Le blog de Didier Pobel
Avouez que pour un peu on s'y serait trompé. Le décor était le même. La formule inchangée. Les animateurs presque identiques. Sans oublier le logo toujours incrusté, à gauche en bas de l'écran: "Des paroles et des actes". Oui, ce qui frappait, c'était de constater à quel point, ce jeudi soir, le retour de l'émission politique phare de France 2 bousculait la notion de temps. Il fallait se frotter les yeux pour être sûrs que les mois avaient bien passé et que nous n'étions plus en campagne électorale.
Etrange sentiment que celui-ci. Certes, les figures au pouvoir ont bien changé. Certes, la conduite des affaires est différente. Mais les ressorts du discours semblent invariables, la dialectique perpétuelle. "Je demande à être jugé sur pièces et non sur les commentaires". Cette réplique, parmi d'autres de Jean-Marc Ayrault, aurait pu être prononcée par son prédécesseur ou par l'ex-président. Attention: il ne s'agit pas de dire que l'émission fut atone. Le Premier ministre s'est montré fidèle à lui-même. Austère, parfois un brin cassant, mais prof pugnace et prêt à en découdre.
Pourtant, comment dire - et c'est à la fois la marque de fabrique et la limite de ce rendez-vous: on a l'impression que si les acteurs ont changé de rôle, le théâtre, lui, n'a pas évolué. Un bégaiement de l'histoire immédiate auquel la crise n'est probablement pas étrangère, comme si la toxicité de l'époque vidait de sa substance l'essence même du débat politique. La confrontation entre Jean-Marc Ayrault et Nathalie Kioscusko-Morizet fut en ce point exemplaire. Chacune de leurs passes d'arme, parfois aux confins du stéréotype, paraissait se parodier elle-même. On s'était installé devant le poste pour tenter d'entrevoir l'avenir. En l'éteignant, une seule question dominait: dans quel présent vivons-nous qui s'arrime à ce point au psittacisme et à l'immobilisme? D.P.
A découvrir, dans Beaux Quartiers, l'excellent magazine grenoblois consacré à l'art de vivre, au design et à la culture, le pertinent article consacré à mon roman Couleur de rocou. On lira aussi, au fil du riche sommaire, outre un dossier très complet sur les bistrots de la capitale des Alpes, une présentation de l'exposition Fantin-Latour au couvent Sainte-Cécile, une visite du musée Stendhal inauguré le 15 septembre dernier, ainsi qu'un portrait de Robert Pierrestiger, le sculpteur aux "sept vies" de la campagne de la Bièvre. A consommer sans modération (n°12, automne 2012, 5 euros).
(Cliquer sur les images pour les agrandir).
Michel Sapin nous y avait préparé dès le mois précédent, alors que le cap fatidique était déjà franchi en incluant l'outremer. Mais cette fois ci, ça y est: avec une hausse de 0,8% en août, la seule France métropolitaine compte désormais plus de trois millions de chômeurs. Très exactement 3 011 000. Un seuil qui n'avait pas été atteint depuis treize ans! Gardons-nous bien, cependant, à force de répéter l'information, de lui offrir l'inflexion ludique style Guiness Book qu'un tel record ne mérite évidemment pas.
Mais, au juste, à qui attribuer cette inquiétante statistique galopante dans un pays qui aime tant s'ériger en redresseur de torts idéologiques? Pour la majorité, il n'y a pas de doute. Cette barre symbolique est tout simplement le résultat des années Sarkozy. Mais le camp des perdants n'entend pas s'en laisser conter (compter?). A l'en croire, le délai de grâce est passé et il convient désormais de placer les successeurs face à leur action, sinon déjà à leurs promesses.
Alors héritage de la droite ou mauvais début de la gauche? Si la première ne s'éxonère pas d'une certaine mauvaise foi, une chose n'en reste pas moins sûre: le pouvoir actuel ne pourra pas invoquer encore longtemps le passé. Et, quoi qu'il en soit, les 3 011 000 chômeurs méritent mieux qu'une partie de ping-pong politique qui ne peut que ridiculiser ceux qui s'y adonnent. Ce qu'attendent les "longues durées" (a-t-on remarqué l'analogie avec la terminologie carcérale?), ce n'est pas le rituel renvoi de responsabilités favorisé par l'alternance, mais de sortir enfin de ce no man's land qui transcende les gouvernements et qu'on désigne pudiquement par cette spectrale appellation collective: la "catégorie A de Pôle emploi". D.P.
On jurait un peu partout qu'en cette rentrée François Hollande, contraint d'appuyer sur l'accélérateur, avait rompu avec sa fameuse "normalité". Pas si sûr. Comment mieux qualifier, en effet, son premier discours, ce mardi soir à l'ONU, que par ce mot-là: "normal"? On s'en persuadera davantage encore en consultant, dans le dictionnaire, les synonymes proposés: "habituel", "ordinaire", "correct", "honnête", logique", "naturel"...
Oui, il y avait tout cela dans l'intervention attendue, dans les deux sens du terme, de celui qui a, sans surprise, affirmé sa fermeté dans les dossiers de la Syrie, du nucléaire iranien, du conflit israélo-palestinien ou du Mali confronté au terrorisme. De très bonnes résolutions, certes, pas question de le nier, mais comment dire?, c'était bien le moins.
On a perçu la visée mais pas la vision. Et puis, surtout, manquait ce supplément d'âme qui caractérisa les allocutions de Mitterrand en 1990 et du très lyrique Dominique de Villepin le 14 février 2003 contre la guerre en Irak.
On rétorquera que l'époque, qui décidément n'est plus la même, n'admet pas les effets de manche. C'est plus que probable. N'empêche. On ne prend pas la parole aux Nations-Unies comme on inaugure la foire de Châlons-en-Champagne. François Hollande, chef d'une puissance moyenne, doit encore affirmer sa place sur la scène mondiale. Un espace qui, lui, n'a rien, mais vraiment rien, de... normal! D.P.
Hollande chute, Ayrault dégringole. Sale temps d'automne pour l'exécutif. Le chef de l'Etat perd onze points par rappport au moins d'août et le Premier ministre sept. Nous voici presque dans les records. A l'Ifop, l'institut à qui l'on doit ce sondage, on a ressorti les vieilles fiches: "Seuls De Gaulle, en juin 1962, après les accords d’Evian, et Chirac, en juin 2005, après l'échec du référendum sur le traité constitutionnel européen, avaient enregistré une baisse plus importante, avec respectivement -13 points et -12 points".
Il y a sans doute mille et une raisons à ce désamour aussi radical que précoce. Les hésitations des débutants. La rentrée quelque peu ratée du gouvernement. Les impôts annoncés. Le manque de visibilité, comme on dit aujourd'hui, de la politique conduite. Certaines promesses apparemment en rade. La conjoncture qui plombe tout. Mais il y a un autre phénomène de plus en plus insistant dans notre société. C'est l'impatience.
Jadis, lorsqu'ils votaient, les Français choisissaient un médecin de famille, un de ces généralistes de campagne, bon enfant et madré, dont les propos rassurants étaient souvent plus efficaces que les remèdes préconisés. Ils ont opté, ensuite, pour le spécialiste qui leur semblait le plus adapté, sinon à leurs maux, du moins aux malaises pressentis. Mais voilà, c'est fini tout cela. Le 6 mai dernier, ils ont convoqué un urgentiste. Pas question de lui laisser une minute de délai, quand bien même l'ambulance est coincée dans les bouchons de la crise.
Il n'y a pas si longtemps encore, le quinquennat paraissait unanimement trop court. Désormais, c'est dans l'instantané, exacerbé par l'insatiable attente du peuple, que s'inscrit l'exercice du pouvoir. Les sondages ne sont plus seulement les miroirs de l'opinion, ils en sont devenus les sismographes. La conduite des affaires doit à la fois s'en démarquer et en tenir compte. Ce n'est pas tout à fait nouveau mais c'est de plus en plus manifeste. Bonne chance à ceux qui, aux manettes, se trouvent contraints d'accélérer sans déconnecter le régulateur de vitesse. D.P.
A Rivesaltes, à l'heure des vendanges, on coupe le raisin et on cueille les livres. Et cela depuis une décennie. Oui, dix ans déjà qu'un petit groupe d'amis passionnés lisent, débattent, choisissent, partagent, rassemblent. Dix ans que Marie Bardet, Christian Di Scipio, Sylvie Coral, Chantal Lévêque, Carole Vignaud, Henri Lhéritier, vigneron et écrivain, et le président Bernard Revel ont mis sur pied - on devrait dire sur cep - des rencontres festives ponctuées de remises de trophées pas tout à fait comme les autres. Et disons-le d'emblée, le cru 2012 est exceptionnel. Après Charles Juliet en 2010 et Bernard Pivot l'année dernière, c'est Jean Echenoz, écrivain phare des éditions de Minuit et Goncourt 1999 pour Je m'en vais, mais également auteur de Cherokee (1983), de Lac (1989), de Ravel (2006) ou de Courir (2008), qui recevra le nouveau prix des "Vendanges Littéraires", pour son dernier roman, évoquant de façon magistrale la Grande Guerre et sobrement intitulé 14 (1).
Digne, c'était sa ville. Il y fut maire, conseiller régional, député, président du département. Digne, ce fut son attitude, ce jeudi lorsque, prenant chacun de court, il a annoncé qu'il arrêtait la politique. Sans accents vindicatifs, sans acrimonie, juste avec quelques larmes au bord des paupières. "Je souhaite passer plus de temps avec ma femme, mes enfants et mon petit-fils. Il faut savoir passer la main, à d'autres désormais de reprendre le flambeau". Digne déclaration et si rare décision, "mûrement réfléchie", dans un univers où l'on est souvent prêt à durer au-delà de toutes les limites.
"Fier du chemin parcouru", l'ancien secrétaire général de l'Elysée, l'a admis: "C’est vrai, il y a des jours décourageants, où l’on est confronté à des difficultés, des détresses, des désespoirs humains auxquels il est impossible d’apporter une réponse, si ce n’est une écoute bienveillante. C’est vrai, il existe des quémandeurs pénibles, des petites manœuvres politicardes et trop souvent l’absence de reconnaissance pour le travail accompli. Ainsi va la vie, ainsi va la nature humaine. Mais ce qui l’emporte, c’est la chaleur des rencontres, la convivialité, la fraternité, l’amour partagé d’un territoire et d’une manière de vivre".
Digne Jean-Louis Bianco qui part à 69 ans, sur la pointe des pieds, sur la pointe de la modestie et de l'élégance.
Indigne, c'est la dernière image qu'on gardera de lui. Il fut pourtant écrivain de talent, éditeur à succès, découvreur reconnu, intellectuel respecté. Hélas aussi polémiste très controversé signant récemment "l'éloge littéraire" d'Anders Breivick, le tueur d'Oslo. Indignant JMG Le Clézio, Annie Ernaux, Pierre Nora et beaucoup d'autres, il a dû s'incliner. Indigne Richard Millet contraint, en ce 12 septembre 2012, à la démission du prestigieux comité de lecture de Gallimard. D.P.
- Retour à Vogüé par les petites routes d'Ardèche où l'été fait des méandres. Les vendanges
se préparent. Un peu partout des panneaux disent "Non au gaz de schiste!". Au bord de la rivière, comme aux plus beaux jours, les baigneurs étendent leurs serviettes sous le "tacatam" des autos franchissant le pont de bois haut perché. Le château est là qui nous attend magistralement adossé à la falaise. Chaque exposition accueillie entre ses quatre tours rondes est un enchantement. Celle qui s'y tient en ce moment ne fait pas exception.
Ce qui d'emblée accapare dans l'univers de Bang Hai Ja, c'est, aveuglante ou calme veilleuse, la lumière. La plupart des oeuvres comportent d'ailleurs ce mot-là dans leurs titres: Matière-lumière, Souffle de lumière ; voire, expression du paroxysme de cette quête , Lumière née de la lumière. La série de travaux regroupés autour de ce vocable se décline en différents registres complémentaires. Tantôt ruissellement vertical au centre d'une toile, tantôt reproduction de motifs identiques disséminés sur la surface, jusqu'à cette notion d'infini captée dans la Lumière de l'univers (2009). "Là où s'offrent / la paix et la lumière / l'inaltérable joyau de la haute connaissance". Ces vers, sous l'une des vitrines, sont signés Charles Juliet. L'écrivain est, depuis longtemps déjà, un admirateur de l'artiste née à Séoul en 1937 et arrivée à Paris au printemps 1961.
Avec Bang Hai Ja, il a réalisé un beau livre publié chez Voix d'Encre, à Montélimar, en 2007: Une joie secrète. Deux mots qui traduisent bien la part commune de leurs démarches. L'une portée par le langage. L'autre par les couleurs, les irisations, les effets de transparence, les "phosphorescences, les frottis, les éclaboussures", pour reprendre encore les termes de l'auteur de L'Année de l'éveil. Bang Hai Ja répartit ses pigments naturels sur des supports géotextiles ou sur du papier, parfois froissé et remodelé pour mieux interroger l'infime empreinte des plis où se frôlent Orient et Occident.
Au centre de la salle du deuxième étage, des cylindres suspendus au plafond comme des lanternes dialoguent, qui sait, avec la voie lactée. Au premier, des sortes de bannières, accrochées aux murs, se déploient pour une fête des sens doublée d'une invitation à l'aventure spirituelle. Parfois, un drôle de papillon s'y est posé. D'où venu, l'insecte butineur d'or et de reflets? De l'enfance à coup sûr. Cette enfance où le scintillement d'une rivière est resté à jamais le défi suprême à relever pour la plasticienne qui travaille désormais, une bonne partie de l'année, dans sa vaste maison proche de Privas. A quelques encablures de Vogüé où - merci à l'association "Vivante ardèche", à Ginette Dajoux, à Roger Plasse et les autres - il faut courir, toutes affaires cessantes, s'inventer une rentrée sous le signe magique de Bang Hai Ja. D.P.
(Oeuvres de Bang Hai Ja, au château de Vogüé - à une dizaine de kiomètres au sud d'Aubenas -, jusqu'au 1er novembre. Rencontre-conférence en présence de l'artiste le 15 septembre à 17 heures, dans le cadre des Journées du Patrimoine. Renseignements au 04 75 37 01 95).
Qu'elle tombe du ciel ou qu'elle éclabousse les murs, la lumière est omniprésente dans l'oeuvre de Bang Hai Ja. Photos D.P.
- C'était un beau jour de 1926 ou quelque chose comme ça. André Lhote avait hâte de filer
vers le Sud. Le vrai, celui de la mer et du plein soleil. Mais c'est quoi, là, ces vestiges de pierres entassés sur leur butte? Et d'abord où sommes-nous? A Mirmande, dans la Drôme. Est-ce dû au magnétisme du site ou à la seule fatigue du voyageur qui, parti de Paris, commençait à trouver la route longue? Toujours est-il que Lhote bifurque, gravit le chemin des pins qui mène jusqu'au sommet et découvre... rien. Entendez par là rien qui vive. Mirmande n'est alors qu'un ensemble de maisons en ruines.
Pas une âme vaillante? Si, en voilà une. C'est le facteur dont on se demande ce qu'il peut bien distribuer dans cet enclos de désolation. "Y'a des maisons à vendre ici?" Réponse laconique du préposé des Postes: "Oui". Le dialogue ne sera pas long. "Lesquelles? "Toutes!". André Lhôte jette alors son dévolu sur l'une de celles qui a conservé son toit. C'est dans le bas du bourg, façade orientée du côté de l'Ardèche. "Combien elle vaut?" s'enquiert-il auprès du propriétaire. "C'est bien simple, il y a 3000 tuiles ; à un franc la tuile, ça fait 3000 francs". "La tuile était la seule chose qui avait de la valeur, le reste était encombrement" se souviendra André Lhote dans ses Petits itinéraires à l'usage des artistes publiés en 1943, chez Denoël.
Appelons cela comme on voudra, un coup de coeur ou un coup de foudre. Le peintre cubiste, né en 1885 à Bordeaux, va en tout cas s'installer dans ce village dont l'un des maires s'appellera, dans les années 80, Haroun Tazieff. Il y travaillera avec fougue. Il y formera beaucoup d'élèves. Il y recevra ses amis, notamment le poète Jules Supervielle. Plus d'un demi-siècle après, les témoins de l'époque sont rares mais les oeuvres réalisées sur place par celui qui sera à l'origine de la renaissance du bourg sont nombreuses. Citons Le Rocher de Saoû (1935), Neige, vallée du Rhône (vers 1940), Pins sur la colline (1958), la saisissante Grande foudre à Mirmande, une gouache de 1959, ou bien encore cette émouvante scène de moisson, reproduite sur l'affiche, avec des jaunes et des verts fanés qui "tendent des hamacs pour le repos des dieux" (Paysage à Mirmande, 1940).
Amateurs d'art ou simples touristes se sont bousculés tout au long de l'été pour découvrir le bel accrochage proposé encore jusqu'à la fin du mois dans l'église Sainte-Foy, sauvée elle aussi du désastre par le peintre qui mourra à Paris en 1962. Allez-y, vous aurez tout à gagner d'être, pour quelques instants rares, les hôtes de Lhote. D.P.
(Jusqu'au 30 septembre, à l'église Sainte-Foy de Mirmande, dans la Drôme. Renseignements au 04 75 63 03 90).
Paysage à Mirmande et Neige, vallée du Rhône, deux oeuvres de 1940, à découvrir dans le cadre somptueux de l'église Sainte-Foy à Mirmande. Photos D.P.
- Pas de parcours sudiste sans un crochet par Dieulefit. Sur les allées du Parol, les galeries de Michèle Emiliani et de Philippe Bentley se côtoient. Chez la première, l'exposition Jacques Pouchain vient de se clore, mais on y trouve encore une partie de ses toiles et de ses céramiques. Des grès peints, très rares. Des volumes comme détachés du magma originel. Des pièces vernies. Du bleu, du rouge vif, des gris qui ne sont jamais, au fond, pour leur utilisateur, qu'une autre façon de tutoyer le noir. Redécouvrons aussi, trésors pour les yeux, les récentes toile vénitiennes du Lyonnais Patrice Giorda. Et puis une pépite: les petits formats de Charlotte Culot, une artiste belge qui travaille en France. D.P.
(Galerie Emiliani Le Parol Allées des Promenades 26220 Dieulefit. Renseignements au 04 75 46 30 28).
Un aperçu de l'univers de Jacques Pouchain à la galerie Emiliani de Dieulefit. Photo D.P.
- A la porte voisine, chez Artenostrum, l'accrochage d'été est également terminé à ce jour. On ne peut que regretter de ne pas être venu plus tôt en invitant tous ceux qui ne connaissent pas Noémi Adda à remédier à cette lacune. Ses envoûtants paysages de la Drôme provençale - elle partage son temps entre Paris et Truinas, le territoire voisin du poète André du Bouchet (1924-2001) -, tout en nature vibrante sous la fascinante palette de verts, de rochers, de collines, de champs pentus comme des "lutrins géants", selon la belle formule d'Anne de Staël, font songer à quelque Toscane réinventée à travers des toiles grattées de petits traits, striées de brindilles envolées, animées de songeries et de souffles secrets. Mais ce sont les arbres, peut-être, les plus importants chez Noémi Adda. "Ils sont comme dans Shakespeare, ils semblent courir", dit encore Anne de Staël. Et l'artiste ne la dément pas: "Un arbre, c'est très difficile à peindre, il ne pose pas, il est en devenir continu et n'est jamais le même d'un jour à l'autre, si ce n'est d'une heure à l'autre". D.P.
(Artenostrum Le Parol Allées des Promenades 26220 Dieulefit. Renseignements au 04 75 46 83 30).
Dans les toiles de Noémi Adda, "les arbres sont comme dans Shakespeare, ils semblent courir". Photo D.P.
- Encore une halte bienvenue. C'est à Montélimar, dans le superbe espace Saint-Martin, qui
fut jadis une caserne. Quatre artistes bien différents, quoique pas réunis par hasard sous le thème des "Figurations(s)", invitent à un itinéraire à la fois émouvant et ludique. Les vastes "images peintes" du Drômois d'adoption Gérard Schlosser, "cadreur" de fragments anatomiques et de gros-plans de scènes campagnardes, jouxtent les étranges tableaux "techniques" de l'Allemand Peter Klasen, inlassable questionneur de la société industrielle. Et les fresques peuplées de l'Argentin Antonio Ségui, sondeur jusqu'au vertige des solitudes urbaines, ne sont jamais très loin des sculptures post-giocomettiennes de l'Allemand Alex Cassel. D.P.
("Figuration(s), jusqu'au 28 octobre, au Musée d'art contemporain Saint-Martin 2, avenue Catelin 26200 Montélimar. Renseignements au 04 75 92 09 98).
Deux tableaux de Gérard Schlosser et d'Antono Ségui à découvrr en ce moment à l'espace Saint-Martin de Montélimar. Photos D.P.
- Signalons enfin que Christine Bry, qui vit et travaille à Grignan, prépare une nouvelle exposition parisienne dans laquelle elle présentera de récentes toiles, parfois déployées en diptyques, réunies autour du thème des "Parois", ce qui amène Jean Rouaud, dans l'un des articles du beau catalogue imprimé pour l'occasion, à esquisser un parallèle entre le monde des grottes et celui de l'artiste drômoise: "A Chauvet, l'homme est absent (...). Dans les tableaux de Christine Bry on note toujours son absence, on se perd dans le même vide sidéral. C'est qu'entretemps, après avoir conquis le monde, ivre de son pouvoir, le même homme a trouvé le moyen d'inventer la solitude et de mettre en scène sa propre disparition". D.P.
("Parois" de Christine Bry, du 18 septembre au 7 octobre, galerie "L'Oeil du huit" 8, rue Milton 75009 Paris. Renseignements au 01 40 23 02 92).
Ca y est, c'est presque fait: le Parti socialiste a un premier secrétaire nommé Désir. Enfin, désir, c'est vite dit. Le prochain promu n'était pas le favori de Martine Aubry. C'est un secret de polichinelle rose, elle préférait Jean-Christophe Cambadélis. Mais à part ça, tout va très bien, madame la Marquise de Solférino. La preuve: après ce choix "unanime", qui a tout de même nécessité de longues tractations et un évident arbitrage de François Hollande, chacun s'est empressé d'afficher une solidarité sans failles autour de celui qui incarne désormais la "motion de rassemblement".
Il faut dire que le congrès de Toulouse, fin octobre, se doit de faire oublier la calamiteuse cacophonie de Reims en 2008. Pour cela, le Harlem globe-trotter de la génération Mitterrand, médiatique fondateur de SOS Racisme en 1984, est condamné à devenir consensuel. Condamné? Pardon, c'est le mot qui fâche. Tout le monde, en effet, n'a pas oublié les 18 mois de prison avec sursis et les 30 000 francs d'amende dont il écopa, pour recel d'abus de biens sociaux, en 1998.
Broutille? L'essentiel, on l'a bien compris, a fortiori vu la conjoncture, c'est que la sérénité règne au PS. Voici venu le temps du "Touche pas à mon pote!" version Jean-Marc Ayrault. Et tant pis si, en coulisses, le... "Camba" continue. D.P.
Ces révolutions que
nous n'avons pas vu venir
De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion.
C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.
La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.
Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.
Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...
Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.
Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...
Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.
Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.
(Cette chronique a été publiée
dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",
n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011).
La carte de la gloire,
le territoire de l'oubli
Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998,
avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela
d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où,
sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux" lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne
vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"
houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle
dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on
est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le
lui en laissait le loisir.
Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut
balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous
rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals
soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus
désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était
conspué à l'unanimité, ou presque.
Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître
dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant
que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des
bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages
dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus
que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au
vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la
fidélité.
Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le
territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995).
Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant
d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,
dans une version légèrement modifiée,
dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",
n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011).
Ferrat, Chabrol:
l'émotion consolatrice
Drôles d'hommages,
quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en
souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé" ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les
foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et
des pensées rebelles.
C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens" boudèrent en une obstination inversement
proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges
et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et
son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de
son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans
ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort
différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un
attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique
dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la
malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes
d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre
amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms.
Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise" et adultères provinciales, Jean Ferrat et
Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers.
Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.
La rentrée littéraire,
quelle vacherie!
Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse
s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien
de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des
bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq,
visez-moi cette encolure.
S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée
directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des
broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent
leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni
Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle
cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon
l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A
commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super
sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la
Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en
patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés
de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar
rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à
Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée
littéraire. (Fin août 2010). D.P.
Quelques nouvelles de par ici
Je vais vous donner un peu
des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher
vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est
à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule
du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer
forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend doucement des allures de petit G20 provincial.
Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les
terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le
seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le
préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui
tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son
canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme
"dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit
"Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux
résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation
ou l'inverse.
Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils
se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans
ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et
qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa
tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule.
Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du
côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce
matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.