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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 22:02

      Certes, il y a les autres, les moins connus, les "petits", tout le monde le sait. Mais ne nous voilons pas la face: ils ne sont que deux. Du moins si l'on en juge par les affiches, les têtes de gondole, bref le "buzz". L'un et l'autre, chacun à sa manière, parlent de la société du moment, de la famille, de la jeunesse, de la violence, des peurs rampantes... Les Français ont beau les observer, les écouter, lire leurs interviews, ils ont souvent bien du mal à les départager.
   Eh oui, il n'y a pas qu'en politique que le bipartisme existe. Il sévit également en littérature. Enfin, si l'on ose utiliser ce terme en pareil cas. Car peut-être les avez-vous déjà reconnus, nos deux super-candidats en quête de vos suffrages de lecteurs avides de divertissement en cette veille de premier tour. L'un s'appelle Marc Lévy, l'autre Guillaume Musso et les bookmakers les donnent au coude-à-coude.

   Et vous alors, vous allez voter pour lequel? Moi, c'est décidé, je m'abstiens. Il faut me pardonner, je n'ai pas fini de relire La Princesse de Clèves. D.P.

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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 18:24

      Ecoutons ce silence-là. Raymond Aubrac s'est tu et, depuis quelques heures, c'est lui qu'on entend. Belle voix grave, en creux, bien plus forte, tout à coup, que le brouhaha de la campagne électorale. Bon sang, ça fait du bien quand l'Histoire, la vraie, la majuscule, bouscule l'actualité, cette histoire immédiate qui croit qu'elle n'a que dix jours devant elle.
   Raymond Aubrac, c'était la dernière grande mémoire rescapée de "ces moments-là". Raymond Aubrac, c'était l'un des ultimes témoins du temps des loups et de la haine. Et ce qu'il y a de miraculeusement réconfortant dans son cas, c'est qu'il était - et qu'il reste - plus connu des jeunes que la plupart des postulants pour l'Elysée.

   Lorsqu'il se déplaçait dans un de ces lycées ou collèges qui d'ailleurs souvent portent son nom, ceux que l'on dit si souvent désabusés ne perdaient pas une miette de ce que leur confiait l'invité. Qui a-t-elle désormais à écouter cette génération en mal de témoins et d'exemplarité? Voilà bien la grande question que doivent se poser les candidats à la présidentielle.

   Attention, n'instrumentalisons, pour autant, la disparition de celui qui vient de rejoindre Lucie dans l'éternité des combattants de la liberté et des amants-courage. Le silence de Raymond Aubrac ne vote pour personne. Mais il nous dit ceci: "Sachons toujours résister!". Et surtout: "Ne nous abstenons jamais!" D.P. 

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8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 14:46

Avril-2012--Vogue-015.jpg   Là-bas, Avril-2012--Vogue-006.jpgcomme "au jardin de mon père" , les lilas sont Avril-2012--Vogue-026.jpgfleuris. Plaisir de flânAvril-2012--Vogue-032.jpger sur la terrasse du château de Vogüé, suspendue au-dessus des toits blonds du village à l'à-pic desquels coule la rivière si chère aux canoétistes des beaux jours. Mais un autre ravissement attend à l'intérieur. Dans les majestueuses salles de l'édifice royal d'origine médiévale, vissé contre la falaise calcaire par ses quatre tours rondes, l'association "Vivante Ardèche"  propose une fois de plus une remarquable exposition. Sous le titre "Portraits sensibles", l'accrochage du moment réunit cinq artistes dont les oeuvres, non seulement se côtoient, mais s'enrichissent mutuellement et sans doute conversent entre elles à leur manière.
   Voici, au rez-de-chaussée, près de l'émouvante chapelle au vitraux de Manessier, les photos de Jean-Luc Meyssonnier. Né en 1960 à Largentière, Meyssonnier est le "régional de l'étape". On connaît sa curiosité qui le pousse vers Le Pays d'en haut (1). Mais à Vogüé, ce sont des visages qu'il donne à voir. Ou plus exactement des fragments de visages. Yeux, nez, bouches, sourcils que les doigts surlignent, pores, poils, épiderme... Il y a de la neige, de la végétation et des questionnements existentiels à fleur de peau dans ce territoire charnel à parcourir du regard.

   Ce qui happe ensuite lorsqu'on se hisse dans les étages, ce sont d'abord les grandes toiles de Gérard Gasquet. Femmes à demi-nues, apparitions qui nous scrutent, dévoreuse marqueterie corporelle où chaque implacable touche de lumière participe d'un dépeçage à vif. "Est-ce que le corset sait?"  interroge, en une sorte de calembour orthopédique (!), le titre de l'une des oeuvres du peintre lyonnais représentant un patient au buste garrotté. Un spectre probablementAvril-2012--Vogue-009.jpg pas si éloigné que ça de nos préoccupations: "Mes personnages ne peuvent se situer ni dans un mythe ni dans l'Histoire. Ils sont donc apparemment sans référence et peuvent nous ramener à ce que nous sommes nous-mêmes: des êtres fragiles et relativement seuls face à l'existence".
   L'univers de Sophie Burbaloff paraîtra bien apaisé à côté des visions hallucinées de Gasquet. Ne nous y trompons pas, toutefois. Cette série de jeunes filles alanguies, de dormeuses habitées par le songe, n'est pas dénudée de tourments. En saisissant des instants, en captant des évanescences, la très talentueuse adepte du pastel et de l'acrylique tente, avec une attention aux inflexions quasi maternelles, d'arrêter le temps, de déjouer les ombres qui menacent, ici un Matin de juillet à l'étang (2007), là lors d'une douce Fin d'été (2009). Sinon de retenir à travers le cadre d'une fenêtre de train l'enfance familière en fuite dans un DerniAvril-2012--Vogue-040.jpger wagon (2012). "Il faut savoir regarder, regarder et encore regarder. Regarder comme le monde est beau et à portée de main": comment ne pas avoir envie de partager l'exhortation de celle qui, après des études à la faculté de Saint-Etienne, vit et travaille aujourd'hui dans la vallée de l'Azergues et expose régulièrement à la galerie lyonnaise "Le Soleil sur la place"? 

   Michel Houssin et Nina partagent quant à eux la même salle. Aux foules anonymes crayonnées à la mine de plomb par le premier répondent les boules de céramique façonnées par la seconde. Les dessins grouillants de l'un contre les murs, les erratiques volumes de l'autre à même le sol: étrange dialogue et drôle d'endroit pour une rencontre. En accumulant des passants, des égarés, des masques vivants, des matricules, Houssin, le Normand (il a vu le jour à Avranches en 1941) installé en Arles, interroge l'infini, l'agoraphobie, l'oppression. En modelant une anachronique terre blanche chamottée, Nina (Khemchyan), née en 1964 à Erevan, en Arménie, peuple l'espace de figures gravées dans la nuit des temps et sans doute aussi dans celle des désastres.
   Meyssonnier, Gasquet, Burbaloff, Houssin et Nina se retrouvent donc ainsi, en ce beau printemps 2012, réunis à Vogüé comme les cinq doigts d'une unique main tendue. Une main dont il faut décrypter les gestes et les attentes. Une main dont il faut d'urgence lire les lignes. D.P.
 
- "Portraits sensibles", Jean-Luc Meyssonnier, Gérard Gasquet, Sophie Burbaloff, Michel Houssin et Nina, au château de Vogüé, en Ardèche (à une dizaine de kilomètres au sud d'Aubenas), jusqu'au 24 juin. Rens.: 04 75 37 01 95.   
 
De haut en bas: le puzzle des visages de Jean-Luc Meyssonnier, les jeunes filles alanguies de Sophie Burbaloff, les boules de céramique de Nina, la "Foule d'Amiens" (2002) de Michel Houssin dans laquelle se reflètent les fenêtres du château de Vogüé, quatre des artistes réunis le soir du vernissage, le 31 mars dernier: Gérard Gasquet, Jean-Luc Meyssonnier, Michel Houssin et Sophie Burbaloff et "Les Signes d'un grand amour" (2010) de Gérard Gasquet,   Photos D.P.
_________
         
  
(1) Le Pays d'en haut, photographies de Jean-Luc Meyssonnier, préface de Lucien Clergue, textes de Joël Vernet, Jean-Jacques Salgon, Pierre Rabhi, Martin de La Soudière, Gil Jouanard, Hélène Ribot..., éditions du Chassel, 2011.

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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 09:40

Rainbow au bien nommé "Pays des couleurs".

Image saisie le 5 avril 2012, en fin d'après-midi, du côté de Morestel, entre Rhône et Isle Crémieu. © Photo D.P.

Avril-2012--Beny-023.jpg

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5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 21:51

  Ce devait être l'événement de ce jeudi "saint". Un truc pour redonner du peps à la campagne avant que chacun s'en aille battre celle du long week-end pascal. On allait voir ce qu'on allait voir, entendre ce que l'on allait entendre. Il était dit qu'en présentant son programme en détail, Nicolas Sarkozy allait sortir du grand chapeau républicain des lapins censés ne pas être en chocolat. Or, la seule mesure que nous ne connaissions pas encore fut la promesse du versement des pensions de retraite le 1er de chaque mois et non plus le 8. Un peu court tout de même pour la dégustation.

   Quant à la conférence de presse qui suivit, elle ne s'apparentait pas elle non plus, à première vue, à une mauvaise idée. Insuffler un brin de gaullisme dans la méthode n'a jamais fait de mal au candidat de droite. Pourtant là encore, quel flop!  Ce ne fut pas l'analyse d'un projet, ce fut le pilonnage en règle de l'adversaire - et de son "festival de dépenses nouvelles" - à coups de pointes d'ironie plus ou moins efficaces. Non, la vedette du jour ne fut pas Nicolas Pâlichon mais une fois de plus Jean-Luc Mélenchon plus lyrique et plus percutant que jamais lors de son troisième grand meeting de "plein air"  place du Capitole à Toulouse.

   Reste "La lettre aux Français"  que le candidat sortant nous a promise. Là encore, on a connu des précédents efficaces. Souvenons-nous de Mitterrand en 1988... Il y a toutefois peu de chance qu'on s'arrache dans l'immédiat ce document, pour autant qu'on l'ait reçu. Il y a les oeufs à chercher. Et puis cette volée de cloches annoncée n'est guère propice à la concentration. D.P.     

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1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 23:15

  P8311050.JPGCertes cet "événement" ne risquait pas de peser bien lourd en ce week-end printanier. Nos yeux étaient tournés vers la Birmanie. Nos oreilles bruissaient des dernières petites phrases de la campagne électorale française. Il ne fut question que "d'ardoise magique", de "Georges Marchais des temps modernes", de chasse à l'abstention, de "vote utile"...  Sans surprise "l'affaire"  a donc eu lieu en ce 1er avril sans faire plus de bruit qu'un poisson asphyxié qui ouvre la bouche.
   De quoi s'agit-il? Oh! de trois fois rien. Tout simplement de la TVA sur le livre qui est passée de 5,5 à 7%. Une décision que nous sommes pourtant quelques-uns - et même plus que ça - à ne pas comprendre. Le bénéfice sera minime pour l'Etat. La pénalisation sera profonde pour tous les acteurs d'un secteur déjà bien mal en point. Alors quoi? Le livre ne serait-il donc qu'un produit taxable et corvéable à merci comme les autres?

   C'est oublier que ce support vieux comme le monde ne sert à rien d'autre qu'à rendre plus intelligent. A croire que c'est pour ça qu'on lui on veut. Sombre perspective. Les libraires s'arrachent les yeux sur leurs étiquettes, les fervents de mots et de phrases s'inquiètent d'avoir à restreindre leurs achats, la Princesse de Clèves larmoie et Julien Gracq est ténébreux.
   Ah, si seulement cette hausse de la TVA pouvait disparaître de nos ardoises prochaines... Comme par magie! D.P.
 

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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 10:40

  Printemps-du-livre-003.jpg Choses vues ou entendues en ouverture du Printemps des livres de Grenoble.
   Les écrivains lisent-ils les autres? Pas toujours. Hubert Mingarelli avoue n'ouvrir qu'un livre par an ("Difficile d'écrire et lire dans le même temps")  et Nicolas Fargues ne va guère au-delà de cinq. Cinq? C'est également la moyenne d'Hélène Lenoir mais par mois pour elle. Mais tous, en revanche, aiment acheter des livres. Ouf!

   Auraient-ils les uns et les autres des noms d'écrivains à proposer? Hélène Lenoir recommande les romans d'Yves Ravey (1), appartenant comme elle aux prestigieuses éditions de Minuit. Fort d'un identique esprit "maison", Fargues invite à découvrir des auteurs POL, tout particulièrement Iegor Gran (Ipso facto).
   Dany Laferrière ("Je suis Haïtien, donc mégalomane") se fiche de ce qu'il "faut lire"  ou pas. Ce qui le fascine, lPrintemps-du-livre-002.jpgui, ce sont "les vingt-six petites araignées noires" que constituent les lettres de l'alphabet. 
   Arno Bertina, invité pour un insolite ouvrage (2), parle avec délectation de "la phosphorescence de certains écrivains"  dont les oeuvres semblent s'allumer la nuit dans les bibliothèques.
   Si Beckett est le plus souvent cité parmi les grands aînés, Mingarelli avoue un faible pour quelqu'un de très oublié: Georges Hyvernaud (1902-1983), auteur, notammment de La peau et les os (éditions du Scorpion, 1953) et du Wagon à vaches  (Denoël, 1953), récit dans lequel il évoque ses années de captivité.
   Confidence de Lorette Nobécourt venue parler de son dernier roman qui vient d'obtenir le prix Rhône-Alpes du Livre (3): "J'ai fait des rencontres avec des écrivains morts qui étaient plus vivants que des vivants qui étaient morts".
   Autre aveu de l'auteur de La Démangeaison  et de L'Usure des jours, qui vit aujourd'hui à Dieulefit: "Je ne lis pas la presse, je n'écoute pas la radio et ne regarde pas la télé depuis milliers d'années et ça va très bien. Faisons du silence pour entendre". D.P.

 

   Il y eut foule tout au long du "Printemps". ce fut notamment le cas vendredi après-midi à la Bibliothèque du Centre Ville, pour écouter, entre autres, Arno Bertina et Lorette Nobécourt, ou Hubert Mingarelli et Dany Laferrièrre, interogés par Danielle Maurel et Pascal Jourdana. Photos D.P.


 
   Le Printemps poursuit à Grenoble tout au long du week-end:  http://printempsdulivre.bm-grenoble.fr/ 

______________ 
 
(1) On doit notamment à Yves Ravey, né en 1953 à Besançon, Le Drap (2003), L'Epave (2006) ou Enlèvement avec rançon (2011), tous ces titres chez Minuit. 
(2) Arno Bertina vient de publier Je suis une aventure, "road-novel philosophico sportif"  autour de la figure de "Rodgeur Fédérère" (Verticales, 2012).
(3) Pour Grâce leur soit rendue (Grasset, 2011).

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30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 13:47

   C'est parti pouLaferriere-003.jpgr le Printemps du livre de Grenoble dont la dixième édition sera inaugurée ce vendredi après-midi, 30 mars, à 18h30, sous le chapiteau blanc du Jardin de Ville. Mais depuis déjà deux jours, les lecteurs dauphinois - et d'ailleurs, le festival draine un public venu de bien au-delà de la région - ont pu, ici où là, assister à plusieurs rendez-vous préalables en présence, notamment, de Dany Laferrière. Parrain de la manifestation, le grand écrivain haïtien a ainsi lu des textes lors du coup d'envoi de l'exposition de photos de George S. Zimbel mercredi à la Maison de l'International et conversé avec le sismologue grenoblois Philippe Guéguen le lendemain à la Bibliothèque Lyautey.
   Rappelons que, s'il vit au Canada, l'auteur de L'Enigme du retour (Grasset  2009) était à Port-au-Prince le 10 janvier 2010 lors du terrible séisme évoqué dans son récit Tout bouge autour de moi (*). C'est d'ailleurs en se référant à ce titre, à peine infléchi, qu'a été élaborée la programmation de ce "Printemps"  2012 réunissant des invités autour de la remuante thématique: "Tout bouge autour de nous". A noter qu'on retrouvera Laferrière ce vendredi, à 15h30, à la Bibliothèque du centre ville, pour débattre du sujet "Je lis donc j'écris"  auprès d'Arno Bertina, Nicolas Fargues, le musicien, acteur et écrivain américain Theo Hakola, Hélène Lenoir, l'Irlandais Robert McLiam Wilson, Lorette Nobécourt et le "régional de l'étape"  Hubert Mingarelli. D.P.

 

   Dany Laferrière, mercredi à la Maison de l'International à Grenoble. Photo D.P. 
  
  - Du 28 mars au 1er avril, Jardin de Ville et Bibliothèques de Grenoble. Programmation détaillée sur le site http://printempsdulivre.bm-grenoble.fr/   
 
   Auteurs invités: Olivier Adam, le Texan Rick Bass, l'Italien Stefano Benni, John Berger, Arno Bertina, Elisabeth Brami, Arnaud Cathrine, Valérie Dayre, Chloé Delaume, Marie Desplechin, Patrick Deville, François Dominique, Nicolas Fargues, Timothée de Fombelle, Claudine Galea, Theo Hakola, Emmanuelle Houdart, Flo Jallier, Maylis de Kerangal, Dany Laferrière, Albert Lemant, Hélène Lenoir, Claude Lorius, Jean-Marc Mathis, Robert McLiam Wilson, Diane Meur, Hubert Mingarelli, Susie Morgenstern, Magali Mougel, Lorette Nobécourt, Christophe Ramaux, Eric Reinhardt, Samuel Ribeyron, Lydie Salvayre, François de Singly, le catalan Jordi Soler, Murielle Szac, Pierre Zaoui, Jean Zigler et le Suisse Germano Zullo.

 

___________________


 
   (*) Un extrait de Tout bouge autour de moi (Grasset, 2011): "On s'est réfugiés sur le terrain de tennis de l'hôtel. Je m'attendais à entendre des cris, des hurlements. Rien. On dit en Haïti que tant qu'on n'a pas hurlé, il n'y a pas de mort. Quelqu'un a crié que ce n'était pas prudent de rester sous les arbres. En fait, c'était faux, car pas une branche, pas une fleur n'a bougé malgré les quarante-trois secousses sismiques de cette première nuit. J'entends encore ce silence" (p. 14).   
 
  

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 21:35

   C'est quoi cette épidémie d'excuses, ce déferlement de repentance? C'est fou comme, par les temps qui courent, chacun y va de son petit regret, la main sur le coeur et l'oeil sur la courbe des sondages. Nicolas Sarkozy, l'homme "qui a changé"  et qui sera "un président différent", fut le premier à donner le ton. La soirée du Fouquet's le soir de son élection?: "Si c'était à refaire, je ne referais pas".

   Depuis, dans une drôle d'acte de contriction collectif, tout le monde joue, dirait-on, à battre sa coulpe. Noël Mamère qui s'était interrogé tout haut sur la nécessité du maintien de la candidate verte? "C'était un moment de découragement, j'aurais pu m'en dispenser", a-t-il déploré en scellant, mercredi dans le bassin d'Arcachon, sa réconciliation avec Eva Joly. Cette dernière est-elle pour autant satisfaite d'elle-même? Nullement et c'est à un touchant mea culpa auquel elle s'est adonnée de son côté: "Lorsque je vois dans les sondages que le pouvoir d'achat est la première préoccupation et l'écologie la dernière, je me dis que j'ai été très mauvaise et que je n'ai pas réussi à faire me comprendre".
    Cette subite propension au remords a même atteint de façon fulgurante François Fillon hier matin. A peine avait-il déclaré sur France Inter qu'on pouvait "s'étonner sur les raisons qui conduisent"  à placer en détention l'ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, qu'il faisait déjà volte-face: "Je retire ma phrase".
   Jusqu'à Bernadette Chirac. En s'adressant la semaine dernière à la presse avant le début de la séance du conseil général de Corrèze, elle avait estimé que François Hollande était "un homme très courtois, parfaitement courtois", mais qu'il n'avait pas "le gabarit d'un président de la République". Que n'avait-elle pas déclaré là? Demi-tour droite (plus modérée) de l'ex-première dame de France: "Oublions cela. Est-ce qu'il ne vous est pas arrivé une fois dans la vie de dire un mot qui soit un petit peu trop fort par rapport à ce que vous pensiez?".
   Mais si, évidemment, il est arrivé à tout le monde de proférer des bêtises et de tenter de rectifier le tir. Et c'est bien cela que visent nos femmes et nos hommes politiques accusés d'être loin du peuple. Vous voyez, moi aussi je suis vulnérable, je suis comme vous, semblent-ils ainsi nous répéter. Sans compter que - vieille ficelle - contredire ce que l'on a asséné revient à le reformuler, fût-ce d'une autre manière.
   Et si jamais, demain, il s'avérait que ce que ce principe de l'autoflagellation ne portait pas ses fruits, leurs adeptes n'aurait plus qu'à... Plus qu'à quoi, au juste? Plus qu'à s'excuser, pardi! Une fois de plus. Vive la stratégie du "oups!"  D.P.
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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 22:07

    Ce qui est bien dans cette campagne, c'est qu'on avait tout prévu depuis des lustres, sauf... Sauf quoi, au juste? Sauf l'imprévisible, voilà. Et cet inattendu, et ce déroutant, se résume aujourd'hui en trois syllabes: Mé-len-chon. Joli nom que celui-ci. Et sympa sobriquet à la Cabu. "Méluche", ça rime avec "Grand Duduche". Rien qu'à prononcer le mot, on pense à ces camarades de lycée qu'on admirait ou qu'on redoutait - c'est selon -, tant leur propension à foutre le bordel dans l'étude ou dans le dortoir était manifeste.
   Dans la classe politique du moment, "JLM"  a tout pour faire songer à cette figure lointaine de nos années bahut. Il est culotté, insolent, cabochard et grande gueule. La République, qui est une jeune fille bien élevée, n'ose pas l'avouer mais, quelque part, elle est amoureuse de lui. Elle rougit comme une ado. Elle rêve la nuit de prendre sa main. Attention, elle n'ira pas jusqu'à sortir avec lui, elle a trop peur du regard oblique et du qu'en-dira-t-on, mais les autres à côté, bon sang, quelle mièvrerie! 

   Alors oui, c'est comme ça, la France de mars est là à attendre la distribution des prix. Avec ceux qui, l'oeil sur les sondages ingrats, se demandent jusqu'où ira l'animal en espérant qu'il ne broute pas tout le fourrage de gauche dans leur mangeoire. Avec ceux qui, à droite, se félicitent de l'irrésistible ascension d'un trublion qui ne peut, à leurs yeux, que favoriser leur leader à la traîne.
   La forte tête Mélenchon, elle, elle s'en fiche. Elle ricane sous son brushing effronté et dans son écharpe écarlate. Elle a déjà gagné son pari. Elle vient de réécrire avec brio la version potache de l'évangile selon Jean-Luc. D.P.

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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