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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 22:40

Juin-2012--Ile-d-Eubee--Delphes-167.jpg  Alors voilà, on s'est creusé la tête, on a bouclé les courses fièvreusement, on a envoyé les derniers SMS au Père Noël. Et tout ça pour rien. Parce que le vrai cadeau, le seul qui importe, celui qu'on n'espérait pas, il est déjà tombé du ciel. C'est le grand manitou là-haut qui l'a envoyé aux enfants sages que nous sommes.

   Pensez: quatorze degrés à Paris l'autre nuit! Du jamais ressenti depuis la création de la station météorologique en 1873. Et ce dimanche après-midi, on s'est baignés à Bayonne comme au mois de mai.

   Tout ça grâce à quoi? L'élément déclencheur, c'est lui, paraît-il, un "anticyclone subtropical qui fait remonter de l'air très doux en provenance du Maroc". Et les spécialistes en sont sûrs: "Cet air très doux, qui engendre sur le Maroc et le sud de l'Espagne des conditions quasiment estivales, atteint la France et le Bénélux".

   Certes, un peu de neige en décembre n'a jamais fait de mal à nos imageries d'enfance, mais avouez que, par les temps de glaciation sociale qui courent, la douceur est un produit de luxe. La preuve. Certains en sont encore privés. On n'en citera que deux. Appelons-les Tapourg et Montebie. L'un est un tout nouveau magnat de presse provençale. L'autre ministre du redressement productif. A ce qu'on sache, le micro-climat de leurs planètes ennemies est loin d'être au beau fixe.

   Bon, cela dit, permettez qu'en cette trêve des confiseurs, on s'en fiche un peu. Du moment qu'on a un Noël très hot... D.P.  

 

   Photo D.P. 

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 18:37

   Sept.-2012--Drome-et-Ardeche-068.jpgLire le matin, très tôt, quand tout est silence, ici, dans cette vaste ferme de Bresse. A côté de Fin-dec.-2012---Gr.-009-copie-1.jpgmoi, le vieux poêle qui ronfle. Le fourneau, comme on disait jadis. Il y a les hauts-fourneaux, au coeur de l'actualité, là-bas, en Lorraine sinistrée. Et puis là, près de moi, près de nous, le bas fourneau. "Les bûches, sous l'escalier, ont elles aussi des mots à murmurer. Mais l'hiver les jettera au feu. L'hiver est une saison où j'entre avec le jardin dans la maison". Lire, le matin, Joël Vernet. Joël, le maraudeur d'instants, l'écrivain nomade qui, lorsqu'il n'est pas en Syrie ou en pays dogon, écoute battre le coeur à vif de son coin de campagne.
   Son nouveau livre s'intitule Rumeur du silence  (*). Tendez l'oreille. Un souffle s'en échappe. Une respiration. Une louange à "la vie paisible", cette émanation d'une "très haute clairvoyance". Frère des fleurs, moissonneur de "pans entiers de ciel", notre cueilleur de lumière qui chante aussi les "psaumes paisibles des ténèbres"  n'a pas son pareil pour restituer "la naïve leçon des jours"  ou pour recevoir le salut d'un lézard qui laisse "glisser les heures sous son ventre", un lézard comme "un premier poème écrit sur la pierre du matin".

   Auteur d'une trentaine de livres inclassables chez Fata Morgana, Lettres vives, l'Escampette ou Le Temps qu'il fait, Joël Vernet, ce contemplatif pour qui "rendre hommage à une libellule est sans doute la plus belle des conquêtes"  n'a jamais oublié ses racines rurales en Margeride, notamment auprès d'une aïeule présente dans ces pages: "Lorsque j'étais plus jeune, nous nous tassions contre le poêle. Elle me lisait des contes, me racontait des histoires, murmurait dans le noir à voix si basse qu'il me semblait parler avec un ange".
   Serrons nos ailes autour des livres de Joël Vernet. Il y fait un peu plus chaud, un peu plus simple, un peu plus fraternel. On y voyage sur place en allant loin au fond de soi. On s'y préserve de la vanité, du vide et de l'insignifiant. "Combien les Grandes choses ont raison de se tenir aux lisières, dans la belle lumière des sous-bois. Ce qui est grand ne se montre pas. Ce qui ne se montre pas est éternel".  D.P.  
 
    (*) Rumeur du silence, avec des dessins de Michel Potage, Fata Morgana, 56 p., 12 euros.

Joël Vernet a également fait paraître cette année son Journal fugitif au Moyen-Orient (Le Temps qu'il fait), alors que Fata Morgana a réédité son Petit Traité de la marche en saison des pluies, initialement publié en 1996.

 

   Joël Vernet, lors d'une lecture en Ardèche, au mois d'août dernier, dans le cadre des rencontres "Les Essayages" aux Vans. Photos D.P.

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20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 21:54

   Amsel-Kieffer.JPGEt alors, comment ça se passe? Jusque-là tout va bien, mais sait-on jamais, mieux vaut rester vigilant. Ah! ne nous berçons pas d'illusions... Même si l'on s'efforce de l'oublier, cette idée aussi folle qu'intéressée de la grande catastrophe définitive ne risque pas de nous lâcher comme ça en ce jour du solstice d'hiver.
   La fin du monde? Pas Maya d'y échapper. Mais avouez que ce serait trop bête qu'elle ait lieu.

   Trop bête pour François Hollande dont, une fois n'est pas coutume, tout le monde ou presque salue la justesse et la sagesse du discours d'Alger dans lequel il a déploré, sans excuses, les "souffrances de la colonisation".
   Trop bête pour Bernard Tapie qui, alors qu'on le croyait rangé des affaires, vient tout juste de s'offrir une partie de gymtonic journalistique, provençale et politique.
   Trop bête pour Gérard Depardieu qui n'a pas encore eu vraiment le temps de s'acclimater au ciel si bas du plat pays qui est le sien et à qui Poutine propose déjà d'arroser la nouvelle année à la vodka d'une belle retraite de Russie. 

    Et puis trop bête pour nous tous, au fond, parce que, en dépit de la crise, de la précarité, du chômage, bref de la très récurrente et vertigineuse peur de l'avenir, nous l'aimons bien, ce truc bizarre, ce machin étrange, ce palpitant battement de coeur à la fois individuel et collectif qu'on appelle la Vie.
    Alors, superbe Apocalypse à tous et surtout que la santé soit bonne! D.P.  

 

Le chaos peut aussi revêtir une dimension picturale, comme dans ce tableau d'Amsel Kieffer

 vu au musée de l'Hamburger Banhof de Berlin. Photo D.P.
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20 décembre 2012 4 20 /12 /décembre /2012 15:14

    Il y a quelques semaines, Vanessa Curton me recevait au micro de l'excellente émission "Entre paroles et musique"  qu'elle anime chaque semaine sur l'antenne de RCF Isère, pour évoquer, notamment, mon roman Couleur de rocou (Le Temps qu'il fait). En cliquant sur le lien ci-dessous, on pourra réécouter ce programme, diffusé en deux parties les 28, 29 et 30 novembre derniers, et ponctué par une plage musicale inédite: une chanson intitulée La Cabane interprétée par Jean René qui a signé la musique sur un texte de moi-même. D.P.

 

http://www.vanessa-curton.fr/article-entretien-avec-didier-pobel-autour-de-couleur-de-rocou-113644260.html

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19 décembre 2012 3 19 /12 /décembre /2012 22:13

    Donc, si tout va bien, ça se passera ce vendredi. Enfin, pardon, "tout va bien"  n'est peut-être pas l'expression la plus appropriée. Mais à quoi bon se prendre la tête avec le vocabulaire quand l'échéance n'a jamais été aussi proche? Faut-il le rappeler, nous sommes en effet, en ce 20 décembre 2012, jour de la Saint Théophile, à J - 1 de la fin du monde.
   Jusqu'à maintenant, on s'en fichait. Viens un peu par ici si tu oses, Apocalypse de pacotille! Même pas peur. Mais là, si près du but, si l'on peut dire, on commence tout de même à trembler un chouïa. C'est où déjà, Bugarach? Tant pis, trop tard, le temps de faire la route vers le pays cathare et le ciel sera déjà tombé sur nos têtes de Gaulois geeks. Sans compter qu'avec l'astéroïde qui rapplique, ou quelque chose comme ça, on ne peut guère faire confiance aux GPS.
C'est malin, on n'avait qu'à y penser plus tôt, se répète-t-on en souriant pour tenter d'exorciser le péril programmé.

    Et si c'était vrai? L'hypothèse nous revient à l'esprit comme un titre de roman de Marc Lévy. Avec cette taraudante question: à quoi occuper l'ultime temps qui reste? Faire la fête? Encore faut-il avoir le coeur à ça. Acheter des journaux comme Bernard Tapie? C'est peut-être bien se compliquer la vie. Boucler ses courses de Noël? Oui, mais pour offrir les cadeaux à qui?

    Non, restons plutôt chez soi, bien au chaud, à écouter à la radio les nouvelles fraîches du chaos annoncé. Ou à lire un bon livre. Celui-ci, par exemple, dont ces mots, imprimés sur la couverture, sont de circonstance: Les Ruines du ciel  (*). Il est signé Christian Bobin et en voici la toute fin dernière: "Nous vivons au pied d'une montagne enneigée qui dès l'instant de notre naissance a commencé à s'écrouler sur nous. Dans l'éblouissement de cette avalanche la pensée s'éveille et les apparitions se multiplient. L'âme est une hirondelle qui prend ses connaissances à la vitesse de l'éclair. La seule réponse au désastre est de le contempler et de tirer une joie éternelle de cette contemplation".  D.P.

 

(*) Les Ruines du ciel de Christian Bobin, Gallimard, 1999 et Folio 2011, n° 5204.

      

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18 décembre 2012 2 18 /12 /décembre /2012 22:14

  Jusque-là, on se marrait sous cape. Parce que, n'est-ce pas, c'est plutôt drôle l'idée qu'on va tous mourir quand on sait que tout ça c'est pipeau, business et compagnie. Vive l'eschatologie, Bucharach for ever! Mais voilà que, tout à coup, on rigole un peu moins. Parce qu'il y a eu ce mardi un détail révélateur. L'information est arrivée de Washington. Barack Obama soutient une proposition de loi visant à interdire les armes d'assaut aux Etats-Unis. Si, si, on a bien lu.
   Avouez que, même venant de l'Amérique traumatisée par la tuerie de Newton, on a du mal à le croire. Et nous sommes quelques-uns à penser que si l'hôte de la Maison-Blanche se plie à une telle résolution, c'est qu'il se met vraiment à douter de la pérennité de notre planète gangrenée de violences et de lobbies. La vérité, c'est que, là-bas, dans la petite ville du Connecticut, il n'y a pas eu une, mais vingt-six fins du monde, dont vingt d'enfants.

   Certes, ce ne sont pas toutes les armes qui seraient bannies, mais saluons tout de même l'intention: il semble qu'Obama ait compris que la fin du monde, la vraie, ce n'est pas la propagation très orchestrée d'un chaos collectif, mais la rafale soudaine d'une multitude de petites apocalypses intimistes. Des apocalypses pas plus hautes parfois qu'un gosse de six ou sept ans. D.P.      

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17 décembre 2012 1 17 /12 /décembre /2012 21:33

   A la longue, on se persuadait qu'ils jouaient  la montre - pour ne pas dire qu'ils jouaient à autre chose -, qu'ils attendaient la fin du monde ou quelque chose comme ça, bref qu'ils procrastinaient, pour reprendre un verbe tendance. Parce qu'enfin, reconnaissons que débattre un mois durant pour savoir qui des deux a gagné une élection, c'est du niveau de vieux compères de pétanque qui n'en finissent pas de se disputer l'emplacement du cochonnet.
   Jusqu'à ce que, tout à trac ce lundi soir, l'info tombe. L'entente s'est concrétisée entre François Fillon et Jean-François Copé. On n'a plus seulement affaire à "une avancée importante", ou  à "un compromis en vue", mais bel et bien à un "accord de sortie de crise". Un vrai de vrai, ficelé avec art comme un chapon bressan au temps de Noël. Parmi les septs points annoncés, figure même la date du scrutin bis. Probablement le 15 septembre prochain. Sans compter que les protagonistes renoncent aux poursuites judiciaires.

   Alleluia! Les militants de base de l'UMP respirent enfin. Sauf qu'on a bien du mal à croire cet épilogue définif, d'autant plus qu'il comporte encore des aspects flous. On ne fera, en tout cas, croire à personne que, d'ici l'échéance fixée, l'idée même d'un coup de théâtre est à écarter. On est tout simplement passé des Portes claquent  à Embrassons-nous Folleville!  et, certes, le rideau est désormais retombé mais on sent bien que, là-bas, en coulisses, les deux comédiens de notre vaudeville national à rallonges piaffent d'envie de revenir en scène, chacun dans son rôle. D.P.   

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16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 23:36

      "L'affaire Depardieu"!  ça y est, nous y voilà. Il aura fallu une semaine pour que tous les ressorts se mettent en place. Flash back. D'abord, le bras d'honneur de l'acteur. Trop d'impôts, tchao, je me barre à Néchin. Quelques réflexions timides puis, tout à coup, le gouvernement qui s'exprime. "Assez minable", cet exil, selon Jean-Marc Ayrault. Il n'en fallait pas plus pour que notre ex-"Obéfisc"  national se fâche tout rouge sur l'air du "On n'est pas là pour se faire engueuler"  de Boris Vian. L'"insulté", en mal de nationalité belge, clame tout haut son intention de rendre son passeport français et sa carte vitale.

   "Minable", vous avez dit "minable"? La mèche est bel et bien allumée. Et aux propos de feu du Premier ministre, la droite, pétrifiée jusque-là dans l'hiver de l'UMP (*), s'est soudain réchauffée. Selon elle, la fuite outre-Quiévrain de la star n'est que la conséquence logique du matraquage fiscal du gouvernement. Autrement dit, le "fuyard"  est le parfait symbole des victimes de la politique "confiscatoire"  actuelle. Ce que conteste évidemment la majorité avec, notamment, un Michel Sapin qui va jusqu'à voir "une forme de déchéance personnelle"  dans l'attitude incriminée.

   Avouez qu'avec un scénario comme ça et des répliques aussi chiadées, on peut tenir au moins jusqu'à Noël. De quoi faire passer au second plan le fiasco de Florange et, comme on dit souvent, "les vrais problèmes des Français". "Cyrano"  fait de la provoc? Laissons-le abattre sa carte tapageuse et cessons de lui faire de la pub. D'autant plus qu'à son départ, correspond un retour. Eh oui, Michel Houellebecq, installé depuis plusieurs années en Irlande, annonce son désir de regagner son territoire d'origine. "j'ai envie de parler, à nouveau, ma langue dans la vie quotidienne. J'ai atteint un niveau d'anglais suffisant." 

   Qui sait, peut-être que lorsque Gérard Depardieu aura acquis un niveau suffisant de wallon, il reviendra. D.P.

 

(*) Il paraît toutefois, aux dernières nouvelles, que les choses s'arrangent...

 

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15 décembre 2012 6 15 /12 /décembre /2012 21:55

   L'A-mé-ri-que! L'A-mé-ri-que! Non pas celle de Joe Dassin, mais hélas celle de Truman Capote ou de Breat Easton Ellis. Avec, à la clé, un scénario destroy, s'il en est, ce vendredi 14 décembre dans le "si calme" Connecticut. Un type de vingt ans qui déboule dans une école élémentaire de Newton. Entre ses mains un fusil d'assaut et les deux revolvers de sa mère qu'il vient de buter. Comme ça, pif paf, de sang froid. En face de lui des gosses. Cinq à dix ans. L'épouvante. L'horreur. Vingt d'entre eux abattus à bout portant. Huit adultes aussi.
   Vingt minutes, pas une de plus, paraît-il. Mélange d'instantané pétrifié et d'éternité foudroyée. Après quoi le choc, l'effroi, l'incompréhension. Emouvante image d'un Barack Obama s'essuyant les yeux sans faire oublier une très récurrente question. Jusqu'à quand permettra-t-on à chaque citoyen des Etats-Unis de se doter d'un arsenal domestique? En Virginie, dit-on, il est plus facile de se procurer un fusil de guerre qu'un pack de bière.

   Non, ne rêvons pas, il est très probable que rien ne changera. Au contraire, après chaque tuerie, on se rue davantage sur les flingues de peur que la législation vienne à en restreindre la détention. Au lendemain de ce nouveau carnage, qui rappelle notamment celui de Colombine en 1999 (treize morts, plus de vingt blessés), nul n'est dupe. Mieux vaut, dans ce pays-là, sortir les larmes que retirer les armes. Les premières, elles, au moins, n'entravent aucun lobby. D.P.

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14 décembre 2012 5 14 /12 /décembre /2012 20:17

     François Soubeyran, le plus grand des quatre, celui qui était aussi potier à Dieulefit, est parti le premier en 2002. André Bellec, le fondateur du groupe, l'a suivi six ans plus tard. Et voilà que ce jeudi 13 décembre, c'est Georges (en bas sur la photo) qui s'est éclipsé, à 94 ans, à Senlis, dans l'Oise. Georges, le pince-sans-rire qui avait pour première passion la peinture, était le cadet de quatre ans d'André. Et si tous ces Jacques étaient frères de scène, ces deux-là l'étaient vraiment. Paul Tourenne, l'ultime survivant, veille désormais seul, loin là-bas dans sa retraite de Montréal.

   Tous ensemble, collants noirs, gants blancs et chapeaux melons, ils ont fait souffler, de l'immédiat après-guerre au début des années 80, un grand vent de poésie et de fantaisie dans les music-halls du monde entier. Et nous autres qui les aimions, nous serions à nouveau tristes aujourd'hui si ne nous revenaient en mémoire ces quelques vers des Deux escargots... de Prévert, l'un des titres fétiches des facétieux interprètes de La Marie-Joseph ou de La Confiture: "... ne prenez pas le deuil / Ça noircit le blanc de l'oeil / Et puis ça enlaidit / Les histoires de cercueils / C'est triste et pas joli / Reprenez vos couleurs / Les couleurs de la vie..."  D.P.

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Présentation

  • : Le blog de Didier Pobel
  • : L'usage des jours (livres, poésie, voyages, journal, impressions...)
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Texte Libre

Ces révolutions que

nous n'avons pas vu venir

   De retour à Bény, en ce bel hiver de givre, je relis cette carte postale que mon père garde, avec celles des étés précédents, sur le buffet de la cuisine. "Sous le ciel encore chaud de la Tunisie, nous pensons bien à toi. Ici, on ne se croirait pas à la veille de la Toussaint. À bientôt. On t'embrasse". Des mots tout simples, écrits comme toujours à la hâte, au moment de reprendre l'avion. 

   C'était à peine trois mois plus tôt. Du Cap Bon où nous faisions halte, nous avions effectué de cahotants trajets à travers le pays. Le Temple des eaux au pied du djebel Zaghouan. Le site romain de Dougga, pur poème de pierre, de vent et d'oliviers, où Abdallah, notre guide, nous avait imposé une visite pour le moins exhaustive. Les villages poussiéreux où la population s'ennuie sous les palmiers flétris. Les charrettes, les bourricots, les antiques mobylettes. La pauvreté, la dignité et, pensions-nous, la résignation.

     La résignation? Eh oui, même lorsqu'on est le témoin d'un régime sans ambiguïtés, il n'est pas toujours si simple de pressentir l'histoire en marche. Avec le recul, pourtant, il y avait eu des scènes éloquentes. Ces barrages de police un peu partout, justifiés alors par un enlèvement d'enfant. Ce jeune diplômé quêtant quelques dinars dans les majestueuses ruines de Thuburbo Majus et qui se cachait pour aborder les "nantis" que nous étions à ses yeux. Un feu couvait en lui, c'est sûr. Il n'aurait peut-être pas fallu grand-chose pour qu'il parle. Mais nous étions pressés, comme souvent.

     Et, disons-le aussi, la méfiance nous gagnait. Un soir, du côté de la cité viticole de Grombalia, un 4X4 aux vitres fumées avait rattrapé notre "Symbol" de location. Une impression se confirmait: nous étions suivis. Sans doute vaut-il mieux ne pas écrire "journaliste" à la rubrique "profession" sur les fiches de douanes à l'arrivée lorsque, quelques mois plus tôt, on a utilisé le mot "dictature" pour rendre compte de la dernière parodie de réélection présidentielle au palais de Carthage.

     Les touristes européens flânaient dans les souks. Les cornes de gazelles étaient sucrées, le vin gris de Mornag montait à la tête, octobre avait de superbes rousseurs de désert et la tiédeur des plages invitait à fermer à demi les yeux. Que voulez-vous, c'est comme ça: exportées sur place, les plus solides notions de droits de l'homme se dissolvent parfois dans le bleu de la mer...

     Pour notre part, nous aurions dû prêter davantage attention aux ardents regards noirs de toute une jeunesse rivés aux téléphones portables. La "génération Ben Ali dégage!" préparait, dans la retenue, le grand soir arabe. Le fantoche président de fer était encore omniprésent. Piètre sosie d'un acteur de série B aux cheveux teints, posant, la main sur le cœur à chaque coin de rue, dans chaque lieu public, à côté des pubs pour les biscuits "Tigato" et pour les firmes corrompues se partageant le gâteau.

     Et voilà. Maintenant nous sommes au début 2011. Dans l'odeur du jasmin et de la poudre, dans le bruit des youyous et des balles, la Tunisie a fait sa "Révolution Facebook". Bonheur de découvrir ces incroyables images à la télévision qui en rappellent d'autres. À Berlin non plus, nous n'avions rien vu venir en novembre 1989. Pas plus qu'à Bucarest le mois suivant. Pas plus qu'au Caire ces dernières semaines...

     Nous parlons de tout cela, ce soir, dans cette ferme de Bresse où, depuis plus de trois ans, mon père veille seul avec son chien et ses cartes postales. Celle-ci, un peu plus ancienne, a été postée de Louxor: "Le printemps égyptien est doux. De part et d'autre du Nil, des merveilles nous attendent. À bientôt. On t'embrasse". Tout à l'heure, il nous rappellera comment lui aussi a retrouvé un jour la liberté. C'était en janvier 1945. L'armée russe avançait. Les portes du stalag de Silésie où il venait de passer plus de cinq ans s'ouvraient. Il allait encore mettre plus de quatre mois pour traverser, à pied et la faim au ventre, un no man's land de charniers, de ruines et de spectres hagards.

     Mais ceci est une autre histoire, direz-vous. Bien sûr. N'empêche, la Liberté, d'où qu'elle vienne, d'où qu'elle revienne, est la même. Au Nord ou à l'Est hier. Au Sud aujourd'hui. Dans nos sursauts collectifs. Dans nos émois partagés. Par l'étroite fenêtre aussi, parfois, de nos petites perceptions occidentales. D.P.

(Cette chronique a été publiée

dans l'hebdomadaire "Voix de l'Ain",

n° 3433, semaine du 11 au 18 février 2011). 

  

La carte de la gloire,

le territoire de l'oubli

   Le triomphe de Michel Houellebecq nous réjouit. Nous fûmes suffisamment déçus par ses échecs au Goncourt en 1998, avec Les Particules élémentaires, et en 2005, avec La Possibilité d'une île, pour ne pas nous féliciter de sa victoire, lundi dernier, à la troisième "tentative". Et cela d'autant plus que La Carte et le territoire (Flammarion) est un roman, à la fois désenchanté et jubilatoire, qui s'inscrit à merveille dans l'air du temps de ce mois de novembre 2010 où, sous la résignation apparente, se profile une très énergique "extension du domaine de la lutte".
   Le lendemain du prix, nous écoutions l'"heureux"  lauréat, sur France Inter, exhorter les auditeurs à ne jamais baisser les bras. "Ne vous laissez pas emmerder, soyez libres!", clamait-il. Magnifique, Michel! comme dirait Drucker qui ne va sans doute pas tarder à programmer un"Vivement dimanche"  houellebecquien. Il faut dire que ce matin-là, le malicieux écrivain à la paupière lasse comme ses anoraks réussissait une sacrée performance. Il volait carrément la vedette au général de Gaulle dont on célébrait pourtant, un peu partout ailleurs, le quarantième anniversaire de la disparition. Et lorsque l'invité déclara un brin péremptoire: "On n'a pas de devoirs envers son pays, on est des individus, c'est tout!", on a bien cru entendre, en bruit de fond radiophonique, le héros de Colombey se retourner dans sa tombe, pour autant que sa gigantesque stature posthume le lui en laissait le loisir.
   Tant pis pour "l'homme du 18 juin", c'est celui du 8 novembre qui était ici à l'honneur! La gloire est ainsi faite. L'enthousiasme du moment peut balayer d'un insolent revers de manche de parka fripée la majestuosité d'un uniforme. Voilà bien à quoi nous songions en écoutant ce drôle de fan de Jean-Pierre Pernaud et de Julien Lepers nous rappeler que "la France est un hôtel, pas plus".
   Injustice? Affaire de circonstances, c'est tout, évitons les grands mots. D'ailleurs, s'il y en a un qui est déjà rompu aux fatals soubresauts de la renommée, c'est à l'évidence Michel Houellebecq lui-même. "C'est curieux comme les choses changent..." fait-il dire au père de son double, à la page 217 de son opus désormais ceint de la prestigieuse bande rouge. Oui, les choses changent vite et bien malin qui pourrait évaluer la durée du rayonnement de celui qui, il n'y a pas si longtemps encore, était conspué à l'unanimité, ou presque.
   Comment pouvait-on, dans un contexte analogue, ne pas penser, au moment de l'attribution du prix, à un lauréat précédent qui vient de disparaître dans une assez scandaleuse indifférence? Lorsqu'il fut sacré, en 1968, pour Les Fruits de l'hiver, lui aussi capta tous les regards. Lui aussi éclipsa momentanément de Gaulle, avant que la chienlit ne déferle. Lui aussi fit des déclarations brutes de décoffrage. Lui aussi pesta contre les travers de la société du moment. Lui aussi réhabilita l'âme des provinces et des bourgades. Lui aussi fut traité de populiste. Lui aussi aimait les chiens. Lui aussi lorgnait vers l'Irlande. Lui? Il s'appelait Bernard Clavel et il a signé plus de quatre-vingts ouvrages dévorés, loin des chapelles, sinon celles du Jura aux toits de pierre et de bois, par des millions de gens.
  Comprenons-nous bien: il ne s'agit pas de comparer les mérites respectifs du "dépressif" du Gâtinais et du bûcheron franc-comtois. Leurs oeuvres, pas plus que leurs démarches, leurs postures et leurs convictions - quoi que... - n'offrent de vraies similitudes. Qu'on nous permette simplement d'y mieux mesurer, parfois jusqu'au vertige, l'indécent grand écart auquel sont soumises, au fil des ans, ces notions floues que sont, en art, le goût et la reconnaissance, l'emballement et la postérité, le lâchage et la fidélité.
   Allez, terminons par une hypothèse. Et si, un de ces quatre, Michel Houellebecq rédigeait un vibrant éloge de Bernard Clavel? Dans La Carte et le territoire, il rend bien un hommage aussi inattendu sous sa plume que mérité pour l'intéressé, à un autre laissé-pour-compte de l'ingrat monde des Lettres: Jean-Louis Curtis (1917-1995). Curtis avait lui aussi obtenu le Goncourt. C'était en 1947 pour Les Forêts de la nuit. Ces forêts où il rôde aujourd'hui, si loin des splendeurs de chez Drouant, avec Clavel et tant d'autres, avant que l'histoire littéraire ne rende son jugement dernier. Au minimum dans un siècle ou deux, "particules élémentaires" comprises. D.P.
(Cette chronique a été publiée,

dans une version légèrement modifiée,

dans l'hebdomadaire "Voix du Jura",

n° 3452, semaine du 20 au 26 janvier 2011). 

 

Ferrat, Chabrol:

l'émotion consolatrice
   Drôles d'hommages, quand on y pense. Il y a quelques mois, la France, larme printanière à l'oeil et lyrisme aragonien aux lèvres, n'en finissait plus de saluer Jean Ferrat. La télévision nationale, on s'en souvient, n'hésita pas à retransmettre en direct les obsèques de l'"échappé"  ardéchois, un peu à la façon d'une étape de la "Grande boucle" dans un col cévenol. Et les foules bigarrées ne cessent, depuis, de se bousculer dans l'étroit cimetière basaltique, lors d'un fervent ballet qui ne manquerait pas d'agacer le discret compagnon des petites routes et des pensées rebelles.
   C'était en mars dernier, entre les deux tours d'une élection que les "bonnes gens"  boudèrent en une obstination inversement proportionnelle à celle qu'ils insufflèrent dans leur "au revoir" au chantre de La Montagne. Et voici donc qu'un semestre plus tard disparaît Claude Chabrol, sous un concert de louanges et face une émotion, certes pas tout à fait de la dimension de la précédente, mais néanmoins étonnante par son impact à la fois médiatique et intimiste.
   Holà, que se passe-t-il donc pour qu'un pays peu réputé pour aimer ses artistes - c'est un euphémisme - manifeste ainsi, coup sur coup, sa sympathie et son chagrin? Un tel engouement se justifie évidemment, au-delà de la force des couplets ou des films des deux créateurs, par la somme d'admiration et de proximité qu'ils inspiraient, chacun de son côté. Le premier par son insolente tendresse et ses engagements jamais feints. Le second par son observation espiègle et grinçante de la société. Mais sans doute faut-il voir également, dans ces effets conjugués de complicité populaire, des éléments d'ordre plus circonstantiels. L'interprète de Ma Môme et le cinéaste du Boucher, dans des registres répétons-le fort différents, n'en incarnaient pas moins l'un et l'autre, y compris sans doute jusque dans les propres limites de certaines de leurs oeuvres, une honnêteté, un goût du travail bien fait, un attachement à la mémoire et un indéfectible respect des individus. Autant de valeurs, faut-il le rappeler, qui font particulièrement défaut en une époque de cynisme roi, de politique dévoyée, de chasse aux minorités ethniques, de charters vrombissant d'indécence sur le tarmac glissant des campagnes électorales...
   Impossible de réécouter une chanson de Ferrat ou de se "repasser" un film de Chabrol sans s'imprégner des bénéfiques célébrations de la patience, de la malice, de la tolérance et de la liberté. Et puis, avons-le, nous ressentions une vraie consolation à les voir l'un et l'autre, moustache frémissante ou pipe en bouche, parler soupes d'autrefois, vins de terroir et pourfendre en se marrant "les cons qui n'arrêtent pas de voler et les autres de les regarder", cela en une époque où la fumée conviviale, le verre entre amis et l'humour décapant tombent sous le coup de la loi, alors que la "bêtise d'Etat" entache le pays du droit de Roms. 
   Entre "ombre faite humaine" et "oeil de Vichy", entre "amour cerise"  et adultères provinciales, Jean Ferrat et Claude Chabrol étaient tous deux, à leur manière, d'Antraigues à Sardent, d'éloquents refrains en travellings suggestifs, inscrits à l'inventaire de nos monuments historiques familiers. Continuons à nous précipiter pour la visite en groupes de leurs battements de coeur, de leurs ricanements, de leurs univers, de leur exemplarité. Alléluia et Moteur! D.P.

   

 La rentrée littéraire,

quelle vacherie!
 Elle est retrouvée. Quoi? La rentrée littéraire qui n'a, avouons-le, pas grand'chose à voir avec l'éternité rimbaldienne. Les libraires transpirent. Les attachées de presse s'enfièvrent. Les chroniqueurs frottent leurs lunettes et affûtent leur sens critique. Un peu partout on compte, on compare, on spécule. Au juste, 701 romans, dont 497 français, ça fait combien de plus, de moins ou de pile poil pareil que l'année dernière qui, elle-même, etc. Drôle de phénomène bien de chez nous que cette espèce de foire d'automne où l'on remplace les bestiaux par des bouquins et les viriles clameurs des enchères par des maquignonnages autour des prix. Palpez un peu cette Nothomb, vous m'en direz des nouvelles. Et le dernier fleuron de la race Houellebecq, visez-moi cette encolure. 
   S'il y en a une qui ne risque pas de s'offusquer de la métaphore bovine, c'est bien Claudie Gallay. La petite femme aux yeux bleu pervenche, propulsée directement de ses terreuses origines nord-iséroises aux "déferlantes" du succès, a écrit son nouvel opus, L'Amour est une île, (Actes Sud), dans sa bergerie du Charolais. Avec des broutards crème meuglant sous sa fenêtre. Avec un ciel pluvieux comme vache qui pisse. La-bas, du côté de La Clayette et de Semur, il y a les prés sans Saint-Germain. Et les éleveurs, qui tordent leurs casquettes à l'heure d'écorner leurs troupeaux, se fichent de l'embouche romanesque comme de la première litière de leur stabulation.
   Ils ne dévoreront ni Despentes, ni Forest, ni Volodine. Ni Linda Lê, ni Adam, ni Claudel. Et encore moins Breat Easton Ellis et J.M. Cootzee. Pas le temps. Propos un brin savants. Bref, un monde qui n'est pas le leur. Claudie, ce n'est pas pareil. Elle est presque d'ici. Elle cause comme l'ultime épicière du coin qui fait dépôt de pain et de journaux. Pas mince, le compliment.
    Cette fois-ci, c'est vrai, elle s'est embarquée du côté du festival d'Avignon l'année de la grève des intermittents. Evidemment, on s'en fiche un peu sur les rives de la Grosne, de la Guye ou du Grison. Mais sûr, la prochaine fois, elle parlera des gens du cru. A commencer, peut-être, par les habitants de Saint-Ythaire. Saint-Ythaire, c'est entre Bonnay et Curtil-sous-Burnand. 122 âmes en colère contre le projet d'implantation de cinq éoliennes. Un super sujet pour l'écrivain qu'on a même aperçue l'autre soir au "Vingt heures" de TF1.
    Les révoltés de Saint-Ythaire? A moins que ce ne soient les Don Quichotte de Bény. Bény, c'est au coeur de la Bresse, de l'autre côté de la Saône. Là, c'est contre la future Ligne à grande vitesse qu'on se mobilise à coups de calicots et de banderoles accrochés aux barrières des fermes et des villas avec, parfois, des slogans en patois: "LGV, to ka t'nallo!" ("LGV, tu n'as qu'à t'en aller"!).
   Des hélices géantes bientôt essaimées dans le paysage si cher jadis aux abbés de Cluny ou des trains fous écrasant prochainement l'AOC des célèbres volailles aux pattes bleues. Fichue alternative, quand on y pense. D'autant plus que, dans ce décor de pseudo-polar rural, on ne discerne pas la moindre librairie à l'horizon. Alors, dites, où c'est qu'on va les trouver, à Saint-Ythaire, à Bény ou ailleurs, les 701 titres annoncés? Houellebecq a raison: il convient de revoir de toute urgence "La carte et le territoire". Ah! quelle vacherie, par ici, la rentrée littéraire. (Fin août 2010). D.P.

 

Quelques nouvelles de par ici
 
 
    Je vais vous donner un peu des nouvelles de par ici. C'est où par ici? C'est chez moi. Enfin, je veux dire pas loin. A la rigueur juste à côté. Le décor, vous le connaissez. Il y a un village avec son clocher vaguement roman. Le presbytère transformé en gîte rural. L'épicerie où l'on vend des caramels pour les gosses et des asticots pour la pêche. Le calme règne jusqu'au milieu de l'après-midi. C'est à ce moment-là que les tracteurs ramènent les voitures de foin dans les fermes. Les travaux agricoles, cette année, quelle galère: on est passé directement de l'hiver du mois de mai à la canicule du solstice! Vers dix-huit heures, dix-huit heure trente, les gosses font des pirouettes à bécane et les ados, sur la placette, gloussent dans leurs téléphones portables sans jamais déclarer forfait. Ensuite, le boulodrome de fortune prend  doucement des allures de petit G20 provincial.
    Imperturbable, l'employé municipal arrose les fleurs. Ou ce qu'il en reste. Le week-end dernier, des dadais en goguette ont piétiné les terre-pleins. "Saloperie de désoeuvrés!" maugrée Jean en lisant l'entrefilet dans la chronique locale. Jean, c'est le facteur. Après sa tournée, il aime bien prendre un verre. Le seul café qui n'a pas encore baissé rideau aligne trois tables sur le trottoir. Les autres troquets ont tous fermé. Trop de travaux pour se mettre aux normes. En sirotant son panaché, le préposé s'attarde sur le journal du coin. Les décès, les mariages, les naissances, les accidents... Il lit aussi le billet, en haut à gauche de la page 2. Il y a même la photo du chroniqueur qui tient un bouquin dans ses mains. En regardant de près, on découvre le titre et l'auteur. C'est Après beaucoup d'années de Philippe Jaccottet.
    Jaccottet est un immense poète qui vit dans les parages. Mais personne ne le connaît vraiment. Jean s'en fiche. Lui, ce qu'il recherche dans son canard, ce sont les infos pratiques. Ou les échos du conseil municipal. L'annonce des fêtes d'été. Les vide-greniers des alentours. Mais à la Une, il y a cette photo. Un ministre et sa femme "dans la tourmente". Eric et Florence Woerth, ils s'appellent. Pierrot, le patron du café, qui vient faire un brin de causette à Jean, prononce ce nom à sa façon. Il dit "Voerte" et ça sonne un peu comme un hommage aux absinthes verlainiennes d'autrefois. "Tous pareils, hein, y'en a pas un pour racheter l'autre!". Jean, le regard rivé aux résultats du "Mondial" de foot et au classement général du Tour de France, ne répond rien. Ou alors il fait "hum hum" et bien malin qui pourrait comprendre si c'est une approbation ou l'inverse. 
  Rien ne bouge, ou presque. Il y a juste un soupçon d'électricité dans l'air. La grêle est annoncée pour le soir mais, c'est bien connu, "à la météo, ils se trompent tout le temps...". N'empêche, il faut hâter la fenaison. Demain à l'aube, les fourches hydrauliques des colossaux Renault ou John Deere payés à crédit planteront leurs dents dans ces rouleaux herbeux qui, au mitan des parcelles de la PAC, ressemblent aux chignons lavande des aïeules de ce "pays". Ce "pays" qui pleure et qui rit, qui meurt et qui vit. Ce "pays" qui attend les touristes. Ce "pays" en jachère où, dans les villas des lotissements en extension, Internet remplace désormais l'épicier qui faisait jadis sa tournée en klaxonnant à travers des hameaux pleins de vieux taiseux et de chiens tout en gueule. 
  Voilà, ça se passe par ici un jour brûlant de juillet. Plus tard, peut-être, je vous donnerai des nouvelles de par là-bas. C'est où par là-bas? C'est du côté de par ici. Si jamais, un de ces quatre, vous avez l'occasion, arrêtez vous quelques instants, on parlera un peu de Jaccottet. "Faites passer, disait la terre elle-même, ce matin-là, de sa voix qui n'en est pas une. Mais quoi encore? Quelle consigne?" (Juillet 2010). D.P.
 

    

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