un très arrogant habit de représentant d'une politique politicienne n'ayant de cesse de pourfendre, non seulement ses prédécesseurs socialistes (la retraite à soixante ans, la nationalisation des banques ou les 35 heures, interminable antienne de cette soirée sur TF1 et France 2), mais aussi son rival, favorable - oh! l'inconscient - à la création de 60 000 postes d'enseignants.

   Combattant plus que pédagogue, habile plus que convaincant, crispé souvent, crispant parfois, l'"humble" co-sauveur de la planète ("le monde entier, sinon, sombrait dans la catastrophe", rien de moins) a passé l'essentiel de son temps de parole - pas décompté - à pourfendre les autres pour tenter de redorer son blason malmené par l'opinion publique et les sondages, en martelant les concepts de "responsabilité" de "devoir", de "travail"  et de "famille".
   La famille? L'Europe, bien sûr, mais pas seulement. Le nouveau père, sinon de la Nation, du moins d'un bébé pas passé inaperçu, est parvenu à glisser, mine de rien et alors qu'on avait cru comprendre qu'il s'était promis l'inverse, une allusion à sa vie privée ("La naissance de notre enfant"). Il n'en fallait pas plus pour que Jean-Pierre Pernaud saisisse l'occasion: "Comment vont-elles?" Ouf, Giulia et Carla vont bien, nous voilà rassurés. Heureusement, les questions d'Yves Calvi, d'une autre pertinence, n'ont jamais perdu de vue l'objet du débat. Y compris la dernière, malicieusement tricotée à l'endroit et à l'envers: "Serez-vous candidat?"  Faut-il ajouter que la non-réponse de l'"invité"  fut à la mesure de l'ensemble de son intervention: de l'ordre de l'accusation tous azimuts, de l'autosatisfaction et de la prétérition? D.P.      

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 18:42

Couv Tintin 2581.JPG   Il sera donc dit que l'actu du jour [*] est placée sous le sceau de Steven Spielberg. D'abord, bien sûr, parce que sort en salles, ce mercredi, l'étonnante transposition de l'univers d'Hergé signée du réalisateur américain. Mais aussi parce que, dans un tout autre domaine, ce qui se joue là-bas, à Bruxelles, sous forme de Guerre des mondes financiers, s'apparente, qu'on le veuille ou non, à une superproduction en 3 D (D comme dette, évidemment) que ne renierait pas le prestigieux metteur en scène. D'ailleurs, pour un peu, on pourrait rebaptiser cet "ultime" rendez-vous de la "dernière chance" - ah! cette façon hollywodienne de faire monter l'intensité - Les Aventuriers de l'euro perdu. A moins qu'on ne préfère Il faut sauver le soldat EU. Et nul doute qu'une fois de plus les deux poids-lourds franco-allemands sauront, au détail près, régler le haletant Duel.
   Quant au Secret de la Licorne, pour en revenir au film à l'affiche, gageons qu'il reflète aussi, à sa manière, l'ambiance de ce nouveau forcing du Conseil européen. N'y sera-t-il pas question d'énigme, de parchemin incompréhensible, de bateau qui tangue et de pickpokets, sans oublier les milliards de mille sabords du capitaine? Et puis allez, avec un brin d'imagination, on pourrait même y trouver les sosies de Tintin et de la Castafiore. Attention, pas question d'esquisser ici la fin de l'épisode. Terminons juste sur un voeu: que tout ce petit monde, réuni dans la capitale de la BD, retrouve la piste du Trésor. Allez, cherche Milou, cherche! D.P.

 

[*] Celle de demain.

 

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23 octobre 2011 7 23 /10 /octobre /2011 21:39

 sept.oct.-2010-474.jpg  Ils s'appellent Kamel, Omar ou Wahida et, ce dimanche, il s'est passé un drôle de truc pour eux. Ils sont allés voter. Oui, vo-ter, v-o-t-e-r. Je ne sais pas comment ce verbe se dit en arabe mais même en français, c'est magique: vo-ter. Oh, ce ne fut pas forcément facile. Il a fallu d'abord se persuader qu'il était bien nécessaire de reproduire cet acte qui, jadis, n'était qu'un rituel, un simulacre, une guignolerie. Il a fallu se frotter les yeux pour se souvenir que, oui bon sang mais c'est bien sûr, la révolution avait eu lieu il y a neuf mois. Il a fallu faire un choix. Drôle de mot que le mot "choix"  dans un pays où jusqu'à présent il n'y en eut pas. Il a fallu se pincer le nez pour se rappeler qu'on était libre. Etrange mot que ce mot de "liberté"  dans une Terre où longtemps seul le tyran était libre. Libre de soumettre son peuple à sa propre loi.
   L'isoloir, la bousculade, la multitude des listes, le doute, la conscience... Bizarre attirail, étonnant vocabulaire, presque encombrant tout cela, là où il n'y a pas si longtemps il n'y avait place que pour des gesticulations d'automates. C'est le jour du premier scrutin de "l'après"  qu'on mesure pleinement à quel point on sort groggy d'une révolution, surtout lorsqu'elle a été menée par un peuple exemplaire, comme ce fut le cas en Tunisie. De Bizerte à Tataouine, en passant par Sousse et Le Kef, Kamel, Omar et Wahida ont donc ainsi accompli ce geste incroyable qui consiste à glisser un bulletin non imposé dans  une de ces boîtes magiques qui s'appellent une urne.

   "A voté". Pardon? Autant traduire par "A existé". Et souvent sans précédent. Sous le regard du monde entier et plus encore sous celui des Libyens, où le "printemps arabe"  vient de connaître son abrupt épilogue automnal, les sept millions d'ex-"otages" de Ben Ali - dont les ultimes partisans se tiennent toujours en embuscade - nous ont offert un magnifique sursaut de citoyenneté et de dignité. On connaitra le résultat mardi. Mais d'ores et déjà, on peut s'imprégner de cet air nouveau, on peut renifler ce parfum. Celui des tâtonnants lendemains de dictature. Celui des éventuelles erreurs d'appréciation. Celui, inédit et entêtant, des premières élections du jasmin. D.P. 

 

C'était il y a un an pile, du côté de Dougga. Qui aurait alors pu imaginer que la révolution était en marche? Photo D.P.

 

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Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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