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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 21:48

 La Une de Libération est sans concession pour Bernard Arnault.Ouf, tout n'est pas amorphe dans notre fichu pays en crise. On sait encore s'énerver pour une Une de journal. Mieux: on peut même porter plainte contre un titre. Bernard Arnault a en effet décidé d'attaquer Libération pour "injures publiques proférées à son égard". Il faut dire que l'apostrophe dénonçant sa demande de naturalisation belge était gratinée en kiosques lundi matin: "Casse-toi, riche con!".
   Vulgarité, agressivité, invective? Bien sûr, comme ça, à brûle-pourpoint, on peut comprendre la réaction du "boss"  de LVMH. Ces mots-là ne sont pas des plus sympas, c'est le moins qu'on puisse dire. Sont-ils choquants pour autant? A la direction du quotidien, on ne voit pas où est le mal. C'était de l'humour, se justifie-t-on. Quelque chose comme une formule-choc à rattacher à l'esprit rebelle initial du titre.

   Soit. Mais le problème, c'est l'insulte car quel que soit l'accommodement, une insulte est une insulte. Tiens! Qu'on nous permette, en toute confraternité, une suggestion après coup: Si Libé avait clamé "Casse-toi, pauvre riche!", le message aurait sans doute perdu en violence et gagné en efficacité satirique.
   Bah! La seule chose réjouissante dans ce "buzz"  du moment qui ne pèse hélas vraiment pas très lourd dans le contexte actuel, c'est que - merci Stéphane Hessel! - l'indignation reste bien toujours de mise. Qu'elle s'exprime à travers une manchette de journal. Ou qu'elle émane de (certains de) ceux qui la lisent.
   Seule l'histoire de la presse dira, avec le recul nécessaire, s'il s'agit d'un titre d'anthologie ou d'une méchante invective taille patron. D.P.

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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 23:36

   On le disait en mal de posture, en roue libre, en vacances, bref pédalant à côté du pédalo. Et à qui avons-nous eu affaire hier soir au Vingt heures de TF1? Plutôt à l'inverse. Face à la houle économique et sociale et à l'heure d'annoncer un tour de vis fiscal historique, François Hollande a fixé un cap, de façon précise, ce qui n'était pas si fréquent chez lui jusque-là. Il a imprimé un rythme. Il a fixé les étapes. Il a détaillé son "agenda de redressement".
   Certes, le malmené des sondages a prudemment écarté un certain nombre de sujets qui fâchent mais au moins s'est-il montré ferme là où il était attendu. La taxation des hauts revenus à 75% se fera et cela sans exception. Voilà qui est clair et avouons qu'on pouvait redouter une réponse plus floue dans le très médiatique contexte de l'"exil" annoncé de Bernard Arnault.

   "En situation de combat", voilà comment s'est présenté un chef de l'Etat particulièrement sous pression qui n'a eu de cesse de rappeler que le gouvernement n'a pas perdu son temps depuis qu'il est aux affaires. "Je resterai ce que je suis (...) mais, en même temps, je suis pour une présidence d'action et de mouvement". L'aveu a valeur de portrait écartelé. Quatre mois après son élection, François Hollande doit plus que jamais incarner la patience et l'empressement, la stabilité et l'accélération, l'attention et la rigueur.  
   A-t-il convaincu? On devrait le savoir bientôt mais une chose est sûre: les Français, qui avaient  quelques bonnes ou mauvaises raisons d'en douter, savent désormais que l'élu du 6 mai dernier est bel et bien aux manettes. D.P.

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6 septembre 2012 4 06 /09 /septembre /2012 21:47

    Il y a des faits divers qui d'emblée nous happent. Celui-ci, à coup sûr, en est un. Par sa sauvagerie inouïe, par son mystère bien sûr, mais aussi du fait de cette part de fatalité qui a conduit un cycliste - autrement dit potentiellement presque chacun d'entre nous - à sans doute payer tragiquement le seul fait d'être là où il ne fallait pas au mauvais moment. Mais l'émotion suprême est évidemment engendrée par le sort des deux fillettes, seules survivantes d'une scène d'horreur que nul ne peut imaginer. La plus grande grièvement blessée et la cadette étonnamment retrouvée, plusieurs heures plus tard, à proximité des corps frappés par balles de ceux qui devaient être sa mère, son père et l'une de ses aïeules.
    Que s'est-il donc passé mercredi après-midi dans ce chemin forestier à quelques encablures du lac d'Annecy? Le sanglant polar, qui emprunte aux décors chers à Modiano, n'est hélas pas un roman. Mais avouons que tous les ingrédients y sont. L'énigme et la rumeur. L'innocence et la cruauté. La géopolitique (la voiture appartient à un Irakien) et même les soupçons d'espionnage. Du coup, certains n'ont pas manqué de songer à un autre fait divers à jamais gravé dans les annales: l'affaire Dominici. Une famille, elle aussi britannique et pratiquant le camping, avait été assassinée à Lurs, un peu plus au Sud. C'était en 1952. Il y a soixante ans.

   Les résultats de l'enquête feront probablement taire les supputions les plus folles et les rapprochements trop rapides. N'empêche, l'incroyable tuerie de Chevaline est vouée à entrer très vite dans la légende du crime et de la pire folie des hommes, si ce n'est déjà fait. D.P.   
 

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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 21:26

    Y'a un complot ou quoi contre François Hollande? Pas un jour ne se passe, en effet, depuis son retour de vacances, sans qu'on l'accuse de tous les maux et surtout de toutes les inerties. Il n'est pas à la hauteur, il procrastine, il roupille, il attend le dégel... La droite est cinglante, les commentateurs sans concessions et les Français piaffent. Et, comme si ce n'était pas assez, voilà un élément inattendu pour lui mettre la pression. Pression, c'est le cas de le dire puisqu'il s'agit cette fois-ci d'une centrale nucléaire. Et pas n'importe laquelle: Fessenheim. La seule à qui le candidat socialiste avait promis la retraite. Pas étonnant si elle s'impatiente: "Alors, ça vient cette fermeture?"
   Tout doux, pourrait lui rétorquer le président de la République qui s'est donné jusqu'à 2017 pour faire aboutir le projet. Mais la vieille centrale, un peu dure de la turbine, ne veut rien entendre. Ce mercredi, elle a fomenté un "incident". De quel ordre exactement? Ca, c'est son secret, mais toujours est-il que deux employés ont été "légèrement brûlés" par "un dégagement de vapeur d'eau oxygénée produit par l'injection dans un réservoir de peroxyde d'hydrogène qui a réagi avec l'eau". 
   Si même maintenant les installations nucléaires s'y mettent... Ce n'est plus d'un simple accélérateur que doit se doter François Hollande, mais d'un réacteur décisionnel d'au moins 900 mégawatts, seul moyen pour qu'entre lui et son attentiste pays se forment peut-être enfin quelques... atomes crochus. D.P.

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5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 21:15

   Photo-088.jpg

 

  C'était sur Oranienburger Strasse. Au 54. Une fantomatique façade, plus dantesque encore la nuit que le jour. On s'y arrêtait quelques instants, histoire de s'encanailler un peu en sortant du "Gambrinus"  tout proche, où c'est toujours un bonheur que de déguster un "Eisbein mit Sauerkraut" (Ah! le jarret aux choux...) en sifflant un bock de "BerlinerKindl", avant d'aller marcher jusqu'à la synagogue, l'oeil rivé au bulbe de la tour de télévision de l'Alexanderplatz. Vestige d'une vaste galerie commerciale édifiée, en plein coeur de Berlin, aux débuts des années 1900, le "Tacheles" connut, à l'instar de nombreux bâtiments de cette métropole hors pair, un destin mouvementé, entre terreur nazie et dictature communiste, de "l'année zéro" aux temps dits modernes.

   A la chute du Mur, ce fameux automne aux échos de pioches et de violoncelle rostropovitchien, l'édifice, miraculeusement sauvegardé d'une démolition déjà annoncée, devint l'emPhoto-097.jpgblème de la ville "pauvre mais sexy", selon le mot de son maire Klaus Wowereit. Attirés par l'étonnant esprit de liberté qui régnait alors sur les bords de la Spree, des dizaines d'artistes, accourus du monde entier, installèrent ici leurs ateliers de peintres, de sculpteurs, de vidéastes, de bricoleurs d'existence, de défieurs de capitalisme.
   On pouvait y boire un verre entre quatre murs "destroy"  ou dans le "Biergarten"  de la cour jonchée de monstres métalliques et de tables de bois. On pouvait également y danser jusque tard dans la nuit brandebourgeoise. Derrière le sourire déclinant d'une utopie menacée, le chicot du "Tacheles"  narguait la "boboïsation" de Mitte, ce quartier de l'Est où les promoteurs surent eux aussi se frayer un chemin dans les gravats du 9 novembre 1989.
   Hier, vingt-trois ans après, les huissiers ont eu raison des derniers rebelles et l'étonnant ilôt de l'Orianenburger Strasse a été évacué sous haute protection. "C'est le vol d'une oeuvre d'art protégé par la police"  a déploré Martin Reiter, le porte-parole du site. Dites, vous en souvenez-vous, Bernard, Suzanne, Patricia, Hervé et les autres? Nous n'irons plus au "Tacheles", les lauriers sont coupés. Et vous aussi bien sûr, Aurélia, Nadja, Ghislaine... Par-dessus les années enfuies et la chimère expropriée, "entrez dans la danse, voyez comme on danse / Sautez, dansez, embrassez qui vous voudrez". D.P.

 

© Photos Gh.P. et D.P. (agrandir en cliquant).  


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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 21:30

      C'est quoi, au juste, un "ami véritable"?  La Fontaine, en son temps, avait répondu sans ambages: c'est "une douce chose". Mais qu'a-t-il donc de particulier cet être rare? Oh, c'est bien simple: "Il cherche vos besoins au fond du coeur / Il vous épargne la pudeur / De les lui découvrir vous-même". Une espèce en voie de disparition, pensait-on, au temps virtuel d'Internet.

   Sauf que non. Les amis, les vrais de vrais, émules des "copains d'abord" de Brassens ou, mieux encore genre Montaigne et la Boétie, existent toujours. Une étude de l'Inserm, réalisée en 2010 et dévoilée pas tout à fait par hasard le jour de la rentrée, est formelle: "93% des jeunes de 11 à 15 ans ont au moins trois véritables amis".

 Certes, on ne sait pas trop comment le calcul peut se montrer aussi précis mais une chose est sûre: voilà qui va complètement à l'encontre des idées reçues. Ainsi donc, nos ados ne "fréquentent" pas que les milliers de fantomatiques abonnés des réseaux sociaux. Ils serrent de vraies mains. Ils s'échangent de vraies confidences, de vrais secrets et, espérons-le, de vrais "baisers volés"  truffaldiens. Car oui, ce que l'enquête ajoute, c'est que, là encore contre toute attente, les représentants de cette nouvelle génération sont davantage "entourés physiquement que leurs aînés".

   Certes, ils sont de plus en plus connectés, dorment de moins en moins et surtout consomment alcool et tabac sans modération, mais au moins ils ont des potes. Pour partager tout cela. Nous voilà rassurés. Enfin, presque. D.P.

 

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3 septembre 2012 1 03 /09 /septembre /2012 21:43

    Les présidents changent, les ministres changent, les priorités changent, les changements changent et peut-être même, qui sait, comme le chantait Dylan, que le monde et les temps changent. Soit. Mais il y a une chose qui ne change pas. C'est les larmes des tout petits ce matin-là. C'est la crispation d'une menotte dans la main d'un adulte. Les sourires forcés aux inflexions d'adieux. La fanfaronne clameur des plus grands cachant à peine les fêlures. C'est le virtuel des vacances assailli soudain par le réel du préau. C'est Facebook en privé dans la cour de récré.
   Ce qui ne change pas, c'est aussi ça. L'indicible sentiment d'une saison qui se clôt. Celle des chaudes lumières déjà plus acides. Celle de l'éphémère été qui s'est cru éternel. Je rentre, tu rentres, il rentre... Nous rentrons nos vains élans d'insouciance passagère dans nos cartables, dans nos mouchoirs, dans nos résolutions, dans nos statistiques, dans nos esprits en crise.

   Le jour de la rentrée n'est pas seulement une date à marquer à la craie blanche sur le grand tableau de l'enfance et des familles. C'est notre affaire à nous tous, que nous soyons parents ou pas, tant il est vrai que nous "rentrons" nous aussi ce jour-là. Sinon à l'école du quartier, du moins à celle des souvenirs, des leçons éternelles, des cahiers de charge et des regards de maîtres. Oui, nous rentrons, de plain-pied, en plein coeur, de plein fouet dans cette drôle d'école à laquelle nous sommes condamnés à être assidus. Et qui porte un joli nom: l'école de la vie. D.P.     

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2 septembre 2012 7 02 /09 /septembre /2012 21:14

    Bien sûr que c'est un électrochoc, même s'il s'agit de la dernière des surprises possibles. Trois millions, c'est un pic, c'est un cap mais, n'en déplaise à Cyrano, ce n'est pas un roc, c'est l'inverse. C'est, en effet, toute la friabilité de notre économie et de notre société que vient rappeler avec insistance le seuil symbolique du chômage révélé ce dimanche, non sans tactique de la part d'un gouvernement pressé de se montrer... pressé.

   Trois millions de personnes sur le carreau. Trois millions de familles passées de "l'autre côté". Trois millions de détresse contagieuse. Contagieuse, oui, car c'est peut-être ça le pire: l'absence de confiance, pour ne pas dire le désespoir, non seulement des personnes touchées, mais au fond de chacun d'entre nous, en proie à une sorte de capillarité de la crainte de l'abandon. De quoi paraphraser le tristement fameux "Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles", lâché par Paul Valéry au lendemain de la boucherie de 14-18, en un plus urgent: "Nous autres individus, nous savons plus que jamais aujourd'hui que sommes jetables".
   Trois milions de chômeurs, voilà pourtant bien un marqueur dont on n'avait pas vraiment besoin en cette veille de rentrée scolaire où beaucoup se demandent, parents ou enseignants, comment transmettre le goût de l'effort arrimé encore jadis à une hypothétique réussite sociale. On ne sera, du coup, pas étonné que la morosité soit à ce point répandue. 68% des Français se disent, en effet, pessimistes, selon le sondage Ifop pour Ouest France Dimanche, un taux proche de celui, historique, évalué à 70% en août 2005. 
   L'activité? Selon un effet inversement proportionnel, le pouvoir en place n'en manque pas, c'est un euphémisme. "Matignon travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre!". Jean-Marc Ayrault, qui, promis juré, ne sera "pas le Premier ministre de l'austérité", l'a clamé haut et fort, au moment même où il confirmait un chiffre fatidique qu'il entend bien utiliser, à la fois comme un bouclier et un booster . Et sauf à faire preuve d'un précepte idéologique, on n'a pas vraiment de raison de ne pas le croire.

   "Est-ce que cela va augmenter encore beaucoup? Oui, cela va augmenter.  Est-ce qu'à un moment donné on peut l'inverser? Oui on peut l'inverser".  L'effet de cette annonce prématurée du prochain mauvais chiffre de l'emploi fonctionne. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous raccrocher au volontarisme, tout en nuances, du ministre du Travail, Michel Sapin, qui sait mieux que tout autre à quel point la complainte désenchantée du temps présent est désormais sur toutes les lèvres: "Trois millions de chômeurs et moi et moi et moi". D.P.   

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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 21:23

  C'est là qu'aura lieu la vraie rentrée de François Hollande. A Châlons-en-Champagne, quelque part entre Reims, la ville des sacres de jadis, et Colombey, le fief gaulliste des ressourcements et des "chênes qu'on abat". De retour de Madrid et avant sa prestation au "Vingt heures"  de Claire Chazal sur TF1 dimanche soir, le chef de l'Etat, en chute libre dans les sondages, a choisi la capitale des vins prestigieux, de la craie et de la brique pour prononcer un discours que son entourage annonce "important".

   Il y a du Chirac, peut-être encore plus que du Mitterrand, dans ce désir de parler là où bat, tant bien que mal, le coeur en crise de la France du savoir-faire, des traditions et des terroirs. Une fois inaugurée la 66e édition de la foire - ah! le rassurant cliquetis des ciseaux crissant sur le ruban... -, François Hollande doit trouver les mots qui apaisent, qui fixent un cap, qui disent "Je suis là", qui réaffirment "On est là". Car c'est bien la peur du vide qui a saisi notre pays au cours des derniers mois.

   "Oh, oh! y a-t-il quelqu'un?"  "Oui", doit répondre le successeur de celui qui, à force d'être toujours au taf, a fini par excéder à l'inverse. Difficile, on en conviendra, de trouver le juste milieu, difficile d'affirmer une présence "normale" auprès d'une société si pressée - dans tous les sens du terme - qu'elle peut réclamer avec autant d'insistance ce qu'elle rejetait la veille.

   Tel est donc, on l'aura compris, le délicat exercice d'équilibre auquel sera contraint de se livrer, sans flonflons ni champagne, l'hôte de l'Elysée ce vendredi à Châlons, avide d'y retrouver les inflexions d'une nouvelle campagne. Celle, déjà, de la reconquête. D.P.

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29 août 2012 3 29 /08 /août /2012 21:10

   Richard Millet va-t-il devoir quitter Gallimard?   La rentrée littéraire, c'est un truc bizarre. Des tonnes de papier. Des éloges et des soupirs.  Deux ou trois noms incontournables et des centaines de laissés-pour-compte. L'événement? Il est là et pas ailleurs, ne cherchez pas, c'est écrit là-haut, comme disait Jacques le Fataliste, et cela souvent même avant que les bouquins n'envahissent les têtes de gondole des libraires submergés. Et puis chaque fois, c'est pareil. Un trublion vient bousculer l'actu qui semblait toute tracée.
   Cette année, il s'appelle Richard Millet. Un écrivain magistral, qui publie depuis 1983, écartelé entre ses racines corréziennes et son long exil libanais. Un fervent de la langue française dont chaque phrase engage entièrement son scripteur. En voici une, choisie presque au hasard, dans un récit intitulé Le Renard dans le nom (Gallimard, 2003):"Car c'est un peu la même chose, n'est-ce pas, ce qui a eu lieu et ce qu'on raconte: l'épaisseur d'une voix, ce temps qui se ramasse dans la bouche, le temps devenu salive, air et sang, la traversée de cette forêt morale et spirituelle qu'on appelle une vie".

   Admirable, non? Sauf que ce petit ouvrage est déjà ancien et que, tout récemment, Richard Millet, qui n'en est pas tout à fait à sa première provoc, a publié un Eloge littéraire d'Anders Breivik , hélas plus tout à fait du même tonneau. Car s'il se défend de tout plaidoyer en faveur du tueur de l'île d'Utoya, le pamphlétaire n'en salue pas moins la "perfection formelle" de celui qui, à ses yeux, est "sans doute ce que méritait la Norvège" (sic).
   Il n'en fallait pas plus - c'est une façon de parler - pour que le curseur de septembre se braque sur la maison Gallimard où non seulement l'écrivain controversé a publié une bonne partie de son oeuvre, mais où il officie également en tant que découvreur de talents goncourables, tels que Jonathan Littel, sacré en 2006, et Alexis Jenni l'année dernière. Le temple feutré de la rue Sébastien-Bottin, rebaptisée récemment Gaston-Gallimard, en a certes vu d'autres depuis Céline et Drieu. N'empêche, la colère y gronde en cette fin août où ce qui s'y murmure ou vocifère prend des proportions de scandale au Vatican.
   En attendant qu'Antoine, le PDG en vacances, fasse entendre sa voix, les gazettes se passionnent pour l'affaire. L'Angélus de Millet s'est-il définitivement transformé en glas? L'inattendu feuilleton de la rentrée n'a probablement pas livré son dernier mot. Du cousu main pour un romancier en mal de sujet. Avis aux amateurs. Le Goncourt, qui sait, est peut-être à la clé. D.P.     

 

(*) Le texte en question constitue la seconde partie du volume intitulé Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 128 p., 16 euros).

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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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