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28 novembre 2011 1 28 /11 /novembre /2011 21:28

   Le chômage avec ses taux records, ses édifiants comparatifs, ses experts aux haussements d'épaules fatalistes. Le chômage avec ses "animations" sur l'écran de la télé à vingt heures. Des courbes, des graphiques et des playmobils qui s'entassent pour figurer les spectres vivants pointant au guichet nu. Ainsi donc il nous faut vivre, comme des malades atteints d'une pernicieuse pathologie, au rythme affligeant des tableaux de température, des ordonnances signées à la va-vite, des retouches aux traitements de la veille ou de l'avant-veille. Le chômage avec son emprise collective, ses détresses individuelles, son onde de choc familiale. Le chômage comme un film noir repassé en boucle. "Regarde les hommes tomber"...

   Le chômage n'est pas seulement un marqueur de l'époque, un avatar de la conjoncture, un signe avant-coureur de la récession, c'est aussi, et d'abord, un séisme intime, une ombre que l'on masque, une chose que l'on tait, une honte domestique. Et l'amplitude du phénomène n'y change rien. Il n'y a pas de normalisation possible de l'"a-normal". Le "mauvais chiffre"  qui s'est abattu ce lundi à l'heure pérenne de la réouverture des restos du coeur, s'inscrit plus amèrement encore sur fond de Fêtes de fin d'année et de défaite de la décennie à venir. Qui peut croire, en pareil contexte, à l'aguicheur concert de résolutions politiques exacerbé par les convulsions préélectorales?

   On s'avance, paraît-il, vers une zone euro à deux vitesses... La belle affaire! Le chômage démonétise les promesses autant qu'il carbonise les espérances. Vous vous souvenez de cette ancienne chanson de Félix Leclerc intitulée 100 000 façons de tuer un homme? Après avoir passé en revue les hypothèses les plus diverses pour occire quelqu'un, le créateur québécois du Petit bonheur concluait ainsi: "Non je crois que la façon la plus sûre de tuer un homme / C'est de l'empêcher de travailler...". Nos économistes sont impuissants? Profitons-en pour mieux (ré)écouter les poètes. D.P.

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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 22:31

Hervé Morin a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle, dimanche à Berville-sur-Mer (Eure).   Air du temps, couleurs de saison. Au moment où les guirlandes de fin d'année commencent à clignoter, les enseignes politiques s'illuminent elles aussi. Ici, on voit Nicolas Sarkozy siphonner du mieux qu'on peut l'aider - merci Claude Guéant - les voix du Front National. Là, on suit François Hollande occupé à faire ses classes face au monde de l'Education. Ailleurs, on redécouvre François Bayrou remontant une nouvelle fois, à la béarnaise, sur son cheval blanc d'Henri IV. Que du banal ou presque, si l'on ose dire...
   Heureusement, il y a, dans ce décor ambiant, quelqu'un pour rompre avec cette monotonie qui se croit scintillante. Un drôle de gaillard à l'allure sage ne rechignant pas un instant à s'engager. Il a annoncé ce dimanche sa décision, là-bas, chez lui, dans son fief, entre les ponts de Normandie et de Tancarville. A deux pas de l'estuaire et de l'abyssale immensité.

   Courage, vanité, aveuglement, inconscience, allez savoir ce qu'il anime. Avec un crédit - un discrédit? - de voix oscillant entre 0 et 1%, son cas confine, à première vue, au pathétique. Mais comment ne pas le trouver touchant, le moine soldat du Nouveau Centre? A ce point-là, ce n'est plus de l'initiative politique, c'est carrément du sacerdoce. Ecoutez l'homme qui prêche dans le désert. Regardez-le agiter l'ostensoir de l'UDF. Ce n'est pas un candidat à la présidentielle. C'est Hervé Morin, prêtre. D.P.

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 22:28

   Avec Eva Joly, les Verts sont dans de beaux draps. Pas un jour sans qu'elle ne fasse des siennes. En fin de semaine dernière, elle filait en douce à Angoulême, son Baden Baden de BD. Rien de définitif, juste une petite fugue pour oublier les lobbies. Ce n'est qu'un AREVA, mes frères... Et voilà que ce mercredi, elle ne sait plus si elle soutiendra in fine Hollande et ses amis "en bois de marionnette", avant, tout à coup, de se raviser sur son compte Twitter. Trop tard. Yannick Jadot, son porte-parole, a claqué la porte. Cohn-Bendit la tance. Mamère, plus patient, parle d'une "embardée".

   Reste que, au-delà des nuances, une chose paraît de plus en plus évidente: l'ex-magistrate, intransigeante, imprévisible, raide comme la justice, a moins l'étoffe d'une responsable politique que la texture d'une héroïne de polar de série B. Eva Joly, c'est la dame dans l'auto avec des lunettes (rouges) et un fusil. Car elle tire sur tout ce qui bouge, la flingueuse-gaffeuse venue du Nord.
   François Hollande doit-il redouter celle qui semble prendre un plaisir pervers à enclencher l'EPR (nouvelle génération) à perdre? Oui et non. Oui, si l'on évalue sa capacité de nuisance au prorata des six mois à venir. Non, si l'on se persuade qu'au train où elle va en inconséquences elle ne va pas tarder à exploser en vol. Admettons que, pour l'instant, le cas Joly se ramène encore à ceci: le Vert à moitié plein, le Vert à moitié vide. Mais pour combien de temps, se demandent tous ceux qui espèrent que l'énergie actuelle de l'obstinée candidate d'EE-LV ne soit pas renouvelable. D.P.    
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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 21:57
   Danielle Mitterrand était une femme de l'ombre. Lorsque, dans leur éclat et leur violence mêlés,  les spots l'atteignaient de plein fouet - ce qui, convenons-en, lui arriva plus qu'à d'autres -, il fallait la voir plisser les yeux en une sorte de moue asiatique qui l'arrimait à jamais aux rives de la modestie et de la sagesse. Danielle Mitterrand était une femme de l'ombre qui prenait la lumière. La détermination brillait dans son regard. Le courage se reflétait sur son visage. Son goût pour la liberté rayonnait de toute sa clarté humaine.
   L'ombre? Ce fut, en fait, sa première compagne. La petite Gouze avait quinze ans lorsque le ciel de France se plomba. Codes murmurés dans les arrière-cours. Complot de famille contre le mal brun qui rôde. Fugitifs de passage à qui l'on offre la table, le couvert et la clandestinité. Lorsque Danielle enfourche son vélo, ce n'est pas pour aller au bal. "Agent de liaison": c'est comme ça qu'on désigne celles et ceux qui s'en vont de bon matin, qui s'en vont par les chemins, à bicyclette. L'une des hôtes de "La Maison grise" de Cluny s'appelait Bertie Albrecht. Le 28 mai 1943, elle salue Danielle, les siens et son confident Henri Frenay. L'arrestation et la torture l'attendent à Mâcon. Elle se pendra dans sa cellule de Fresnes pour ne pas parler. Sa jeune amie, comme dans le poème d'Aragon, n'en est jamais vraiment revenue.
   Danielle Mitterrand était une femme de l'ombre qui illumina un homme. Lorsque, au cours d'une halte chez celle qui allait devenir la productrice Christine Gouze-Rénal, le "capitaine Morland" découvrit la photo de l'adolescente, il en tomba raide amoureux. "C'est qui cette fille? C'est ma petite soeur! Alors je l'épouse". Le dialogue, paraît-il, est réel. Aujourd'hui l'épris dirait "Je la kiffe grave". A l'époque, il fallait au chef de réseau promettre la bague au doigt.
   La suite, on la connaît. C'est l'histoire d'un couple happé par le tourbillon politique de la Ve République, exalté et bousculé par le pouvoir et ses revers. Un couple en gloire sur la terrasse du "Vieux Morvan"  un soir de mai, uni dans la désunion comme d'autres sont désunis dans l'union, séparé à jamais un jour de janvier à Jarnac lorsque le pays tout entier salue le courage et la dignité d'une veuve pas comme les autres serrant Mazarine dans ses bras.
   Aussi éloignée des vertus ménagères gaullistes d'une "Tante Yvonne" (certes, on l'appelait quelque fois "Tatie Danielle", mais ça n'était qu'en référence à un film) que des sunlights du mannequinat propre à l'une de celles qui lui succédèrent, Danielle Mitterrand n'accola jamais à son titre de "Première dame de France" qu'un rôle en second. Engagée sans répit, intransigeante "conscience de gauche", la plus ardente des femmes de l'ombre fut, au fond, à l'image de ces lampes qui doivent leur incandescence à la résistance. Résistance à ce qui avilit. Résistance contre toutes les injustices. Certes, on la préférait combattant les totalitarismes ou défendant les peuples kurde ou tibétain qu'affichant son indéfectible sympathie envers Fidel Castro au nom d'une opiniâtreté et d'un militantisme qui ne manquaient pas, parfois, d'agacer François lui-même. Son entièreté, comme toutes les qualités, était aussi parfois son défaut.
   Samedi, elle reposera en femme libre dans sa tombe à Cluny, entre Solutré et Château-Chinon. A deux pas du cimetière de Salornay-sur-Guye où ne doit dormir qu'à demi une certaine Lucie Aubrac. Si vous passez par là-bas un de ces soirs en traversant la Saône-et-Loire et si vous entendez murmurer et rire, ne cherchez pas: ce sont les éclairantes voix croisées de deux femmes de l'ombre qui se retrouvent. C'est un fragment d'histoire française qui nous parle haut dans la nuit. D.P.
 
                                                                                                          
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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 21:59

   L'actualité est comme ça. Elle va son train d'enfer, elle fait son incessant ramdam. Les situations et les mots qu'elle mêle n'ont souvent rien à faire ensemble. Tenez, ce lundi, par exemple, il y a eu Tahrir. Tahrir, c'est une place. En Egypte. Place des espoirs et des désillusions. Place des libertés et carrefour sanglant. L'éphémère nouveau gouvernement du Caire a démissionné. L'histoire en marche patine. Et quand elle ne recule pas, la démocratie fait du sur-place. Du sur-place Tahrir.
   Dans la nomenclature du moment, il y a Tahrir, mais il y a aussi Moody's. L'agence de notation, aux inflexions de groupe de rock de jadis, a menacé une nouvelle fois la France hier.  Planquez vos "A", tout le monde aux Abris. Les marchés s'apprêtent à nous marcher dessus.

   Tahrir, Moody's... Des noms qui nous hantent. Et pourtant, c'est fou comme tout à coup ils peuvent paraître sans importance. Tout ça parce qu'aux bulletins d'information deux syllabes se rajoutent. Même pas un nom, juste un prénom. Un prénom d'hier et de toujours. Un prénom de province et de lignées. Agnès, comme chez Molière. Mais là-bas, au Chambon-sur-Lignon, ce n'était pas L'Ecole des femmes, c'était l'école des garçons, des filles, des hommes et des femmes de demain.
   Et puis il y a eu cette horreur. La vie d'une gosse soudain fracassée par un garçon à peine plus âgé. Et les grands qui esquivent du mieux qu'ils peuvent les questions, les responsabilités, les accusations. Et les politiques qui légifèrent à chaud au nom d'un "Plus jamais ça"  en général oublié dès le surlendemain.
  Tahrir, Moody's, Agnès... Le martyre d'une jeune fille de quatorze ans a soudain éclipsé tout le reste. La crise nous a bientôt tout pris mais rassurons-nous, si l'on ose dire en pareil contexte, elle nous a laissé un coeur. Un coeur meurtri, un coeur à vif, un coeur salvateur. D.P.

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 22:06

   D'habitude, c'est la part d'inconnu qui donne du relief à une élection. Or, en Espagne, ce week-end, ce fut carrément l'inverse. Ce qui paraissait intéressant, ce n'était pas tant le résultat - la large victoire annoncée du Parti populaire de Mariano Rajoy (photo) fut bien au rendez-vous des urnes - que le contexte. Et ce que nous nous sommes efforcés de saisir au-delà des Pyrénées, nous autres, ici, en France, c'est la photographie d'un peuple désabusé, écorné par le chômage, harcelé par la Crise. Un peuple autre, certes, mais avec des doutes semblables aux nôtres, des crispations analogues, des visages frères.
   Comment fait-on face en pareil contexte avec la seule arme de la démocratie? Quelle est l'ampleur non pas du désespoir, mais, peut-être pire encore, de la désespérance? Quel sursaut de dignité, fût-il vain, peut-on alors convoquer?  Là-bas, en Aragon, en Castille ou en Andalousie, les désenchantés et les "Indignés" ont choisi d'infliger un camouflet sans appel au gouvernement en place. Qu'en sera-t-il chez nous dans quelques mois? C'est en cela que, à l'heure de l'échéance ibérique, nous sommes tous un peu Espagnols, comme nous savons être aussi, par ces temps de récession galopante, Irlandais, Grecs ou Italiens.

   En ce dimanche de la fin des illusions sous la Puerta del Sol, les électeurs n'étaient pas tournés vers l'avenir, ils étaient simplement en rupture avec un présent crépusculaire. 2011 appartient à quel siècle? Peut-être, au fond, au XVIIe. Celui de l'Espagne - et de l'Europe - décadentes de "Ruy Blas". Ah! si seulement le peuple pouvait encore un pauvre instant redevenir "le ver de terre amoureux d'une étoile" de la célèbre pièce d'Hugo recréée en ce moment dans le TNP rénové de Villeurbanne... D.P.
 

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 17:39

- Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-.-040.jpgGrand moment de la vie d'un théâtre et grand moment de la vie théâtrale tout court. Il y avait tout ça l'autre soir à Villeurbanne. C'était le 11 novembre. Une date qui n'avait pas été choisie au hasard pour la réouverture d'un lieu mythique (www.tnp-villeurbanne.com) après quatre ans de travaux. C'est en effet ce jour-là, en 1920, que fut créé à Paris, au Palais du Trocadéro, le très emblématique TNP. Trois lettres auxquelles furent associés les noms prestigieux de Jean Vilar et Georges Wilson. Jusqu'à ce que, la décentralisation venue, l'institution s'installe dans la grande métropole ouvrière de l'ouest lyonnais, avec, aux manettes, Planchon, Chéreau, Lavaudant et aujourd'hui Christian Schiaretti. C'est à ce dernier qu'est revenue l'exaltante et lourde tâche de choisir le programme "inaugural". Et c'est peu dire qu'il n'a pas donné dans la facilité en optant pour Ruy Blas de Victor Hugo, cette pièce de 1838 dont on ne connaît souvent qu'une réplique (Ah! le fameux "vers de terre amoureux d'une étoile") ou l'adaptation aussi libre que fantaisiste signée Gérard Oury dans La Folie des grandeurs ("Il est l'hooore monseignoooore...). Rien de tel, évidemment, avec la mise en scène de Christian Schiaretti qui a su rendre avec brio, grâce à son équipe, toute la magnificence des alexandrins hugoliens et les paradoxes d'un XVIIe siècle rongé par la corruption. La décadence de l'Espagne? Un thème peut-être plus actuel qu'on ne l'imagine à l'heure où, précisément, le pays de Don Salluste en crise se rend aux urnes.
(Ruy Blas de Victor Hugo, mise en scène de Christian Schiaretti, avec Nicolas Gonzales - Ruy Blas -, Robin Renucci - Don Salluste -, Jérôme Kircher - Don César -, Juliette Rizoud - La Reine -, Isabelle Sadoyan - La duègne... 
Jusqu'au 11 décembre à Villeurbanne 8, place Lazare-Goujon, tél.: 04 78 03 30 00. Puis au théâtre Les Gémeaux à Sceaux - du 6 au 29 janvier 2012 - et à La Coursive de La Rochelle - du 8 au 10 février).

 

Vibrante ovation pour les comédiens du TNP le soir de la première de Ruy Blas. Dans la salle, parmi les personnalités, Frédéric Mitterrand et Jack Ralite. Photo D.P.


 
 
- Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-copie-1.jpgDepuis le 15 septembre et jusqu'à la fin de l'année, Lyon vit au rythme de sa 11e Biennale (www.biennaledelyon.com/), un Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-.-096.jpgrendez-vous qui attire les foules. L'art comme valeur refuge en temps de crise? Allez savoir... Toujours est-il que cette manifestation draine un public qui aime flâner à pied dans le nouveau quartier de La Confluence où se trouve l'un des sites d'exposition, La Sucrière, avant de prendre le bateau sur le Rhône pour gagner le Musée d'Art contemporain de Thierry Raspail, directeur de cette Biennale, sans oublier une halte à la Fondation Bullukian. Alors, bien sûr, il y a un peu de tout dans ces trois espaces (il en existe même un quatrième à Vaulx-en-Velin) où les 78 artistes venus du monde entier ont rassemblé leurs oeuvres autour d'un thème contenu dans ces cinq mots étranges: "Une terrible beauté est née". Il s'agit en fait d'un fragment de vers du poète irlandais William Butler Yeats choisi par la commissaire Victoria Noorthoorn qui définit ainsi sa conception de la création: "L'art doit prendre ses distances à l'égard du réel pour exister en tant que tel - en tant que construction artificielle - pour répondre en retour et avec éloquence, à la complexité du réel". 
(A La Sucrière, Les Docks 49 quai Rambaud Lyon 2e ; au MAC, Cité Internationale 81 quai Charles-de-Gaulle Lyon 6e ; à la Fondation Bullukian, 26, place Bellecour Lyon 2e et à l'Usine T.A.S.E, 14, allée du Textile, Vaulx-en-Velin. Jusqu'au 31 décembre).

 

Au gré des salles de la Biennale, les drôles d'oiseaux du Hollandais Michel Huisman et l'étrange filet déployé sur toute la surface du 3e étage du MAC par le Brésilien Cildo Meireles. Photos D.P. 


 
- Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-.-045.jpgOn ne quitte pas Lyon sans un détour par le Musée des Beaux-Arts qui accueille jusqu'au 23 Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-.-059.jpgjanvier une passionnante exposition à deux faces. Bonheur d'y découvrir, d'abord, les volumes en bois d'Etienne-Martin, un sculpteur mort à Paris en 1995 et qui n'eut de cesse de réinventer la maison drômoise de Loriol où il vit le jour en 1913. Emule à sa manière de Bachelard, dont il avait adopté la longue barbe, celui qui "dessinait avec du fil de fer"  et qui "avait une scie comme crayon"  façonnait ses "demeures", ses "couples", ses "figures" dans l'onirique matière brute des troncs de tilleul, d'ébène, d'orme ou de châtaignier. Mais on doit également  à ce passionné de cuir, de cordes et de passementeries, de très novatrices "sculptures molles". Que serait, toutefois, un artiste sans l'attention généreuse qu'on lui porte? Etienne-Martin n'a jamais tu ce qu'il devait ainsi à son premier galeriste, Marcel Michaud (1898-1958). Et nous devons nous féliciter de le voir lui aussi présent dans le second pan de cette exposition de l'établissement de la place des Terreaux. Bel itinéraire d'un "visionnaire" reconstitué à travers, outre des sculptures d'Etienne-Martin, deux magnifiques Bram Van Velde, un Picasso, des Manessier et des oeuvres signées Couty, Gleizes, Albert Le Normand, Max Schoendorff (Dans notre cercueil, 1958) ou Pierre Montheillet (1923-2011) dont on admirera tout particulièrement ses Paysages des bords du Suran (1954).
(L'Atelier d'Etienne-Martin et Le Poids du Monde - Marcel Michaud, jusqu'au 23 janvier 2012, Musée des Beaux-Arts  20, place des Terreau 69001 Lyon. tél.: 04 72 10 17 40. Catalogue sous la direction de Laurence Berthon, Sylvie Ramond et Jean-Christophe Stuccilli, en partenariat avec l'INHA, éditions Fage, 320 p., 29,50 euros).

 

L'une des sculptures en bois d'Etienne-Martin et, extrait de la collection de Marcel Michaud, Paysages des bords du Suran de Pierre Montheillet. Photos D.P.


 
-Nov.-2011--Ruy-Blas--Biennale-Lyon--Etienne-Martin-.-068.jpg A noter, enfin, que le Musée des Beaux-Arts rassemble par ailleurs, sous le titre Ainsi soit-il!, une partie de l'hétéroclite trésor d'un collectionneur hors pair qui tint jadis galerie à Grenoble, Antoine de Galbert. Eugène Leroy, Roman Opalka, Ben, Boltanski, Jan Fabre, Philippe Dereux, Sophie Calle, André Kertész, David Lynch, Annette Messager, Henri Ughetto, Guillaume Treppoz, Françoise Vergier, Peter Buggenhout, François Morellet sont là. Et beaucoup d'autres.
(Musée des Beaux Arts de Lyon, jusqu'au 2 janvier 2012. Catalogue de Sylvie Ramond et Antoine de Galbert, édit. fage, 166 p., 28 euros). D.P.

 

Parmi les pièces de la collection Antoine de Galbert, State of beeing n° 24 (2009), robe de coton suspendu dans un rets de fils de laine noire. Photo D.P. 

 

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18 novembre 2011 5 18 /11 /novembre /2011 18:52

Voix-de-l-Ain-006.jpg   Drôle de France que cette France de la fin 2011. Une France qui vit au rythme de l'été indien et de l'automne grec ou italien. Chaud devant, froid derrière. Et si ça nous arrivait? Et si nous aussi nous étions rattrapés par la plus antique des tragédies modernes? Des chiffres fous tournent au-dessus de nos têtes comme des corbeaux sur les noyers du Revermont. Des chiffres auxquels nous ne savons même pas combien il leur faut de zéros pour acquérir une substance concrète. Des chiffres et des lettres aussi. Une seule, à vrai dire. Le "A". Il paraît que nous en avons trois et que nous risquons d'en perdre un. Vous saviez, vous, que nous avions trois "A"? Désolé, moi, je ne connaissais que les voyelles de Rimbaud: "A, noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles".
   Drôle de France que cette France de la Saint-Martin aux abois. Fini de rigoler, il faut resserrer les boulons, instaurer la diète, racler une fois de plus le porte-monnaie pour faire face à "l'inquiétude des marchés". Mais qu'avons-nous donc fait pour en arriver là? Car, cela ne vous a pas échappé, c'est de notre faute. Nous avons péché par omission, par insouciance, par foi naïve en quelques trop beaux idéaux. Et nous qui aimions tant les douceurs, nous voici soudain soumis à la potion amère. Allez, ouvrez grand la bouche, l'huile de foie de morue des taxes, des impôts et de la réforme des retraites anticipée vous fera du bien.
Peut-être pas sur le coup, mais plus tard, c'est sûr. Plus tard quand, au juste? Difficile à préciser avec certitude. Disons autour de mai 2012.
   Le problème est là. C'est qu'au moment où l'on se gargarise de projets à long terme et de société future, jamais, en réalité, nous n'avons autant vécu sous l'emprise des échéances affolées, des ajustements d'urgence, des volte-face périlleuses. La politique est devenue une sorte tuner dont on règle le son et la fréquence au gré des tendances du moment. Alors, bien sûr, c'est à cause de la Crise. Ah! la Crise, avec un grand "C". La Crise, notre poumon patraque, est devenue une sorte d'antienne de Molière.
- "Je sens de temps en temps des douleurs de tête".
- La Crise.
- "Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux".
- La Crise.
- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
- La Crise, vous dis-je.
   Attention, pas question d'assimiler notre cher vieux pays à un Malade imaginaire. Il souffre incontestablement. Il a attrapé un virus en vacances à Athènes. Ou la berlue dans les ruines de Rome. Bref, il est tombé sur la dette. C'est si grave que ça, docteur ? A n'en pas douter. Mais un autre péril, plus sournois, frappe de biais. C'est l'instrumentalisation à outrance de cette pathologie économico-financière à des fins idéologiques. Quitte à saper la moindre espérance. Quitte à frôler l'absurde. L'autre jour, les deux camps en lice pour la présidentielle s'opposaient, comme des gamins dans une cour de récréation, sur leurs emplois du temps du week-end précédent. L'un des leaders avait été en première ligne au G 20 de Cannes. L'autre inaugurait la foire du Livre de Brive. Comme si on ne pouvait pas, ne fût-ce que dans une parenthèse d'utopique respect mutuel, aimer la Croisette et l'Auvergne, s'intéresser aux maux et aux mots, marier la Corrèze au Zambèze.

   Et puis tiens, puisqu'il est à nouveau question de livres (l'un des secteurs, soit dit en passant, cruellement menacé par la hausse annoncée de la TVA), impossible de boucler cette chronique sans saluer ici Alexis Jenni, tout récent lauréat du prix Goncourt. Son Art français de la Guerre (Gallimard), l'ouvrage distingué qui passe au crible d'une superbe écriture notre société postcoloniale, est un roman magistral qui en dit plus long qu'on ne pense sur notre dévastateur désenchantement collectif. On rêve maintenant de voir l'enfant du Bugey - il a vécu sa jeunesse à Belley ("Une campagne verdoyante, le lac tout l'été", se remémorait-il il y a peu à la radio) - s'adonner avec une attention accrue à l'inventaire mélancolique de cette drôle de France de l'automne 2011.

   Ce pays où, au temps des décisions cruciales, toutes les amnésies et tous les coups semblent permis. Ce pays des boucs émissaires, des exacerbations et des crispations récurrentes. Cette riche Nation pauvre illustrant plus que jamais l'art français de la guéguerre permanente. D.P.

- Cette chronique a été publiée par l'hebdomadaire de ce jour, 18 novembre 2011, n° 3473 (p.4).

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17 novembre 2011 4 17 /11 /novembre /2011 22:36

   Il appartenait à l'âge de pierre. Des Pierre, plus exactement, car ils étaient trois. Pierre Desgraupes, Pierre Lazareff et lui. C'était au temps où l'unique chaîne de télévision s'écrivait encore comme les journaux, à l'encre blanche et noire. Quand on allumait le poste aussi gros qu'une rotative, on croyait entendre grésiller une imprimerie à l'heure du tirage. Chaque premier vendredi du mois, les joies et les peines du monde scintillaient dans le filigrane du petit écran grisâtre. Mais Pierre Dumayet ne fut pas seulement l'un des pionniers de Cinq colonnes à la Une, il fut également - et peut-être surtout - l'un des tout premiers passeurs de livres de ce qu'on n'appelait pas encore la sphère médiatique.
   Lunettes remontées sur le front, oeil bleu avide, gourmandise curieuse aux lèvres, l'ancêtre de Bernard Pivot conversait avec Claudel, Céline, Aragon ou Jean Rostand comme on rencontre un voisin. La France gaullienne, qui attendait le retour d'Algérie de ses enfants, se recueillait le soir à la veillée autour des braséros de mots allumés par l'homme à la pipe courbée qui ne se prenait jamais pour la vedette. Drôle d'époque! Il y avait du silence pour chacun et des Lectures pour tous.

   Le journaliste-promeneur, qui fut aussi scénariste, prenait rarement la plume. La poignée d'ouvrages qu'il nous a laissés n'en paraissent que plus précieux. Dans l'un d'eux, La Vie est un village (Verdier, 1992), on ne s'empêchera pas de discerner en creux une manière d'autoportrait de cet anachronique flâneur des Lettres et de l'existence. Et dans Autobiographie d'un lecteur (Pauvert, 2000) on n'aura pas manqué de souligner cette phrase: "Lire est une route sur laquelle nous avançons".
   Pierre Dumayet vient de s'arrêter à 88 ans - sale temps, décidément, après la disparition d'Hubert Nyssen dimanche dernier (lire ci-dessous) -, mais notre route à nous continue. Merci à celui qui fut également le producteur de Lire c'est vivre de nous l'avoir si magistralement - et si humblement - ouverte. D.P.    

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17 novembre 2011 4 17 /11 /novembre /2011 15:46

   Il a suffi de quelques jours de retrait en Bresse. Elégie du brouillard sur les noyers. Cris des corbeaux couvrant la rumeur du monde. Premières gelées blanches dans leurs aubes éternelles. Vieux volets de bois pour clouer le bec au vent du nord. Oui, il m'a suffi d'une échappée du côté de mon bois à pieds-de-mouton et à cèpes pour que l'information m'échappe. Hubert Nyssen, le créateur et "patron"  d'Actes Sud, s'en est allé. C'était dimanche dernier. L'éditeur de Nina Berberova, de Paul Auster, de Laurent Gaudé (Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta) ou de Nancy Huston avait 86 ans. On aimait ses choix, ses risques, ses succès, ses échecs, ses sourires malicieux, ses petites lunettes sur le nez dans lesquelles se reflétaient sans cesse les mots des autres, le format oblong de ses livres, façon tablette de chocolat belge. Parmi "ses"  auteurs, on avait une affection particulière pour l'un d'entre eux. Un tout jeune vieux monsieur qui file allégrement sur ses 99 ans. Il s'appelle Henry Bauchau. D'origine wallone, comme son ami disparu, il publie ces jours-ci L'Enfant rieur - une formule qui va comme un gant à Nyssen - et Tentatives de louange. Lisons ces ouvrages-là, et d'autres aussi bien sûr, avec une bonne pensée pour celui qui avait depuis quelque temps déjà passé les rênes à sa fille Françoise. Là-bas, au bord du Rhône tumultueux de novembre, le Méjean est triste depuis que ce fou de lecture, passeur de rives, a joué les arlésiennes. D.P.
 
- L'Enfant rieur (roman) et Tentatives de louange (poèmes) de Henry Bauchau, Actes Sud, respectivement 330 p. et 22 euros et 56 p. et 9 euros.
 

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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