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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 21:51

      En se référant hier, dans sa revue de presse de France Inter, à la Une de L'Ardennais  évoquant une manifestation insolite au cimetière de Rethel, Bruno Duvic ne pouvait que susciter notre curiosité. Vérification faite sur le site du journal de Charleville, l'information était tout ce qu'il y a de plus sérieux. Si les pots de fleurs et les plaques funéraires se sont soudain soulevés sur une ou deux tombes seulement alors que tout paraissait calme autour, c'est qu'on a eu affaire à une mini-tornade très localisée et pratiquement imperceptible en dehors des extraordinaires effets en question. Tel est, en tout cas, l'explication d'un météorologiste selon lequel le phénomène, extrêmement rare, est ce qu'on appelle un "grain blanc". Une bizzarerie due à un réchauffement particulier propice à une sorte de tourbillon en forme de frappe chirurgicale apte à soulever jusqu'à 10 kilos.
   Pas de quoi épiloguer sur cette histoire, direz-vous... Certes, mais comment ne pas songer à l'univers d'André Dhôtel (1900-1991), l'immense écrivain, né tout près de Rethel, à Attigny, et qui ne cessa tout au long de sa très riche oeuvre de traquer l'énigme et le merveilleux au sein même de la vie quotidienne. N'en doutons pas un instant, ce qui s'est passé dans le petit cimetière des Ardennes, c'est tout "simplement", n'en déplaise aux scientifiques, du pur Dhôtel. En écoutant la radio, car il doit l'entendre là où il est -, l'auteur du Pays où l'on n'arrive jamais  a dû, si l'on ose dire, se retourner dans sa tombe, lui qui écrivait ceci dans l'une des ses nouvelles ayant précisément Rethel pour cadre: "De minimes déviations se révèlent parfois au sein même des systèmes connus d'événements. Ce sont des ébauches de faits extraordinaires, mais qui, sans doute, signifient que la plupart des hommes ressentent, par moments, pour leur monde étroit un enthousiasme farouchement personnel". D.P. 

 

En photo, André Dhôtel lors de l'une de ses promenades dans les forêts ardennaises.


 
 

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29 mai 2012 2 29 /05 /mai /2012 21:34

   On a vu leurs visages abattus aux journaux télévisés. Leurs yeux las, leurs mines défaites. C'est qu'ils avaient vécu une interminable nuit les quelque 10000 passagers des trains en rade de la Pentecôte, débarquant enfin à Paris à l'heure de plus rien. Une femme, un enfant dans les bras, jurait que c'était pour elle la dernière fois: "Je ne prendrai plus jamais le TGV!" Un homme, plus philosophe, tentait de chasser d'un haussement d'épaules sa déconvenue: "On n'y peut rien, c'est comme ça". Il était alors question, comme toujours, de "galère", de "cauchemar", de "lundi noir"...
   Mais il fallait tout de même dire un mot de la cause de tous ces retards pour lesquels la SNCF avait dû déployer son "plan Pégase". Un incident technique d'une part. Et nul n'ignore l'effet papillon qui se propage à partir d'une caténaire défaillante. Mais aussi, surtout, une multiplication d'"accidents de personnes", cynique euphémisme censé se substituer au terme "suicide". Du jamais vu, paraît-il, en "pareille période" (sic). En trois jours, ce sont pas moins de douze personnes qui ont ainsi voulu en finir en affrontant la bête inhumaine des Gabin des temps modernes.

   On tremble en lisant ce chiffre. On a peut-être plus encore les yeux qui se mouillent qu'en écoutant les doléances de la cohorte blafarde des "naufragés du rail". Douze personnes parties à leur manière en week-end prolongé. Douze solitudes broyées à 250km/h. Douze désespoirs précipités du haut des ponts du mois de mai. Oh, certes, douze, ce n'est pas beaucoup par rapport aux 10000 "otages" qui, de surcroît, ont raté le dernier métro. Sans compter qu'ils ne seront probablement pas tous dédommagés... "Les suicides ne sont pas considérés comme des motifs de remboursement". On n'a pas rêvé. Cette considération a bien été formulée par un responsable interrogé par les médias. Vertigineux commentaire express. Terrible petite phrase qui tue. Un peu plus encore. D.P.   

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 23:38

    Après un long week-end de trois jours - voire plus avec les "remises de peines" -, reprenons nos esprits. Que s'est-il donc passé au cours de cet entre-temps "férié-pas trop travaillé"?  Il y a eu du soleil, de la grêle, des encombrements sur la route du retour... Oui, mais pas seulement là. Il paraît également que ça a bouchonné terrible sur la page Facebook de Christine Lagarde. Au moins 10 000 messages à la queue leu leu. En cause, ses propos pour le moins directs sur les Grecs qui, à ses yeux, ont "moins besoin d'aide que les enfants du Niger".  Et d'ailleurs, parole de patronne du FMI en colère s'exprimant dans The Guardian, qu'ils payent d'abord leurs impôts, ces tricheurs ronchons hellènes!
   Payer ses impôts? Mais évidemment, qui pourrait ne pas préconiser une telle résolution... Sauf que l'imprécatrice de Washington n'est, semble-t-il, pas la mieux "chaussée"  pour jouer les redresseuses de tort. Ses fonctions suprêmes lui permettent, en effet - très légalement, reconnaissons-le -, de voir tous ses revenus exonérés de taxe (1), et cela malgré un salaire annuel de... 380 939 euros! On comprendra aisément l'indignation d'un peuple qui aimerait bien qu'on évite en haut lieu d'aussi expéditifs amalgames.
   Bourde ou saillie délibérée, peu importe! La Reine (?) Christine aurait tout intérêt à se souvenir que son nom est aussi, quelque part, synonyme de prévenance. D.P.
 
 
  (1) Une situation définie par les articles 34 et 38 de la convention de Vienne de 1961 affirmant que "l'agent diplomatique est exempt de tous impôts et taxes, personnels ou réels nationaux, régionaux ou communaux".

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 21:46

      Sale temps! Il vente, il pleut, il grêle. Le printemps prend l'eau de toutes parts. Dans Montpellier en fête, la place de la Comédie dégouline. A Cannes, si ça continue il va falloir des palmes... La mélancolie affleure. De la fièvre des samedis soir d'hier, il ne reste qu'un battement de coeur disco. Robin Gibb est parti sur un dernier vibrato. Neuf ans après son frère jumeau Maurice. Barry est désormais seul. On chante moins bien quand on est seul.
   Sale temps! il gronde, il tonne, il écume. Le ciel de mai orphelin prend tout à coup des reflets de vieux vinyl. La météo du jour nous met le moral dans les chaussettes. On se repasserait bien le disque des années d'insouciance: "I will remember Massachusetts...".

   Heureusement qu'il est là, lui. Grand gamin de presque 90 ans. Farceur à lunettes noires et baskets blanches. Jambes fatiguées et esprit vif. Alain Resnais a présenté ce lundi soir son nouveau long-métrage sur la Croisette. "Vous n'avez encore rien vu". C'est le titre. Toute sa "clique" était là. Azéma, Arditi et les autres. Un "film-testament"  a prévenu l'ultime rescapé de la Nouvelle Vague. Tu parles, "on connaît la chanson!"
   Resnais n'a pas d'âge. Son oeuvre non plus. Elle nous console de tout. De la pluie, du vent, de la grêle. Des Bee Gees partis. Du temps qui passe et du temps qu'il fait. Resnais est notre éternel oncle d'Amérique. "Feel I'm goin' back to Massachusetts / Something's telling me I must go home". D.P.

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 09:52

 Courriere-002.jpgUn salut, avec un peu de retard, à deux personnalités qui nous ont quittés il y a plusieurs jours déjà. Journaliste, biographe et écrivain, Yves Courrière est mort le 8 mai à Paris. Il avait 76 ans. Ce qu'on retient de lui, ce sont d'abord, en général, ses reportages sur la guerre d'Algérie, qu'on les ait lus sur le vif dans la presse de l'époque, ou découverts plus tard par le biais des livres. Le Fils de la Toussaint (Fayard, 1968), Le Temps des léopards (id. 1969), L'Heure des colonels (id. 1970), Les Feux du désespoir (id. 1971): les quatre tomes de cette déchirante histoire contemporaine font en effet autorité. Mais Courrière, à qui l'on doit aussi de passionnants mémoires, Eclats de vie (Fayard, 2003), excellait par ailleurs dans l'art de raconter des vies. On n'a oublié ni son Kessel (Plon, 1985), ni son Lazareff (Gallimard, 1995) et moins encore, en ce qui nous concerne, la somme qu'il consacra au romancier communiste des Mauvais coups et de La Loi: Roger Vailland ou Un libertin au regard froid (Plon, 1991). Pour marquer la sortie de cet ouvrage, le biographe avait accepté de venir en parler à la Bibliothèque Municipale de Bourg-en-Bresse, à deux pas de la maison revermontoise de Meillonnas qui fut le "couvent laïc" du cofondateur du "Grand Jeu". Au cours de cette belle soirée, Yves Courrière, né Gérard Bon, avait notamment dit tout le plaisir qu'il avait à revenir dans l'Ain, département de son père, originaire de Condeissiat. D.P.
 
C'était le vendredi 10 janvier 1992 , au Centre Albert-Camus de Bourg-en-Bresse. Devant une salle comble, Yves Courrière répondait aux questions de Didier Pobel. Photo d'archives DR

  
  2011-nov.--Livres-a-Vous-Voiron---champignons-Bel-copie-7.jpg Autre écrivain qui nous était cher, Pierre Magnan avait, lui, 89 ans passés lorsqu'il s'est éteint, le 28 avril à Voiron. Une commune de l'Isère, où l'homme de Forcalquier, père du Commissaire Laviolette, s'était installé il y a quelques années et où nous l'avions rencontré lors du Festival "Livres à vous" en novembre dernier. Pourquoi aux portes de la Chartreuse? "Ne me le demandez pas, ce serait trop long à expliquer. Un jour si on a le temps...". Ce jour, hélas, n'aura pas lieu. L'ami et l'admirateur de Giono est parti en nous laissant une oeuvre qu'il faut bien se garder de réduire à ces titres les plus célèbres que sont Le Sang des Atrides (prix du Quai des Orfèvres 1977) ou La Maison assassinée (Denoël, 1984). Ses pages sur la Provence - pas celle des touristes, mais la haute, la rude - sont tout particulièrement saisissantes. Jusqu'au bout, Pierre Magnan aura gardé le stylo à la main. "Je me lève parfois la nuit à trois heures pour prendre des notes. J'ai encore trois livres à écrire. Après on verra...", nous avait-il alors confié. D.P. 
 
(Se reporter à la page du 6 novembre 2011 de ce blog: "Pierre Magnan, de la Haute Provence à la Chartreuse").
 
Le 6 novembre dernier,  Pierre Magnan était venu en voisin signer ses ouvrages au Festival "Livres à vous" de Voiron, l'une de ses ultimes apparitions publiques. Photo Gh. P.
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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 20:31

   Après avoir conquis la France, il a conquis "l'Oncle Sam". Façon de parler, bien sûr, mais reconnaissons que, du G8 au Sommet de l'Otan, Hollande "l'Américain"  a réussi le sans faute au cours de son premier rendez-vous diplomatique. Comme quoi, Obama n'avait pas tort: "Les cheeseburgers se marient bien avec les frites". Plaisanterie mise à part, ce n'était pas gagné pour le nouvel élu "inexpérimenté"  que quelques-uns attendaient fatalement au tournant de l'alternance. Cela dit, le risque était relatif, quoiqu'une maladresse soit parfois vite arrivée. Après tout, le président français était entre gens bien élevés, ce qui lui a très habilement permis de projeter le thème de la croissance au niveau international. Restait ensuite pour lui à argumenter le retrait anticipé de nos troupes en Afghanistan. Eh bien, même sur ce terrain-là, les choses ne se sont pas trop mal passées.
   Soyons honnêtes, sous ses allures impressionnantes, cette petite échappée outre-Atlantique n'était qu'une manière de prologue. Les véritables pierres d'achoppement se profilent. A Berlin, mercredi, le successeur de Nicolas Sarkozy devra revenir sur sa tentative de renégociation du traité européen. Et, on le sait, Angela est moins vouée à la fantaisie que Barack. Plus que de savoir s'il y aura lieu ou non de porter une cravate, il conviendra alors d'exceller dans l'art de trancher les noeuds gordiens.  Ce qui, on en conviendra, est une autre manière de recréer du lien. D.P.    

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 20:22

Les-Affiches-009.jpgCouverture les Affiches de Grenoble et du Dauphiné   A lire, dans l'hebdomaire Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, en vente cette semaine (n° 4576), le bel article consacré à l'opus de votre serviteur-blogueur, paru depuis peu aux éditions LeTemps qu'il fait (*). "Après un silence littéraire de deux décennies, Didier Pobel confirme avec éclat son retour à l'écriture. Dans son roman  Couleur de rocou, le Grenoblois foule les terres de l'étrange et de l'absurde, voire du fantastique. En cause, une fricassée de champignons qui pourrait bien se révéler funeste...", écrit notamment Jean-Louis Roux qui ajoute, plus loin: "Ce roman, concis comme une longue nouvelle, développe une écriture fildefériste, laquelle tient en équilibre délicat entre deux mondes. Cela a-t-il lieu? Et si oui, où est-ce? Dans la vie vraie ou dans les vapeurs chimériques d'un cerveau fatigué? Il y a une seule réponse. Elle est simple. Ca se passe dans un livre. On appelle cela la littérature" (p.134).

 

(*) Couleur de rocou de Didier Pobel, éditions Le Temps qu'il fait, 104 p., 14 euros.

 

 

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 21:40

La première photo de groupe   Ah! cette photo-là... Incontournable, émouvante, à la fois naïve et vraie. On y pressent un mélange de solennité et de décontraction. A l'heure du tout image frénétique, elle offre une sorte de dimension iconographique hors du temps. Mais c'est comme sur ces vieux supports sépias dénichés tout à trac dans une armoire - souvenir d'école ou de banquet de classe -, il y en a toujours un ou une qui se distingue au moment du déclic.
   La classe parfaitement mixte du gouvernement tout juste constitué a ainsi posé hier devant l'objectif officiel. "Attention, on ne bouge plus, le petit oiseau républicain va sortir..." Bruit d'ailes dans le ciel de l'Ascension, battements de coeur des nouvelles et nouveaux venu(e)s, attitudes de circonstances. Ce vendredi matin la scène - on pourrait presque écrire "la Cène" - fait la Une de la presse. "Normal", comme dit le chef.

   Il n'y a pas que des bleu(e)s. Quelques aîné(e)s sont là, un ou deux chevaux de retour. Mais ce sont les trombines sur lesquelles on ne sait pas encore mettre un nom qui nous émeuvent le plus. Bien malin qui peut lire les destins de ces personnes passées en quelques instants de l'anonymat à l'exhibitionniste papier des journaux. 
   Dans quelques années peut-être, en retrouvant par hasard le document jauni, on ne se souviendra plus de certains patronymes qu'on n'aura parfois, du reste, à peine eu le loisir de retenir. C'est la loi du genre. Les équipes ministérielles vont, viennent, gravissent un jour des marches qu'elles redescendront plus tard. Des bureaux se vident que d'autres occupent. L'enthousiasme des uns se frotte à la nostalgie, sinon, à l'amertume, des autres. Manuel Vals a taclé Claude Guéant. Aurélie Filippetti a offert un livre d'Erri de Luca à Frédéric Mitterrand qui est reparti sur son scooter. Vroum, vroum! Pierre Moscovici a tenu le bras de François Baroin, façon vieux potes de régiment. Arnaud Montebourg a attendu en vain son prédécesseur peu réputé pour sa loyauté.
   L'histoire retiendra quoi de tout cela? Qu'un beau jour de mai, en l'an 2012, la gauche est revenue au pouvoir et que celles et ceux qui ont été de l'aventure ont vécu là des instants déterminants. Regardez-les bien ces visages sur le portrait de groupe. Ils sont en prise avec eux-mêmes. Ils sont en prise avec la France, y'a pas photo. D.P.      

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16 mai 2012 3 16 /05 /mai /2012 21:25

      Sacrée soirée!, comme disait l'autre. Il était 19h26, peut-être 27, lorsque en pleine retransmission de l'ouverture du 65e Festival de Cannes, le nouveau gouvernement était dévoilé. De quoi rendre tous les médias schizophrènes! Nous autres téléspectateurs, nous nous sommes alors livrés à un vertigineux chassé-croisé. Tapis rose d'un côté, tapis rouge de l'autre. Christine Taubira aura-t-elle une palme? Non, pardon, c'est déjà fait. Bérénice Béjo, c'est quoi déjà, son poste? Et Nanni Moretti, il est ministre de quoi? Zut à la fin tout se brouille. Le palmarès de Jean-Marc Ayrault a été détaillé dès hier soir. Un peu en avance sur celui de la Croisette. Avec, d'un côté comme de l'autre, la figure de proue érigée en grande absente. Marylin ici, Martine là. Bah! Les dieux de le la politique et du cinéma y retrouveront les leurs. Allez, demain, commenceront les vraies projections. Moteur! D.P.

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15 mai 2012 2 15 /05 /mai /2012 20:32

   Si la rock star, ce fut lui, la vraie vedette, ce fut elle. Elle? Mais la pluie, pardi. Celle qui s'est invitée dès la "remontée"  des Champs-Elysées, frappant de plein fouet le buste du nouveau président jailli du toit ouvrant de la DS 5. Celle qui mouilla la chemise et embua les lunettes du transi qui rêva peut-être un instant, qui sait, de sécher ses vêtements à la flamme ravivée du soldat inconnu. Une pluie de mai, fougueuse, mal domptée. Une pluie favorable à la sève future des cerises. Une pluie qui faisait semblant de se souvenir d'un certain soir de liesse à la Bastille, plus sûrement que d'un concert de légende, jadis à Woodstock. D'ailleurs, personne n'a clamé "No rain, no rain!"  en ce jour d'intronisation arrosée du successseur de Nicolas Sarkozy.

   Entre deux brèves embellies d'une atmosphère à moteur hybride, elle aussi, l'averse rappliquait. Larmes de joie, eau de baptême, flotte nationale, qu'importe. Plutôt que d'inciter à s'abriter, elle poussait au grand bain. De foule, bien entendu. A quatre ou cinq reprises au moins, le thuriféraire de Jules Ferry a serré des mains trempées, claqué des bises humides, distribué des sourires mouillés. Autant de scènes au cours desquelles l'émule de Mitterrand rappelait ce qu'il doit également à Chirac, ex-météorologue en chef des basses pressions corréziennes et roublard sondeur de sources du plateau de Millevaches.
   Un peu plus tard, à la station Curie, l'ondée se mua carrément en grésil jeté au visage de l'illustre visiteur comme un riz de jour d'épousailles. Mais ce n'était rien par rapport à ce qui attendait le passager du soir pour Berlin. Après un décollage sous des trombes, son Falcon, foudroyé, a dû faire demi-tour.  Décidément, le ciel n'aura pas lâché un instant le septième Président de la cinquième République qui, pour rester dans la tonalité hygrométrique, a choisi un Premier ministre venu de Nantes, la belle cité océanique des embruns et des pluies "gracquiennes".
  François Hollande avait annoncé une cérémonie sobre. Il a tenu parole. Elle n'a "tourné"  qu'à l'eau. D.P.
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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